ANESTHÉSIE
Spécificités de l’animal pédiatrique
Auteur(s) : Delphine Holopherne-Doran
Fonctions : MSc, PhD, Dipl. ECVAA, MRCVS
Highcroft Veterinary Referrals
Wells road
BS14 9BE Bristol (Royaume-Uni)
Prendre en compte les particularités des jeunes animaux est nécessaire pour élaborer un protocole d’anesthésie “sur mesure”, avec des molécules et des gestes adaptés.
Anesthésier des chiots et des chatons dès l’âge de 2 mois est de plus en plus courant en pratique vétérinaire. C’est toutefois un exercice particulièrement délicat en raison des particularités anatomiques et physiologiques de ces jeunes animaux qui imposent une adaptation des protocoles(1) [3]. La compréhension de ces particularités, ainsi que des risques spécifiques liés à la contention chimique de ces animaux, représente l’étape préliminaire indispensable à une intervention sécurisée. L’élaboration d’un protocole d’anesthésie sûr et “sur mesure” pour le chiot et le chaton passe par le choix pertinent des molécules et la mise en place d’un certain nombre de gestes essentiels.
Une connaissance de la pharmacodynamie et de la pharmacocinétique des molécules employées en anesthésie est indispensable avant d’envisager leur usage chez le chiot et le chaton. Les principales caractéristiques, doses, indications et limites des molécules les plus couramment utilisées en médecine vétérinaire chez ces jeunes animaux doivent être connues (tableau).
L’anesthésie est idéalement envisagée après une période de jeûne limitée, allant de 2 à 4 heures au maximum chez les animaux les plus jeunes (2 mois), jusqu’à un maximum absolu de 6 heures chez les préadultes (4 à 6 mois). La mesure de la glycémie en phase préopératoire permet d’anticiper un état hypoglycémique et de mettre en place, le cas échéant, une supplémentation fluidique en glucose [1, 3].
Le stress préopératoire doit être, autant que possible, limité. Des “astuces” pour favoriser une procédure peu anxiogène peuvent être adoptées, comme garder l’animal enroulé dans un vêtement familier et dans les bras d’un assistant pour la contention, appliquer une crème anesthésique locale (Emla®(2), mélange de lidocaïne et de prilocaïne) avant la pose d’une voie veineuse, réaliser la sédation par voie intramusculaire, dans un environnement calme, etc.
Une supplémentation en oxygène au masque, en préinduction, pendant au moins 5 minutes, est recommandée afin de limiter les risques d’hypoxémie lors de l’induction. Un “préchauffage” (prewarming) de l’animal est également conseillé, à l’aide d’une soufflerie d’air chaud et d’une couverture adaptée, pendant 5 à 10 minutes au minimum avant l’intervention, pour limiter la perte thermique initiale lors de l’anesthésie et l’hypothermie encourue (photo 1). Toutes ces mesures préventives n’ont de sens que si elles peuvent être mises en place sans augmenter significativement le niveau de stress de l’animal.
Le choix de la prémédication dépend de l’animal, ainsi que de l’intervention à réaliser. Chez les plus jeunes (2 à 4 mois), l’utilisation de sédatifs tels que l’acépromazine ou les alpha2-agonistes n’est pas recommandée, en raison de leurs effets dépresseurs et/ou de leurs particularités pharmacodynamiques [1]. Le recours à un opioïde seul est donc, bien souvent, la solution retenue [2]. Il est administré de 5 minutes (butorphanol, méthadone, fentanyl) à une demi-heure (buprénorphine) avant l’induction. Le choix de l’opioïde repose essentiellement sur les caractéristiques pharmacodynamiques, en termes d’analgésie et de sédation :
– le butorphanol, même utilisé seul, procure une sédation intéressante, mais une analgésie faible. Il est donc réservé à des procédures peu ou pas douloureuses ;
– les agonistes µ purs (méthadone, fentanyl) ou partiels (buprénorphine), quant à eux, sont préférés dans un contexte chirurgical. Outre la supériorité de leurs effets analgésiques, la méthadone et le fentanyl présentent également l’avantage d’être plus faciles à titrer, ce qui rend leur utilisation relativement sûre chez le jeune animal. Leurs potentiels effets indésirables doivent cependant être anticipés, en particulier les effets dépresseurs respiratoires et cardiovasculaires (bradycardie). Ainsi, des mesures importantes doivent être mises en place en cas de recours à ces molécules, comme administrer de l’oxygène, suppléer la ventilation (via un respirateur ou par simple ventilsation manuelle) et disposer d’anticholinergiques. Lors de surdosage chez le chiot ou le chaton, l’administration d’un antagoniste (naloxone à raison de 0,04 mg/kg) est toujours possible [2]. Les benzodiazépines (midazolam, diazépam) sont parfois associées aux opioïdes en prémédication, mais au-delà de l’âge de 2 mois, leurs effets sédatifs deviennent plus aléatoires. Elles sont donc plutôt réservées à un usage en coinduction.
L’induction de l’anesthésie chez le chiot et le chaton peut se faire par voie injectable – à condition de disposer d’une voie intraveineuse – ou par voie volatile, de préférence au masque. L’induction par voie intramusculaire est possible (anesthésiques dissociatifs, éventuellement alfaxalone, hors autorisation de mise sur le marché [AMM]), en particulier chez les chiots les plus âgés (4 à 6 mois). Toutefois, elle n’est pas privilégiée car plus aléatoire, en raison des particularités pharmacocinétiques du jeune, et potentiellement traumatique, en lien avec une masse musculaire peu développée. Pour l’induction au masque, il est recommandé d’utiliser le sévoflurane plutôt que l’isoflurane (effet plus rapide, mieux toléré) et d’éviter les pourcentages trop élevés (3 à 4 % au maximum) afin de limiter les risques de surdosage [3].
Lors d’induction intraveineuse, le propofol, l’alfaxalone ou les anesthésiques dissociatifs peuvent être employés, au choix. Le propofol et l’alfaxalone, bien que dotés d’effets dépresseurs plus marqués que les anesthésiques dissociatifs, présentent l’avantage d’être plus facilement titrables, ce qui les rend particulièrement appropriés chez les jeunes animaux pour lesquels la pharmacocinétique se révèle parfois aléatoire. Ils sont ainsi injectés lentement jusqu’à l’obtention de l’effet désiré, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’intubation endotrachéale soit possible.
L’intubation trachéale est toujours recommandée [3]. Elle est parfois délicate chez ces animaux de petite taille et nécessite de disposer d’une gamme de tubes endotrachéaux adaptés (jusqu’à 2 mm sans ballonnet pour les plus petits gabarits). Si l’intubation se révèle impossible, l’utilisation d’un masque, le plus ajusté possible, est envisageable. Le recours aux dispositifs laryngés (Vgel® par exemple) n’est pas conseillé chez le jeune animal car ils tendent à stimuler de façon excessive les réflexes laryngés et à favoriser les vomissements [3].
Le maintien de l’anesthésie par inhalation (anesthésie volatile) est la solution à privilégier, car elle permet d’ajuster finement la profondeur de l’anesthésie aux besoins de l’animal [1, 3].
Pendant la procédure d’entretien, une surveillance étroite du chiot ou du chaton est indispensable, étant donné les réserves fonctionnelles limitées de ces animaux immatures.
La fréquence cardiaque doit impérativement être maintenue pour garantir le maintien de la pression artérielle et de la perfusion périphérique [1, 3]. La pression artérielle est en général légèrement moins élevée chez le jeune que chez l’adulte. Sa valeur moyenne, autour de 60 mmHg, est assez commune et considérée comme normale, d’autant plus si la fréquence cardiaque n’est pas trop basse (idéalement maintenue au-dessus de 100 battements par minute, absolument au-dessus de 80 bpm en l’absence d’alpha2-agonistes dans le protocole). Le recours aux anticholinergiques est à envisager si l’animal présente une pression artérielle basse (pression artérielle moyenne inférieure à 60 mmHg) associée à une fréquence cardiaque diminuée.
Les conséquences d’une dépression respiratoire importante pouvant se révéler rapidement dramatiques chez les jeunes animaux, la surveillance de la respiration est également indispensable. En cas de dépression respiratoire importante, il est conseillé de se préparer à suppléer la ventilation spontanée, à l’aide d’un ventilateur mécanique ou en ventilant manuellement l’animal [3]. Idéalement, la surveillance doit être réalisée sous le contrôle d’un moniteur adapté, a minima un capnographe. Il est recommandé au praticien amené à ventiler un chiot ou un chaton de disposer d’un spiromètre car les volumes ventilés peuvent être très faibles, de l’ordre de 8 à 10 ml/kg pour commencer, avec des fréquences respiratoires relativement élevées (15 à 40 mouvements par minute) et des pressions de ventilation ne dépassant pas 12 cmH2O (en général d’environ 8 à 10 cmH2O).
Durant toute l’intervention, la glycémie et la température doivent être régulièrement contrôlées. L’administration de fluides cristalloïdes isotoniques est conseillée (dose de base de 3 à 5 ml/kg chez le chiot, 2 à 3 ml/kg chez le chaton), si possible réchauffés, et additionnés de glucose au besoin. Le maintien de la normothermie, essentiel tout au long de la procédure, est réalisé grâce à la limitation des pertes thermiques (isolation des surfaces de contact froides, de l’air ambiant, réchauffement des fluides de perfusion et de lavage abdominal, etc.), ainsi que par le réchauffement actif de l’animal (tapis chauffant, soufflerie d’air chaud, bouillottes).
Le contrôle de la douleur chez le chiot et le chaton suit des recommandations similaires à celles communément appliquées aux adultes : l’analgésie se veut multimodale, précoce et adaptée. En parallèle de l’utilisation d’opioïdes, celle d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) doit être considérée lors d’interventions douloureuses (chirurgie notamment), dans le respect des indications de leur AMM. La plupart des AINS injectables sont utilisables chez le chiot de plus de 6 à 8 semaines et chez le chaton de plus de 4 à 5 mois. Leur administration sûre en période préopératoire ou peropératoire suppose un contrôle de l’hémodynamique de l’animal, en particulier le maintien d’une pression artérielle normale. Le recours à une anesthésie locale ou locorégionale est également conseillé, dès que cela est possible et approprié chez les jeunes animaux. Ces techniques, même les plus simples (application transcutanée de crème Emla® par exemple, avant une cathétérisation intraveineuse ou sur une zone cutanée abrasée, infiltrations sous-cutanées d’une plaie chirurgicale, application directe dans les plaies ou sur les muqueuses, injection intratesticulaire, etc.) permettent une prise en charge efficace de la douleur peropératoire et/ou postopératoire et une diminution significative des besoins en anesthésiques. Les volumes d’anesthésique local à utiliser sont en général assez faibles chez les chiots et les chatons, et doivent être calculés avec beaucoup d’attention afin d’éviter les surdosages (dose recommandée de lidocaïne chez le chat de 1 à 4 mg/kg, chez le chien de 2 à 6 mg/kg ; dose recommandée de bupivacaïne de 1 à 2 mg/kg chez les 2 espèces). En cas de surdosage, les premiers effets indésirables observés sont d’ordre neurologique chez un animal conscient (dépression de la vigilance, tremblements, convulsions). Chez un animal anesthésié, ces signes sont en général masqués et les premiers symptômes de toxicité sont alors cardiovasculaires (bradycardie, brady-arythmies, hypotension).
La phase de réveil est bien souvent la plus risquée chez les jeunes animaux. Le maintien du monitorage et des thérapeutiques de support (fluidothérapie incluant l’administration de glucose si nécessaire, réchauffement, oxygénothérapie, etc.) est essentiel. Malgré des mesures préventives et curatives mises en place en phases peropératoire et postopératoire, il n’est pas rare d’observer une diminution significative de la température corporelle chez ces jeunes animaux, qui peut parfois chuter jusqu’à 30 °C. Dans ces cas, le réveil en incubateur (“couveuse”) apparaît comme la solution la plus efficace, et présente également l’avantage de garder l’animal dans une atmosphère enrichie en oxygène. En effet, maintenir une supplémentation en oxygène est primordial durant la phase de réveil (photo 2). Cela permet de garantir une oxygénation optimale de l’animal qui peut encore être sujet aux effets dépresseurs respiratoires des anesthésiques et dont les besoins en oxygène risquent d’être accrus pendant cette phase de réchauffement (frissons).
L’anesthésie des chiots et des chatons de plus de 2 mois est un acte délicat dont les risques inhérents peuvent être maîtrisés par une simple application des bonnes pratiques anesthésiques. Si une telle procédure nécessite indubitablement une attention particulière, elle ne doit toutefois pas être considérée comme irréalisable et ne doit pas effrayer outre mesure le praticien.
(1) Voir l’article « Considérations préanesthésiques chez le chiot et le chaton » de D. Holopherne-Doran dans ce numéro.
(2) Médicament à usage humain.
Aucun.
→ Le jeûne préanesthésique doit être limité dans le temps (2 à 6 heures selon l’âge de l’animal).
→ Les opioïdes sont très souvent la seule prémédication utilisable chez le chiot et le chaton.
→ Le choix du protocole anesthésique doit s’orienter vers des molécules titrables, à faible durée d’action et facilement métabolisées et/ou éliminées.
→ Le monitorage et le contrôle de la glycémie, de la température corporelle, de l’oxygénation et de l’hémodynamique sont des éléments clés en anesthésie vétérinaire pédiatrique.