Gestion de la dermatite digitale en ateliers d’engraissement des jeunes bovins - La Semaine Vétérinaire n° 2066 du 14/02/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2066 du 14/02/2025

FORMATION MIXTE

Auteur(s) : Clothilde Barde

Article rédigé d’après la conférence éponyme présentée par Anne Relun (Oniris) et Aurore Duvauchelle Waché (Idele) lors des Journées nationales des groupements techniques vétérinaires (Tours du 15 au 17 mai 2024)

La dermatite digitale (DD), maladie bactérienne due à des spirochètes du genre Treponema qui se traduit par des lésions ulcératives de la peau des bovins infectés, est devenue très fréquente en France dans les ateliers d’engraissement de jeunes bovins (JB). D’ailleurs, en 2014, il y avait déjà des premières alertes sur ce phénomène dans la littérature avec une publication américaine1. Elle indiquait que dans les élevages d’engraissement en stabulation, la DD et la polyarthrite étaient plus fréquentes que les panaris et les abcès en pince. Une première étude réalisée en abattoir de 2016 à<0x00A0>2017 par une équipe de chercheurs italiens2 a également montré que, sur les JB à l’engraissement, 5,9% des lots étaient atteints et, dans ces lots, la majorité des pieds étaient atteints. De plus, une étude3 réalisée dans l’Aisne en 2020 dans 8<0x00A0>élevages et 14<0x00A0>lots a montré que 7<0x00A0>élevages étaient atteints, avec des prévalences intra-lot variant de 0 à<0x00A0>100%. Une autre étude française, en 20234, a par ailleurs révélé la présence de la DD dans 51% des lots avec 34% des JB atteints et 18% qui présentaient des lésions potentiellement douloureuses de type<0x00A0>M2. Enfin, selon une autre étude américaine de 20175, lorsque les JB arrivent en engraissement, s’ils sont sains à leur arrivée, les boiteries dues à la DD sont détectées 4<0x00A0>mois après leur arrivée. La prévalence de cette affection semble donc au cours de l’engraissement.

Des pistes de prévention et de gestion

Selon les conférencières, pour éviter l’apparition de la DD en engraissement, il faut éviter d’introduire et de propager les bactéries responsables de cette maladie mais aussi réduire la prévalence de la maladie en essayant de guérir rapidement le plus de JB possible. Il existe actuellement peu de données scientifiques sur cette affection. Ainsi, une étude de 2023 sur le sujet6 a permis d’étudier les effets de l’ajout d’oligoéléments organiques entre 30<0x00A0>et<0x00A0>90<0x00A0>jours d’engraissement sur la prévalence de la DD. D’après les résultats obtenus, il semblerait que cette complémentation a un effet uniquement en début d’engraissement car elle permet alors de contrôler la survenue de la DD. Par ailleurs, dans une autre étude7 dont les résultats devraient être publiés prochainement, des chercheurs ont tenté de déterminer si l’automatisation de la distribution de la ration permettait qu’il y ait moins d’acidose ruminale (par une distribution plus fréquente) et donc moins de DD et d’abcès hépatiques. D’après les résultats obtenus, il semblerait que cela diminue le nombre de mâles atteints par la DD. Par ailleurs, pour que les animaux guérissent, il faut que la maladie soit détectée précocement. Or, cette affection est compliquée à détecter chez les JB car ils sont élevés en case et marchent peu. Elle est donc souvent détectée tardivement. En outre, des chercheurs ont montré dans une étude de<0x00A0>20218 que les animaux atteints de la DD avaient des problèmes locomoteurs. L’automatisation de la détection de ces boiteries (visio en continu) permettrait donc d’identifier précocement ces troubles locomoteurs. 

Divers facteurs de risque

La Chambre d’agriculture de l’Aisne a rapporté en<0x00A0>2017 des pertes économiques importantes dues à la DD dans plusieurs ateliers de JB. À<0x00A0>la suite de ce constat, un projet multipartenarial, piloté par Aurore Duvauchelle Waché (Idele), a été mené. L’objectif était dans un premier temps, en 2020, de tenter de comprendre le développement de la DD et d’émettre des hypothèses sur les facteurs de risque de développement de ces lésions dans les ateliers de JB. Puis, en 2021, des mesures de maîtrise ont été testées et leur acceptabilité par les éleveurs a<0x00A0>été estimée. Au cours de la première année, 14<0x00A0>lots de 8<0x00A0>ateliers d’engraissement ont été inclus et 3<0x00A0>visites (V1, V2 et V3) ont eu lieu en début, milieu et fin d’engraissement. Les 4<0x00A0>pieds de tous les JB ont alors été observés par un pédicure professionnel travaillant dans une clinique vétérinaire. À<0x00A0>la première visite, sur les 271<0x00A0>animaux observés, aucune lésion de DD n’a été mise en évidence. Puis, à<0x00A0>V2 et V3, des prévalences différentes ont été observées selon les élevages. Même si dans certains d’entre eux quelques lots sont restés sains, sur les 8<0x00A0>élevages étudiés, 7<0x00A0>présentaient des animaux atteints de DD. Les prévalences étaient différentes entre les lots dans un même élevage.

En ce qui concerne les facteurs de risque, l’étude ayant portée sur seulement 8<0x00A0>élevages, il s’agit surtout d’hypothèses, mais les analyses multivariées ont montré que les facteurs favorisant le développement de la DD seraient: la surdensité des animaux à partir de 12<0x00A0>mois d’âge, une température de litière supérieure à<0x00A0>40°C, le logement des JB sur une litière inchangée, des lots composés de JB provenant de plus de 5<0x00A0>cheptels différents. Ces différents facteurs pourraient s’expliquer de plusieurs manières. La surdensité prolonge le temps debout pour les JB et peut favoriser l’augmentation de la température et de l’humidité de la litière. Une température supérieure à<0x00A0>40°C, parfois relevée à certains endroits de la litière, pourrait favoriser une répartition hétérogène des animaux et augmenter les phénomènes de surdensité. De plus, cela pourrait potentiellement agresser la peau des pieds des animaux, favorisant ainsi le développement cutané des tréponèmes. Si les animaux d’un même lot proviennent de naisseurs différents, cela augmente les risques d’introduire des animaux atteints de DD et augmente le stress des JB. Par ailleurs, si la litière est inchangée entre différents lots ou si les animaux sont déplacés de case en case au cours d’un même engraissement sans changement de litière, cela favorise la transmission des tréponèmes responsables de la DD. D’autres facteurs, non ressortis de l’analyse multivariée, ont également été observés et pourraient favoriser le développement de la DD: la communication des aires de raclage entre cases, la présence de l’infirmerie au milieu des cases d’engraissement, l’accès à l’eau limité en quantité, une longueur à l’auge parfois insuffisante, la présence de zones humides dans le bâtiment et des problèmes de ventilation.

Des mesures de maîtrise efficaces

Pour la seconde année (2021), 3<0x00A0>élevages d’engraissement étudiés l’année précédente ont été sélectionnés et 4<0x00A0>mesures ont été testées: densité respectée pour des JB de plus de 12<0x00A0>mois, réduction du nombre d’élevages naisseurs d’origine (5 ou moins), ajout de bactéries de compétition dans la litière (Cobiotex, 2 g/JB par semaine + 4 g/JB à chaque curage soit toutes les 10<0x00A0>semaines) et utilisation d’un pédiluve (Hoof Fit pédiluve à<0x00A0>5%, passage à l’arrivée, au rappel de vaccination et 15<0x00A0>jours après). Les résultats de cette étude suggèrent une meilleure maîtrise de la DD que ce soit à l’aide des bactéries de compétition ou du pédiluve, a minima dans un des élevages, celui dans lequel la majorité des facteurs de risque étaient maîtrisés (absence d’infirmerie dans le bâtiment d’engraissement et pas de raclage de l’aire d’exercice d’une case à l’autre).

En ce qui concerne l’acceptabilité, toutes les mesures proposées ont été jugées faisables et acceptables. L’utilisation d’un pédiluve, effectuée par 2<0x00A0>éleveurs, a été jugée faisable à condition que sa conception et sa localisation soient adaptées pour un passage fluide des animaux. L’utilisation des bactéries de compétition par 2<0x00A0>éleveurs était jugée satisfaisante, également pour son effet positif sur la qualité du fumier, mais le coût était parfois un frein. La diminution de densité, testée par les 2<0x00A0>éleveurs, a été acceptée, si celle-ci n’est pas trop importante (diminution de 2<0x00A0>JB par case au lieu de 3). Enfin, la diminution du nombre de cheptels d’origine, mise en place dans les 3<0x00A0>élevages, était acceptable du point de vue des éleveurs mais plus difficile à mettre en œuvre par les personnes constituant les lots. Toutefois, davantage d’essais serait nécessaire pour confirmer ces résultats.

Cette étude permet donc déjà de conclure que si l’on ne maîtrise pas les facteurs de risque, on limite les chances de réussite des traitements. Les études publiées et les études de l’Idele ainsi que les cas référés à Oniris suggèrent pour mieux contrôler la DD de limiter l’introduction des tréponèmes en élevage par le contrôle de la locomotion à l’introduction des animaux, par le renvoi des animaux boiteux, par l’introduction d’un pédiluve et éventuellement par la limitation du nombre d’élevages naisseurs. Les conclusions proposent aussi de limiter la propagation de DD en améliorant la guérison des animaux, en respectant la densité animale, en diminuant l’humidité de la litière, en asséchant la litière, en mettant en place des pédiluves – et éventuellement une flore de barrière dans la litière – et en diminuant l’acidose ruminale. Enfin, pour améliorer la guérison de la maladie, il est possible d’améliorer la détection de la DD via des contrôles de locomotion à des moment clés de la vie de l’animal (dans le futur, une  automatisation de l'observation de la locomotion sera probablement possible), via des traitements antibiotiques topiques ou en IM ou via une diminution de l’humidité de la litière.

  • 1. Grooms D. L., Kroll L. A. K. Indoor confined feedlots. Veterinary Clinics of North America - Food Animal Practice. 2015;31(2):295–304.
  • 2. Magrin L., Brscic M., Armato L., Contiero B., Cozzi G., Gottardo F. An overview of claw disorders at slaughter in finishing beef cattle reared in intensive indoor systems through a cross-sectional study. 2018 December Epub.
  • 4. Ishak S., Guatteo R., Entraygues A.-R., et al. État des lieux des lésions podales des jeunes bovins à l’engraissement. In: Journées nationales des groupements techniques vétérinaires (GTV). 2024.
  • 5. Plummer P. J., Krull A. Clinical perspectives of digital dermatitis in dairy and beef cattle. Veterinary Clinics of North America - Food Animal Practice. 2017;33(2):165–181.
  • 6. Anklam K., Kulow M., Gander A., et al. Effects of organic trace mineral supplementation on the prevalence of digital dermatitis in beef feedlot cattle. Applied Animal Science. 2022;38(4):380– 391.
  • 7. Martinić O., Magrin L., Prevedello P., Fabbri G., Cozzi G., Gottardo F. Effects of automatic TMR feeding system on the health status of finishing bulls and heifers. In: Book of abstract of the EAAP 74th Annual Congress. 2023:368.
  • 8 Thomas A. D., Orsel K., Cortés J. A., Pajor E. A. Impact of digital dermatitis on feedlot cattle behaviour. 2021 November Epub.