HYPOTHYROÏDIE CANINE
Moderniser l’endocrinologie clinique
Auteur(s) : Miguel Campos
Fonctions : Médecine interne petits animaux
Département des sciences vétérinaires cliniques
Faculté Vetsuisse, université de Berne
Länggassstrasse 128
3001 Berne
Suisse
L’hypothyroïdie fonctionnelle observée lors d’une maladie systémique peut être interprétée comme un mécanisme adaptatif bénéfique.
Le terme hypothyroïdie fonctionnelle, « nonthyroidal illness » ou « euthyroid sick syndrome » correspond à la baisse des hormones thyroïdiennes (HT) chez l’animal euthyroïdien atteint d’une maladie systémique [13]. Beaucoup de médicaments peuvent aussi diminuer la fonction thyroïdienne, mais cet aspect de l’hypothyroïdie fonctionnelle n’est pas traité en détail dans cet article (tableau 1).
Une étude récente chez 196 chiens atteints d’une maladie systémique non thyroïdienne montre une réduction de la T3 totale, de la T4 totale et de la T4 libre dans 76 %, 35 % et 5 % des chiens, respectivement, et une absence d’augmentation de la TSH dans 97 % des cas [8]. Ces chiens peuvent donc présenter un profil hormonal similaire à un tiers des chiens hypothyroïdiens (T4 basse et TSH non augmentée). Il est crucial de distinguer ces deux affections.
Pratiquement toute maladie systémique, toute intervention chirurgicale, tout traumatisme ou même une prise insuffisante de calories peuvent être à l’origine d’une hypothyroïdie fonctionnelle. Les mécanismes en cause sont :
- l’inhibition du système hypothalamo-hypophyso-thyroïdien, avec une réduction de la production de TRH et de TSH ;
- une diminution de la production de T3 et de T4 par effet inhibiteur direct des cytokines inflammatoires au niveau de la glande thyroïde ;
- une réduction de la concentration sanguine des protéines de transport des HT, notamment l’albumine, la globulie liant la thyroxine et la transthyrétine, spécifique de T4 ;
- des changements d’activité des désiodases (enzymes de conversion de T4 et de T3) dans les tissus cibles (figure) [3, 13].
Comme il a été montré chez l’homme, ces effets sont particulièrement importants pendant la phase aiguë d’une maladie critique. Dans cette phase, la diminution sanguine de T3 et de T4 résulte de la réduction de la concentration des protéines transporteuses en circulation et de leur capacité à fixer les HT, de la réduction des récepteurs des HT et de l’augmentation de leur inactivation par des désiodases dans les tissus cibles. Ces changements hormonaux périphériques sont tout à fait identiques à ceux produits pendant une période de jeûne. Après plusieurs jours, si le patient rentre dans une phase prolongée de maladie critique, les modifications persistent, mais s’ajoute une suppression centrale de l’activité hypothalamo-hypophyso-thyroïdienne, avec une baisse de la production de TRH et, par conséquent, de TSH [6].
Le degré de réduction de la concentration sanguine des HT ne dépend pas de la nature, mais plutôt de la sévérité de la maladie concomitante, en particulier de sa composante inflammatoire, interleukine (IL)-1 et IL-6 jouant un grand rôle [7].
Dans une étude sur l’effet de l’épilepsie sur les HT chez le chien, plus l’intervalle entre les crises convulsives était long, plus les HT étaient élevées, alors que l’intervalle de temps entre la dernière crise convulsive et la prise de sang n’avait pas d’influence (dosages réalisés avant l’administration de gardénal) [15]. Cela suggère que ce n’est pas la crise convulsive qui affecte la concentration des HT, mais la gravité de la maladie.
Les maladies classiquement associées au syndrome d’hypothyroïdie fonctionnelle incluent les néoplasies, la maladie rénale, la maladie hépatique, l’insuffisance cardiaque, les maladies neurologiques, les affections inflammatoires et le diabète acidocétosique.
Lorsqu’un chien présente des signes non spécifiques tels qu’une apathie et une baisse de forme, un surpoids (comorbidité fréquente), une anémie légère et arégénérative, le vétérinaire peut suspecter une hypothyroïdie. Si les résultats des dosages montrent une T4 basse et une TSH dans les valeurs usuelles, un véritable défi diagnostique est engagé.
Vingt-quatre à 38 % des chiens atteints d’hypothyroïdie primaire ne présentent pas d’augmentation de la TSH (photos 1a et 1b) [9, 12]. Il est donc difficile de confirmer ou d’exclure une hypothyroïdie primaire sans le recours à d’autres examens complémentaires. Face à ce scénario, le praticien peut être tenté de commencer un traitement pour améliorer la clinique.
Pour éviter un faux diagnostic et ne pas soumettre inutilement un chien à une supplémentation hormonale à vie, il est nécessaire de tenter de répondre à la question : est-ce que ce chien est atteint d’une vraie hypothyroïdie ou d’une hypothyroïdie fonctionnelle ? Une fois le traitement débuté, il devient difficile de confirmer ou d’exclure une vraie hypothyroïdie en raison de la suppression immédiate du système hypothalamo-hypophysaire-thyroïdien. Selon la durée du traitement en cours, il peut être nécessaire de l’arrêter pendant au moins 1 mois, souvent 6 à 8 semaines avant de pouvoir interpréter de nouveau les dosages hormonaux. Cependant, une étude récente chez des chiens sains montre qu’après une supplémentation en lévothyroxine pendant 4 mois, il est possible de confirmer l’absence d’hypothyroïdie en dosant la T4 totale 1 semaine après l’arrêt du traitement [16].
En cas de maladie systémique grave, même des tests fonctionnels tels qu’une stimulation à la TSH peuvent être affectés et donner des résultats douteux .
Ainsi, lors de maladie systémique grave, il est préférable de reporter l’investigation après la guérison (si elle semble envisagée) de cette maladie. Néanmoins, il existe des cas où le diagnostic peut être urgent, notamment si le traitement de l’hypothyroïdie peut améliorer le pronostic de la maladie sous-jacente (paralysie laryngée, myxœdème avec évolution vers le coma, par exemple).
Dans d’autres cas, aucune maladie systémique grave, mais seulement une présentation clinique ambiguë avec des signes non spécifiques, ni anomalie à l’examen clinique ou dans les examens complémentaires de première intention (numération et formule sanguines, examen biochimique et analyse d’urine) ne sont observées, qui permettent de suspecter une lésion organique (dont thyroïdienne).
Certains outils peuvent aider le clinicien à préciser la fonction thyroïdienne (encadré 1).
Le dosage de la T4 libre est un test simple qui peut être réalisé lors de suspicion clinique d’hypothyroïdie quand la T4 totale est basse et que la TSH n’est pas augmentée. Le dosage de la T4 libre peut être réalisé par plusieurs méthodes, notamment par dialyse à l’équilibre (c’est-à-dire par séparation lente de la T4 libre et des protéines sériques par une membrane), par dosages radio-immunologiques ou immuno-enzymatiques. La méthode de référence est la dialyse à l’équilibre, mais elle est proposée par peu de laboratoires vétérinaires français actuellement.
La sensibilité (71 à 96 %), la spécificité (90 à 100 %) et la précision diagnostique (86 à 95 %) de ce test sont très bonnes par rapport à la précision diagnostique de la T4 totale (75 à 85 %) [13]. En l’absence de maladie systémique grave, une T4 libre en dessous de valeurs usuelles confirme le diagnostic d’hypothyroïdie et une T4 libre dans les valeurs usuelles l’exclut. En revanche, ce test n’est pas parfait et en cas de maladie concomitante grave, la T4 libre peut aussi être en dessous des valeurs usuelles. Une T4 libre normale mais proche de l’intervalle inférieur ne permet pas d’exclure une hypothyroïdie modérée ou en début d’évolution.
La scintigraphie cervicale est l’examen qui possède le pouvoir de discrimination le plus important entre une hypothyroïdie primaire et fonctionnelle (photos 2a et 2b) [4]. Les études les plus récentes sur la fonction thyroïdienne chez le chien et le chat l’utilisent comme gold standard. Lorsqu’elle est disponible, il s’agit probablement du meilleur test pour déterminer la fonction thyroïdienne. Cependant, il implique l’utilisation de produits radioactifs, une courte sédation ou une anesthésie générale, et est disponible dans très peu de centres spécialisés. 4. Test de stimulation à la TSH
Le test de stimulation à la TSH évalue la réponse des glandes thyroïdiennes à la TSH exogène (TSH recombinante humaine) et mesure la réserve thyroïdienne en HT (tableau 2) [1, 2]. Cependant, la TSH recombinante humaine, en plus de son coût élevé et des difficultés d’approvisionnement, n’a aucune autorisation de mise sur le marché (AMM) chez le chien. Cela limite largement l’utilisation de ce test en clinique.
Le test de stimulation à la TRH permet d’évaluer la réponse thyroïdienne par une action intermédiaire sur les cellules thyréotropes hypophysaires qui produisent la TSH. Le test peut donc être perturbé par une anomalie du fonctionnement hypophysaire (cas de l’hypothyroïdie secondaire) autant que par une atteinte thyroïdienne primaire. Une étude chez des chiens dont une hypothyroïdie primaire a été induite a montré qu’après une forte augmentation de la TSH initialement, une réduction progressive au fil du temps de la sécrétion de TSH est observée. Ce processus résulte probablement d’une désensibilisation des cellules thyréotropes par excès de stimulation chronique par la TRH lors d’hypothyroïdie primaire (et absence de rétroaction négative) [5]. Cette étude a aussi montré des changements histologiques majeurs à l’hypophyse, dont un volume augmenté. Ces changements suggèrent que, chez le chien hypothyroïdien primaire, la stimulation chronique par la TRH induirait une transdifférenciation des cellules somatotropes (qui, normalement, produisent seulement l’hormone de croissance GH) en thyréotropes, gagnant la capacité de produire aussi de la TSH [5]. Par conséquent, une stimulation à la TRH des chiens atteints d’hypothyroïdie primaire (qui ne présentaient pas d’augmentation de la TSH) induit une augmentation de GH, alors que cela n’est pas observé lors d’hypothyroïdie fonctionnelle [10]. Le test à la TRH pourrait avoir un bon pouvoir de discrimination entre ces deux groupes, par mesure de GH canine, mais ce dosage n’est pas encore disponible.
En revanche, pour Pijnacker et coll., le test à la TRH, en mesurant la TSH, permet aussi de différencier les chiens hypothyroïdiens primaires de ceux atteints d’une hypothyroïdie fonctionnelle, puisque les premiers présentent un pourcentage d’augmentation de TSH inférieur à ceux atteints d’hypothyroïdie fonctionnelle [10]. La TRH synthétique a un coût accessible, mais pas d’AMM vétérinaire, et il n’est pas toujours facile de s’en procurer.
Le dosage des anticorps antithyroglobuline, anti-T3 et anti-T4 permet d’évaluer la présence d’une thyroïdite d’origine immune. La présence d’une thyroïdite est un argument en faveur d’une hypothyroïdie primaire, mais il ne s’agit pas d’une évaluation fonctionnelle. Des chiens hypothyroïdiens peuvent ne pas avoir d’anticorps détectables et des chiens euthyroïdiens peuvent présenter une thyroïdite sans développer d’hypothyroïdie.
De même, l’analyse histologique de la glande thyroïde permet de détecter une affection de la thyroïde (atrophie idiopathique, thyroïdite, néoplasie), mais ne permet pas son évaluation fonctionnelle. De plus, cet examen est très invasif et doit être réalisé sous anesthésie générale.
L’échographie cervicale peut aussi aider à différencier une hypothyroïdie primaire d’une hypothyroïdie fonctionnelle, en associant la mesure du volume thyroïdien à la détection d’anomalies [11]. L’utilisation de l’échographie cervicale est limitée, car ses résultats sont très dépendants du matériel et de l’opérateur et qu’il existe peu d’imageurs expérimentés dans cette évaluation.
L’essai thérapeutique à la lévothyroxine est une procédure souvent proposée, mais une amélioration clinique après 6 à 8 semaines de traitement ne permet pas de différencier une hypothyroïdie primaire d’une hypothyroïdie fonctionnelle secondaire à une maladie systémique, même si les signes cliniques se résolvent dans des délais différents (tableau 3). Cette procédure est uniquement recommandée dans les cas où les propriétaires ne sont pas motivés pour réaliser un diagnostic causal. En effet, elle présente des inconvénients : il est éthiquement difficile d’interrompre un traitement satisfaisant et l’apport d’HT peut (au moins en partie) masquer les effets de la maladie systémique et entraîner une inhibition thyroïdienne, qui perturbe tout diagnostic causal ultérieur.
Plusieurs études chez l’homme et chez des chiens atteints d’une maladie systémique grave montrent que l’intensité de la baisse de l’activité thyroïdienne est un facteur pronostique [8]. Dans les maladies sévères, les concentrations plus basses d’HT sont associées à une mortalité plus élevée. Par exemple, dans une étude avec 63 chiots atteints de parvovirose, la T4 totale et la T4 libre étaient significativement plus basses chez les chiots qui sont morts, comparativement à ceux qui ont survécu. Cette étude ne suggère pas que les chiots atteints de parvovirose doivent être traités pour une hypothyroïdie fonctionnelle, mais il est légitime de s’interroger sur le fait que cette hypothyroïdie puisse contribuer à la dégradation d’un animal en état critique.
Les changements dans le métabolisme des HT décrits chez l’homme ont lieu très tôt dans l’évolution d’une maladie systémique. Par exemple, en cas de chirurgie abdominale, la T3 chute dans les 2 heures qui suivent le début de l’intervention [6]. Ces changements périphériques (réduction de la liaison et de la concentration des protéines de liaison et augmentation de l’inactivation des HT par des désiodases tissulaires) présents dans toutes les formes de stress et de maladie aiguë sont probablement sélectionnés évolutivement et peuvent être considérés comme une réponse adaptative et bénéfique pour conserver de l’énergie et prévenir le catabolisme protéique. Dans ce contexte, un traitement n’est pas recommandé (encadré 2). Jusqu’à présent, aucune étude ne prouve le bénéfice du traitement d’une hypothyroïdie fonctionnelle chez le chien ou le chat.
Plusieurs études chez l’homme ont aussi investigué le bénéfice d’une supplémentation en HT en cas d’insuffisance cardiaque secondaire à une cardiomyopathie dilatée. Le raisonnement est fondé sur l’effet inotrope et chronotrope positif des HT et le sujet reste controversé. Une étude prospective randomisée en double aveugle chez des chiens euthyroïdiens atteints d’insuffisance cardiaque congestive secondaire à une cardiomyopathie dilatée s’est intéressée à l’effet d’une supplémentation en lévothyroxine. Cette étude n’a pas montré d’amélioration de la survie avec supplémentation en HT [14].
Les animaux atteints d’une maladie systémique grave subissent plusieurs perturbations de l’activité thyroïdienne. Les plus importantes sont un effondrement de la T3 totale, de la T4 totale et de la T4 libre, sans augmentation de la TSH ni lésion thyroïdienne, d’où le diagnostic d’hypothyroïdie fonctionnelle.
Ces animaux présentent un profil hormonal thyroïdien identique à celui d’un tiers des chiens atteints d’une hypothyroïdie primaire et il est important de les différencier, car une hypothyroïdie primaire conduit à un traitement.
L’hypothyroïdie fonctionnelle observée lors d’une maladie systémique devrait être interprétée comme un mécanisme adaptatif bénéfique et ne devrait pas faire l’objet d’un traitement spécifique. ?
Aucun.
→ Dosage de la T4 libre (idéalement par dialyse à l’équilibre)
→ Dosage des anticorps antithyroglobuline, anti-T3 et anti-T4
→ Test de stimulation à la TSH
→ Test de stimulation à la TRH
→ Scintigraphie cervicale
→ Échographie cervicale
→ Biopsie thyroïdienne
→ Dans l’hypothyroïdie fonctionnelle, la glande thyroïde est intacte, mais une maladie systémique, surtout à composante inflammatoire, induit une baisse de la sécrétion d’hormones thyroïdiennes.
→ Vingt-quatre à 38 % des chiens atteints d’une hypothyroïdie primaire ne présentent pas d’augmentation de la TSH et peuvent donc être confondus avec les chiens atteints d’une hypothyroïdie fonctionnelle.
→ Face à une suspicion clinique d’hypothyroïdie, associée à une T4 basse et à une TSH non augmentée, il est préférable de renouveler ultérieurement les dosages ou de s’appuyer sur d’autres examens complémentaires, afin d’établir un diagnostic légitimant le traitement.
→ L’hypothyroïdie fonctionnelle observée lors d’une maladie systémique aiguë peut être considérée comme un mécanisme adaptatif bénéfique (pour préserver la dépense énergétique et prévenir le catabolisme protéique, en particulier) qui ne nécessite pas de prise en charge thérapeutique spécifique. Le traitement de la maladie systémique causale est la priorité.
En médecine humaine, il existe un important débat à propos du traitement d’une hypothyroïdie fonctionnelle chez les patients qui rentrent en phase chronique d’une maladie critique. Aucun consensus n’a été mis au point. Le traitement d’une maladie critique prolongée est devenu possible au cours des 40 dernières années grâce au développement des soins intensifs modernes. Ces patients peuvent subir des événements hormonaux que ne sont pas forcément bénéfiques, car ils n’ont pas pu être sélectionnés évolutivement. Au moins quatre études randomisées avec groupe de contrôle (un total de 190 patients) évaluent l’effet du traitement d’une hypothyroïdie fonctionnelle chez les patients critiques. Bien que la puissance de ces études ait été insuffisante, aucune n’a montré un bénéfice de ce traitement et l’une d’elles a suggéré un effet néfaste.