La précarité financière impacte la formation des étudiants - La Semaine Vétérinaire n° 2070 du 14/03/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2070 du 14/03/2025

DOSSIER

Auteur(s) : Par Sarah André

Les étudiants ne sont pas tous logés à la même enseigne dès lors qu’il s’agit de moyens financiers pour subvenir à leurs besoins. Prêt, bourse ou encore job, comment jonglent-ils entre cette nécessité budgétaire et la gestion de leurs études ? Des étudiants vétérinaires témoignent.

Les diverses sources de financement à la fois des études vétérinaires mais aussi de la vie au quotidien (loyer, alimentation, carburant, etc.) varient du tout au tout et d’une personne à l’autre. Lorsque les parents ne peuvent assurer un soutien financier permettant aux étudiants de ne se concentrer que sur leur scolarité, plusieurs solutions s’offrent à eux, mais elles ne sont pas toujours aussi simples.

La bourse, un atout qui ne fait pas tout

Bien connue de tous, la bourse d’enseignement supérieur sur critères sociaux (BCS) peut être attribuée aux étudiants vétérinaires sous certaines conditions. Les revenus de l’étudiant — ou ceux de la famille — ne doivent pas dépasser un certain plafond pour son obtention. Un simulateur permet d’ailleurs de calculer ses droits à l’obtention d’une bourse d’une année sur l’autre1. En effet, selon le montant des revenus pris en compte dans l’avis d’imposition, un étudiant peut bénéficier de la bourse durant une année mais pas forcément l’année suivante. C’est, par exemple, le cas de Laurie Soudais (Vet. 6). « Dès ma première année d’école, j’ai dû faire des jobs étudiants. Je n’ai pas pu bénéficier de la bourse chaque année et cela était donc nécessaire pour rentrer dans mes frais. Dès lors qu’on n’a pas la bourse, on doit payer les frais de scolarité d’environ 2 800 €, ça change la donne », précise l’étudiante. « Je suis boursière depuis le début de mes études mais cela ne suffit pas à couvrir les dépenses mensuelles de vie, souligne de son côté Océane Elineau (Vet. 3). Je travaille donc en parallèle le week-end dans une pension pour chats en CDI depuis un an et demi. J’y travaille aussi parfois durant les vacances. Cet emploi me plaît plus car avant je travaillais dans la grande distribution. Là au moins je suis au contact d’animaux. »

La bourse permet effectivement à un étudiant boursier d’être exempté des droits d’inscription en école nationale vétérinaire, qui s’élevaient à 2 808 € pour l’année scolaire 2024-20252. En plus de cela, un montant est versé mensuellement à l’étudiant boursier selon son échelon — de 0 bis à 7 — calculé sur la base du revenu d’imposition. Qu’en est-il des étudiants ne répondant pas aux critères pour être boursier ? « Je ne bénéficie pas de la bourse. Je dois donc travailler et je fais de la garde d’animaux et de la garde d’enfants trois fois par semaine matin et soir chez une maman infirmière qui a des horaires de travail décalés. Je travaille aussi durant les vacances d’été mais avec les stages, il faut savoir bien s’organiser. Cela me permet notamment de payer les frais d’inscription à l’école chaque année. Je dois aussi piocher dans mes économies. Les boursiers ont des avantages conséquents : pas de frais d’inscription, des repas à la cantine moins chers… Si je ne pouvais bénéficier que de cela, sans les indemnités mensuelles, ce serait déjà tellement plus confortable financièrement », confie Cassandra (Vet. 3).

Le chronophage job étudiant

Boursiers ou non, nombreux sont les étudiants qui cumulent un emploi du temps déjà bien chargé comprenant cours, travaux dirigés, travaux pratiques et stages avec un travail pour s’assurer de subvenir à leurs dépenses mensuelles. Boursière, M. (Vet. 4 ayant souhaité rester anonyme) doit compléter les indemnités perçues avec un emploi étudiant. « La bourse seule ne me suffit pas, j’ai donc cumulé plusieurs jobs à côté. Je faisais du secrétariat à l‘accueil du CHUV, j’étais vendeuse en boulangerie les week-ends et je fais du baby-sitting et de la garde d’animaux désormais. Je travaille aussi durant les vacances scolaires. » Des postes d’assistants spécialisés vétérinaires (ASV) peuvent également être la solution. « J’ai toujours eu un job étudiant depuis mon entrée à l’école, d’abord en tant que caissière dans la grande distribution en première année, puis en tant qu’ASV chez Vétérinaires 2 Toute Urgence à Rennes depuis ma deuxième année pour renforcer leurs équipes. Je travaille 20 heures par week-end, d’abord deux fois par mois mais j’ai dû passer à une fois par mois cette année du fait des rotations cliniques », indique Romane Dejager (Vet. 5).

Lorsque les années comprenant de la clinique arrivent, il devient effectivement compliqué de combiner les horaires variables avec des créneaux fixes d’emplois étudiants, impactant à la fois les revenus et les études. « Le fait de réduire ce rythme a eu un impact financier car mon salaire a été divisé par deux, mais j’ai la chance d’avoir une bourse plus élevée qui compense cette perte financière, poursuit Romane Dejager. Un autre exemple, après un week-end de travail et avec la route, j’ai dû louper une partie de la première journée d’un stage. Parfois, quand je suis en garde au CHUV le week-end, je ne peux pas forcément approfondir les cas intéressants car je dois aller travailler ensuite. J’ai également eu moins de temps pour mes révisions car j’avais du mal à m’y prendre suffisamment à l’avance pour concilier cela avec mon job étudiant. »

Une situation qui inquiète Marine (Vet. 2), boursière, déjà confrontée à un emploi du temps chargé. « J’ai actuellement deux jobs étudiants que j’avais anticipés avant la rentrée à l’école : je garde des enfants et j’accompagne une personne âgée les week-ends. J’ai commencé en janvier 2025. Avant, j’étais caissière dans un supermarché mais il fallait que je travaille trop d’heures et cela était trop pesant », souffle la jeune femme. « Je ne suis pas forcément confiante pour les années à venir car je ne sais pas si je vais pouvoir garder mes jobs sur le long terme, surtout avec les rotations cliniques de la Vet. 5. », confie-t-elle.

Le sport sur la sellette ?

Les bienfaits de la pratique d’une activité sportive sur la santé physique et mentale ne sont plus à prouver. Cependant, les étudiants vétérinaires en précarité financière s’en privent-ils par manque de temps du fait de leur emploi, ou bien par manque de moyens ? Il semblerait que les possibilités pour pratiquer un sport à moindres coûts soient appréciées par certains. « Je fais du sport en profitant des clubs sportifs de l’école. Le fait que ce soit gratuit me permet de pratiquer une activité physique sans avoir à me soucier du budget et c’est une bonne chose », souligne E. (Vet. 4 ayant souhaité rester anonyme). Une autre possibilité mentionnée par certains étudiants concerne des formules proposées par l’université à laquelle l’école est rattachée. Le service universitaire des activités physiques et sportives (SUAPS) de l’université de Nantes propose ainsi aux étudiants – dont les élèves vétérinaires de l’école nantaise – la possibilité de s’inscrire à trois sports parmi ceux proposés pour 50 € par an. Le ministère des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative a également mis en place un Pass’Sport d’une valeur de 50 € pour « aider les 6-30 ans à faire du sport ». Le dispositif Pass’Sport, clos depuis le 31 décembre 2024, pourrait évoluer en 20253.

Toutefois, certains étudiants ne pratiquent pas de sport durant leurs études par manque de temps. « Pour le sport, je n’ai pas le temps d’en pratiquer de manière régulière et surtout aussi parce que je suis fatiguée, témoigne Cassandra. J’aurais aimé poursuivre l’équitation mais je n’ai pas le budget. »

« Je me suis restreinte sur l’alimentation »

Le budget nourriture semble être en première ligne des restrictions chez les étudiants vétérinaires. « Avec mes difficultés financières, je me suis surtout restreinte sur l’alimentation », indique Laurie. Plusieurs étudiantes confient également limiter les restaurants. E. bénéficie d’une collecte alimentaire, mais cela reste difficile faute de temps. « Je suis quelquefois allée dans une collecte alimentaire à Nantes mais ils proposent un seul créneau fixe hebdomadaire, explique-t-elle. Or cela tombe en même temps que mon job d’aide aux devoirs et je ne peux donc malheureusement pas m’y rendre souvent. » Plusieurs associations proposent ainsi toutes les semaines dans des points de collecte des paniers contenant fruits, légumes ou encore produits d’hygiène4.

Le gouvernement a également mis en place, depuis 2020, le repas à 1 € dont peuvent bénéficier les étudiants boursiers mais aussi les non-boursiers sous certains critères5. Romane Dejager apprécie ce dispositif : « On n’a pas toujours le temps de bien se faire à manger. Le repas de la cantine me coûte 1 € alors que je le paierais 3,30 € si je n’étais pas boursière. »

Les étudiants en difficulté sont aussi pénalisés dans le choix de leurs produits. « Si j’avais les moyens, j’achèterais des produits bio et plus respectueux de l’environnement, indique Océane. Je ne peux pas le faire actuellement pour des raisons financières mais j’aurais bien aimé. »

Une vie sociale impactée

La vie sociale dans sa globalité se voit perturbée par les étudiants en situation financière difficile. « Je suis boursière et je travaille en parallèle le week-end et durant les vacances scolaires, raconte Océane. Cela me permet de subvenir à mes besoins mais ça impacte mes sorties. Par exemple, je limite les restaurants avec mes amis. Il y a des moments où c’est dur de me dire que je n’ai pas encore de salaire car, avec mon parcours, cela fait six ans que je fais des études et il me reste encore trois ans. » Marine est également dans cette situation : « Au premier semestre, j’avais du mal à m’organiser pour à la fois travailler et réviser donc j’ai dû compenser en révisant mes cours durant les vacances de Noël et cela m’a privée de moments familiaux ».

La vie sociale et les activités sont aussi fortement impactées par le fait de posséder une voiture ou non pour assurer ses déplacements, d’autant plus lorsqu’il n’y a pas de campus avec logement au sein de l’école. « Je rencontre une difficulté particulière : l’achat d’une voiture, qui est indispensable en stages surtout pour faire de la rurale et de l’équine, ce qui est mon souhait. Mais je n’en ai pas les moyens. Pour me rendre à l’école, j’utilise donc mon vélo quotidiennement », explique Cassandra. Des propos confirmés par Marine : « Je ressens aussi des difficultés au niveau des trajets en voiture. Le fait qu’il n’y ait pas de campus à l’école fait que je dois prendre ma voiture tous les jours pour aller en cours. Je dois aussi payer l’essence et le péage pour aller voir ma famille. Cela fait des frais à prendre en compte dans le budget ».

Stress et effets psychologiques

En plus du stress que peut impacter une telle situation de précarité financière, d’autres difficultés surgissent et la question de pouvoir « tout gérer » peut très vite faire perdre ses moyens. « Je dirais que j’arrive à tout concilier mais j’ai des difficultés. La question de l’argent me stresse beaucoup, confirme E. C’est pourquoi, j’ai commencé à consulter une psychologue qui passe à l’école grâce au dispositif Apsytude. Je vais perdre un échelon de bourse à la rentrée prochaine et je ne sais pas comment je vais faire. Perdre 100 € par mois ce n’est pas rien. »

M. corrobore ces propos : « Le fait de devoir travailler en parallèle a aussi eu un impact sur mes études car j’ai eu du mal à suivre le rythme. Je me suis souvent retrouvée submergée et j’ai eu des rattrapages. Je trouve que je me suis isolée à un moment car je n’avais pas beaucoup de temps libre, ni de vacances. J’étais moins disponible pour mes amis et parfois c’est difficile à comprendre pour ceux qui ne sont pas dans cette situation. J’ai été agréablement surprise par l’accueil à l’école. Je me suis sentie épaulée et c’est rassurant. Les dispositifs d’écoute sont peu sollicités et mal connus, à tort car c’est très bénéfique ».

Laurie Soudais

Vet. 6 animaux de compagnie à l’école nationale vétérinaire de Nantes

« Je dois souvent piocher dans mon prêt »

Comme je n’ai pas bénéficié de la bourse chaque année, j’ai donné des cours particuliers et fait du baby-sitting environ dix heures par semaine les soirs et certains week-ends. Par la suite, j’ai aussi fait de la garde d’animaux. Toutefois, il m’a fallu arrêter ces jobs dès l’entrée en rotations cliniques car l’emploi du temps n’est pas fixe et ce n’était plus possible de faire de la garde d’enfants par exemple. J’ai aussi travaillé les étés, notamment une fois dans la logistique car ce travail me permettait de gagner plus d’argent et c’était nécessaire pour payer les frais de scolarité de l’année à venir. J’aurais préféré faire un remplacement ASV comme d’autres étudiants et ainsi apprendre des choses utiles pour ma pratique future. Avec ces difficultés financières, je me suis surtout restreinte sur l’alimentation. Je fais moins de courses à la fin de chaque mois et je mange beaucoup de pâtes. Un autre impact est celui des stages car je souhaite me spécialiser en NAC et je suis donc un peu plus limitée dans le choix des structures. Le logement n’est pas toujours proposé et je dois souvent piocher dans mon prêt. Enfin, pour économiser je rentre moins souvent voir ma famille, je suis passée de deux fois à une fois par mois.

Paprika Della Casa

Vet. 3 à l’école nationale vétérinaire de Nantes

« Mon rythme de sommeil est décalé »

Je n’étais pas boursière la première année d’école mais je le suis cette deuxième année. J’ai dû chercher un job étudiant pour subvenir à mes besoins. Je n’en avais pas en première année car je n’avais pas de voiture. Par chance, j’ai eu un don de voiture de la part de ma famille, sinon j’aurais rencontré des difficultés à me payer une voiture. J’ai donc pu commencer à travailler dans la restauration rapide. Je travaille les vendredis, samedis et dimanches soir. Comme j’ai des horaires de fin de journée, je rentre généralement chez moi à 2 h du matin, ce qui fait que mon rythme de sommeil est décalé. Je ressens parfois de la fatigue. J’ai donc seulement les après-midis du week-end pour travailler mes cours. Le fait d’avoir un job étudiant est aussi compliqué pour l’organisation en amont car je dois déclarer une absence un mois à l’avance à mon travail, ce qui est difficilement compatible avec un stage de dernière minute si une clinique me répond tard. Je fais ce même job étudiant durant les vacances scolaires. J’aurais bien aimé avoir un travail au contact d’animaux, comme ASV, pour acquérir les gestes pratiques mais le fait de travailler dans un autre secteur d’activité est aussi bénéfique car cela me fait sortir de l’univers vétérinaire et voir d’autres personnes.

Pauline (N 24)

Praticienne

« J’ai opté pour un remboursement de mon prêt en décalé »

Sortie de l’école en 2024, j’ai fait le choix de faire une 5A tutorée, ce qui m’a permis d’avoir une rentrée d’argent. En plus d’acquérir une autonomie de terrain, j’étais payée, ça a fait partie des points en faveur de ce choix de dernière année. J’ai opté pour un remboursement de mon prêt en décalé, c’est-à-dire que je l’ai contracté en deuxième année et je devais le rembourser cinq ans après, soit un an après ma sortie d’école. C’est vraiment un système que je recommande car dès qu’on a passé la thèse, on entre directement dans la vie active. On a certes un salaire mais il faut trouver un logement, faire des dépenses qu’on ne faisait pas en tant qu’étudiants, etc. Je suis bien contente de ne commencer à le rembourser que dans quelques mois, le temps de me stabiliser. C’est tout de même compliqué car je ne peux pas acheter de maison tant que je n’ai pas remboursé ce prêt et donc ça me limite pour les années à venir.