À l’ère du numérique, communiquer autrement avec ses clients - La Semaine Vétérinaire n° 2066 du 14/02/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2066 du 14/02/2025

DOSSIER

Auteur(s) : Par Irène Lopez

Alors que le digital est un levier clé pour la visibilité et l’attractivité, les cliniques vétérinaires font face à de nouveaux défis en matière de communication. Comment se rendre visibles et attractives en ligne tout en restant authentiques ? Pourquoi investir du temps et des ressources dans un site internet ou les réseaux sociaux ? Et surtout, comment adapter les messages à des cibles variées ? Ce dossier explore les stratégies, les outils et les bonnes pratiques pour bâtir une communication digitale efficace et humaine, tout en évitant les pièges courants.

Loriane Benoist (L<0x00A0>05), associée du cabinet vétérinaire Vétélis (chats et chiens) situé à Saint-Clair-du-Rhône, en Isère, a été approchée par un groupe, qui s’est étonné : «Votre clinique, elle ne se voit pas<0x00A0>?!». Vételis se «voit» pourtant suffisamment puisque la clinique ne désemplit pas. «La majorité des gens nous trouvent sur Google», commente Loriane Benoist. Vétélis possède néanmoins un site internet sur lequel s’affichent les visages rieurs de l’équipe. Chaque portrait est légendé d’un texte synthétique présentant les qualités et personnalités de chaque membre. Sept<0x00A0>onglets figurent sur la page d’accueil. Des services (imagerie, médecine préventive, etc.) sont proposés à l’espace boutique. Chaque rubrique est minutieusement renseignée et mise à jour. Pour preuve, la rubrique Actualités est enrichie de nouveaux articles chaque mois.

Se poser les bonnes questions

Le site internet, cette vitrine accessible partout dans le monde d’un simple clic, constitue «la base», la porte d’entrée virtuelle de la clinique. Les vétérinaires sont-ils aguerris en matière de communication digitale<0x00A0>? «Pas vraiment et on peut regretter que seulement deux établissements vétérinaires sur trois possèdent un site internet, déplore Grégory Santaner (N<0x00A0>99), fondateur de VetoNetwork, agence de conseil et de formation numérique pour le monde de la santé animale. Et malheureusement, seule la moitié de ces sites sont de qualité acceptable, les autres (en particulier ceux non mobiles-compatibles) desservent plus l’image de la clinique qu’autre chose. Il y a également des outils digitaux pour communiquer mais ils sont peu employés par les vétérinaires et ils ne sont pas assez qualitatifs.» Celui qui est également associé chez Anicoon Vétérinaires poursuit : «À leur décharge, les professionnels de la santé animale ne sont pas tous des communicants numériques nés. Par ailleurs, il n’existe quasiment pas de formation initiale à l’école, tant sur la communication que sur le digital. Or, la communication digitale nécessite des compétences, du temps et des ressources pour être efficace.»

Avant de foncer bille en tête, Céline Porret-Condamin (L<0x00A0>03), présidente d’Ergone, association pour le développement de l’entreprise vétérinaire, encourage à se poser certaines questions: «À quels clients veut-on s’adresser<0x00A0>? Nos clients actuels ou d’autres potentiels (prospects), pour lesquels les messages ne seront pas forcément les mêmes<0x00A0>? Lesquels faut-il privilégier pour valoriser correctement ses efforts et son temps<0x00A0>?» Selon elle, par exemple, prospecter de nouveaux clients n’est pas toujours une bonne stratégie, selon le niveau d’activité et la charge de travail actuelle de la clinique. «En effet, les équipes en sous-effectif ou croulant déjà sous la charge de travail auront intérêt à ne pas chercher à recruter de nouveaux clients pour garantir à leurs clients actuels une qualité optimale des soins», explicite-t-elle.

Le mode de communication universel n’existe pas

Une fois que la cible a été déterminée, comment lui parle-t-on? Le mode de communication universel n’existe pas, il est indispensable d’adapter le canal à ses clients, notamment selon leurs habitudes, préférences et tranches d’âges. « Alors que certaines personnes resteront toujours particulièrement sensibles aux cartes de condoléances manuscrites, d’autres seront clairement plus adeptes du digital, notamment des réseaux sociaux. Les quadragénaires sont encore sur Facebook; les plus jeunes seront plutôt sur Instagram, Snapchat ou TikTok», témoigne la présidente d’Ergone. Pragmatique, elle avance: «Tout dépend du contexte de la communication et de la qualité de la relation avec ses clients. Le canal digital sera pertinent tant qu’il n’y a pas de difficulté dans la relation. S’il y a un souci, il faudra s’affranchir des plateformes et autres outils digitaux pour revenir à un échange vivant, au téléphone ou même idéalement en face-à-face.» Pour illustrer son propos, elle donne l’exemple du mauvais commentaire sur Google, face auquel il est très préférable de contacter directement le client mécontent pour en savoir davantage sur son insatisfaction et écouter son émotion. Entre la qualité du service proposé et ce qu’il a<0x00A0>ressenti, il y a sûrement certains points à éclaircir, voire d’éventuels dysfonctionnements à améliorer dans l’organisation.

Il est également important de déterminer quel contenu l’on souhaite communiquer, de façon à rester cohérent avec l’image que l’on veut donner à sa structure (plus technique, plus familiale, etc.). Informatif ou à<0x00A0>visée émotionnelle, quel est le contenu à offrir? «On pourra décider d’envoyer des contenus informatifs (pathologie saisonnière, aliments toxiques, comment bien entretenir son animal, bilans gériatriques, etc.) afin d’améliorer les connaissances des propriétaires, des contenus plus émotionnels pour générer du flux et des retours (les fameux chatons mignons…)», déclare Céline Porret-Condamin. Ces messages sont un moyen privilégié pour communiquer sur la clinique, son équipe, ses locaux, les services proposés ou mettre en avant les éléments différenciants par rapport aux autres structures (spécialités, expertises particulières, cas exceptionnels, etc.).

Faut-il faire le choix d’une personne de l’équipe ou externaliser?

Avant de répondre à cette question, il convient de bien prendre en compte le temps nécessaire à cette communication car il est parfois ardu de gérer la communication de la clinique en plus de son travail habituel. Il faut parfois bien compter une heure pour la création de certains contenus. Outre l’idée, il y a le texte à écrire, l’image à collecter… puis vient la validation éventuelle avant publication selon le contenu. Il est indispensable de libérer du temps sur le planning de travail pour pouvoir communiquer régulièrement sans devoir dépendre de la charge de travail. «Il est souvent intéressant de chercher quelqu’un en interne, un membre de l’équipe un peu geek accoutumé des réseaux sociaux, qui aura envie de s’investir dans cette mission, admet Céline Porret-Condamin. Ce sera en plus un excellent levier de motivation et de fidélisation si la mission est bien valorisée au sein de la clinique, et qu’on octroie à cette personne suffisamment de temps pour s’en occuper correctement.»

A contrario, si un associé s’y colle par obligation, et sans appétence particulière, cela risque fort de ne pas fonctionner bien longtemps. Grégory Santaner partage l’avis de la consultante et prône également la ressource interne. Sa philosophie rejoint le proverbe chinois qui dit: «Quand un homme a faim, il vaut mieux lui apprendre à pêcher que lui donner du poisson.». «En effet, j’ai déjà observé, lors d’un audit à<0x00A0>l’étranger, que certains groupes de cliniques postaient tous le même post impersonnel le même jour et à la même heure pour des dizaines de cliniques, explique-t-il. Résultat : les publications suscitaient peu d’engagement. À l’inverse, les publications maison avec la vraie vie des membres de la clinique et des photos des vrais patients remportent généralement un franc succès. C’est somme toute logique, car les clients ont envie d’avoir des échanges numériques qui sont humains et personnels avec leur équipe vétérinaire.»

Hélène Villarroya (A<0x00A0>01), fondatrice et dirigeante d’Adévet, abonde dans le sens de ses confrères mais nuance: «Créer et mettre en ligne des messages nécessite une expertise. Cela peut être une personne de l’équipe qui a un goût pour le design, par exemple. Idéalement, il faudrait qu’elle comprenne comment fonctionne le référencement naturel.»

Certaines images ou vidéos peuvent être mal interprétées

Peut-on tout montrer ? Toute bonne intention n’est pas forcément un gage de communication réussie. Certaines images ou vidéos peuvent être mal interprétées ou donner une fausse image de la clinique. Céline Porret-Condamin confirme: «Montrer la photo d’un animal endormi en chirurgie ou avec des blessures impressionnantes peut partir d’une bonne intention, mais cela peut heurter certains internautes. Le fameux “bashing” (critique ou dénigrement collectif) tant redouté sur les réseaux sociaux peut facilement découler d’une mauvaise interprétation de l’image ou de la vidéo visionnée. »

Même prudence évoquée par Hélène Villarroya pour qui il est essentiel de se demander comment le public va percevoir l'image partagée. Elle met en garde contre, par exemple, en ophtalmologie, les gros plans d’un œil abîmé qui peuvent être délicats. «De même, il faut éviter de montrer un animal dans une posture grotesque ou humiliée, ainsi que toute scène impliquant du sang, de la douleur ou une impression de mal-être, sauf si l’objectif est de faire du buzz – ce que je ne recommande pas», ajoute-t-elle. Il est donc important de prendre le temps de se demander: quelle image ai-je envie que les gens retiennent de moi?

Devant la multitude d’outils existants, les contenus de qualité créés et les appétences des propriétaires d’animaux pour s’informer, pourquoi la communication digitale n’est-elle pas plus efficiente? Grégory Santaner, qui a une vision de ce qui existe à l’étranger, a la réponse : «L’un des freins à cette communication fluide et personnalisée avec les clients est la difficulté de connecter les outils digitaux de communication moderne aux logiciels métier en France. En effet, cette communication peut être à la fois automatisée et personnalisée (via le lien avec le logiciel métier). Madame Michu pourrait ainsi recevoir facilement et de manière qualitative des nouvelles et des messages informatifs pour son chat Roméo. Les pays anglo-saxons disposent déjà de systèmes aussi fluides, par exemple WhatsApp Business, qui peuvent s’intégrer avec les logiciels métier. Il suffit d’appuyer sur un bouton pour que Madame Michu reçoive sur sa messagerie WhatsApp des messages personnalisés aux couleurs de la clinique.» Les éditeurs de logiciels sont-ils prêts à relever le défi ?

Camille Porret-Blanc (L 17)

Exerce à Saint-Denis-de-Cabanne, en région Auvergne-Rhône-Alpes

Ces posts permettent de faire passer des messages différemment

Au sein de notre clinique mixte, nous sommes trois vétérinaires, deux ASV, une technicienne et une assistante en alternance. Comme j’ai une appétence pour l’informatique (j’ai fait partie de la cellule du numérique au sein de l’école vétérinaire de Lyon), j’ai créé le site internet de la clinique. Je n’ai désormais plus le temps de m’en occuper au quotidien. C’est pourquoi nous avons confié le volet communication à<0x00A0>notre technicienne, 23<0x00A0>ans, familière des réseaux sociaux. Cela fait partie de ses missions. Le temps qu’elle consacre à nos pages Facebook et Instagram s’élève à cinq<0x00A0>heures par semaine, en moyenne. Une semaine, nous mettons en lumière la pratique rurale (la prophylaxie, la rentrée des vaches à l’étable, etc.). La semaine suivante, nous mettons l’accent sur des sujets qui ont trait aux animaux de compagnie, comme l’intoxication au chocolat. Nous privilégions toujours une ligne éditoriale à visée technique. De temps en temps, bien sûr, nous postons des photos de nos pensionnaires: un veau en hospitalisation, un chaton pour le rappel de ses vaccins, un cochon tout juste castré qui repose sous la lampe chauffante ou le pansement d’une vache amputée d’un onglon. Nous prenons toujours garde à ne pas offenser. Si besoin, nous floutons une partie de l’image. Le but n’est pas de choquer car nous savons que tout le monde peut avoir accès à ces publications. Ces posts permettent de partager notre quotidien, de faire passer des messages différemment. Il faut garder en tête que cette visibilité sert aussi notre «marque employeur». Un futur collaborateur n’hésitera pas à consulter les réseaux sociaux pour se faire une idée de la structure.

Guerric Radière (T 09)

Vétérinaire collaborateur libéral en région parisienne et maître de conférences en management en ENV

L’information est partout et nos clients peuvent vite se noyer

Sur nos réseaux sociaux, nous mettons en lumière la clinique et les équipes. Chaque mois, nous postons un message en phase avec l’actualité. Par exemple, en octobre, mois du cancer du sein, nous abordons les tumeurs mammaires. Ce sont des sujets généraux que l’on peut trouver sur des sites généralistes mais cela permet une animation et un rythme dans la communication. Au sein des cliniques dans lesquelles j’exerce, un écran diffuse des vidéos dans les espaces d’attente. Elles reprennent la même ligne éditoriale décrite précédemment et permettent de déclencher des discussions en consultation. L’éducation des propriétaires est très importante pour s’assurer de la bonne santé des animaux. Aujourd’hui, l’information est partout et nos clients peuvent vite se noyer. Cette semaine, une cliente m’a dit: “J’entends tout et son contraire sur la stérilisation de ma chienne. J’ai besoin de votre avis, je n’arrive pas à faire mon choix”. La vraie valeur ajoutée du vétérinaire réside dans cette communication personnalisée en face-à-face. Elle a lieu au minimum lors de la visite annuelle en consultation de médecine préventive. C’est là que le professionnel de santé répond à toutes les questions que se pose le propriétaire. Bref, l’opposé de ce qui est proposé lors de la communication non<0x00A0>ciblée des réseaux sociaux, qui cherche souvent à vendre sans identifier les vrais besoins des animaux et de leurs familles. Avoir une présence sur les réseaux sociaux ne fait pas la différence car nos clients viennent chez nous surtout grâce au bouche-à-oreille, mais ça peut les rassurer s’ils cherchent des informations à notre sujet. 

Loriane Benoist (L 05)

Associée du cabinet vétérinaire Vétélis, situé à Saint-Clair-du-Rhône, en Isère

Les contenus pédagogiques suscitent moins d’intérêt que des portraits d’animaux

Lors de la création de la clinique en<0x00A0>2014, nous nous sommes intéressés aux moyens de communication sur internet. Nous avons alors beaucoup communiqué. Une fois la notoriété acquise, nous avons été happés par nos consultations et le travail au sein du cabinet sans pouvoir nous investir davantage dans cette communication. Nous nous sommes rendu compte que les contenus pédagogiques suscitaient moins d’intérêt que lorsque l’on postait un portrait d’un des animaux reçus en consultation à la clinique. La palme revient au mignon chaton dont le portrait fait fondre les internautes. L’infographie sur les dangers d’une intoxication à Noël recueillera trois pouces, le portrait du chaton sera gratifié de 50 000 cœurs ! Le clou de la page Facebook de Vételis est, sans conteste, le mois de décembre. L’équipe s’est amusée à suivre la tradition nord-américaine “Elf on the shelves” (littéralement, lutin sur les étagères), qui consiste à poster des photos amusantes de lutins facétieux donnant l’impression que ce sont des êtres dotés de vie. À<0x00A0>chaque jour correspond son image : un lutin, la tête dans un sac de croquettes, deux autres jouant avec du papier toilette. Au final : des pouces levés et des cœurs de la part des internautes, emblématiques du caractère sympathique de l’opération et, par conséquent, de la clinique vétérinaire elle-même. Nous avions créé une newsletter dans laquelle nous rappelions les horaires, présentions l’équipe, les nouvelles recrues… Sa réalisation était particulièrement chronophage et nous n’obtenions que très peu de retours. Nous avons donc abandonné ce canal de communication.