EXPRESSION
Auteur(s) : Propos recueillis par Chantal Béraud
2025 marque le dixième anniversaire de l’article 515-14 du Code civil, qui reconnaît les animaux comme « des êtres vivants doués de sensibilité ». Entre progrès déjà accomplis et chemin restant à parcourir, les promesses ont-elles été tenues ?
Jean-Pierre Marguénaud
Agrégé des facultés de droit
Un point de départ ambitieux
Il y a peu d’articles du Code civil dont on prend la peine de fêter le dixième anniversaire ! Cela prouve bien que c’est un point de départ ambitieux qui a complètement modifié la perception de la protection des animaux dans la société entière. Cet article a eu le mérite de déclencher une répression pénale plus forte contre certains actes de cruauté. En revanche, sur le plan du droit civil, il faudrait que le législateur et les juges l’appliquent avec davantage d’audace. Il conviendrait que la Cour de cassation en arrive à l’interpréter de manière constructive, ne serait-ce que pour corriger la position de certaines cours d’appel qui font encore comme si l’article 515-14 du Code civil n’existait tout simplement pas. Certes, la réforme de 2015 a sorti les animaux de la catégorie des biens mais elle n’en a pas fait pour autant des sujets de droit. Progressivement, notre société continuera à tirer toutes les conséquences logiques d’une réforme qui est somme toute encore très récente. En 2015, des graines ont été semées : il faudra encore du temps pour récolter les beaux fruits qu’elles promettent… En tout cas, je l’espère.
Alain Grépinet (A 70)
Ancien praticien et ex-chargé de cours de législation et de de droit à l’ENVT
Créons une catégorie spéciale pour les animaux
En tant qu’ancien praticien, j’éprouve une légitimité à traiter ce sujet, sous le triple angle juridique, médical et biologique*. Juridiquement parlant, je note déjà qu’il subsiste une incohérence de taille : l’article du Code civil est un progrès, puisqu’il sort les animaux du régime des biens. Toutefois, ils restent « soumis au régime des biens », notamment lors de leur cession. Leur statut juridique est encore bancal ! C’est pourquoi je trouve qu’il aurait été intelligent et pertinent de créer dans le Code civil une catégorie intermédiaire entre les personnes et les biens. Catégorie qui serait donc spécifiquement consacrée aux animaux, comme l’avait si bien expliqué et démontré Suzanne Antoine, ancienne magistrate. Le 10 juin 2005, elle avait remis un rapport officiel allant dans ce sens au garde des Sceaux. Elle n’a, hélas, pas été entendue. Plusieurs associations de défense des animaux soutiennent toujours cette demande de refonte juridique.
Jean Derégnaucourt (A 71)
Président 2025 de l’Académie vétérinaire de France
Notre académie souhaite apporter sa contribution
Le colloque sur ce thème qui a eu lieu le 21 février au Sénat* a réuni une nombreuse assistance. Mais bien des questions restent encore en suspens… Juridiquement parlant, ce qui me frappe, il a fallu 38 ans pour que cette qualification « d’être vivant doué de sensibilité », déjà établie dans le code rural, parvienne enfin au Code civil ! Une prochaine étape prioritaire serait de rassembler dans un « code animalier » toutes les lois et autres règlements concernant les animaux qui se trouvent éparpillés un peu partout dans nos textes… Durant le colloque, il a aussi été lu la Déclaration européenne des droits de l’animal (DEDA). Je soutiens son article 14, qui promeut l’éducation en matière de bien-être animal. Toutefois, d’autres articles de la DEDA s’éloignent un peu de la réalité « terrain » et de l’animal. C’est pourquoi notre académie vise à approfondir sa réflexion en organisant un groupe de travail puis un colloque thématique. En y associant des partenaires importants, comme le professeur Jean-Pierre Marguénaud et ses collègues juristes, ainsi que La Fondation droit animal, éthique et sciences.