DOSSIER
Auteur(s) : Par Fabrice Jaffré, dirigeant de Kena conseil
Intégrer des pratiques durables en clinique vétérinaire favorise une gestion plus responsable et améliore l’implication des équipes. Sensibilisation, vision partagée et accompagnement du changement sont autant de leviers à exploiter pour une transition réussie.
Il n’est jamais trop tard pour démarrer ou accélérer la transition écologique dans sa structure. Outre l’impact positif sur le climat et la biodiversité, ce changement a de nombreux autres avantages : réduction des coûts, optimisation des procédures, remotivation de certains membres de l’équipe, etc. Mais comment embarquer le maximum de collaborateurs dans la démarche, ce qui augmente ses chances de succès ? Voici dix conseils.
1. Sensibiliser tout le monde
La sensibilisation de toute l’équipe aux conséquences du changement climatique peut prendre différentes formes : fresque, webinaire, intervention d’un expert, Mooc, etc. La fresque de la clinique vétérinaire, proposée par ÉcoVéto, a l’avantage d’impliquer tout le collectif de manière ludique. L’atelier est composé d’une étape de compréhension et d’une de recherche de leviers d’action possibles au sein de la clinique.
Il ne suffit pas de savoir pour agir. Cependant, la sensibilisation de toute l’équipe permet de s’assurer d’un niveau de connaissances minimal par tous afin d’appréhender les vrais enjeux, mais aussi de prendre conscience de l’impact que chacun peut avoir à son niveau. La « claque écologique » parfois ressentie peut déclencher un changement transformateur.
2. Avoir une vision claire et la partager
Quand on travaille dans une clinique vétérinaire, on est loin du concept d’emploi bidon, le fameux « bullshit job » énoncé par l’anthropologue David Graeber. Malgré tout, rattachée à une vision de l’entreprise, toute mission, même rébarbative, prend son sens. Et donner du sens à la mission quotidienne est un facteur de motivation, de performance et d’engagement des membres de l’équipe à long terme.
La « vision » précise ce à quoi la clinique souhaite ressembler dans quelques années. Elle est subordonnée à la « raison d’être », qui représente le « pourquoi » de l’activité, et guide la stratégie globale. Définir une raison d’être intégrant un volet écologique, comme « Soigner les animaux en minimisant les impacts de nos actions sur l’environnement », ne fait d’ailleurs que rappeler le Code de déontologie vétérinaire1 et la loi Pacte de 20192.
Il est possible de définir collectivement raison d’être et vision, qui doivent être fédératrices. En revanche, si l’équipe dirigeante les a déjà en tête, il est préférable de les communiquer directement, plutôt que de lancer une consultation de façade.
3. Intégrer les collaborateurs à la réflexion
Même si l’équipe dirigeante a unilatéralement défini une raison d’être et une vision, cela ne veut pas dire que tout a déjà été imaginé et planifié. Et d’ailleurs, intégrer le plus en amont possible les collaborateurs à la définition des objectifs, des actions et des indicateurs de mesure va permettre d’exploiter leur expertise dans la partie concernée et de favoriser leur appropriation des nouvelles procédures. « Nous avons impliqué tous les membres de l’équipe dans le chantier de la nouvelle clinique, par exemple concernant l’emplacement du chenil, en exploitant l’intelligence collective », soulignent Florence et Pierre May, fondateurs d’ÉcoVéto (voir témoignage). Bref, impliquer chaque collaborateur, tout en donnant le cap.
Une autre manière d’embarquer l’équipe est de développer la culture bottom-up, autrement dit les initiatives qui viennent spontanément des salariés vers la direction. Cela peut se matérialiser par l’installation d’une boîte à idées écologiques, par l’intégration dans chaque réunion d’équipe d’un temps « écologie », par la présence d’un volet écologie dans les entretiens RH annuels, etc. Enfin, on peut activer le volet rémunération : Samuel Gannac, praticien à Lourdes (Hautes-Pyrénées), a ainsi instauré dans la clinique un système d’intéressement fondé sur des indicateurs écologiques (voir témoignage).
4. Définir une démarche
Intégrer l’écologie dans la raison d’être de l’entreprise implique des changements de procédures dans tous les segments de la chaîne de valeur. L’idée est de passer d’une série d’écogestes éparpillés à un projet d’entreprise, afin d’orienter les affectations des moyens, de maintenir la dynamique et de mobiliser plus facilement. Cette transformation, comme tout projet d’envergure, doit être méthodologique (voir encadré).
5. Souligner les bénéfices pour la structure vétérinaire
La démarche de transition écologique ne doit pas être associée à la seule prise de conscience des impacts environnementaux de l’activité. Elle participe à la pérennité de la clinique, en baissant la dépendance aux énergies fossiles, en optimisant les procédures et en anticipant la réglementation à venir. Avec une communication adéquate, elle peut également fidéliser les clients, attirer de nouveaux talents, améliorer l’image de la clinique et donner aux collaborateurs encore davantage de sens à leur travail.
Un autre avantage, et non des moindres, est la réduction des coûts d’exploitation. Elle est la résultante de procédures plus efficaces, d’une réduction d’achat des consommables, d’une baisse de consommation énergétique, de l’utilisation d’énergies renouvelables, etc. Par exemple, à la clinique du Coq à l’âne, à Bizanos (Pyrénées-Atlantiques), le surcoût lié au passage des sacs de stérilisation jetables aux boîtes de stérilisation réutilisables sera amorti en deux ans, et donc va générer ensuite des économies. À l’inverse, une « climato-procrastination » représente un risque pour la pérennité de l’entreprise : un euro investi dans la prévention correspond à 8 euros de dépenses qu’on évite à l’avenir3.
6. Comprendre les freins au changement
« On est biologiquement câblé pour garder nos habitudes », affirme Jean-Marc Jancovici, président du Shift Project. Nous sommes friands de nouveautés, et paradoxalement rassurés par la routine. Lorsqu’on rencontre de la résistance au changement dans l’équipe, il est important d’apporter une écoute active et de favoriser le dialogue. Il arrive souvent que la résistance soit liée à une mauvaise compréhension ou une explication insuffisante de la nouvelle procédure. Et, on l’a souligné, le fait d’impliquer en amont l’équipe dans la formulation de la nouvelle procédure favorise son acceptation. Enfin, un changement mis en perspective de la raison d’être ou de la vision de la structure sera plus facilement adopté.
7. Faire preuve de patience
Une étude a estimé le temps moyen d’ancrage d’un nouveau comportement à 66 jours4. Il faut donc accepter de prendre le temps d’expliquer la nouvelle procédure, de faire son lien avec la vision de l’entreprise, de l’afficher dans les endroits ad hoc et de répéter régulièrement les consignes. Et même s’il y a urgence climatique, mener de front trop d’actions, ou vouloir aller trop vite, expose au risque de perdre en route ou d’épuiser les collaborateurs.
8. Être exemplaire
Il est parfois difficile pour certains membres de l’équipe d’intégrer des changements transformateurs quand les comportements de la direction contredisent le discours. À l’inverse, une cohérence entre le message et les actes fédère les équipes. D’autre part, il est nécessaire d’avoir une congruence dans les choix : installer des panneaux solaires et parallèlement brancher un énorme écran en salle d’attente sera difficilement compris.
9. Mesurer les progrès
« Ce qui ne se mesure pas ne s’améliore pas ». La citation de William Edwards Deming rappelle l’importance de la mesure dans l’amélioration des performances. C’est à la fois nécessaire, ludique et motivant. On pourra, par exemple, peser ou quantifier le volume des déchets en plastique générés par semaine, afficher le nombre de kilomètres réalisés en mobilité douce par les collaborateurs sur le trajet domicile-travail, mesurer mensuellement le nombre de m3 d’eau utilisée, la quantité de consommables achetés, etc.
L’enjeu est également de trouver un équilibre entre les actions à long terme, dont on ne voit pas immédiatement les résultats, et à l’inverse les quick wins. Les premières ont peut-être plus d’impact, mais les secondes permettent d’obtenir rapidement des résultats tangibles, ce qui motive l’équipe. Cela peut également lever certaines réactions du genre « on veut mettre en place une pompe à chaleur, mais on n’éteint même pas la lumière quand on quitte le chenil ».
10.Célébrer les succès
Au début, tous les membres de l’équipe n’auront pas forcément la motivation ou l’énergie nécessaire pour le changement. Mais cela peut évoluer en constatant les avancées du projet. Chaque « petit pas écologique » mérite donc d’être célébré et est une opportunité d’embarquer les personnes moins motivées au départ, en transformant une écologie parfois perçue comme rabat-joie ou punitive en un projet désirable, fédérateur et efficace. « Il est intéressant de ne pas attendre les succès, précise Coline Musel, coach (voir témoignage). On peut très bien féliciter l’engagement, les efforts, l’implication de l’équipe. » On n’oubliera pas non plus la communication auprès des parties prenantes externes : les clients (par affichage dans la salle d’attente ou sur le site web), les fournisseurs et les partenaires. Cela a pour corollaire de motiver et d’engager l’équipe.
Samuel Gannac (T 11)
Praticien à Lourdes (Hautes-Pyrénées)
Valoriser financièrement les efforts
Nous avons décidé de mettre en place un accord d’intéressement des salariés aux résultats de l’entreprise. L’objectif est de valoriser financièrement les efforts de tout le personnel qui touchent de près ou de loin à l’impact carbone des pratiques de la clinique. L’un des trois critères de déclenchement de la prime est l’amélioration du ratio achat de médicaments sur le chiffre d’affaires lié aux actes, ce qui revient à valoriser davantage les actes que la vente de médicaments, puisqu’on sait que l’achat de médicaments est le poste majoritaire d’émissions de gaz à effet de serre dans une clinique. Le montant de la prime est basé sur les économies réalisées dans certains postes, comme l’électricité, l’eau, les achats de consommables et les déchets. C’est indexé sur le chiffre d’affaires, afin de « corriger » les évolutions dues à la croissance. La procédure est très codifiée : après signature par le CSE, l’accord est déposé sur TéléAccords, pour être contrôlé par l’organisme de recouvrement de cotisations sociales dont dépend la clinique. Les indicateurs doivent tous être comptables et vérifiables.
Coline Musel (L 12)
Coach professionnelle et cofondatrice de WonderVet
Lever la résistance au changement : une étape clé vers l’adhésion
Dans la courbe du changement, il y a une étape de résistance, qui est tout à fait normale, et même positive, puisqu’on est, à cette étape, sorti du déni. Le changement fait peur : on ne voit pas toujours ce que ça apporte, mais on imagine facilement ce qu’on peut perdre. « Ne vais-je pas passer trois fois plus de temps avec l’utilisation des alèses lavables ? » À ce stade, il est essentiel de laisser la personne exprimer ses craintes, de lui offrir un espace d’écoute. Développer une curiosité sincère peut aider le manager qui mesure l’évidence du changement à limiter sa frustration face à la résistance. Demander à la personne ce qui l’embête, ce qui pourrait l’aider à lever ses inquiétudes, ou chercher le point d’accroche qui permettra de l’embarquer, sont autant de pistes à explorer pour faciliter l’adhésion au changement. Un élément essentiel de l’accompagnement du changement est de toujours le rattacher à son sens : pourquoi on fait tout ça, quel intérêt en découle pour l’environnement et l’entreprise.
Florence May (L 79) et Pierre May (L 78)
Fondateurs d’ÉcoVéto
Une écologie pragmatique et participative
Afin d’embarquer l’équipe, nous favorisions (nous sommes maintenant retraités) l’aspect participatif : la porte était toujours ouverte pour de nouvelles initiatives, dans une perspective d’amélioration continue. Cela stimulait l’inventivité et l’appropriation des nouvelles procédures par l’équipe. Et si la nouvelle procédure en question ne fonctionnait pas ou ne remportait pas l’adhésion de tous, on en cherchait une autre ! Nous étions adeptes de l’écologie pragmatique. Le rôle des ASV a été essentiel dans notre clinique. Elles ont toutes été très réceptives aux formations qu’on a pu leur dispenser concernant les bonnes pratiques. Et certaines se sont révélées très bonnes communicantes auprès des autres membres, tant ASV que vétérinaires. Un autre aspect essentiel à nos yeux était l’exemplarité : à titre d’illustration, nous venions tous les deux à vélo à la clinique. De manière générale, les choix importants de la direction étaient guidés par le souhait de respecter l’environnement.
Les étapes d’une démarche de transition écologique
Sensibiliser aux enjeux climatiques
Nommer un ou plusieurs pilotes
Écrire sa raison d’être et sa vision
Partager cette raison d’être et cette vision
Responsabiliser les employés pour une large action
Générer des quick wins (victoires rapides)
Ancrer les nouvelles mesures dans la culture d’entreprise
Corriger, optimiser, développer
Méthodologie adaptée de celle proposée par John Kotter, spécialiste du changement
Engager sa clientèle
Comme toute entreprise, la clinique vétérinaire n’évolue pas en hors-sol. Embarquer ses parties prenantes peut démultiplier l’impact du changement. C’est le cas avec ses clients par exemple. Il est intéressant de communiquer à la fois sur ce qui est déjà fait, mais aussi sur la possibilité, s’ils le souhaitent, de participer à la transition écologique de la clinique. Cela pourra se matérialiser par exemple en apportant deux serviettes lors d’une hospitalisation pour éviter les alèses jetables au chenil, en rapportant leurs sacs de croquettes vides pour une meilleure valorisation, en participant financièrement par le micro-don à la défense de la biodiversité, en ne sollicitant pas la facturette papier, etc. Embarquer sa clientèle se fera principalement en étant sincère dans la démarche, et congruent dans ses actions. Les clients le percevront rapidement.