Chirurgie de la thyroïde chez le chien et le chat - Ma revue n° 018 du 01/01/2018 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 018 du 01/01/2018

CHIRURGIE CANINE ET FÉLINE

Moderniser l’endocrinologie clinique

Auteur(s) : Mathilde Porato*, Annick Hamaide**

Fonctions :
*Service de chirurgie des animaux de compagnie
Clinique vétérinaire universitaire
Faculté de médecine vétérinaire
Quartier Vallée 2
Avenue de Cureghem 3
Sart-Tilman
4000 Liège
Belgique
mporato@uliege.be
**Service de chirurgie des animaux de compagnie
Clinique vétérinaire universitaire
Faculté de médecine vétérinaire
Quartier Vallée 2
Avenue de Cureghem 3
Sart-Tilman
4000 Liège
Belgique
Annick.Hamaide@uliege.be

Siège potentiel de tumeurs, la thyroïde peut nécessiter une intervention chirurgicale qui offre une espérance de vie satisfaisante si elle est pratiquée avec les meilleurs critères d’indication.

Chez le chien, les tumeurs de la thyroïde nécessitent l’ablation de la glande afin d’optimiser la durée de vie. Chez le chat, la thyroïdectomie représente une des options thérapeutiques permettant de stabiliser la dysendocrinie. Nous décrivons ici les principaux points relatifs aux tumeurs de la thyroïde et à leur exérèse, en comparant le chien et le chat.

CHEZ LE CHIEN

Les tumeurs de la thyroïde représentent 1,1 % des néoplasmes canins [15].

1. Diagnostic de la tumeur

Quatre-vingt dix pourcents des tumeurs thyroïdiennes détectées chez les chiens sont des carcinomes et sont bilatérales jusqu’à 60 % des cas [14, 15]. Les chiens présentent majoritairement une masse ovoïde non douloureuse ferme, parfois volumineuse et infiltrante en région cervicale ventrale. La plupart du temps, aucun symptôme n’est rapporté par les propriétaires, car la tumeur est rarement sécrétante, ou seulement en début d’évolution, où il est possible d’observer les conséquences d’une thyrotoxicose. Parfois, une hypothyroïdie est paradoxalement observée en raison de l’invasion du parenchyme par des cellules tumorales et d’une hyperthyréostimulinémie associée. Ces carcinomes impliquent parfois un tissu thyroïdien ectopique présent dans le médiastin cranial ou à la base du cœur. Ainsi, selon la localisation et le volume de la tumeur, de la toux, de la dyspnée ou de la dysphagie peuvent être constatées. La suspicion diagnostique est confirmée à la suite de l’étude histologique de la glande. En effet, la cytoponction offre rarement un diagnostic en raison de son aspect très hémorragique menant à l’hémodilution des cellules d’intérêt [11]. De plus, le diagnostic cytologique différentiel entre tumeur bénigne et tumeur maligne est délicat. En raison du risque d’hémorragie, la biopsie n’est indiquée que dans les cas où le diagnostic serait douteux, pour une tumeur envahissante localement dont l’exérèse serait impossible [1]. L’échographie de la région cervicale permet le plus souvent de confirmer que la thyroïde est le siège de la lésion, mais une imagerie en coupe peut parfois s’avérer nécessaire. De plus, le caractère malin de la tumeur étant de loin le plus fréquent, il justifie l’exérèse de la glande après réalisation d’un bilan d’extension, les sites de métastases privilégiés étant les nœuds lymphatiques rétropharyngés et les poumons [4]. Le taux de métastases approche les 50 % [9].

2. Thyroïdectomie

Quatre techniques de thyroïdectomie sont décrites : intracapsulaire classique ou modifiée et extracapsulaire classique ou modifiée (encadré 1).

La thyroïdectomie est indiquée pour les masses bien mobilisables (dans toutes les directions) lors de la palpation. La mobilisation d’une masse thyroïdienne sur plus de 1 cm dans tous les plans est le critère principal de faisabilité de la résection chirurgicale, même lorsque la masse est volumineuse [12]. Dans ce cas, le pronostic (médiane) de survie après thyroïdectomie se situe aux alentours de 3 ans (avec 75 et 70 % de taux de survie à 1 et 2 ans), même en cas d’ablation bilatérale et même si les marges sont incomplètes, mais il diminue avec la présence de métastases [5, 6, 12, 14]. Dans le cas d’une tumeur localement invasive, la médiane de survie diminue à moins de 1 an, avec 25 % de survie à 1 an et 12 % à 18 mois [2, 14].

La thyroïdectomie est le plus souvent extracapsulaire : la parathyroïde étant rarement identifiable, tenter de l’épargner fait courir le risque de laisser du tissu tumoral en place. Cette technique extracapsulaire, bien que marginale, offre un bon contrôle local de la tumeur [12]. L’intervention a pour objectif de disséquer la glande depuis sa face ventrale vers sa face dorsale en identifiant sa vascularisation : artères et veines thyroïdiennes craniales et caudales, autres vaisseaux néoformés associés à la tumeur (photos 1a à 1d) [4, 11]. Pour les tumeurs les moins mobiles, le traitement chirurgical est difficilement réalisable et présente le risque de devoir sacrifier des structures vitales envahies par la tumeur (œsophage, trachée, nerf vague, nerf récurrent) pour un pronostic moins bon. La radiothérapie est donc à envisager, suivie ou non de chimiothérapie [6].

Enfin, depuis la mise en évidence de récepteurs à la thyréostimuline dans les tissus néoplasiques (tumeur primaire et métastases), l’utilisation de la thyroxine est évoquée comme thérapie adjuvante [13]. Cette molécule permet de limiter l’hypersécrétion compensatoire de thyréostimuline après la chirurgie. En effet, l’hyperthyréostimulinémie pourrait favoriser le développement des tissus thyroïdiens tumoraux restants. L’arbre décisionnel permet d’orienter l’option thérapeutique la mieux adaptée selon le cas (figure).

3. Complications chirurgicales et pronostic

Les complications associées à la thyroïdectomie, majorées lorsque la chirurgie est bilatérale, sont les suivantes :

- une hémorragie, dans environ un quart des cas, pouvant nécessiter une transfusion (dans 13 % des cas) ;

- une hypoparathyroïdie et ses conséquences sur le métabolisme calcique (hypocalcémie) en cas de chirurgie bilatérale, ou de façon transitoire après une thyroïdectomie unilatérale ;

- une hypothyroïdie après thyroïdectomie bilatérale (nécessitant la complémentation en hormone thyroïdienne à long terme chez 8 chiens sur 15) ;

- des déficits neurologiques tels que le syndrome de horner et l’hémiplégie laryngée, en raison de la proximité du nerf laryngé récurrent et du nerf vague qui peuvent être lésés pendant la dissection. De telles conséquences sont rares et acceptables si elles se limitent à un seul côté et permettent une meilleure cytoréduction (encadré 2) [4, 6, 11, 12].

CHEZ LE CHAT

L’atteinte néoplasique de la thyroïde du chat est le plus souvent un adénome fonctionnel, le plus souvent bilatéral [8]. Il en résulte une hyperthyroxinémie avec thyrotoxicose se manifestant par des signes tels que de la polyphagie, une perte de poids, de la polyurie-polydipsie, de l’hypertension artérielle ainsi que des signes digestifs et éventuellement comportementaux [4]. Le diagnostic repose sur un dosage sanguin de la thyroxine. Le traitement chirurgical consiste en une thyroïdectomie uni- ou bilatérale, avec un taux de récidive, toutes techniques confondues, pouvant atteindre 22 % [3, 6, 9]. Les autres complications rapportées sont similaires à celles rencontrées chez le chien : paralysie laryngée, syndrome de horner, hypothyroïdie et hypoparathyroïdie [4, 8]. Le traitement chirurgical est intéressant sur les chats les plus jeunes, après une scintigraphie permettant de localiser les lésions, de s’assurer de l’absence de tissu ectopique et du caractère unilatéral de l’hyperplasie adénomateuse. Cependant, il peut aussi être envisagé en première intention sur le chat âgé avec un nodule thyroïdien palpable : son effet sera souvent uniquement transitoire, mais peut améliorer l’espérance de vie et le confort de l’animal sans traitement médical.

Le principal inconvénient du traitement chirurgical est son caractère irrémédiable, notamment si l’hyperthyroïdie masquait une maladie rénale chronique.

Actuellement, le traitement de choix est l’administration d’iode radioactif (isotope 131). En effet, il permet de limiter les récidives et la survenue d’hypoparathyroïdie et ne requiert pas d’anesthésie, ce qui est un avantage chez les chats avec une maladie rénale et/ou cardiaque. Le taux de réponse est d’environ 95 %, avec une médiane de survie de 2 à 5 ans en fonction des pathologies cardiaques et rénales concomitantes [7, 10]. Les troubles cardiaques liés à l’hyperthyroïdie (tachycardie, souffle cardiaque, bruit de galop, battements prématurés voire développement d’une cardiomyopathie hypertrophique) peuvent en effet conduire à une insuffisance cardiaque [4]. Par ailleurs, le traitement de l’hyperthyroïdie peut révéler une maladie rénale chronique jusque-là masquée, en restaurant un taux de filtration glomérulaire normal, alors qu’il peut être artificiellement élevé en cas d’hyperthyroïdie, en raison de l’hypertension artérielle et de l’augmentation du débit de filtration glomérulaire associé [4, 11].

Conclusion

La gestion peropératoire et le traitement chirurgical des tumeurs de la thyroïde revêtent des caractéristiques singulières au chien et au chat. La connaissance de ces particularités permet au praticien d’apporter les conseils adéquats aux propriétaires.

Références

  • 1. Barber LG. Thyroid tumors in dogs and cats. Vet. Clin. Small Anim. 2007;37:755-773.
  • 2. Carver JR, Kapatkin A, Patnaik AK. A comparison of medullary thyroid carcinoma and thyroid adenocarcinoma in dogs: a retrospective study of 38 cases. Vet. Surg. 1995;24:315-319.
  • 3. Flanders JA. Surgical options for the treatment of hyperthyroidism in the cat. J. Feline Med. Surg. 1999;1:127-134.
  • 4. Johnston SA, Tobias KM, Veterinary Surgery : Small Animal, 2nd edition, volume 2. Elsevier, Saint Louis. 2018:2379p.
  • 5. Klein MK, Powers BE, Withrow SJ et coll. Treatment of thyroid carcinoma in dogs by surgical resection alone: 20 cases (1981-1989). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1995;206:1007-1009.
  • 6. Liptak JM. Canine thyroid carcinoma. Clin. Tech. Small Anim. Pract. 2007;22:75-81.
  • 7. Milner RJ, Channell CD, Levy JK et coll. Survival times for cats with hyperthyroidism treated with iodine 131, methimazole, or both: 167 cases (1996-2003). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2006;228 (4):559-563.
  • 8. Naan EC, Kirpensteijn J, Kooistra HS et coll. Results of thyroidectomy in 101 cats with hyperthyroidism. Vet. Surg. 2006;35:287-293.
  • 9. Nadeau ME, Kitchell BE. Evaluation of the use of chemotherapy and other prognostic variables for surgically excised canine thyroid carcinoma with and without metastasis. Can. Vet. J. 2011;52:994-998.
  • 10. Peterson ME, Becker DV. Radioiodine treatment of 524 cats with hyperthyroidism. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1995;207 (11):1422-1428.
  • 11. Radlinsky MAG. Thyroid surgery in dogs and cats. Vet. Clin. Small Anim. 2007;37:789-798.
  • 12. Tuohy JL, Worley DR, Withrow SJ. Outcome following simultaneous bilateral thyroid lobectomy for treatment of thyroid gland carcinoma in dogs: 15 cases (1994-2010). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2012;241:95-103.
  • 13. Verschueren CP, Rutteman GR, Vos JH et coll. Thyrotrophin receptors in normal and neoplastic (primary and metastatic) canine thyroid tissue. J. Endocrinol. 1992;132:461-468.
  • 14. Withrow SJ, Vail DM, Page RL. Small Animal Clinical Oncology, 5th edition. Elsevier, Saint Louis. 2013:750p.
  • 15. Wucherer KL, Wilke V. Thyroid cancer in dogs : an update based on 638 cases (1995-2005). J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2010;46:249-254.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
Techniques de thyroïdectomie

Il existe quatre techniques de thyroïdectomie : intracapsulaire classique ou modifiée et extracapsulaire classique ou modifiée.

- La technique intracapsulaire vise à protéger la parathyroïde externe (localisée en surface du pôle cranial de la thyroïde, à l’extérieur de la capsule de la thyroïde) en incisant la capsule de la thyroïde pour séparer la capsule du parenchyme. Cette dernière est donc laissée sur place, la parathyroïde externe est épargnée et seul le parenchyme thyroïdien est retiré. Cette technique présente l’inconvénient majeur de laisser in situ des cellules tumorales adhérentes à la capsule.

A contrario, la technique extracapsulaire a pour objectif de retirer la thyroïde avec sa capsule. Cette technique ne sauvegarde donc aucune des parathyroïdes ipsilatérales (ni l’interne située dans le parenchyme thyroïdien, ni l’externe fixée à la capsule de la thyroïde).

- Les techniques modifiées visent à préserver d’emblée la parathyroïde externe en ne conservant que la partie de la capsule sur laquelle repose la parathyroïde externe : soit en ne préincisant que cette partie de la capsule et en retirant la thyroïde avec le reste de sa capsule (technique extracapsulaire modifiée), soit en réalisant une technique intracapsulaire classique et en terminant par le retrait de la capsule, excepté le patch situé sous la parathyroïde (technique intracapsulaire modifiée).

ENCADRÉ 2
La cytoréduction

La cytoréduction est l’un des objectifs de la chirurgie oncologique. Elle se définit par le fait de retirer le maximum de tissu tumoral afin de réduire le potentiel pathogène de la tumeur et d’augmenter l’efficacité des thérapies adjuvantes. Les chirurgies oncologiques peuvent aussi être réalisées dans un objectif préventif, diagnostique, thérapeutique ou palliatif.

Points forts

→ Chez le chien atteint de carcinome thyroïdien, une thyroïdectomie précoce offre un temps de survie prolongé. Un diagnostic et une prise en charge immédiate sont donc primordiaux.

→ Chez le chat, la thyroïdectomie est envisagée lorsque les autres options thérapeutiques de l’hyperthyroïdie doivent être écartées.