Vie de la profession
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Michaella Igoho-Moradel
Entre les attentes des clients, la santé publique et les impératifs économiques, le risque d’influence externe est réel pour les vétérinaires. Face à ce constat, l’Ordre publie un guide pour les aider à prévenir les éventuels conflits d’intérêts et garantir ainsi leur indépendance professionnelle.
Transparence et confiance sont les mots d’ordre martelés par le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV) dans son guide intitulé « Repères - Les conflits d’intérêts dans l’exercice vétérinaire »1. Il définit ces conflits comme des situations durant lesquelles des intérêts personnels ou financiers peuvent compromettre, ou sembler compromettre, l’indépendance2 et l’impartialité des vétérinaires. Ces désaccords peuvent porter atteinte à l’image et à l’intégrité de la profession.
Pourtant, cette question n’est explicitement mentionnée qu’une seule fois dans le Code de déontologie des vétérinaires, à l’article R. 242-33 XIV, pour interdire au vétérinaire d’exercer une autre activité professionnelle qui le mettrait en conflit d’intérêts avec sa déontologie professionnelle. Elle est en revanche implicitement abordée dans de nombreuses autres dispositions qui visent à prévenir les conflits comme : la prise en compte d’intérêts prioritaires, le respect des animaux, la santé publique et l’antibiorésistance, l’interdiction de pratiquer comme un commerce ou de privilégier son propre intérêt, ou encore la vente des médicaments, des aliments ou des autres produits qui reste une activité accessoire à l’exercice de la médecine. Le non-respect de ces dispositions peut être poursuivi et sanctionné à travers des procédures disciplinaires. L’Ordre propose aux vétérinaires des mesures de prévention pour préserver leur indépendance.
De multiples sources des conflits d’intérêts
Les sources de conflits d’intérêts chez les vétérinaires couvrent un large éventail de domaines, allant des influences financières à des relations personnelles ou professionnelles. Ces derniers se trouvent constamment en interaction avec divers intérêts : celui des animaux, des clients, de la santé publique et même des questions financières de leurs structures d’exercice. Les partenariats commerciaux avec des prestataires de services (incinération, laboratoires, etc.) peuvent également introduire des risques de conflits d’intérêts.
Lorsque des vétérinaires collaborent avec des industriels ou des fournisseurs, il existe là aussi une possibilité que ces relations influencent leurs choix, ce qui pourrait nuire à la qualité des soins apportés. La question se pose tout autant lorsque des vétérinaires sont liés à des investisseurs externes qui ont des objectifs financiers. De même, des pressions exercées par les employeurs sur les vétérinaires salariés peuvent constituer un facteur de conflit d’intérêts.
La confiance comme solution
Bien que le Code de déontologie évoque peu les conflits d’intérêts, il encadre diverses pratiques pour limiter ces risques. Par exemple, il est interdit à un vétérinaire d’exercer une activité qui compromettrait son indépendance. De plus, certaines pratiques, comme la fixation de rémunérations établies sur des objectifs commerciaux ou la promotion de produits pour des gains financiers, sont strictement encadrées. Un point particulièrement débattu est le couplage prescription-délivrance. Cette situation peut soulever des inquiétudes quant à un éventuel encouragement à la surconsommation de traitements. Pourtant, en santé animale, les succès des plans Écoantibio ont démontré les atouts de ce modèle.
Aussi, la confiance est au cœur de la problématique des conflits d’intérêts. Cette question se pose même lorsque le vétérinaire est compétent, car les experts les plus recherchés sont aussi les plus exposés à des tentatives d’influence. Selon l’Ordre, le véritable enjeu est de maintenir cette confiance, qui repose sur l’indépendance du vétérinaire.
La transparence, un atout
Cet objectif rime aussi avec la transparence, deuxième mot-clé porté par l’Ordre. Pour ce dernier, il est crucial que les vétérinaires divulguent tout lien d’intérêts susceptible de fausser leur indépendance. « Ce n’est qu’à partir du moment où les liens d’intérêts sont connus qu’il est possible de prévenir les conflits qui pourraient en découler à travers différentes mesures : les incompatibilités de fonctions ou de missions, les retraits, les déports ou les récusations, la consultation de référents déontologues… », détaille le document du CNOV. Pour l’Ordre, lorsqu’il s’agit de conflits d’intérêts, c’est à la société et aux pairs de juger de la pertinence et de la transparence des liens professionnels. Et de rappeler que la transparence permet non seulement de maintenir la confiance des clients, mais aussi de préserver la réputation de la profession.
Et les sociétés d’exercice vétérinaire ?
La prévention des conflits d’intérêts concerne aussi les sociétés d’exercice vétérinaire. La réglementation actuelle tente de les prévenir à travers plusieurs mesures. Par exemple, la revente de médicaments ou de produits par les sociétés vétérinaires ne doit pas faire des vétérinaires des commerçants. Cette activité accessoire, bien qu’elle fasse partie de l’exercice professionnel, doit rester subordonnée à la mission première, celle de soigner les animaux. L’Ordre veille à ce que les praticiens ne détiennent pas d’intérêts dans des sociétés pouvant influencer leurs décisions, comme des fournisseurs de produits vétérinaires. De plus, l’article L. 241-17 du Code rural et de la pêche maritime encadre strictement les relations avec les investisseurs externes. Ainsi, les vétérinaires ne peuvent pas être influencés par des fournisseurs ou des clients actionnaires dans la gestion de la société vétérinaire. L’objectif est de préserver l’indépendance des vétérinaires et de garantir que les décisions prises dans le cadre de la société ne sont pas influencées par des intérêts financiers extérieurs.
1. Brochure « Repères - Les conflits d’intérêts dans l’exercice vétérinaire », CNOV. bit.ly/43vhJGX
2. Lire aussi : « Regards croisés sur l’indépendance des vétérinaires », La Semaine Vétérinaire, n° 1958, 23 septembre 2022. bit.ly/4i90C22
Les recommandations de l’Ordre
L’Ordre indique qu’il n’est pas question de nier les intérêts propres du vétérinaire mais ceux-ci doivent être encadrés. Ainsi, l’instance ordinale fait plusieurs recommandations afin que les intérêts primaires que les vétérinaires doivent servir soient respectés :
- Adaptation des lois : la loi anti-cadeaux et les dispositifs de transparence devraient être adaptés à la profession vétérinaire via le Code rural et de la pêche maritime, notamment pour les relations d’un certain nombre d’entreprises avec les étudiants. Par ailleurs, le Code de déontologie vétérinaire devrait interdire explicitement une rémunération ou toute clause financière établie « sur des normes ou des objectifs de productivité ».
- Extension du compérage : la définition du compérage pourrait être élargie à certaines formes de connivence.
- Formation et éthique : l’éducation universitaire sur l’identification et la gestion des conflits d’intérêts est essentielle. Des chartes internes et un référent déontologique pourraient être instaurés dans les entreprises vétérinaires.
- Déclaration publique d’intérêts : elle pourrait être généralisée à tous les vétérinaires inscrits au tableau de l’Ordre, sous la gestion de l’instance ordinale.
- Transparence des réseaux professionnels : mieux encadrer l’information sur l’appartenance des vétérinaires à des sociétés ou réseaux, notamment ceux impliquant des investisseurs non vétérinaires.
- Transmission des contrats : étendre la communication à l’Ordre des contrats que le vétérinaire conclut avec les tiers pourrait s’étendre aux fournisseurs et à tous les partenaires de l’entreprise vétérinaire.
- Statut de lanceur d’alerte : inclure le signalement des conflits d’intérêts dans ce cadre.