La France se prépare au risque pandémique de grippe aviaire - La Semaine Vétérinaire n° 2066 du 14/02/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2066 du 14/02/2025

Maladie zoonotique

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Les autorités sanitaires françaises s’organisent pour prévenir et anticiper le risque pandémique de grippe aviaire. Pour le directeur général de la santé, si une épidémie devait survenir, la France aurait les moyens d’y faire face.

Faut-il craindre une pandémie de grippe aviaire, liée aux virus d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) circulant dans le monde? Pour les autorités sanitaires françaises, le contexte actuel doit appeler à<0x00A0>la vigilance, tout comme amener à anticiper le pire «dans une logique une seule santé». Lors d’un point presse organisé jeudi 6 février, le directeur général de la santé (DGS), Grégory Emery, a rappelé que le virus IAHP H5N1 (du clade 2.3.4.4b, NDLR) circule depuis plusieurs années chez les oiseaux sauvages et captifs. Il est associé depuis 2024 à<0x00A0>«une situation inédite» aux<0x00A0>États-Unis de transmission à des bovins laitiers. Des transmissions à plusieurs espèces de mammifères sont décrites ; des cas humains sont détectés occasionnellement.

Cette dynamique internationale «justifie toute l’attention des autorités sanitaires», sachant toutefois qu’à ce jour toutes les instances scientifiques internationales s’accordent à<0x00A0>dire que le risque pour la population générale reste encore faible, et faible à modéré pour les personnes exposées aux<0x00A0>virus. Dans ce contexte, le maître mot est de «se préparer à<0x00A0>l’émergence d’une éventuelle souche à<0x00A0>capacité de transmission interhumaine», en mettant en place une surveillance renforcée et une approche interministérielle. 

Une situation sous contrôle du côté de l’élevage

Côté santé animale, limiter la circulation virale en élevage est un enjeu clé. Au-delà des bénéfices pour la santé des animaux et l’économie des filières, moins un virus circule au sein d’une population animale, moins il a<0x00A0>de<0x00A0>risques d’évoluer vers des formes plus adaptées aux mammifères dont l’humain. Sachant aussi que les virus influenza aviaires peuvent se réassortir avec d’autres virus influenza pour évoluer. Avoir moins de foyers en élevage permet aussi de limiter le risque d’exposition et de contamination de l’humain aux virus.

La biosécurité, la vaccination et la surveillance sont les trois principales mesures pour y arriver, a précisé Maud Faipoux, directrice générale de l’alimentation (DGAL). La surveillance concerne aussi la faune sauvage, avec l’appui du réseau Sagir: «Tous les cas d’IAHP détectés chez des animaux sauvages et chez des volailles domestiques font l’objet d’analyses approfondies pour identifier les souches en cause et des éventuels signes d’adaptation aux mammifères». À<0x00A0>ce jour, en<0x00A0>Europe, les souches américaines touchant les bovins n’ont jamais été identifiées. 

Si le virus continue de circuler activement au sein de l’avifaune sauvage, la situation sanitaire chez les oiseaux domestiques est sous contrôle, avec seulement 19<0x00A0>foyers détectés, dont 15<0x00A0>en<0x00A0>élevage et quatre<0x00A0>en basse-cour, a souligné Gilles Salvat, directeur général délégué pour la recherche et la référence à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Avec aucun nouveau foyer détecté en élevage depuis plus d’un<0x00A0>mois, la France a d’ailleurs retrouvé son statut indemne. Ce qui ne change rien au fait que le niveau de risque est toujours élevé du fait de la dynamique virale au sein de l’avifaune sauvage.

Sensibiliser les médecins à penser à la grippe zoonotique

L’Anses a mis au point une méthode de détection du virus HP dans le lait afin de se préparer à<0x00A0>une éventuelle émergence. À<0x00A0>ce jour, aucune surveillance officielle particulière n’est toutefois organisée au niveau des élevages bovins. «Une vigilance accrue reste nécessaire à<0x00A0>tous les niveaux, a<0x00A0>prévenu Gilles Salvat. Y<0x00A0>compris quant à<0x00A0>la possibilité d’importation de cas humains en provenance d’Amérique du Nord.»

Côté santé humaine justement, la situation a<0x00A0>évolué au<0x00A0>cours du temps. Il y avait<0x00A0>eu une vague de cas dans le monde dans les années<0x00A0>2000 en Asie jusqu’à<0x00A0>un pic en<0x00A0>2015 en Égypte, suivie d’une période d’accalmie, a expliqué Caroline Semaille, directrice générale de Santé publique France (SPF). Les détections sont reparties progressivement à la hausse en<0x00A0>2021. En<0x00A0>2024, 80<0x00A0>cas ont<0x00A0>été confirmés1, dont 67<0x00A0>aux États-Unis, dix<0x00A0>au<0x00A0>Cambodge et un<0x00A0>au<0x00A0>Canada, Vietnam et Inde. En<0x00A0>2025, un<0x00A0>cas a<0x00A0>déjà été rapporté au<0x00A0>Royaume-Uni. Mais les infections de ces dernières années sont généralement asymptomatiques ou bénignes, bien que des formes graves soient possibles. Aucune transmission interhumaine n’a<0x00A0>été rapportée. Dans ce contexte, la France a<0x00A0>progressivement renforcé son dispositif national de surveillance des grippes zoonotiques depuis les années<0x00A0>2000.

En<0x00A0>2022, plusieurs communications à<0x00A0>destination des professionnels de santé ont été refaites, sur la base d’un avis du Haut conseil de la santé publique de décembre 2021, afin de renforcer la surveillance passive2. La conduite à<0x00A0>tenir préconisée était d’interroger les patients présentant de la fièvre et des signes respiratoires sur leurs expositions à risque –<0x00A0>notamment l’exposition à des oiseaux et des porcs<0x00A0>– et d’inclure le cas échéant la grippe zoonotique dans son diagnostic différentiel. Dans cette optique, le recours au sous-typage était indiqué afin de pouvoir différencier la grippe saisonnière d’une autre grippe.

Renforcer le recours au sous-typage

Une nouvelle communication de la DGS3 a<0x00A0>été lancée le 6 février pour rappeler une nouvelle fois l’importance de penser à la grippe zoonotique en cas de signes cliniques compatibles et d’exposition à risque, tout comme d’avoir recours au sous-typage. Avec une nouveauté: la prise en charge du test RT-PCR de grippe et de SARS-CoV2 a été étendue chez des personnes symptomatiques exposées à<0x00A0>un virus influenza zoonotique, et cela toute l’année. Mais comme l’a<0x00A0>souligné Caroline Semaille: «Dans les hôpitaux, les médecins sont très sensibilisés depuis plusieurs années. Même sans exposition à<0x00A0>risque identifiée, face à<0x00A0>un cas de grippe sévère, une RT-PCR est recommandée pour éliminer une grippe zoonotique».

Concrètement, en cas de résultat positif pour un virus influenza<0x00A0>A, et négatif ou non conclusif pour un sous-type H1 ou<0x00A0>H3, le patient est alors considéré comme un cas probable de grippe zoonotique, impliquant un signalement à<0x00A0>l’Agence régionale de santé (ARS) et l’envoi des prélèvements au Centre national de référence (CNR). Le malade doit limiter ses contacts avec d’autres personnes ou animaux. Environ 20% des grippes<0x00A0>A détectées à<0x00A0>l’hôpital sont sous-typées, SPF espérant que cela sera désormais accentué. Santé publique France ne dispose pas de données chiffrées sur le recours au sous-typage en ville.

À<0x00A0>tout cela s’ajoute le protocole SAGA mis en place depuis fin<0x00A0>2023 dans les quatre<0x00A0>régions les plus touchées par l’IAHP (Bretagne, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Pays de la Loire). Il consiste à tester systématiquement toutes les personnes exposées à un foyer même sans symptomatologie.

Depuis 2022, est aussi recommandée la vaccination contre la grippe saisonnière des professionnels exposés aux<0x00A0>virus influenza porcins et aviaires, afin d’éviter tout phénomène de réassortiment viral.

Des stocks de vaccins en cours de constitution

Pour Grégory Emery, «la France a<0x00A0>les moyens de la réponse». «Si nous faisons face à<0x00A0>une épidémie, notre système de santé s’est préparé», poursuit le directeur général de la santé. Et de lister: «Nous avons déjà un stock de vaccins qui est en cours de constitution. Nous avons préréservé des vaccins4 au niveau européen et nous avons un stock d’antiviraux et de masques chez SPF. Nous avons également actualisé tous nos plans de réponse au niveau de territoire –<0x00A0>planification opérationnelle sanitaire (ORSAN). Et, enfin, nous avons mis à<0x00A0>jour depuis<0x00A0>2024 le plan gouvernemental pandémique ».

Interrogé en marge du point presse, le ministère de la Santé nous a<0x00A0>précisé que «la Commission européenne avait conclu un contrat lui permettant d’acheter, au nom des États membres, jusqu’à<0x00A0>665000<0x00A0>doses d’un vaccin prévenant la transmission de la grippe aviaire à<0x00A0>l’humain. Un nombre suffisant de ces doses pour couvrir les populations les plus concernées ont<0x00A0>été livrées à<0x00A0>la France à<0x00A0>sa demande.» En parallèle, la France a<0x00A0>« préréservé des capacités de production de vaccins. Si une souche à<0x00A0>potentiel pandémique émergeait, cela permettrait, dès l’identification de la souche responsable, de procéder à la fabrication du vaccin adapté et à<0x00A0>sa distribution.»

C’est le vaccin Zoonotic influenza vaccine de Seqirus, contenant la souche<0x00A0>H5N8 (clade<0x00A0>2.3.4.4b), qui «a<0x00A0>été considéré par l’Agence européenne des médicaments (EMA) comme le meilleur candidat pour assurer une protection contre les souches<0x00A0>H5 en circulation du virus de la grippe<0x00A0>A. Pour cette raison, l’EMA a autorisé son utilisation au sein de l’UE.» 

Et si l’influenza aviaire touchait les bovins?

Il n’y aura pas d’abattages massifs, assure Maud Faipoux, directrice générale de l’alimentation. De plus, tout le lait ne sera pas jeté, étant donné que la pasteurisation a<0x00A0>démontré son efficacité pour inactiver le virus. Par ailleurs, pour l’instant, aucun vaccin n’est disponible pour envisager une éventuelle vaccination des ruminants. Selon Gilles Salvat, directeur général délégué pour la recherche et la référence à l’Anses, des entreprises travaillent sur le sujet, notamment sur des vaccins à<0x00A0>ARNm.

Et si un autre virus influenza causait la pandémie?

«Un risque pandémique peut survenir avec un tout autre virus, confirme Gilles Salvat, directeur général délégué pour la recherche et la référence à l’Anses, interrogé en marge du point presse. Y compris avec un virus n’ayant que peu de segments d’origine aviaire. C’est juste impossible à<0x00A0>prévoir s’agissant de réassortiments. Le clade<0x00A0>2.3.4.4b qui circule actuellement sur tous les continents (à<0x00A0>l’exception de l’Australie/Nouvelle-Zélande) est un candidat potentiel fournisseur de segments génomiques pour des réassortiments d’autant plus qu’il possède moyennant quelques mutations des capacités à<0x00A0>infecter les mammifères, sans pour autant être transmissible facilement entre eux. La production de vaccins prépandémique est toujours un pari sur l’avenir. Les évolutions probables de la formulation de ces vaccins vers des plateformes vaccinales (en particulier à<0x00A0>base d’ARNm) dans les années qui viennent devraient permettre une adaptation plus rapide des vaccins aux virus émergents et ne dépendant pas de la productivité de la culture du virus sur œuf embryonné ou sur cultures cellulaires pour sa production. »

  • 1. Seuls les cas d’Amérique du Nord sont liés au clade<0x00A0>2.3.4.4b. Les autres sont liés à<0x00A0>d’autres clades. Ces clades sont issus d’une même lignée génétique asiatique, voir aussi : https://urlr.me/hbMW6B