NEUROLOGIE
Spécificités de l’animal pédiatrique
Auteur(s) : Maud Debreuque*, Jean-Laurent Thibaud**
Fonctions :
*Service de médecine interne/Urgences et soins intensifs
ENV de Toulouse
23, chemin des Capelles
31300 Toulouse
**Micen Vet
58, rue Auguste Perret
94000 Créteil
***Dipl. ECVN
Micen Vet
58, rue Auguste Perret
94000 Créteil
Le système nerveux des chiots et des chatons est en plein développement et encore immature à certains âges. L’examen neurologique présente donc des particularités à connaître afin d’en interpréter au mieux les conclusions.
L’examen neurologique du chiot ou du chaton représente parfois un véritable challenge pour le vétérinaire. Le manque de coopération fréquent du jeune animal et la particularité de ses réactions aux stimuli extérieurs, dans un environnement nouveau, rendent l’examen délicat, d’autant plus pendant une période où son système nerveux est en plein développement. Afin de mieux appréhender cette étape primordiale dans la prise en charge d’une potentielle atteinte neurologique, les différents moments de l’examen neurologique sont abordés de façon chronologique, en spécifiant les particularités inhérentes au jeune âge de l’animal (encadré, fiche complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr) [2, 5].
Lors de l’examen à distance, il convient d’observer l’animal en liberté dans la salle de consultation, sans contrainte et dans un environnement inconnu. Cela permet d’évaluer non seulement son état de conscience, son comportement exploratoire et les interactions avec les personnes présentes, mais également ses fonctions visuelles et sa démarche.
Évaluer la “normalité” du comportement d’un jeune animal est parfois délicat. Il peut en effet osciller de manière habituelle entre un état d’hyperactivité intense, associé à la découverte d’un environnement nouveau, et un état de sommeil profond, qui occupe la majeure partie de son temps. Si le jeune animal semble endormi, il convient de le réveiller et d’essayer de le faire jouer afin d’évaluer son état de vigilance. De même, sans le solliciter, tout en faisant le point sur les commémoratifs avec le propriétaire par exemple, il convient d’observer s’il se calme, s’assied ou se couche, même après une période d’excitation correspondant à l’entrée dans la salle. Pour les très jeunes chiots ou chatons, il est intéressant de pouvoir les comparer avec un ou plusieurs animaux de la même portée, considérés comme sains, afin d’évaluer plus objectivement d’éventuelles anomalies.
L’attitude, la posture et la démarche de l’animal sont observées, tandis que d’éventuels mouvements anormaux sont repérés durant cet examen à distance.
L’attitude se réfère à la position de la tête et des yeux par rapport au corps. Une attitude anormale peut se traduire par un port de tête bas, penché (torticolis) ou tourné (latérocolis) [3]. Dès la naissance, le jeune est capable de lever la tête et dispose d’un système vestibulaire fonctionnel, deux aptitudes qui lui permettent de se positionner correctement durant la tétée [4]. Néanmoins, son attitude apparaît parfois asymétrique en raison d’un manque de coordination musculaire.
La posture se réfère à la position du corps (tronc et membres) en rapport avec la gravité. Au cours des premiers jours de vie, le chiot présente une posture dite fléchie, caractérisée par une hypertonicité des muscles fléchisseurs, qui est notamment visible lorsque l’animal est maintenu suspendu (typiquement lorsqu’il n’est tenu qu’au niveau des épaules, avec les membres pelviens qui pendent). Après 4 à 5 jours de vie, une hypertonicité des muscles extenseurs se met en place et persiste jusqu’à l’âge de 3 à 4 semaines. Chez le chaton, les bornes de ces périodes sont plus variables [1, 4].
Avant l’âge de 10 à 14 jours, le jeune ne peut pas se maintenir debout correctement et présente une posture aléatoire. Dès l’âge de 1 mois, son attitude et sa posture deviennent symétriques, car il est capable de supporter son poids, réparti de manière égale sur ses quatre membres [4].
La capacité d’un nouveau-né ou d’un jeune animal à se déplacer est corrélée au développement du système moteur et proprioceptif, notamment lié au développement cérébelleux à la naissance. Dans des espèces herbivores comme le cheval, les nouveau-nés sont capables de se déplacer dans les heures suivant leur naissance, grâce à un développement cérébelleux quasiment complet. Il est en effet essentiel, pour ces espèces dites nidifuges, de pouvoir se lever pour fuir ou se nourrir le plus tôt possible. Chez les espèces dites altriciales ou nidicoles, comme les espèces canine et féline, les animaux naissent incapables de se déplacer ou de se nourrir seuls. Leur cervelet continue à se développer au cours des premières semaines de vie [6]. Ainsi, le chiot ou le chaton ne commencent à se déplacer qu’à environ 3 semaines d’âge, de manière incoordonnée (tableau 1). Avant cela, le jeune avance par reptation, selon des mouvements dits “de nageur” qui lui permettent de se traîner sur son thorax et son abdomen. Une démarche coordonnée ne se manifeste réellement qu’à partir de 6 à 8 semaines de vie (photo 1) [4].
Même si sa démarche peut sembler ataxique et incoordonnée, en rapport avec son âge, aucun mouvement anormal ne doit être observé chez le jeune en dehors d’une situation pathologique. Ainsi, une myoclonie, une marche en cercle ou un pousser au mur doivent toujours être considérés comme des anomalies à prendre en compte.
Seuls des tremblements de la tête sont parfois observés durant les 3 premières semaines de vie, période pendant laquelle l’animal se déplace en rampant et où le système cérébelleux est encore en maturation.
Les différents groupes musculaires, le squelette et les articulations doivent être palpés attentivement. L’évaluation de l’état de la peau et des griffes permet de repérer les signes associés à une éventuelle ataxie, parésie ou douleur. Par ailleurs, cela permet de détecter d’éventuelles anomalies susceptibles de perturber l’interprétation des réactions posturales ou des réflexes médullaires.
Différentes réactions posturales permettent de révéler, ou de confirmer, un déficit neurologique absent ou suspecté jusqu’à cette étape de l’examen neurologique. Certaines sont plus facilement réalisables et interprétables selon l’espèce, le poids et la coopération de l’animal.
Ainsi, les placers proprioceptifs sont difficiles à réaliser chez le chat, qui n’apprécie généralement pas le maintien de ses membres. Dans cette espèce, les placers tactiles sont à privilégier dès l’âge de 3 à 5 semaines, ainsi que les réactions de sautillement, interprétables à partir de 6 à 8 semaines (photo 2). Dès 2 mois environ, toutes les réactions posturales peuvent être interprétées tant chez le chiot que chez le chaton (photos 3a et 3b) [3].
La réalisation des réflexes médullaires permet d’évaluer différents arcs réflexes qui mettent systématiquement en action un nerf sensitif afférent et un nerf moteur efférent (motoneurone périphérique). Tous les réflexes médullaires (appendiculaire, cutané du tronc et périnéal) sont présents quasiment dès la naissance. Il peut toutefois être délicat de les mettre en évidence en raison de la taille, du manque de coopération de l’animal, ou de l’hypertonicité des muscles extenseurs (jusqu’à l’âge de 3 à 4 semaines) [1, 4]. Un réflexe d’extension croisée controlatérale, associé au réflexe de retrait, peut être observé au cours des 15 premiers jours de vie chez le chaton et des 3 premières semaines chez le chiot, en raison d’un manque de myélinisation des motoneurones centraux [4]. Au-delà de ces périodes, sa présence doit, comme chez l’adulte, orienter vers une possible lésion de type motoneurone central, en raison d’un manque d’inhibition controlatérale des muscles extenseurs.
Le système sensoriel est fonctionnel dès la naissance. Ainsi, une partie de ce système est testée via l’évaluation des réflexes, qui permet de contrôler à la fois la fonction des motoneurones périphériques et celle des neurones sensitifs afférents. La nociception, qui est la capacité de percevoir un stimulus douloureux et d’élaborer une réponse consciente consécutive, peut également être évaluée dès la naissance : le pincement soutenu des membres thoraciques et pelviens entraîne une réaction de défense de l’animal, souvent moins rapide chez le nouveau-né que chez l’adulte, caractérisée par une extension lente du membre controlatéral et des vocalises [4, 5].
Chez l’adulte, l’examen des nerfs crâniens constitue généralement la dernière étape de l’examen neurologique, pour ne pas risquer de stresser l’animal dès les premiers moments en s’approchant de sa face. Chez le jeune animal, cette étape peut toutefois être réalisée en premier, avec le moins de contrainte possible, afin d’obtenir une plus grande coopération de sa part [2].
La majorité des réflexes permettant d’évaluer les nerfs crâniens apparaissent dans les jours qui suivent la naissance, ou dès l’ouverture des paupières, vers l’âge de 10 à 16 jours chez le chiot, de 5 à 14 jours chez le chaton (tableau 2).
La réponse à la menace peut être absente jusqu’à l’âge de 10 à 12 semaines chez le chiot ou le chaton, âge auquel les capacités visuelles sont complètes [2]. En effet, cette réponse n’est pas innée et résulte d’un processus appris, dépendant du développement postnatal du système nerveux central. Pour évaluer la vision chez ces jeunes animaux, il convient d’observer leur capacité à suivre des objets se déplaçant dans leur environnement. Néanmoins, malgré l’absence potentielle de clignement à la menace jusqu’à 3 mois, une amorce de réflexe palpébral et un clignement à la lumière à travers les paupières peuvent être observés au cours des 4 premiers jours de vie. Il témoigne de la capacité précoce de ces animaux à protéger leurs yeux, même si les paupières ne sont pas encore ouvertes [4].
Un strabisme divergent est parfois présent jusqu’à l’âge de 8 semaines chez certains jeunes et disparaît au-delà de cet âge [2].
Avant 3 semaines, la stimulation tactile de la zone buccale déclenche un réflexe de succion, propre au nouveau-né. Après cet âge, l’insertion d’un doigt dans la cavité buccale doit plutôt entraîner un réflexe de rejet, puis de déglutition [4].
Les oreilles moyenne et interne sont entièrement développées dès la naissance. Le conduit auditif externe, non perforé à la naissance, s’ouvre entièrement entre 12 et 14 jours chez le chiot et entre 6 et 14 jours chez le chaton. À partir de cette période, le système auditif semble fonctionnel, comme en témoigne l’obtention de potentiels évoqués auditifs, et un réflexe de sursaut peut être visible à la suite d’un bref stimulus auditif [1, 4]. Les potentiels évoqués auditifs obtenus chez un chiot ou un chaton sont similaires à ceux d’un adulte, respectivement à partir de 3 à 4 semaines et de 4 à 5 semaines [4].
L’olfaction, qui met en jeu le nerf olfactif, est présente dès la naissance mais reste peu développée. Comme chez l’adulte, la réaction à la nourriture peut être le meilleur moyen d’évaluer cette fonction.
La prise en charge d’un jeune animal suspecté d’être atteint d’un trouble nerveux apparaît délicate pour le vétérinaire, en raison de la difficulté à réaliser et à interpréter l’examen neurologique. L’évaluation du chiot ou du chaton doit donc reposer sur la connaissance de certaines particularités, inhérentes à leur système nerveux parfois immature et en plein développement, mais aussi au caractère naïf et peu coopératif de l’animal. Son jeune âge doit inciter le praticien à être très rigoureux afin de pouvoir établir, de manière objective, l’existence et la localisation de la lésion neurologique. Cette étape permet ainsi de fonder un diagnostic différentiel hiérarchisé adapté. Le diagnostic étiologique sera développé dans les articles suivants s’intéressant aux principales affections neurologiques du chiot et du chaton(1).
(1) Voir les articles “Maladies inflammatoires du système nerveux” et “Maladies congénitales, dégénératives et métaboliques” de M. Debreuque, dans ce numéro.
Aucun.
L’évaluation neurologique d’un animal repose sur plusieurs étapes qu’il est important de respecter scrupuleusement.
– Déterminer la nature neurologique des symptômes observés par le propriétaire, ou en l’absence de signe constaté (visite vaccinale par exemple), détecter des anomalies passées inaperçues à l’aide d’un interrogatoire ciblé du propriétaire.
– Définir le caractère pathologique des anomalies rapportées par le propriétaire et des observations recueillies lors de l’examen neurologique, en prenant en compte l’âge de l’animal.
– Localiser la lésion à partir des symptômes décrits et des anomalies de l’examen neurologique.
– Établir un diagnostic différentiel hiérarchisé fondé sur la neurolocalisation, mais aussi sur les caractéristiques épidémiologiques et les circonstances d’apparition et d’évolution des symptômes.
Les deux premières phases sont particulièrement délicates chez le jeune. En effet, il est difficile, pour le propriétaire, d’apprécier la présence de symptômes neurologiques chez un animal au comportement si particulier. De même, il peut être complexe, pour le vétérinaire, d’interpréter correctement les différentes observations.
→ L’examen neurologique est une étape indispensable de la prise en charge d’un animal dans le cadre de la suspicion d’une atteinte nerveuse.
→ Toutes les étapes de l’examen neurologique doivent être respectées et adaptées au jeune animal.
→ La présence de mouvements anormaux (myoclonie, marche en cercle ou pousser au mur) doit toujours être considérée comme le signe d’une atteinte neurologique, même chez le jeune.
→ Les réactions posturales peuvent être difficiles à interpréter avant l’âge de 8 semaines environ.
→ Dès les premiers jours de vie, la majorité des réflexes médullaires et crâniens sont présents.
→ Avant l’âge de 4 mois environ, le clignement à la menace peut être aléatoire et doit être interprété avec précaution.