Ce que les vétérinaires disent des Français d’aujourd’hui - La Semaine Vétérinaire n° 2068 du 28/02/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2068 du 28/02/2025

COMMUNAUTE VETO

Auteur(s) : Par Anne-Claire Gagnon

C’est lors d’une conversation avec la sœur d’un vétérinaire que Julien Solonel, journaliste au Parisien Week-End, découvre l’ampleur des sujets avec lesquels la profession vétérinaire est en prise, notamment celui de l’euthanasie. Il décide d’y consacrer un livre, La France vue par les vétérinaires.

Recueil des paroles de vétérinaires

Au terme d’une année d’enquête, s’appuyant surtout sur le réseau de l’Ordre et des syndicats et les réseaux sociaux, l’ouvrage en dit autant sur les Français que sur les vétérinaires. N’ayant jamais poussé la porte d’un cabinet vétérinaire avant, tout en ayant vécu avec des animaux de compagnie, Julien Solonel fait le voyage de Candide dans notre profession.

Volontairement centré sur les vétérinaires praticiens exerçant en France — très peu d’ASV ont été entendues —, l’ouvrage repose sur de nombreux témoignages de toutes les générations de praticiens, des étudiants aux retraités. Sont longuement abordés la médecine à deux vitesses, le déclin de la ruralité, les incivilités des clients ou encore le bashing sur internet, avec un bel épilogue sur la nouvelle génération des étudiants (Oniris) et une conclusion sur le serment de Bourgelat.

Dits et non-dits

C’est dommage que Julien Solonel ait renoncé à consacrer un chapitre aux inspecteurs de santé publique vétérinaire (ISPV), alors qu’ils sont au cœur de la réalité française et de la santé publique. Parmi les absents de l’ouvrage, les violences sexistes et sexuelles et incivilités intravétérinaires — dont personne ne lui a parlé —, les vétérinaires de la recherche et de l’industrie, les médecines intégratives, l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) — seulement cité une fois comme la Fondation Bardot et la SPA, au même titre que L214 et le président de La Fondation droit animal, éthique et sciences (LFDA), Louis Schweitzer, interviewé — et l’essor de la médecine féline avec ses praticiens. C’est sur les NAC, les zoos et le monde équin que l’auteur a enquêté avec minutie. Bourgelat serait surpris de découvrir le coût de poneys de concours (10 000 à 100 000 €) avec pourtant de futurs « équipiétons », qui marchent à côté de leur cheval pour ne plus leur imposer le mors, les éperons ni la monte, et font appel pour eux à des ostéopathes.

Se reposant sur les analyses recueillies auprès d’une soixantaine de consœurs et confrères, Julien Solonel ne questionne pas assez certains jugements ou assertions. Notamment quand l’abattoir Charal (du groupe Bigard) refuse, sans surprise, de lui ouvrir ses portes, alors que le confrère qui y travaille vante le niveau de bien-être animal y régnant. Ou quand il rapporte « la perte du respect de la blouse blanche » que déplorent certains, avec le spectre de Dr Google. Depuis internet, les éleveurs et propriétaires de chats ont éduqué leurs vétérinaires au dialogue et à la collaboration, en travaillant en toute transparence des données de la science.

Cabinet de vétos : un balcon sur la société

Le chapitre sur l’euthanasie s’ouvre fort justement sur une remarque de Dominique Autier-Dérian, vétérinaire comportementaliste, partagée par nombre d’entre nous : « Je suis très étonnée que dans les instances sollicitées sur cette question sociétale extrêmement importante il n’y ait pas, à ma connaissance, de vétérinaires. Car s’il existe une profession qui est confrontée à la mort, c’est bien la nôtre ». Et se poursuit sur le poids psychologique de l’acte sur les praticiens, qui a beaucoup frappé l’auteur, occultant ce que la façon dont les animaux meurent peut enseigner aux Français.  

Celles et ceux sortis des ENV avant 2010 s’étonneront de lire que le bien-être animal n’existe que depuis cette date. Politiquement et médiatiquement, sans aucun doute, mais l’éthologie et le bien-être des animaux furent enseignés avant, heureusement.

Parmi les enseignements que Julien Solonel a retirés de sa plongée dans notre monde : « L’émergence, dans cette période marquée par une forme de désenchantement et de repli sur soi, de l’animal de compagnie comme valeur refuge. Pour certains, la relation avec lui apparaît comme plus pérenne que le couple. L’animal, pour autant que l’on en prenne soin, vous attend le soir, avec un retour affectif inconditionnel ».

L’accueil des propriétaires d’animaux de compagnie à la lecture de cet ouvrage sera riche d’enseignements.

  • Julien Solonel, La France vue par les vétérinaires, ed. Buchet-Chastel, sortie le 20 mars 2025