Elevage
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Tanit Halfon
Les ambitions pour l’élevage porcin en faveur de l’environnement et du bien-être animal se heurtent à des réalités techniques et économiques. C'est le constat qui a été fait lors d'une journée de conférences organisée par l’Ifip. Mise au point.
La filière porcine pourra-t-elle répondre aux enjeux sociétaux, environnementaux et de bien-être animal ? À question complexe, réponse complexe, pourrait-on conclure de la journée de conférences coordonnée par l’Institut du porc (Ifip) le 3 décembre dernier. S'agissant de la question environnementale, si plusieurs rapports se sont déjà penchés sur le sujet (Solagro, Ademe, Iddri1), l’Ifip propose lui aussi une analyse scientifique, a exposé Sandrine Espagnol, ingénieure environnement à l’institut. Vingt scénarios pour 2050 ont été étudiés, en modulant plusieurs variables : le volume de production (3 variations testées), le type de production (2), le niveau de déploiements des bonnes pratiques (2) et les consommations en produits porcins (2). Pour chacune d’elles, plusieurs indicateurs étaient calculés : le bilan global des émissions de gaz à effet de serre (GES) – incluant les émissions importées –, le bilan partiel intégrant uniquement les émissions produites sur le territoire – ce sur quoi se basent les objectifs chiffrés de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) –, le coût associé, et enfin la couverture des besoins alimentaires en produits porcins.
« Il y a urgence à prioriser les objectifs »
Résultat : si la consommation de viande porcine reste stable en France, aucun des scénarios ne permet de répondre à l’objectif de réduction des GES. Ainsi, le scénario où le volume de production est ajusté pour atteindre l'objectif fixé par la SNBC (de réduire de 46 % les émissions de GES dans le secteur agricole d'ici 2050) entraîne nécessairement une diminution de 45 % de la production. Cette baisse engendre inévitablement un déficit dans l'approvisionnement en viande porcine pour les consommateurs, nécessitant des importations accrues, ce qui conduit à une augmentation de l'empreinte carbone des Français.
Au final, à consommation constante, si la priorité fixée par l'État est de concilier impératifs environnementaux et souveraineté alimentaire, la réduction des GES atteignable ne sera que de 20 %, pour un coût de 231 millions d’euros, et en déployant beaucoup de bonnes pratiques dans les élevages. C’est seulement si la consommation baisse de 20 % qu’il y a une possibilité de « presque » concilier les deux. Mais dans ce cas, les systèmes majoritaires de production restent des élevages conventionnels, avec une baisse de production de 18 à 28 %, et un coût de 177 millions d’euros pour l’amélioration des pratiques.
Répondre aux objectifs de la SNBC est beaucoup plus complexe si la priorité est de concilier les impératifs environnementaux et des systèmes d'élevages plus extensifs. Dans ce cas, avec une réduction de la consommation de 20 %, se combinent une baisse de la production française de 60 % et une dépendance aux importations de 45 %... avec pour résultat une diminution de seulement 14 % des GES... Et à la condition d’importer du porc conventionnel ! « Il est urgent de prioriser les objectifs pour que la filière puisse se structurer », a estimé Sandrine Espagnol. En outre, comme elle l'a souligné, « consommer moins de produits porcins signifie consommer davantage d’autres produits, impliquant des réductions globales de GES moindres que celles calculées ». Petite note d’espoir, tout de même : « Les leviers qui améliorent le bilan carbone des cultures bénéficient aux animaux qui les consomment. »
Des coûts de l’ordre du milliard pour l’élevage porcin européen
Autre défi à part entière : celui du bien-être animal, qui a été exploré notamment lors d'une conférence sur la révision de la proposition d’évolution de la réglementation européenne sur le transport. Et là encore, les 5 points d’évolutions majeures envisagées semblent difficiles à appliquer. Par exemple, la proposition introduit une visite vétérinaire obligatoire avant le départ des porcs à l’abattoir, explique Patrick Chevillon, ingénieur à l’Ifip. Mais c’est irréaliste, puisqu'il s’agit souvent de départs nocturnes, et cela aurait un coût non négligeable : 215 euros en moyenne pour un camion plein, soit 180 porcs. Autre exemple : le transport vers l’abattoir serait limité à 9 heures, contre 24 heures actuellement. Or, aujourd'hui, 4 % des porcs charcutiers se trouvent à plus de 9 heures d‘un abattoir, et ce chiffre monte à 28 % pour les truies de réforme (export ou abattoir national). Pour les premiers, à terme, cela mettrait en péril quatre abattoirs du sud de la France, et il faudrait potentiellement envisager de renforcer des abattoirs existants pour les truies, voire de construire un abattoir central pour ces animaux. Dernier exemple : la surface disponible par animal dans le camion devrait être augmentée, ce qui impliquerait d'acheter 129 nouveaux camions (et de trouver le double de conducteurs). Le bilan carbone serait dégradé au kilo de porc (6 millions de kilomètres de plus à parcourir par an). Au final, la facture globale à prévoir en plus chaque année a été estimée à 107 millions d’euros, soit 4,50 euros par porc charcutier abattu en France. Ce coût serait à 72 % lié à la visite vétérinaire, suivi par la hausse de la surface par porc dans le camion de transport. Selon l’Ifip, à l’échelle européenne, la facture annuelle pour la filière porcine s'élèverait à 1,6 milliard d’euros, à laquelle il faudrait ajouter 4 milliards pour les investissements.
L'exemple des Pays-Bas
Que peut-on envisager une fois que ces constats ont été faits ? S'inspirer des Néerlandais ? Martijn Weijtens, conseiller agricole de l’ambassade des Pays-Bas, invité pour l’occasion, a exposé ce qui se passait dans son pays. Alors que celui-ci exporte les deux tiers de sa production, le gouvernement a dû réagir suite à une condamnation en 2019 par la Cour suprême de justice pour non-respect des directives européennes Oiseaux et Habitats du fait d’un excès d’azote dans l’environnement. Ce qui a bloqué tout nouveau projet de construction d’infrastructures, d'habitations… et aussi d'élevages. Et a abouti à fixer un objectif de réduction de 50 % des émissions d’azote d’ici 2035, tous secteurs confondus, avec 5 milliards d’euros consacrés à cette transition. Dans ce cadre, aucun chiffrage concret de réduction de l'élevage n'a été acté. Le gouvernement a ciblé en priorité les « super » émetteurs situés près des zones Natura 2000 – qui incluaient les industries et les élevages. Ces entités avaient le choix entre cesser leur activité, faire racheter cette activité (120 % de la valeur du marché), la délocaliser ou réduire drastiquement leurs émissions. Pour les autres élevages, il existe différents schémas d’achat de ferme. Le secteur porcin a eu davantage recours à l’option d’achat par rapport aux autres, alors que la problématique visait plutôt les éleveurs laitiers. De plus, les élevages porcins avaient déjà beaucoup réduit leurs émissions. La situation n’est pas encore stabilisée.
La consommation de viande de porc ne baisse pas
Selon les différentes parties prenantes invitées lors d'un débat, l’arrêt d’activités d’élevage serait, en France, une politique périlleuse. En témoigne Yves Fantou, président de Culture Viande – syndicat des industriels de la boucherie –, qui a estimé que « soit on produit, soit on importe. Aujourd’hui, la consommation globale de la viande ne faiblit pas ». Carole Joliff, présidente du Comité régional porcin de Bretagne, a rappelé que « la Bretagne agricole, c’est 11,5 milliards de chiffre d’affaires, dont 8 milliards pour l’élevage. L’industrie agroalimentaire, c’est 20,5 milliards en 2022, dont les trois quarts pour la valorisation des productions animales (…) 29 000 emplois directs concernent la filière porcine, avec encore un déficit ». Pour les intervenants, il faut aussi veiller à garder notre compétitivité, et rester vigilant face à des décisions qui semblent « hors sol » par rapport à la réalité de l’agriculture. Sans oublier que l’élevage français a la capacité d’être bas carbone. Ceci dit, dans le contexte actuel du secteur, un facteur limitant ne devra pas être occulté : celui de l’attractivité du métier. En Bretagne, entre 2010 et 2020, 38 % des exploitations porcines ont disparu, un chiffre compensé par une hausse de la taille des élevages et de la productivité. Comme a mis en garde l'un des orateurs, avec 42 % des porcs détenus par des seniors, et seulement une exploitation sur trois qui est reprise, « à un moment, cela va bloquer ».