OBÉSITÉ CHEZ LE CHIEN ET LE CHAT
Moderniser l’endocrinologie clinique
Auteur(s) : Amandine Drut
Fonctions : École nationale vétérinaire agroalimentaire
et de l’alimentation Nantes Atlantique-Oniris
Service de médecine interne
BP 40706
44307 Nantes Cedex 3
Le vétérinaire praticien doit sensibiliser les propriétaires précocement sur les dangers de cette maladie afin de prévenir au mieux les conséquences métaboliques et endocriniennes, pouvant devenir irréversibles si elles perdurent.
En médecine vétérinaire, l’obésité est définie comme un excès de graisse représentant plus de 30 % du poids corporel optimal chez le chien et plus de 20 % chez le chat. À l’instar de la situation observée chez l’homme, elle concerne de plus en plus d’animaux de compagnie. Chez le chien et le chat, la prévalence de cette maladie varie environ de 20 à 40 % selon les études et le pays considéré [14]. L’importance de cette maladie réside dans la gravité des perturbations métaboliques et hormonales associées à l’obésité. Ces complications diminuent l’espérance de vie puisqu’elles favorisent la survenue de nombreuses maladies chroniques (tableau 1) [17]. Si les conséquences de l’obésité sont bien documentées chez l’homme, elles ne sont pas toujours aussi bien caractérisées chez le chien et le chat. Elles font cependant l’objet d’un nombre croissant d’études expérimentales et cliniques.
Le tissu adipeux blanc est bien connu comme étant un lieu de stockage et de libération des lipides. Toutefois, il est maintenant considéré comme un véritable tissu endocrine. Il est composé de 50 % d’adipocytes et de 50 % d’autres types cellulaires, telles que des cellules précurseurs des adipocytes, des fibroblastes, des cellules endothéliales, des péricytes, des cellules nerveuses et des macrophages. C’est un organe complexe qui sécrète de nombreuses cytokines métaboliquement actives appelées adipokines, qui exercent des actions locales et systémiques (figure). Leurs actions ont deux cibles principales : la cascade inflammatoire et le métabolisme énergétique.
La leptine est une cytokine synthétisée principalement par les adipocytes. Son rôle majoritaire est d’informer le système nerveux central sur l’état d’embonpoint et l’équilibre endocrinien de l’organisme. Elle permet ainsi les adaptations aux fonctions physiologiques ou aux processus pathologiques. Elle favorise la sensation de satiété en stimulant les signaux anorexigènes et en inhibant les signaux orexigènes au niveau hypothalamique. Elle régule le système inflammatoire (pro-inflammatoire principalement), elle est pro-angiogénique et c’est un puissant facteur de croissance (par inhibition de l’apoptose et stimulation des mitoses). De plus, elle stimule la fonction de reproduction via son effet stimulant sur l’hypothalamus, l’hypophyse, voire les gonades.
Lors d’obésité, une résistance au signal anorexigène de la leptine est observée, associée à une hyperleptinémie compensatoire. Les conséquences sont multiples, avec notamment une accumulation organique de lipides et une insulinorésistance. Il est possible que l’intensité de la résistance à la leptine soit un facteur pronostique important dans l’évolution de l’obésité, comme cela a été montré chez l’homme [7].
L’adiponectine est une hormone sécrétée exclusivement par les adipocytes. Elle induit des effets globalement opposés à ceux de la leptine : elle améliore la sensibilité à l’insuline et l’homéostasie glucidique, elle diminue la réponse inflammatoire et la cholestérolémie. Sa concentration sanguine est diminuée chez les animaux obèses [6].
dans l’obésité, l’hypertrophie et l’hyperplasie du tissu adipeux dépassent les capacités d’oxygénation tissulaire. Ce développement excessif engendre la sécrétion de facteurs angiogéniques visant à améliorer la vascularisation locale et de cytokines qui favorisent le recrutement de macrophages. L’augmentation du nombre de macrophages participe à l’amplification du processus inflammatoire. Le tissu adipeux est également une source d’amines vasoactives, d’angiotensinogène, d’hormones stéroïdes et d’autres médiateurs biologiquement actifs, favorisant l’hypertension artérielle systémique avec de possibles répercussions cardiaques et rénales. Chez le chien, la prise de poids peut s’accompagner d’une augmentation de la sécrétion d’igf-1, hormone hyperglycémiante pouvant induire un état d’insulinorésistance [20]. Une hyperprolactinémie est également décrite chez certains individus en surpoids [20]. Les conséquences d’une hyperprolactinémie sont encore mal documentées, mais ce dérèglement hormonal pourrait être impliqué dans le développement de plusieurs affections de l’appareil reproducteur, telles que les tumeurs mammaires chez la chienne(1)[21]. L’obésité est donc une maladie inflammatoire chronique qui s’accompagne de nombreuses altérations métaboliques et organiques.
Chez le chien et le chat, l’obésité induit une résistance à l’insuline [3, 13]. Dans l’espèce féline, elle constitue un facteur de risque pour le développement du diabète sucré de type 2 (photo 1) [27]. Chez le chien, un état prédiabétique subclinique (insulinorésistance avec hyperinsulinémie compensatoire) associé à l’obésité est fréquent, un véritable diabète sucré étant rare [32]. Certains chiens obèses présentent toutefois une augmentation de la fructosaminémie, signe d’une tendance à l’hyperglycémie chronique [20]. D’autres modifications métaboliques sont associées à l’obésité, dont les conséquences cliniques sont encore mal connues, même si une stéatose à l’origine d’une insuffisance hépatique et des perturbations ostéo-squelettiques sont rapportées (encadré 1) [33].
Chez les carnivores domestiques, l’obésité induit une dyslipidémie caractérisée par une hypertriglycéridémie et/ou une hypercholestérolémie [25]. Chez le chat, elle est constituée par une augmentation des acides gras non estérifiés et des very low density lipoprotein VLDL [16]. Chez le chien, l’accumulation de triglycérides et de cholestérol dans les hépatocytes induit une lipidose hépatique et une hépatopathie de surcharge [33]. Les chats obèses sont également prédisposés au développement d’une lipidose hépatique lors de jeûne prolongé [4].
L’obésité, par le contexte inflammatoire qui lui est associé, inhibe la fonction thyroïdienne. Une diminution de la thyroxinémie et/ou une augmentation de la concentration sanguine en TSH sont rapportées chez une grande proportion de chiens obèses. Dans certains cas, ces modifications peuvent être interprétées comme une hypothyroïdie vraie subclinique, prédisposant au développement du surpoids (photos 2a et 2b) [20]. Dans un contexte expérimental, les chiens obèses présentent des concentrations sanguines en T4 totale et en T3 totale plus élevées que les chiens minces (restant toutefois dans les valeurs usuelles) et la perte de poids occasionne une diminution des concentrations sanguines en T3 totale et en TSH [8]. Chez le chat, le développement de l’obésité s’accompagne d’une augmentation de la T4 libre (restant également dans les valeurs usuelles) [10]. Ces modifications n’altèrent pas le diagnostic d’un dysfonctionnement thyroïdien.
Contrairement aux publications de médecine humaine, il existe peu de documentation concernant l’effet à long terme de l’obésité sur le développement de l’hypertension artérielle systémique chez le chien et le chat [26]. L’athérosclérose est absente chez le chien et le chat et n’est pas associée au surpoids en raison du ratio high density lipoproteins (HDL)-cholestérol /low density lipoproteins (LDL)-cholestérol, qui ne favorise pas cette maladie. Toutefois, les chiens et les chats obèses peuvent présenter une hyperaldostéronémie, des affections rénales et du diabète sucré, qui peuvent indirectement induire une hypertension. Chez certains chiens, une altération de la structure cardiaque est observée : elle est caractérisée par une hypertrophie myocardique. Elle est associée à une augmentation de la fonction systolique et à un dysfonctionnement diastolique [29]. Les conséquences cliniques de ces modifications cardiaques sont peu documentées. Chez le chat, aucune association n’est identifiée entre l’obésité et la cardiomyopathie hypertrophique.
Chez l’homme, l’obésité favorise le développement et/ou l’aggravation de plusieurs troubles respiratoires : hypoventilation, broncho-pneumopathie chronique obstructive, asthme, etc. Chez les carnivores domestiques, une altération de la physiologie respiratoire est documentée.
Chez le chien, l’obésité engendre également une aggravation des symptômes respiratoires lors d’obstruction des voies aériennes supérieures : paralysie laryngée, collapsus trachéal, yndrome obstructif des races brachycéphales [5].
Chez l’homme, l’obésité est susceptible d’engendrer une atteinte rénale (calculs rénaux, protéinurie). La relation entre l’obésité et les maladies rénales n’est toutefois pas bien caractérisée chez les carnivores domestiques. Une association est suspectée entre l’obésité et le développement de tumeurs mammaires et vésicales dans l’espèce canine [18].
Chez le chat, le surpoids semble prédisposer à la survenue de cystites idiopathiques et d’urolithiases [9, 15].
Chez le chien, l’obésité prédispose au développement de plusieurs troubles musculo-squelettiques : arthrose, rupture du ligament croisé, hernie discale [1, 19, 23].
Dans l’espèce féline, l’impact de l’obésité sur le développement de troubles musculo-squelettiques est probablement sous-estimé, surtout si la prévalence des processus arthrosiques chez les vieux animaux est prise en compte, parallèlement à l’augmentation de la prévalence de l’obésité.
Les animaux obèses présentent une intolérance à la chaleur et à l’exercice. Leur prise en charge médicale est compliquée par plusieurs facteurs : une augmentation de la difficulté des procédures médicales (ponctions veineuses, palpation abdominale), du risque anesthésique, ainsi que des temps et difficultés opératoires [14].
Le dépistage de l’obésité ne doit pas attendre l’installation des complications. Il est nécessaire d’alerter les propriétaires précocement. Souvent, ces derniers n’ont pas conscience de la gravité des complications liées à l’obésité, voire sont convaincus qu’un surpoids est signe de bonne santé (encadré 2). Chez le chien et le chat, il est conseillé de peser et d’enregistrer le poids de l’animal dès la première consultation de médecine préventive, ainsi qu’à chaque rappel vaccinal. L’objectif est de s’inscrire dans une démarche de prévention. Il convient d’éviter, tout particulièrement, que les animaux ne développent un surpoids dès le plus jeune âge.
une fois l’obésité installée, un bilan biologique classique doit être préconisé afin d’évaluer les conséquences multi-organiques liées à cette maladie (encadré 3).
La stratégie diagnostique peut être adaptée selon l’âge de l’animal.
Chez les jeunes animaux, un régime spécifique peut être mis en place en première intention. Les déséquilibres endocriniens sont rares et peuvent être recherchés en cas d’échec à l’amaigrissement.
Chez les animaux adultes, il semble raisonnable de proposer un bilan plus poussé, afin de rechercher certaines maladies endocriniennes prédisposant au surpoids et/ou d’évaluer les perturbations hormonales secondaires à l’obésité. La plupart des chiens et des chats obèses présentent des anomalies endocriniennes au diagnostic biologique de l’obésité (tableau 2).
Les principales maladies prédisposant au surpoids sont : l’hypothyroïdie (chien), l’hypercorticisme (chien), l’insulinome (chien), l’acromégalie (chat). Lorsqu’une telle dysendocrinie est identifiée, un traitement causal doit être envisagé concomitamment à la prise en charge nutritionnelle. L’historique médical et thérapeutique ne doit pas être négligé, car certains médicaments sont susceptibles d’entraîner une prise de poids (par exemple : les glucocorticoïdes, le phénobarbital, les progestagènes).
Certaines anomalies secondaires à l’obésité requièrent également une prise en charge spécifique. Par exemple, l’insulinorésistance liée à l’obésité est susceptible de conduire au développement d’un diabète sucré, chez le chat en particulier. Une insulinothérapie et un régime alimentaire spécifique sont nécessaires au traitement de cette dysendocrinie et un suivi rapproché est conseillé, afin d’évaluer l’évolution de la maladie suite à la levée de la glucotoxicité (une rémission clinique est possible).
Outre son rôle majeur dans le stockage des lipides, le tissu adipeux blanc est un organe à part entière en raison de son activité métabolique liée à la synthèse d’adipokines. L’obésité ne doit pas être considérée comme un trouble nutritionnel isolé. Elle s’accompagne d’un syndrome inflammatoire chronique et de nombreux dérèglements hormonaux. Elle constitue donc une maladie systémique, inflammatoire et métabolique, dont la gravité ne doit pas être sous-estimée. La plupart de ses complications seraient réversibles après le traitement du surpoids, c’est pourquoi le dépistage précoce est indispensable. Plus l’obésité est installée, plus il est difficile d’obtenir un amaigrissement notable et pérenne. Le surpoids est souvent perçu comme un signe de bonne santé par les propriétaires. L’obésité doit toujours être considérée comme une maladie grave par le vétérinaire.
(1) Voir l’article « Prolactine : au-delà de l’hormone de la lactation » de N. Soetart, dans ce numéro.
Aucun.
Chez l’homme, le syndrome métabolique est défini par la présence concomitante de plusieurs facteurs (obésité abdominale, dyslipémie, hypertension artérielle systémique et intolérance au glucose) prédisposant à la survenue d’un diabète sucré de type 2 et de maladies cardiovasculaires (athérosclérose, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral). Chez le chien, un « syndrome de dysfonctionnement métabolique » associé à l’obésité est caractérisé notamment par une hyperlipémie, une hyperglycémie à jeun, une hyperinsulinémie et une hypoadiponectinémie. Toutefois, les complications liées à ces altérations métaboliques n’ont pas encore été décrites [30]. Chez le chat, des critères définissant un « syndrome métabolique » sont établis mais la signification clinique de ces perturbations métaboliques reste également à élucider [22, 31].
→ Le tissu adipeux synthétise notamment des cytokines métaboliquement actives appelées adipokines.
→ Les adipokines exercent des actions autocrines, paracrines et endocrines sur la cascade inflammatoire et le métabolisme.
→ L’obésité engendre un syndrome inflammatoire chronique et des dérèglements métaboliques sévères.
→ Les conséquences cliniques de l’obésité sont multi-organiques et leur gravité ne doit pas être sous-estimée, même si l’aspect pléthorique de l’animal est souvent perçu par le propriétaire comme un gage de bonne santé.
Chez l’homme, le « paradoxe de l’obésité" désigne une diminution de la mortalité des patients obèses dans certaines affections telles que les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, les maladies rénales chroniques de stade terminal et les cancers. Ce terme est décrié par la communauté médicale en raison d’un grand nombre de facteurs de confusion pouvant expliquer ce constat [12]. En réalité, l’effet « protecteur » de l’obésité identifié dans les études cliniques pourrait notamment être lié à l’absence de cachexie, donc à une détection plus précoce des maladies chroniques. Chez les carnivores domestiques, le « paradoxe de l’obésité " semble peu pertinent lors d’insuffisance cardiaque congestive [11]. Il est toutefois décrit lors de maladie rénale chronique dans l’espèce canine [24]. Dans ce contexte, il ne doit pas être mal interprété et inciter les vétérinaires à favoriser le surpoids chez des animaux atteints de maladie chronique.
ENCADRÉ 3
Bilan biologique à réaliser lors d’obésité
Une mesure de la protéinémie et de l’albuminémie permet d’évaluer notamment le contexte inflammatoire (rapport albumine/globuline diminué). Une atteinte hépatique est évaluée par la mesure des activités enzymatiques des transaminases et des phosphatases alcalines. L’évaluation de la cholestérolémie et de la triglycéridémie est également pertinente (dyslipidémie liée à l’obésité). Une mesure de l’urémie et de la créatininémie (voire de la diméthylarginine symétrique), associée à une analyse urinaire, permet une évaluation de la fonction rénale. La mesure de la glycémie (diabète sucré et état prédiabétique) est indispensable, éventuellement en complément de la mesure de la fructosamine.