La forfaitisation est-elle une solution aux problèmes du maillage vétérinaire rural ? - La Semaine Vétérinaire n° 2070 du 14/03/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2070 du 14/03/2025

Elevage

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Par Jean-Paul Delhom

Des études présentées par la Cellule nationale de surveillance et de maintien au maillage vétérinaire, le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, l’Unité mixte de recherche Bioepar d’Oniris VetAgroBio Nantes et Chambres d’Agriculture France le 29 janvier 2025 concluent à une augmentation de la prévention et à un diagnostic plus précoce dans les élevages où a été mis en place un contrat de forfait de soins.

« Avec des missions de surveillance, de diagnostic, d’accompagnement et d’alerte des acteurs territoriaux, la Cellule nationale de surveillance et de maintien au maillage vétérinaire1, mise en place en 2023, doit répondre aux difficultés rencontrées dans les territoires ruraux », a indiqué Matthieu Mourou, membre du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), lors d’un webinaire à destination des vétérinaires présenté le 29 janvier 2025. Dès 2016, l’Atlas de la démographie de la profession vétérinaire avait permis d’objectiver les problèmes de maillage vétérinaire. Le 3 décembre 2020, la publication de la loi DDADUE a conduit à la modification du Code des collectivités territoriales2 ce qui a permis notamment d’aider financièrement les structures vétérinaires à s’installer dans les territoires ruraux. Afin de disposer d’une méthode de diagnostic territorial, l’Ordre des vétérinaires a ensuite lancé un appel à manifestation d’intérêt auprès des territoires ruraux en 20223. Rapidement, dans les 11 territoires qui ont été retenus, les diagnostics ont permis de mettre en évidence des éléments à améliorer. Une Cellule de surveillance pour le maintien du maillage vétérinaire, impliquant tous les acteurs intervenant dans les territoires dégradés, a alors été mise en place par le ministre de l’Agriculture de l’époque, Marc Fesneau. « Parmi les solutions envisagées pour faire face au problème de maillage, la mise en place d’un contrat de forfait de soins (payé mensuellement par l’éleveur et incluant les actes et le suivi des animaux) est une solution intéressante car elle permet d’améliorer la communication entre l’éleveur et le vétérinaire et de traiter les animaux plus précocement », explique Olivier Crenn, praticien en Mayenne.

De meilleures performances d’élevage

Une étude réalisée en 2021 dans 11 élevages (Courdent)4 montre que la signature d’un forfait de soins conduit à une augmentation des visites chez l’éleveur (+80%), à une baisse d’urgences en garde (-50%), à moins de ventes de médicaments ainsi qu’à un meilleur chiffre d’affaires du vétérinaire. « Lors de consultations en journée, les éleveurs paient alors les analyses complémentaires et les médicaments éventuels tandis que, pour les actes complexes, soit ils sont inclus dans le forfait, soit ils disposent d’un tarif préférentiel, précise Florence Beaugrand, maître de conférences en sciences de gestion à Oniris. Selon le contrat, les suivis de reproduction sont en adhésion obligatoire ou en prestation hors forfait et les urgences de nuit conservent toujours leurs majorations tarifaires. » Par ailleurs, une étude de terrain5, publiée par Julien Andrieu en 2022 et portant sur trois structures vétérinaires de la région Grand Ouest qui ont mis en place depuis une dizaine d’années des contrats forfaitaires de soins et de suivi pour leurs éleveurs de bovins laitiers, confirme ces données. Selon les résultats de l’étude de 2022, l’éleveur appelle plus vite et plus souvent lors de forfaitisation. Le diagnostic est également plus précoce et plus précis, le traitement est donc plus adapté et beaucoup moins de mésusages sur les antibiotiques et les antiparasitaires sont constatés.

Un contrat « gagnant-gagnant »

Selon Julien Andrieu, « le statut sanitaire s’améliorant, les éleveurs reconsidèrent leurs stratégies de réforme avec parfois des taux de renouvellement à 25 % demandant un suivi plus précis. De plus, le partenariat se renforçant, le praticien a une meilleure connaissance de l’exploitation (conseils mieux adaptés et meilleure observance) et l’organisation du travail est optimisée ». Dans un certain nombre de cas, l’éleveur réduit alors son panel de conseillers, gardant souvent seulement un nutritionniste, et sa charge mentale diminue. Bien que ces études soient réalisées sur des échantillons et sur une zone géographique limitée, elles montrent que le contrat de soin est « gagnant-gagnant » et qu’il a un impact sur les aspects techniques, économiques et relationnels tout en rendant le travail du vétérinaire plus valorisant. « Cette offre de services devrait être proposée prioritairement aux jeunes éleveurs pour les faire monter en compétence rapidement mais aussi aux éleveurs présentant des problèmes sanitaires importants dans leurs élevages et aux éleveurs très techniques afin de développer une relation plus étroite » , poursuit Julien Andrieu. Enfin, selon le conférencier, dans un tel cadre, la structure de revenu du vétérinaire doit être revue (fixe issu du forfait + analyses complémentaires et vente des médicaments) ainsi que la structure de coûts (davantage de visites avec parfois des embauches nécessaires). « Le contrat est financièrement rentable pour le vétérinaire », assure-t-il.

Entretien

Forfait de soins : « Le seuil de rentabilité est atteint au plus tard en trois ans »

Nathalie Bareille

Enseignante-chercheuse, à Oniris

Comment l’impact financier des contrats de forfaitisation sur les éleveurs a-t-il été mesuré ?

Un simulateur Dairy Health Manager (DHM) a été développé dans l’unité de recherche Oniris /INRAE/BIOEPAR dont l’élément central est une vache représentée par ses différents aspects (reproduction, génétique, population, lactation, santé, alimentation et comptabilité). L’intérêt était d’analyser l’impact de ces contrats dans cet environnement.

Les services offerts par la forfaitisation permettent-ils d’améliorer la productivité et la santé des animaux ?

Les animaux sont moins souvent malades (prévention et traitements plus précoces donc plus efficaces). Grâce au simulateur, qui ne permet d’étudier que trois maladies (mammites, cétoses et deux parages par an), il est possible de constater que la prévention a des effets progressifs visibles au bout de trois ans et demi avec une diminution de 45 % de certaines maladies (mammites et cétoses). Au bout d’un an, on observe une baisse de mortalité de 10 % sur l’ensemble des animaux.

Quelles sont les économies réalisées concrètement par l’éleveur ?

Pour l’éleveur, les coûts annuels sont le forfait annuel (30 € par vache), les traitements (3,76 € par vache) et la prévention (1 200 € de parage et 14 € par vache). Sur une situation sanitaire moyenne (70 vaches prim’holstein avec 8 500 l de lait par vache et par an, taux de mortalité des veaux de 9 % et de 3 % pour les vaches, 25 cas de mammites, neuf cas de cétoses par an et 20 cas de boiteries par an) avec 140 traitements à l’année, la prévention sanitaire conduit à augmenter rapidement le nombre de traitements nécessaires jusqu’à une stabilisation assez élevée selon le système de parage mis en œuvre. À l’inverse, la situation sanitaire s’améliore régulièrement en quatre à cinq ans et l’intervalle entre les vêlages diminue. Les performances laitières (250 l en plus par vache et par an) et des produits de l’exploitation (+ 7 400 €) s’améliorent. Les charges restent constantes (4 000 € en plus avec le contrat) et la marge brute est moins intéressante les deux premières années avec un gain de rentabilité à partir de la troisième année (3 500 € par an à cinq ans). L’augmentation des produits d’exploitation excède les charges (forfaits et mesures préventives) dans la plupart des situations et les gains de marge brute sont importants si la situation sanitaire du troupeau est moyennement dégradée. Le seuil de rentabilité est donc atteint au plus tard en trois ans.

Ces résultats sont-ils fiables ?

Des simulations faites dans différents contextes sanitaires et économiques ont objectivé la fiabilité de ces résultats. Cependant, les effets du contrat sont probablement sous-estimés dans cette modélisation car seules trois maladies sont représentées et car la stratégie de réforme n’est pas prise en compte.

  • 1. « Maillage vétérinaire : des plans d’action se multiplient sur les territoires », La Semaine Vétérinaire, n° 2029 du 12 avril 2024. bit.ly/3XwJXxc
  • 4. Claire Missana. Mise en place d’offres de contrats forfaitaires pour les éleveurs bovins d’une clientèle vétérinaire. Sciences du Vivant [q-bio]. 2024. bit.ly/41vDrbd
  • 5. Julien Andrieu. Gagner en réactivité et en prévisibilité grâce à la contractualisation éleveur vétérinaire : une source de productivité et de sérénité en élevage bovin laitier. Sciences du Vivant [q-bio]. 2022. bit.ly/3QPc6Md