Jurisprudence
PHARMACIE
Auteur(s) : Par Michaella Igoho-Moradel
Sur fond de manquements déontologiques liés à la prescription de médicaments vétérinaires sans examen clinique préalable, le Conseil d’État précise les contours de l’obligation de notification du droit à se taire.
Est-ce une « banale » affaire relative à la prescription hors examen clinique ? La décision du Conseil d'État du 19 décembre 2024* est bien plus qu’un rappel des textes en vigueur. En l’espèce, le vétérinaire A. a manqué à ses obligations déontologiques en prescrivant des médicaments sans examen clinique préalable, en rédigeant des ordonnances non conformes pour une jument et en fournissant des numéros d’identification erronés pour des prélèvements bovins. Le praticien a été sanctionné en première instance par une chambre régionale de discipline, qui lui a infligé une suspension d’exercice pendant deux ans. Après une longue procédure, la décision a été contestée en appel devant la chambre nationale de discipline, puis devant le Conseil d’État. L’un des moyens de défense invoqué fera jurisprudence.
Se taire est un droit
Le droit au silence. Il s’agit d’un principe bien connu en droit pénal, mais beaucoup moins devant les tribunaux administratifs, en l’occurrence lors d’une procédure disciplinaire. Celui-ci doit être notifié à la personne poursuivie. Or, dans l’affaire opposant le vétérinaire A. et un président d’un conseil régional, l’intéressé indique ne pas en avoir été informé pendant l’instruction du dossier devant la chambre disciplinaire ni lors de l’audience de jugement. Un moyen retenu par le Conseil d’État, qui se fonde sur l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. La haute juridiction rappelle ensuite que « ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives, mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition ». Ainsi, les propos tenus lors de l’instruction devant les rapporteurs ne peuvent fonder la décision de la chambre disciplinaire si la personne mise en cause n’avait pas été informée de son droit de se taire. Et de préciser qu’une telle information n'a pas à lui être dispensée à l'occasion de la conciliation, et les propos qui y sont tenus ne sauraient être ultérieurement utilisés dans la procédure disciplinaire.
Des manquements établis
Ce principe rappelé, le Conseil d’État annule la sanction prononcée à l’encontre du vétérinaire A. Il statue toutefois sur le fond en retenant d’autres éléments que la reconnaissance des faits. En l’espèce, le praticien a rédigé et signé des ordonnances par lesquelles il a prescrit des médicaments à une jument, sans avoir préalablement procédé à l'examen clinique de l'animal nécessaire à l'établissement d'un diagnostic. « Il résulte également de l'instruction que ni l'une ni l'autre de ces ordonnances ne comportent certaines des mentions obligatoires prévues par les dispositions de l'article R. 5141-111 du code de la santé publique, à savoir le numéro national d'inscription au tableau de l'Ordre du vétérinaire, l'adresse du propriétaire des animaux, l'âge, le sexe, le nom ou le numéro d'identification de l'animal. » Selon le Conseil d’État, ces faits, établis matériellement et n’ayant pas été contestés par le vétérinaire A., sont constitutifs d'un manquement aux obligations déontologiques des vétérinaires. Les juges du fond infligent à l’intéressé une sanction de suspension d’exercer sa profession sur tout le territoire national pendant une durée de dix-huit mois. Une peine moins importante qu’en première instance.
Un fondement juridique
Le droit de se taire se fonde notamment sur l’article 61-1 du Code de procédure pénale et dispose que « la personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ne peut être entendue librement sur ces faits qu'après avoir été informée […] du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ».