Gestion nutritionnelle de la lipidose hépatique féline - La Semaine Vétérinaire n° 2070 du 14/03/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2070 du 14/03/2025

Médecine interne

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Claire Marion

La lipidose hépatique féline est l’une des maladies hépatiques les plus courantes chez le chat. Il s’agit d’une dysfonction hépatique causée par une accumulation importante de graisses (essentiellement des triglycérides) dans le foie. Elle peut apparaître de manière primaire (environ 30 % des cas) ou secondairement à une autre maladie ayant entraîné une période d’hyporexie ou d’anorexie. L’obésité, l’âge et l’anorexie sont des facteurs de risque de cette affection, dont le mécanisme complexe n’est pas clairement établi.

Éléments de médecine interne

Cliniquement, les chats atteints de lipidose hépatique sont des sujets obèses ou l’ayant été, présentés pour anorexie ou hyporexie évoluant depuis plusieurs jours à parfois plusieurs semaines. Aux signes généraux (perte de poids, déshydratation, ictère, etc.), s’ajoutent des signes digestifs (diarrhée, vomissements, constipation, etc.), voire neurologiques. Ces derniers peuvent être liés à des désordres électrolytiques ou à une encéphalose hépatique, une atteinte neurologique liée à une accumulation de toxines digestives, dont l’ammoniaque (voir encadré). Les analyses sanguines révèlent une augmentation des paramètres hépatiques, notamment l’activité des phosphatases alcalines (PAL), et de la bilirubinémie : c’est l’hyperbilirubinémie qui est responsable de l’ictère généralement présent lors de cette affection.

Pour confirmer le diagnostic de lipidose hépatique, une cytoponction du foie à l’aiguille fine peut être réalisée, cet examen ayant l’avantage de ne pas nécessiter d’anesthésie générale. Le pronostic est modéré à bon, avec des taux de survie de 60 à 80 %. Les éléments cliniques et biologiques qui assombrissent le pronostic sont les suivants : un animal faible ou âgé, la présence de ptyalisme, une hypoprotéinémie, une hypoalbuminémie ou une hypocholestérolémie. Une augmentation marquée de l’activité des PAL et la présence d’ascite sont également des facteurs pronostiques négatifs1.

Stabiliser avant de réalimenter

Les résultats de cette même étude pourraient à première vue remettre en question l’intérêt d’une renutrition précoce lors de cette affection. En effet, l’une de ses conclusions est qu’une réalimentation très rapide des chats atteints de lipidose hépatique entraînerait une augmentation de la durée d’hospitalisation. Ces résultats sont surprenants et semblent aller à contre-courant de multiples études en médecine vétérinaire mettant en avant l’intérêt de la réalimentation précoce dans de nombreuses maladies : par exemple lors de pancréatite, de parvovirose, de péritonite septique mais aussi en cas de lipidose hépatique féline. Attention, l’article ne remet pas en question l’intérêt de la réalimentation précoce des chats atteints de lipidose hépatique, qui n’est plus à démontrer et qui améliore le pronostic des patients. Les auteurs ont voulu étudier l’intérêt d’un type particulier de réalimentation, très précoce (« rapid early enteral nutrition »), dans les toutes premières heures d’hospitalisation.

Ainsi, dans cette étude, les 2 groupes de chats comparés étaient des chats renourris soit moins de 12 heures, soit plus de 12 heures après leur entrée en clinique vétérinaire, mais toujours moins de 36 heures après leur admission. Ceci reste une réalimentation rapide ! Il semble donc surtout que si la réalimentation doit être rapide, elle ne démarrera que lorsque l’animal est stable : consolidation des grandes fonctions (respiratoire et cardiaque) et de la température, fluidothérapie avec éventuellement complémentation en électrolytes, analgésie et traitement antiémétique. Cette phase initiale ne diminue pas la survie des chats malades et aurait même tendance à diminuer le temps d’hospitalisation.

Éléments pratiques de réalimentation

La réalimentation des chats atteints de lipidose hépatique reste la clé de voûte du traitement. Elle s’appuie le plus souvent sur la pose d’une sonde d’alimentation. Il peut s’agir d’une sonde naso-œsophagienne ou nasogastrique, dont la pose est facile et rapide et ne nécessite pas d’anesthésie générale ; ou d’une sonde d’œsophagostomie, qui se place sous anesthésie générale mais permet une utilisation prolongée (jusqu’à plusieurs semaines), y compris à domicile par les propriétaires. La consommation spontanée de nourriture est rare du fait des nausées présentes et de l’altération de l’état général des animaux. En outre, elle ne permet bien souvent pas de couvrir le besoin énergétique de l’animal (y compris en utilisant des molécules orexigènes). Le gavage est quant à lui proscrit, du fait des faibles volumes ingérés, du stress induit et du risque majeur d’aversion alimentaire : en étant nourri de force, le chat va associer l’aliment à la sensation de nausée et cela peut retarder la prise d’alimentation spontanée.

Pour l’établissement du plan de réalimentation, le besoin énergétique de repos (BER) est calculé selon la formule suivante : BER (kcal) = 70 x P(kg)0,75, où P représente le poids actuel de l’animal. Ce besoin énergétique sera atteint progressivement, afin d’éviter notamment un syndrome de renutrition inappropriée2 (perturbations électrolytiques pouvant conduire à la mort de l’animal si la réalimentation est trop rapidement conséquente). Il faut prévoir d’atteindre le BER complet en 3 à 5 jours selon la durée de l’anorexie : 3 jours si l’anorexie est de moins de 3 jours, 5 jours si l’anorexie est supérieure ou égale à 3 jours. Les chats réalimentés après une anorexie prolongée doivent faire l’objet d’une véritable attention : le volume de l’estomac du chat ayant tendance à se réduire considérablement lors d’anorexie, les volumes de réalimentation peuvent être trop importants au départ et engendrer des nausées. Il conviendra d’adapter le plan de réalimentation au cas par cas, selon la tolérance de l’animal. Un minimum de 4 à 5 repas quotidiens, administrés lentement sur plusieurs minutes, est recommandé.

Lors de la réalimentation assistée, l’aliment choisi est sous forme liquide et de marque vétérinaire, adapté aux animaux convalescents. Il doit être hyperdigestible, riche en protéines et modéré à riche en lipides. Il est important de noter que les solutions de réalimentation utilisées en humaine, trop pauvres en protéines et trop riches en glucides, sont à proscrire chez le chat. La complémentation en L-carnitine à hauteur de 250 mg/kg/jour pourrait présenter un intérêt de par son effet positif sur l’oxydation des acides gras, mais les preuves scientifiques d’efficacité sont encore limitées.

Adapter la nutrition au retour de la réalimentation spontanée

Une fois la reprise d’alimentation spontanée actée, il est conseillé de maintenir un aliment hyperdigestible et riche en protéines, avec des matières premières de bonne qualité et une appétence optimale. Ainsi, les aliments diététiques vétérinaires destinés à la convalescence ou à visée gastro-intestinale sont à privilégier.

Pour les animaux obèses, un programme de perte de poids ne sera envisagé qu’après un retour à un bon état de santé et à une consommation spontanée suffisante d’aliments, permettant de couvrir le besoin énergétique de l’animal.

L’encéphalose hépatique

Bien que rare, l’encéphalose hépatique peut être une complication en cas de lipidose hépatique féline. Il s’agit d’un syndrome complexe lors duquel une accumulation de toxines digestives (dont l’ammoniaque) a pour conséquence une atteinte neurologique. Les chats atteints présentent ainsi du ptyalisme, une mydriase, des changements comportementaux et parfois des crises convulsives. Le diagnostic se fait par dosage de la concentration sérique en ammoniaque, qui est alors augmentée. Dans ce cas, lors de la réalimentation, il est possible d’opter pour un fractionnement plus important des repas, ou de choisir un aliment restreint en protéines (aliment vétérinaire à visée rénale ou hépatique). L’utilisation de lactulose est également recommandée (0,3 à 0,5 ml/kg, trois fois par jour, per os) : ce laxatif osmotique est un glucide non digestible qui inhibe l’absorption intestinale de l'ammoniaque en favorisant sa conversion en ammonium, faiblement absorbé. De plus, il favorise l’acidification de la lumière intestinale, inhibant de fait les bactéries coliformes ammoniogènes, et réduit la charge bactérienne du côlon par son effet laxatif.

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  • 1. Wallace O. P., Jablonski S. A., Thomas J. S., Bock J. H. 3rd, Langlois D. K. Association of time to start of enteral nutrition and outcome in cats with hepatic lipidosis. J. Vet. Intern. Med. 2024 Nov-Dec;38(6):3144-3152.
  • 2. Voir « Le syndrome de renutrition inappropriée » dans La Semaine Vétérinaire n° 2002 du 15 septembre 2023.