La toxocarose, de l'intestin animal aux aires de jeux - La Semaine Vétérinaire n° 2065 du 07/02/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2065 du 07/02/2025

Prévenir les zoonoses

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Emmanuel Liénard, Émilie Bouhsira et Séverine Boullier

Premier épisode de notre série consacrée aux zoonoses avec les toxocaroses. Ces parasitoses fréquentes chez les carnivores domestiques peuvent entraîner des infections cliniques chez l’humain en cas d’ingestion accidentelle. Le praticien vétérinaire est un acteur de la prévention de la transmission humaine, par son rôle d’information des propriétaires et ses conseils de vermifugation adaptés à chaque animal.

Si elles sont des infestations banales, les toxocaroses des carnivores n’en présentent pas moins un risque zoonotique non négligeable. Le vétérinaire a un rôle primordial dans la gestion de celui-ci, par la détection et la vermifugation, notamment des chiots et des chatons.

Des parasites présents partout 

Les toxocaroses sont des helminthoses zoonotiques intestinales fréquentes qui sévissent essentiellement chez les jeunes animaux, causées par des nématodes du genre Toxocara, dont les espèces principales sont, en France, Toxocara canis chez les canidés et Toxocara cati chez les félidés. Ces parasites sont présents partout sur le territoire. Une étude multicentrique* réalisée dans l’Hexagone et publiée en 2022 a rapporté une prévalence coproscopique de 8,5% chez les chiens de particuliers pour T.<0x00A0>canis, et de 11,3% chez le chat de compagnie pour T.<0x00A0>cati. Les animaux recrutés pour cette enquête étaient âgés de 42<0x00A0>jours à<0x00A0>16<0x00A0>ans pour les chiens et de 30<0x00A0>jours à<0x00A0>19<0x00A0>ans pour les chats. La séroprévalence chez l’humain dans les pays industrialisés varie de 2 à<0x00A0>5% en zone urbaine à de 35 à<0x00A0>42% en zones rurales. En région tropicale, elle atteint même 92,8% chez l’adulte à La Réunion. Les toxocaroses sont la principale cause d’hyperéosinophilie dans notre pays. L’infestation humaine est due le plus souvent à T.<0x00A0>canis, bien loin devant T.<0x00A0>cati.

La zoonose des bacs à sable

Les carnivores parasités émettent dans leurs matières fécales des œufs qui nécessitent en moyenne de 3 à<0x00A0>4<0x00A0>semaines pour devenir infestants sans éclore – ils contiennent alors une larve de stade<0x00A0>3. Dans les conditions optimales (une température de 25°C, un taux d’humidité de 95% et une très bonne oxygénation), ils deviennent matures en 5 à<0x00A0>8<0x00A0>jours. Plus de 50000<0x00A0>œufs par gramme de fèces peuvent être libérés chaque jour par les animaux infestés par T.<0x00A0>canis et T.<0x00A0>cati. Ces œufs résistent très bien dans le milieu extérieur, parfois plus de 2<0x00A0>ans, et ne perdent leur pouvoir infestant qu’à des températures extrêmes, supérieures à 45°C ou inférieures à -10°C.

Les œufs se retrouvent essentiellement sur les sites de défécations canines ou félines. Leur dissémination est assurée par les insectes, la pluie et le ruissellement, mais aussi par les semelles des chaussures ou les pattes des animaux.

L’humain s’infeste accidentellement par :

1. l’ingestion d’œufs embryonnés présents dans le sol contaminé par des déjections animales. C’est en particulier le cas des jeunes enfants qui jouent dans des bacs à sable souillés par des déjections canines ou félines.

2. la consommation de légumes crus ou mal lavés contaminés par des œufs embryonnés.

3. la consommation de divers abats (surtout le foie de veau) ou de viande (notamment bovin, petit ruminant, cervidé, canard, autruche et escargot) crus ou peu cuits contenant des larves de stade<0x00A0>3 enkystées.

Les larves de stade<0x00A0>3 libérées dans le tube digestif de l’humain effectuent une migration tissulaire, mais se retrouvent en impasse parasitaire. Elles peuvent survivre plusieurs mois dans un granulome inflammatoire riche en éosinophiles. Les toxocaroses sont alors un syndrome de Larva migrans viscérale au tableau clinique polymorphe en lien avec leur localisation (migrations préférentielles vers le foie, l’œil, le système nerveux central, mais aussi les poumons et le cœur ainsi que divers tissus et organes) et le degré d’infestation.

Au moins trois formes cliniques chez l’humain

La plupart des infestations humaines demeurent asymptomatiques et bénignes, caractérisées par une sérologie positive. Il s’agit de de toxocaroses cachées. Mais il est fort probable que, du fait de la diversité des symptômes peu spécifiques, isolés ou associés, des formes mineures échappent au diagnostic. La maladie revêt au moins trois grandes formes cliniques :

1. Larva migrans viscérale. Elle se caractérise par des troubles généraux tels que la dyspnée asthmatiforme, le syndrome de Loeffler, l’hépatosplénomégalie, les nausées, les vomissements, les diarrhées, les douleurs abdominales, les céphalées, les convulsions et l’urticaire. Elle concerne majoritairement les enfants âgés de 2 à 5 ans (avec un historique de géophagie et de présence d’un chiot dans le foyer). L’arrêt de l’ingestion d’œufs entraîne une cession des troubles en 6 à 18 mois.

2. Larva migrans oculaire. Elle est souvent unilatérale, accompagnée d’une diminution de l’acuité visuelle avec strabisme généralement sans aucun trouble systémique. Mais les troubles visuels sont possiblement permanents, liés au granulome rétinien et au développement d’une uvéite ou d’une choriorétinite. La parasitose survient plus fréquemment chez les enfants et les jeunes adultes.

3. Toxocarose neurologique. Elle se manifeste par des symptômes neurologiques comme la méningo-encéphalite, la vascularite cérébrale, l’épilepsie ou l’atteinte des nerfs crâniens. Elle est très rare et concernerait surtout les hommes adultes.

Vermifuger et sensibiliser à l’hygiène

L’implication du vétérinaire auprès de sa clientèle est déterminant pour limiter le risque d’infestation humaine. D’abord, par la prévention faite chez l’animal. Elle passe par un examen coproscopique et une vermifugation régulière dont la fréquence est à adapter pour les animaux de plus de 6<0x00A0>mois en fonction de l’évaluation du risque. La prophylaxie repose sur la vermifugation systématique dès l’âge de 15<0x00A0>jours pour les chiots et de 21<0x00A0>jours pour les chatons, tous les 15<0x00A0>jours jusqu’à 2<0x00A0>semaines après le sevrage, puis mensuelle jusqu’à 6<0x00A0>mois. Au-delà de 6<0x00A0>mois, le rythme est à adapter suivant l’évaluation du risque en s’appuyant sur des examens coproscopiques réguliers. Le risque de toxocarose dans un foyer est multiplié par<0x00A0>3 avec la présence d’un chien, et par<0x00A0>5 s’il s’agit d’une portée de chiots. De fait, les chiots infestés in utero excrètent un grand nombre d’œufs. Afin de limiter la contamination de l’environnement, les déjections animales doivent être ramassées (avec des gants ou un sachet) et jetées dans un sac-poubelle, qui sera incinéré.

Le vétérinaire a aussi un rôle majeur de conseil auprès des détenteurs, auxquels il doit rappeler combien l’hygiène est fondamentale. Il convient d’interdire l’accès des chiens et des chats au potager, ainsi qu’aux aires de jeux et aux bacs à sable, qui doivent être couverts lorsqu’ils ne sont pas utilisés. Il est aussi vivement recommandé de se laver les mains régulièrement, avant les repas, après le jardinage et après avoir caressé un chien ou un chat et plus particulièrement les jeunes animaux. Un lavage rigoureux des fruits et des légumes avant consommation et une cuisson suffisante des viandes et abats (une température a minima de 60-75°C pendant 15 à<0x00A0>30<0x00A0>minutes) est requise pour diminuer les risques d’infestation. L’eau de Javel, les ammoniums quaternaires et les iodophores sont d’une efficacité insuffisante ou inconstante contre les œufs embryonnés ou non. Le nettoyage mécanique – brossage des anfractuosités et lavage du sol à la vapeur d’eau bouillante sous pression – permet de réduire la pression environnementale.

  • * Bourgoin G., Callait-Cardinal M.-P., Bouhsira E., Polack B., Bourdeau P., Roussel Ariza C., Carassou L., Lienard E., Drake J. “Prevalence of major digestive and respiratory helminths in dogs and cats in France: results of a multicenter study”. Parasit Vectors. 2022 Sep 6;15(1):314. doi: 10.1186/s13071-022-05368-7.