Une nouvelle association vétérinaire pour « ne pas subir la fin de vie de son animal » - La Semaine Vétérinaire n° 2068 du 28/02/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2068 du 28/02/2025

Soins palliatifs

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

L’Association française pour la gériatrie animale et les soins palliatifs, l’AFGASP, défend l’implication active du détenteur dans le soin de son animal, plus particulièrement en fin de vie. Rencontre avec les trois cofondatrices de cette nouvelle association, Nancy Rebout, Laureline Chaise et Sara Hoummady.

À travers une approche collaborative avec l’équipe soignante, c’est tout un cercle vertueux pour l’animal et son propriétaire que souhaite mettre en place l’Association française pour la gériatrie animale et les soins palliatifs (AFGASP). Explications avec les trois cocréatrices de cette nouvelle organisation, Nancy Rebout, éthologue et data scientist, Laureline Chaise, vétérinaire et data analyst et scientist, et Sara Hoummady, vétérinaire enseignante-chercheuse en éthologie et nutrition des carnivores à UniLaSalle.

Pourquoi avoir créé cette association ?

Notre idée première est d’apporter des solutions pour l’accompagnement de la fin de vie d’un animal de compagnie [incluant les chevaux, NDLR], à la fois pour leurs détenteurs et pour le personnel soignant des structures vétérinaires. Dans cette optique, notre ambition est d’y associer des projets de recherche. C’est chose faite puisqu’une première enquête a déjà été réalisée, dans le but d’explorer les attentes des propriétaires. Elle a révélé un vrai besoin en matière d’accompagnement (voir encadré « Les cinq piliers de l’accompagnement »).

Cela nous a permis d’élaborer des premiers supports écrits, sous la forme de fiches intitulées « Dernier voyage », qui visent à faciliter le dialogue entre les propriétaires et l’équipe médicale (voir encadré « Des premières ressources documentaires »). Il s’agit d’une première version, ces plaquettes informatives sont amenées à évoluer au fil du temps. À terme, l’idée est d’aller vers d’autres formats de diffusion des connaissances pour la formation des professionnels et des détenteurs. L’association s’intéresse aussi à la gériatrie animale de manière large.

Quels sont les grands principes directeurs que votre association veut diffuser ?

Les soins aux animaux en fin de vie, qu’ils soient jeunes ou âgés, impliquent une communication de qualité entre l’équipe soignante et le détenteur de l’animal. On ne peut pas juste dire : “Faites plaisir à votre animal pour ses derniers moments” ; “Appelez-nous si cela ne va pas”… Et que signifie « faire plaisir » ? Dans quelle mesure un animal en fin de vie peut « bien aller » ? Comment savoir quand c’est le moment d’appeler ? Sans explications claires, le détenteur peut se sentir démuni et isolé. Le sentiment de ne pas avoir suffisamment accompagné son animal peut rendre le processus de deuil plus difficile.

Il est aussi essentiel d’impliquer les détenteurs dans les soins. L’objectif visé est de leur donner des clés pour être des acteurs engagés dans ce moment de vie. Même si l’on sait qu’on ne pourra pas guérir l’animal, les soins continuent, en particulier à la maison. Il faut aussi pouvoir réapprendre à vivre avec son animal, en adoptant un nouveau rythme de vie adapté à son état de santé.

Le détenteur deviendrait donc un aidant comme en médecine humaine ?

On pourrait effectivement comparer cela à la posture d’aidant en humaine, dans laquelle on sait bien à quel point on peut se sentir démuni lorsque l’on n’a pas d’outils et de réponses pour pouvoir l’assumer. Sauf que la médecine humaine propose des équipes spécialisées en soins palliatifs, avec des soignants qui peuvent venir potentiellement à domicile. Ce n’est pas encore le cas en médecine vétérinaire.

Pourquoi est-ce si important d’impliquer activement les détenteurs ?

Cela permet déjà de dissiper tout sentiment d’impuissance. Pour la gestion du deuil, c’est important que le détenteur se dise qu’il a fait ce qu’il fallait pour accompagner son animal. De plus, disposer d’un bon niveau d’informations permet d’être rassuré, car on sait à quoi s’attendre. Investir du temps pour former le propriétaire permet au vétérinaire de gagner du temps par la suite, grâce à une autonomie accrue de ce dernier. Comme pour la gestion d’une maladie chronique, la fin de vie d’un animal implique une collaboration entre l’équipe soignante et son détenteur.

Dans cette collaboration, comment allier suivi médical et souhaits des propriétaires ?

On peut s’appuyer sur des guidelines élaborées par l’Association sur les soins palliatifs et d’hospice de l’animal de compagnie (IAAHPC, pour International association for animal hospice and palliative care). Ils décrivent une pyramide des soins1. La base correspond aux soins physiques qui incluent la gestion de la douleur et des signes cliniques, l’aide à la mobilité, les soins d’hygiène, la nutrition, etc. À l’étage du dessus, se trouvent les adaptations permettant à l’animal de toujours pouvoir bénéficier d’interactions interspécifiques et intraspécifiques, que ce soit avec des congénères ou les humains de son environnement. En haut de la pyramide, on trouve les soins relatifs au support émotionnel qui visent à réduire l’anxiété ou l’inconfort émotionnel de l’animal tout comme de son détenteur. Cela englobe aussi les notions de volonté de vivre et de dignité qui, si elles sont abordées chez les humains, commencent à être évoquées chez les animaux. Cette pyramide est un bon guide pour les vétérinaires. Nous allons travailler à la rendre plus pratique.

Y a-t-il d’autres outils pour suivre la qualité de vie à la maison ?

La grille 5HMM2, mise au point par une vétérinaire américaine, est un outil intéressant. Cela reste une note subjective, mais elle permet tout de même de dire à un moment s’il y a plus de mauvais jours que de bons jours. C’est un bon support de discussion entre le détenteur et le vétérinaire qui facilite le suivi de l’animal.

La question du bon moment de l’euthanasie a été au centre de la création de votre association. Est-ce vraiment possible de définir le bon (ou le mauvais) moment ?

Il est nécessaire à la fois de disposer d’éléments très concrets mais aussi de laisser de la place au ressenti du propriétaire, qui connaît son animal et doit pouvoir se faire confiance. Les cinq libertés3 peuvent être un bon moyen d’aborder la question avec le propriétaire ; c’est très parlant pour eux, mais tout en sachant qu’il faudra bien prendre en compte la personnalité de chaque animal et son état mental. Il est important aussi de laisser le temps au détenteur de prendre la décision. Et ne pas oublier d’appréhender sa spiritualité et ses croyances.

Le vétérinaire et l’ASV ont évidemment leur mot à dire dans cette prise de décision. Mais aussi complexe soit-elle, elle sera grandement facilitée en établissant dès le départ une discussion ouverte avec le propriétaire, et en s’appliquant à construire une relation de confiance avec lui. Car l’idéal serait que le vétérinaire soit identifié comme la personne ressource, à qui l’on peut poser absolument toutes ses questions sans crainte d’être jugé. Les euthanasies qui se passent le mieux sont celles où vétérinaire comme propriétaire sont d’accord.

Dans cette optique, il est certainement utile de mettre en place une consultation spécifique de fin de vie, d’une durée suffisante, durant laquelle on peut prendre le temps de discuter et de réaliser l’acte d’euthanasie. Au-delà du bénéfice pour le détenteur, cela permet aussi aux soignants de prendre leur temps pour un acte qui est lourd à gérer émotionnellement. Pourquoi pas aussi envisager d’avoir des vétérinaires, voire des structures, qui se seraient spécialisés sur ce type d’accompagnement, ce qui permettrait de donner des options spécifiques de suivi aux détenteurs. S’il le souhaite, il pourra les saisir.

Les cinq piliers de l’accompagnement

L’enquête* menée auprès de 324 propriétaires a révélé que seuls 30,2 % d’entre eux se sentaient bien accompagnés sur les plans médical et émotionnel. Seulement 29,2 % se disent soutenus dans leur décision d’euthanasie ou de non-euthanasie. Par ailleurs, 46,8 % se sentent suffisamment ou totalement compétents pour s’occuper de leur animal en fin de vie. Ils sont 78 % à être d’accord avec l’idée de disposer d’une plaquette d’accompagnement de fin de vie. Cette enquête a permis de mettre en évidence des piliers pour l’accompagnement du détenteur et de son animal, résumés sous l’acronyme anglophone EPITO : emotional support, personalization, information, training, tools et open discussion (laisser le détenteur parler). Une étude décrivant les résultats de cette enquête vient de paraître dans Topics in companion animal medecine.

* Hoummady S., Chaise L., Guillot M., Rebout N. All pet owners are not the same : End-of-Life caregiver expectations and profiles. Top. Companion Anim. Med. 2025 Feb 5;65:100960. https://bit.ly/3ELbTHj

Des premières ressources documentaires

L’Association française pour la gériatrie animale et les soins palliatifs a élaboré trois plaquettes informatives « Dernier voyage », disponibles en ligne sur son site internet, http://www.afgasp.com :

- une première à destination des vétérinaires et ASV, présentant le projet et donnant quelques chiffres clés et points pratiques. Elle est à associer avec les deux autres ;

- une deuxième à destination des propriétaires, pour des conseils concrets à l’accompagnement de leur compagnon en fin de vie ;

- une troisième qui est le support de discussion entre famille et équipe soignante (avec une liste de questions, s’adressant aux deux parties).

  • 2. https://bit.ly/41qUMST ; une traduction en français est disponible dans l’ouvrage Accompagnement de l’animal âgé, de Sara Hoummady et Vinciane Roger, aux éditions du Point Vétérinaire.