Société
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Marine Neveux
Le concept “One health” est un impératif pour l’avenir. S’appuyant sur des exemples concrets, de nombreux intervenants se sont exprimés sur cet enjeu mêlant santé humaine, animale et environnementale lors d’un colloque organisé fin janvier 2025 à l’Académie d’agriculture de France. Extraits.
« Faire battre “One health” au cœur de la France en 2025 ». Tel était le thème de la journée organisée à l’Académie d’agriculture de France et animée par Nile le 23 janvier 2025, à Paris. Michel Dron, président de l’académie, a d’emblée rappelé l’importance de cette approche intégrée, soulignant que l’agriculture est au cœur de cette thématique. L’enjeu est de taille : la santé des écosystèmes est intrinsèquement liée à la santé humaine et animale. « Penser que la santé humaine est au centre de tout sans développer un dialogue entre professions, c’est rester enfermé dans des silos », avertit de son côté Olivier Mariotte, président de France for One health.
Investir dans les systèmes vétérinaires
Emmanuelle Soubeyran (T 90), directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA), partage cette conviction. « Aucun secteur, à lui seul, ne peut répondre aux menaces sanitaires », affirme-t-elle. Emmanuelle Soubeyran plaide donc pour des solutions communes intégrant des dimensions économiques et sociétales, afin d’adopter une approche véritablement globale et holistique. « Il est crucial de structurer cette gouvernance avec l’ensemble des acteurs : société civile, chefs d’entreprise, chercheurs, agriculteurs, etc. »
La directrice générale de l’OMSA a également mis en avant l’importance de la collaboration internationale, notamment à travers la quadripartite « Une seule santé ». Elle réunit l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et l’OMSA. Tous travaillent main dans la main pour anticiper et répondre aux crises sanitaires. La recherche scientifique joue ici un rôle central : le programme Prezode (Preventing zoonotic disease emergence) en est un exemple concret, illustrant comment les scientifiques peuvent collaborer avec divers acteurs à l’échelle internationale. Autre initiative notable, le groupe OHHLEP (One health high-level expert panel) qui fournit aux États des recommandations techniques et scientifiques.
Mais au-delà des principes, il faut du concret. « Il est essentiel d’aller vers l’opérationnel, de donner des exemples concrets », insiste-t-elle. Pour cela, l’investissement dans les systèmes vétérinaires et les services de santé animale est incontournable. C’est en réunissant expertise scientifique et action collective que les défis sanitaires de demain pourront être relevés.
Des enjeux transversaux
Lors de cette journée, Arlette Laval (L 71), membre de l’Académie d’agriculture de France, responsable du groupe de travail “One health”, a illustré les défis de la santé globale à travers des exemples. Elle a détaillé la problématique des mycotoxines, qui se retrouvent dans l’alimentation lorsque la santé des plantes est altérée. Ces toxines peuvent persister tout au long de la production et contaminer les denrées animales, y compris le lait. Pourtant, elle regrette que les projecteurs soient davantage mis sur les pesticides.
Arlette Laval a également évoqué le risque des leptospires, bactéries excrétées en quantité par les mustélidés sans qu’ils ne développent de symptômes. Avec le dérèglement climatique, ces bactéries stagnent dans les eaux, augmentant le risque de contamination pour les baigneurs, les sportifs et les égoutiers. Ce danger avait d’ailleurs été mis en lumière lors des Jeux olympiques de Paris.
L’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) et l’antibiorésistance figurent aussi parmi les préoccupations. En conclusion, Arlette Laval appelle à maintenir à jour les connaissances, surveiller les échanges internationaux et lutter contre l’obscurantisme et le dogmatisme. Il ne faut ni céder au pessimisme « ni à l’angélisme », souligne-t-elle.
Une approche concertée
Lors d’une table ronde, Anne-Elisabeth Luneau-Faucheux, directrice du Groupement de défense sanitaire du Centre-Val de Loire, a également mis en avant des cas concrets, comme celui des pisciculteurs exposés quotidiennement au risque de leptospirose. Le manque de diagnostic médical conduit souvent à une errance avant la mise en place d’un traitement adapté. Elle a aussi cité la fièvre Q, une maladie issue de l’élevage qui peut contaminer les humains, entraînant parfois des avortements chez les femmes. Or cette maladie reste méconnue du corps médical. D’où l’importance, selon elle, de renforcer les actions de communication entre la santé humaine et la santé animale.
Didier Poivret, rhumatologue au CHR de Metz et représentant de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) de Briey, note des cloisonnements persistants entre professionnels de santé. Or il est essentiel de créer une véritable coopération.
L’agriculture face aux défis
« Améliorer les pratiques n’est pas seulement un enjeu environnemental, c’est aussi une question de survie pour les exploitations », estime de son côté Joël Limouzin. L’ancien vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) rappelle que la santé passe avant tout par une alimentation saine, avant même d’avoir recours aux médicaments. Face au changement climatique, les agriculteurs s’adaptent. Joël Limouzin plaide pour une coopération encore plus poussée entre les différents acteurs afin de répondre aux enjeux sanitaires et environnementaux de demain.
Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’Institut thématique de l’Inserm immunologie, inflammation, infectiologie et de l’agence Inserm - ANRS “Maladies infectieuses émergentes”, rappelle que les maladies humaines les plus préoccupantes aujourd’hui ont toutes un réservoir animal. Selon lui, les barrières entre disciplines s’effondrent progressivement, mais il met en garde contre la banalisation du concept “Une seule santé”, qui risque de devenir « une tarte à la crème ».
Anticiper les crises sanitaires
De son côté, Arnaud Fontanet, directeur de l’unité épidémiologie des maladies émergentes de l’Institut Pasteur, insiste sur l’importance de la veille, notamment pour la rage, la listériose, les hantavirus, les virus respiratoires et les fièvres hémorragiques. Il souligne la nécessité de renforcer la collaboration avec les experts du monde animal pour mieux anticiper les futures émergences.
Muriel Vayssier-Taussat, cheffe du département Santé animale de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), met en avant la nécessité de promouvoir la recherche et de partager les connaissances avec le plus grand nombre. Elle évoque des projets sur l’élevage durable et souligne que l’élevage ne concerne pas uniquement les agriculteurs, mais l’ensemble de la société. Elle plaide également pour un élargissement des perspectives via les sciences participatives, afin de favoriser un dialogue entre disciplines et entre acteurs.
« La prochaine pandémie sera une zoonose »
Benoît Vallet, directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), a détaillé le travail sur les risques chimiques et leur impact sur l’immunité et les agents pathogènes. L’institution joue un rôle clé en matière d’expertise et de régulation, avec la capacité d’autoriser ou d’interdire certains produits. « Il est urgent de consolider les bases de données et d’instaurer une banque d’analyses pour mieux anticiper les effets des biocides et des pesticides, affirme-t-il. Il faut travailler ensemble et évaluer objectivement les impacts environnementaux, par exemple en mesurant précisément l’exposition aux pesticides pour les agriculteurs et les riverains ».
Il alerte également sur la situation sanitaire critique à Mayotte, où le choléra représente un risque majeur. « C’est une bombe sanitaire », déplore-t-il. Benoît Vallet appelle ainsi à faire des territoires ultramarins de véritables laboratoires d’anticipation et d’innovation, citant l’exemple du chlordécone aux Antilles, dont l’étude pourrait inspirer des politiques de prévention en métropole.
Selon lui, l’avenir de la santé publique passe par un croisement des données entre santé humaine, santé animale et environnement. « Nous devons aussi tirer des leçons des crises passées et développer une véritable biosécurité. La prochaine pandémie sera une zoonose », prévient-il. Enfin, il met en garde contre les contraintes budgétaires qui freinent ces avancées.
Des contraintes aux opportunités
En conclusion, Anne-Cécile Violland, députée de la Haute-Savoie, présidente du groupe santé environnement du 4e Plan national santé environnement, a partagé son expérience face aux freins financiers qui entravent la mise en œuvre de certaines politiques de santé et d’environnement. Elle appelle à transformer ces contraintes en opportunités et à donner davantage de lisibilité aux plans d’action. « Nous devons accompagner les transformations et sortir de l’idée d’une écologie punitive », affirme-t-elle.