Tribune
EXPRESSION
Auteur(s) : Jean-Luc Cadoré, professeur émérite de médecine interne, agrégé des écoles vétérinaires, Diplômé Ecvim(CA), membre de l'Académie vétérinaire de France
Les mots existent pour écrire de belles phrases et donc pour permettre à tous de parler, de lire et de communiquer de la meilleure façon… Il suffit d’ouvrir quelques ouvrages de presse en langue française pour trouver des utilisations erronées et fâcheuses de beaucoup de mots ou expressions médicaux. En dresser un florilège autorise une sorte de divertissement terminologique, pour reprendre la formule de Francis Lescure, professeur à l'École nationale vétérinaire de Toulouse.
Au-delà, il ne semble pas que ces libertés parfois peu réfléchies en terminologie soient de nature à faciliter l’apprentissage des étudiants et une bonne communication entre professionnels et avec les propriétaires d’animaux tant il est certain que, derrière le mésusage de mots, ce sont parfois des concepts qui sont changés, changeants et/ou imprécis.
De plus, certains conférenciers ou rédacteurs, probablement au nom de cette liberté loin d’être académique, font parfois appel à un vocabulaire, à des expressions et à une syntaxe que l’instituteur et le professeur de collège et de lycée et les encadrants de l’enseignement supérieur devraient avoir tout fait pour leur non-usage dans la formation des apprenants, avec également une tendance grandissante à l’utilisation de l’apocope, des sigles et des acronymes.
Ainsi, la phrase de Camus tombe à point nommé : « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. »
La rédaction de l’observation clinique, de cas cliniques, d’articles pédagogiques, la présentation des animaux hospitalisés semblent aujourd’hui assez éloignées de la rigueur lexicale et grammaticale d’autrefois au détriment du vocabulaire médical lui-même, au détriment aussi de la précision et de la justesse des observations et, partant, du diagnostic et du pronostic, bref au détriment de la rigueur médicale.
J’entends déjà les commentaires que notre langue est une langue vivante et qu’il faut admettre quelques évolutions ; certes, mais ce n’est pas en parlant franglais, non plus en ne respectant plus l’étymologie, ni en utilisant des formulations pour des mots aux confins d’un certain snobisme médical digne de séries télévisées…
Le mot juste et adapté doit être préféré de façon à être précis et juste dans l’approche diagnostique du clinicien, qu’il s’agisse de mots pour décrire une situation, qu’il s’agisse surtout des termes utilisés en sémiologie.
Il me semble important de maintenir cette culture médicale, dont il convient de rappeler qu’elle trouve ses racines dans les différentes écoles de grands médecins et vétérinaires français, tout comme d’ailleurs la sémiologie, et qu’il n’est pas utile de franciser des termes anglais impropres.
Ne détenant évidemment aucune vérité, je me suis toujours astreint à respecter ce que mes maîtres m’ont appris, tenant compte que notre langue est vivante et doit aussi évoluer. Il me semble donc absolument nécessaire de maintenir en respect ce charabia médical envahissant, qui d’ailleurs en conforte plus d’un dans une espèce de monde où les animaux malades deviennent, comme les patients à l’hôpital, de simples numéros pour lesquels seule une approche de techno- sciences instrumentalisée est proposée…
À l’heure de la littératie et du développement opportun de la médecine narrative, des espaces pour l’apprentissage partagé de sémantique médicale, la lecture de dictionnaires du vocabulaire médical, un travail plus important des académies pour rendre des avis argumentés doivent être développés et favorisés par les facultés et écoles vétérinaires, au risque d’assister à une paupérisation de la médecine et à sa banalisation la mettant au même rang que des disciplines strictement techniques certes importantes mais incomparables avec notre approche médicale.
Le parler juste médical est donc un véritable enjeu pour nos écoles.