International
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Chantal Béraud
À l’heure où les Français sont – au moins militairement parlant – « poussés » hors d’Afrique, l’Académie vétérinaire de France a organisé un colloque sur la coopération vétérinaire patiemment coconstruite avec ce continent. La question de son avenir a été posée.
« Les vétérinaires sont les amis des bergers africains. C’est même pour eux un peu le bon Dieu qui vient soigner leurs troupeaux ! Dans le Sahel, comme beaucoup de nouvelles transitent encore par les bergers, on peut aller jusqu’à dire qu’un vétérinaire qui sait parler aux bergers est un acteur de la paix. » Telle est la vision « de terrain » d’un ancien ministre français de la Coopération, Jacques Godfrain, président de France vétérinaire international » et membre d’honneur de l’Académie vétérinaire de France. Académie qui a donc récemment consacré l'une de ses séances thématiques au « lien vétérinaire avec l’Afrique », au titre de sa commission internationale, présentée lors d'un colloque par Jean-Jacques Soula.
Zoom sur deux maladies africaines
La journée a donné l’occasion à Nathalie Vachiery, directrice de recherche Astre (unité mixte Cirad/Inrae), de faire un zoom sur la fièvre de la vallée du Rift (FVR) et sur la peste des petits ruminants (PPR). « La majorité de notre unité est basée à Montpellier, mais nous sommes également présents au Sénégal, au Zimbabwe, au Mozambique, etc., a-t-elle expliqué. Nous menons des activités de laboratoire, en faisant par exemple les diagnostics de référence en cas de suspicion de FVR et de PPR. Et nous conduisons des activités de recherche en interdisciplinarité. Nous prenons en compte la santé à l’échelle des territoires et des écosystèmes, en menant en plus des actions collaboratives de terrain. » Et de rappeler que la « FVR est une maladie virale zoonotique. Elle est d’abord apparue au Kenya avant de s’étendre dans toute l’Afrique. Elle est aussi aujourd’hui présente au Maghreb. Et je confirme que mes collègues experts disent que oui, il y a un risque que la FVR arrive un jour en France. Ce qui montre bien qu’il est essentiel de maintenir une plateforme d’épidémiosurveillance ainsi qu’une veille internationale sur cette zoonose en extension ».
Un exemple de surveillance en Mauritanie
Nathalie Vachiery a mentionné la lutte menée contre la FVR en Mauritanie : « Nous avons malheureusement assisté, dans ce pays, à une réémergence de la souche qui y avait déjà sévi en 2015 ! En étudiant la situation, nous avons compris que cette réémergence était liée à plusieurs facteurs : de la mobilité animale, un climat favorable à la présence de moustiques, mais aussi la tenue de fêtes religieuses ayant entraîné des mouvements de population. » Comme la maladie apparaît d’abord sur les animaux, le système de surveillance « assez important qui a été mis en place en Mauritanie » consiste notamment en l’observation d’animaux sentinelles dès le début de la saison des pluies, de manière à pouvoir faire une alerte sanitaire précoce. « Il faut ensuite pouvoir mettre en place des campagnes de vaccination du bétail. » Sachant aussi que les humains les plus à risques de contamination « sont les fermiers, les vétérinaires et le personnel d’abattoir ». Et Nathalie Vachiery de conclure : « Pour combattre cette maladie, il faut donc bien connaître les facteurs environnementaux, dont les déplacements humains. Nous continuons aussi nos recherches sur la bioécologie des moustiques. »
Une éradication de la PPR en 2030 ?
Concernant la peste porcine des petits ruminants (PPR), Nathalie Vachiery a l’espoir de parvenir à l’éradiquer en 2030, grâce à des campagnes de vaccination massives. « La PPR, a-t-elle souligné, a un impact sur les animaux domestiques, et donc sur le revenu des éleveurs, mais elle est aussi préjudiciable en termes de biodiversité puisqu’elle concerne également la faune sauvage. » Et de rappeler que la PPR est réapparue en juillet 2024 en Europe, dans des élevages en Grèce et en Roumanie. En collaboration avec des partenaires du Nigeria, des relevés ont été effectués sur le terrain mais, a commenté Nathalie Vachiery, « c’est compliqué au niveau sécuritaire, notamment pour déployer des enquêtes dans trois régions à risque ». Par ailleurs, a-t-elle ajouté, l’idée est de « faire de la coconstruction en intégrant le savoir local scientifique » et en organisant des communautés locales pour la surveillance du bétail. « Le projet Lidiski, qui a bénéficié d'un financement DeSIRA de l'Union européenne a par exemple permis d’améliorer les capacités de transport puis de stockage des vaccins, notamment en installant des panneaux solaires pour pallier les coupures d’électricité néfastes à la chaîne du froid. Nous avons mis en place des auxiliaires de santé vétérinaire. Et produit des cartes de risques. Nous avons aussi construit une plateforme d’information alimentée par des données collectées sur le terrain. » Tous ces efforts, et bien d’autres, permettent à l’unité française d’être désormais « le laboratoire de référence en Europe pour la PPR », a assuré Nathalie Vachiery.
Avec quels moyens financiers ?
L’exposé de Nathalie Vachiery a notamment été suivi à distance et avec une grande attention par des auditeurs africains, parmi lesquels Adama Diallo, qui lui aussi espère que « la PPR parviendra à être bientôt éradiquée ». Celui-ci a mentionné ce qui, à ses yeux, constitue deux difficultés majeures. « Il faut vacciner souvent en raison du taux de renouvellement fréquent d’une partie des troupeaux de petits ruminants, a-t-il pointé. Ces élevages sont très importants en Afrique comme en Asie. Tous les moyens techniques sont là pour éradiquer la PPR à condition d’avoir les moyens financiers de le faire... Au Burundi, grâce à un financement de la Banque mondiale, nous sommes parvenus à éradiquer la maladie, sous le pilotage de Nathalie et avec l’assistance technique du Cirad*. »
Le défi de la sécurité alimentaire des aliments
Babacar Sène, consultant international en sécurité sanitaire des aliments, a présenté les défis et les opportunités que ce sujet pose encore sur ce continent. Et l’ancien ministre Jacques Godfrain de donner en complément un seul chiffre : « En Afrique, on estime qu’un tiers des récoltes de végétaux destinées aux humains sont perdues en raison des parasites qui les consomment. »
Une collaboration d’égal à égal
La conférence s’est poursuivie par des échanges avec la salle. S'agissant des collaborations futures, il a été évoqué le fait de devoir, à l’avenir, « collaborer d’égal à égal » entre Français et Africains, avec la nécessité de chercher « des visions communes, en parlant tous ensemble autour d’une table, y compris pour l’élaboration de programmes de recherche ». Et en tenant compte de la montée en puissance des compétences africaines…
Un livre mémoire des vétérinaires en zone tropicale
Le mot de la fin est revenu à Jean-Luc François, ancien responsable de la Division agriculture, développement durable et biodiversité de l’Agence française de développement. Celui-ci a indiqué qu’à l’initiative de quatre « anciens » de la coopération (Bernard Vallat, Philippe Chartier, Philippe Steinmetz et lui-même) un livre, rapportant les souvenirs des « vétérinaires français au service de l’élevage tropical (1960-2010) », devrait prochainement être publié, probablement en autoédition . « Cet ouvrage de 250 pages comptera un total de 88 contributions », a-t-il précisé. À suivre !