Innovation
ENTREPRISE
Auteur(s) : Par Marine Neveux
L’intelligence artificielle transforme progressivement la médecine vétérinaire, à travers de nouvelles applications diagnostiques et prédictives. Lors d’une soirée organisée par l’Association des anciens élèves et amis de l’École vétérinaire de Lyon en octobre, experts et professionnels ont débattu des opportunités, des limites et des enjeux éthiques de cette technologie en plein essor.
L’intelligence artificielle (IA) a été évoquée lors d’un colloque organisé par l’Association des anciens élèves et amis de l’École nationale vétérinaire de Lyon (AAE-ENVL) à Marcy-l’Étoile, le 17 octobre. Au programme : un focus sur l’IA, de son concept à son utilisation, entre applications et limites.
Franck Noël (L<0x00A0>01), data scientist et membre de l’équipe Dômes Pharma, revient sur la place et les enjeux de l’IA dans la profession. «Je n’aime pas le terme IA, car il est galvaudé et utilisé à tort et à travers», affirme le spécialiste. L’IA est un concept vaste, parfois trop flou pour être pertinent. «Si l’on interroge ChatGPT, il définit l’IA comme un ensemble de théories et de techniques visant à simuler l’intelligence humaine. Il ne s’agit pas de magie, c’est avant tout de la technique.»
Un simple outil ou une révolution en marche ?
L’intelligence, au sens humain du terme, repose sur la capacité à apprendre, comprendre et s’adapter. L’IA tente de reproduire ces mécanismes à travers des modèles mathématiques et informatiques. Son histoire remonte à plusieurs décennies : en<0x00A0>1956, la conférence de Dartmouth marque un tournant en définissant officiellement le concept d’intelligence artificielle. À l’époque, les chercheurs travaillent sur les neurones formels, les perceptrons et les premiers réseaux de neurones. Dans les années<0x00A0>1980, ces approches sont progressivement supplantées par les systèmes experts. Puis, dans les années<0x00A0>2000, l’augmentation massive de la puissance de calcul et la disponibilité de gigantesques bases de données permettent d’entraîner des modèles toujours plus complexes. Le véritable tournant survient avec l’émergence du deep<0x00A0>learning dans les années<0x00A0>2020, puis la sortie de ChatGPT en novembre 2022. Un constat qui interroge autant qu’il fascine sur l’avenir de ces technologies et leur place dans le quotidien.
Aujourd'hui, l’IA est-elle un simple « beau jouet » ou un outil véritablement utile? Derrière ces technologies, on retrouve des mathématiques complexes et d’immenses volumes de données brutes, qui nécessitent une préparation minutieuse. Mais l’IA ne se résume pas à des algorithmes et du code : son utilisation repose aussi sur la manière dont on l’interroge. «Je prompte mes questions d’une certaine façon, explique Franck Noël. Formuler une requête différemment peut donner des réponses totalement différentes.»
Une formation indispensable
Les domaines d’application de l’IA sont vastes. L’École nationale vétérinaire de Lyon s’y intéresse depuis longtemps. Dès 1989, une première thèse explorait son application en dermatologie à travers des systèmes experts.
Avec l’essor des outils comme ChatGPT, de nouveaux défis émergent. Hier, on parlait du «Dr Google»; aujourd’hui, c’est le «Dr ChatGPT». L’accès instantané à l’information soulève des questions essentielles: quelles sont les sources? Où vont les données analysées? Et quel est le coût écologique de ces modèles qui nécessitent des mois d’entraînement et une consommation énergétique massive? soulève Franck Noël. Son développement entraîne une mutation des métiers. L’un des dangers majeurs reste la manipulation de l’information.
Sur le plan réglementaire, l’AI Act impose un cadre strict en Europe, au point que certaines entreprises renoncent à y déployer leurs systèmes. Faut-il y voir une protection ou un frein à l’innovation? Enfin, il ne faut pas oublier que « l’IA reste avant tout un outil, au même titre qu’un échographe : son efficacité dépend de la manière dont on l’utilise. Il est donc essentiel de se former, d’apprendre à poser les bonnes questions et, surtout, de garder un esprit critique face aux résultats obtenus », martèle notre confrère.
Deux IA et de multiples applications
Lors du colloque, Annick Valentin-Smith (A<0x00A0>78), présidente de Vet In Tech, a présenté les applications de l’IA en médecine vétérinaire. «L’IA est avant tout une technologie, souligne Annick Valentin-Smith. Ce qui importe pour nous, vétérinaires, c’est d’évaluer ses cas d’usage.» Elle distingue notamment l’IA prédictive, qui analyse des données pour anticiper des événements, de l’IA générative, qui crée du contenu à partir de bases de données existantes.
Dorénavant, l’IA n’est plus réservée aux professionnels. Les propriétaires d’animaux de compagnie y ont aussi accès. Par exemple, la société sud-coréenne Petnow propose une identification des animaux via leur empreinte nasale. D’autres applications permettent de photographier un animal pour obtenir un diagnostic et des conseils… Attention, ces outils intègrent erreurs, incitations commerciales vers des consultations à distance ou des produits. La vigilance s’impose! L’IA générative, elle, commence à remplacer le fameux «Dr Google» dans les recherches sur la santé animale. Mon Vétérinaire Virtuel, fondé sur ChatGPT, s’impose progressivement comme une source d’information.
Des outils conçus pour les vétérinaires
Côté élevage, les solutions sont plus avancées. Quentin Garnier, vétérinaire et fondateur de Herd, a mis au point un système de surveillance des vaches laitières fondé sur l’analyse vidéo. Grâce à des caméras enregistrant en continu, le logiciel suit les vaches Holstein en les identifiant par leurs taches et détecte d’éventuels problèmes de santé, de locomotion ou de reproduction. Ce type de technologie, déjà en place dans certains pays, arrive en France avec un coût de<0x00A0>40<0x00A0>euros par vache et par an. Dans le domaine équin, Novostable utilise des caméras intelligentes pour surveiller les chevaux en box.
L’IA se révèle également efficace dans l’interprétation d’images médicales. PicoxIA, cofondée par Émilie Boissady, propose un outil fiable pour analyser les radiographies. Autre avancée, l’IA exploite la plateforme VetCompass au Royaume-Uni, une vaste base de données, pour établir des corrélations entre les antécédents médicaux des animaux et certaines maladies, comme le syndrome de Cushing, la maladie d’Addison ou l’insuffisance rénale chronique. Une approche qui illustre l’IA prédictive appliquée à la médecine vétérinaire.
L’IA ne se limite pas au diagnostic. Elle se met aussi au service des praticiens pour optimiser leur quotidien. Par exemple Dicma Vet transforme la voix en texte, un gain de temps pour les comptes rendus médicaux. SpotiVet propose des hypothèses diagnostiques. Suite Office Vétérinaire, conçue par Mathieu Lamant (L<0x00A0>07), associe gestion administrative et outils d’aide au diagnostic.
Face à ces innovations, une idée fait consensus : les vétérinaires doivent s’approprier l’IA et participer à son développement. «L’IA ne remplacera pas les vétérinaires, mais les vétérinaires formés à l’IA auront un avantage sur ceux qui ne le sont pas», assure Annick Valentin-Smith.
«Le praticien reste maître de ses décisions»
En médecine humaine, l’encadrement réglementaire est strict, notamment en ce qui concerne les dispositifs médicaux. Pierre-Loïc Cornut, médecin ophtalmologue, précise que «ce qui se développe pour les vétérinaires n’existe que très peu chez nous, car cela nécessite des infrastructures de grande ampleur».
Un autre défi de taille concerne la responsabilité en cas d’erreur. Qui est responsable si une IA se trompe dans un diagnostic ou une recommandation thérapeutique? «Le praticien reste maître de ses décisions, soutient Pierre-Loïc Cornut. L’IA est un outil d’aide, comme un scanner ou une IRM. Ce n’est pas la machine qui prend la décision, mais le médecin.»
L’essor de l’IA en médecine vétérinaire impose donc un devoir de vigilance. «À nous d’exiger des preuves de fiabilité, de performance et de transparence», ajoute Annick Valentin-Smith.