Particularités de l’examen hématobiochimique chez le chiot et le chaton - Ma revue n° 019 du 01/01/2019 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 019 du 01/01/2019

HÉMATOLOGIE ET BIOCHIMIE

Spécificités de l’animal pédiatrique

Auteur(s) : Nicolas Soetart*, Laetitia Jaillardon**

Fonctions :
*LDHVet-LabOniris
101, route de Gachet
CS 50707, 44307 Nantes Cedex 3
**PhD, Dip. ECVCP

La croissance et la maturation des fonctions organiques ont lieu au cours des six premiers mois environ de la vie d’un chiot ou d’un chaton. Durant cette période, les résultats des principaux examens hématobiochimiques peuvent différer par rapport à ceux des adultes.

La croissance et l’immaturité des fonctions organiques ont un impact sur les résultats des principaux examens hématobiochimiques chez le chiot et le chaton. Il est toutefois impossible de rapporter des intervalles de référence précis, dans la mesure où les données de la littérature manquent et que des animaux du même âge ne sont pas forcément au même stade de maturation : la croissance est notamment plus lente chez ceux de grand gabarit. Les principales variations physiologiques connues chez le jeune animal, en comparaison de l’adulte, sont détaillées dans cet article (tableau) [1, 3, 6, 8].

MÉTABOLISME RÉNAL

À la naissance, la néphrogenèse est incomplète. Le débit de filtration glomérulaire augmente progressivement jusqu’à l’âge de 9 à 10 semaines [4].

1. Analyse d’urine

Durant les premières semaines, la densité urinaire est diminuée par rapport à l’adulte, signe de l’immaturité fonctionnelle du rein. Des traces de protéines et de glucose peuvent être retrouvées sur une bandelette urinaire et sont la conséquence de l’immaturité tubulaire. L’analyse du rapport protéinurie/créatininurie (RPCU) est peu informative chez le très jeune animal.

Après 2 mois d’âge, les caractéristiques biologiques des urines sont comparables à celles de l’animal adulte.

2. Examens sanguins

Durant les premiers jours de vie, l’urémie et la créatininémie augmentent jusqu’à se rapprocher des valeurs de l’adulte. Puis, ces deux variables diminuent rapidement, en quelques jours, et restent en deçà des valeurs de référence observées chez l’adulte jusqu’à la fin de la croissance. Cela s’explique par un catabolisme protéique limité et une masse musculaire relativement plus faible.

L’ionogramme est peu modifié chez le jeune animal. Seule la kaliémie, chez le chien, apparaît légèrement plus basse jusqu’à l’âge de 4 semaines, ce qui pourrait s’expliquer par l’immaturité fonctionnelle rénale et par la disparition progressive des pompes sodium-potassium (Na+/K+) présentes in utero à la surface des hématies. Ainsi, chez le jeune chien, il est d’autant plus important de respecter des conditions préanalytiques strictes pour mesurer la kaliémie (séparation et analyse immédiate, absence d’hémolyse).

Certains auteurs rapportent un pic de la kaliémie autour de l’âge de 6 à 8 semaines, puis un retour progressif aux concentrations de l’adulte [3, 7]. Chez le chat, une évolution comparable est probable, bien que les données de la littérature soient peu nombreuses.

MÉTABOLISME HÉPATIQUE

La principale modification hépatique postnatale est la fermeture du ductus venosus, à l’origine d’une circulation porte fonctionnelle à partir du deuxième ou troisième jour de vie (anatomiquement, cette fermeture peut toutefois n’être totale qu’à l’âge de 3 mois chez certains individus). Par ailleurs, les fonctions métaboliques, énergétiques notamment, se mettent en place progressivement [7].

1. Marqueurs fonctionnels

– Acides biliaires : les performances diagnostiques de leur mesure, en période préprandiale et postprandiale, sont équivalentes à celles observées chez l’adulte à partir de l’âge de 4 semaines. Chez le chaton dont l’alimentation est déficiente en taurine, la concentration en acides biliaires est très diminuée [5].

– Ammoniac : une hyperamoniémie transitoire, non associée à un shunt porto-systémique, est possible chez l’irish wolfhound jusqu’à l’âge de 13 semaines. Elle pourrait être due à un défaut enzymatique congénital intéressant le cycle de l’urée [9]. Ainsi, chez cette race en particulier, il est préférable de réaliser une mesure des acides biliaires pour le diagnostic des maladies vasculaires hépatiques congénitales.

– Bilirubinémie : une hyperbilirubinémie modérée transitoire peut être présente jusqu’à l’âge de 2 à 4 semaines. Son origine est probablement similaire à celle de l’ictère du nourrisson observé chez l’homme, avec une production augmentée, une immaturité hépatique (défaut de conjugaison) et un accroissement du cycle entérohépatique (immaturité du microbiote).

– Bilan protéique : il est modifié chez le jeune chien, avec une protéinémie totale et une albuminémie inférieures à celles de l’adulte. L’albuminémie devient équivalente à celle de l’adulte à partir de 4 à 8 semaines d’âge. La globulinémie augmente progressivement jusqu’à l’âge de 6 mois (avec néanmoins une forte variabilité individuelle), signe de l’acquisition d’une immunocompétence. Les déficits en immunoglobulines sont donc délicats à mettre en évidence avant 6 mois, en raison de l’absence de dosage spécifique des immunoglobulines disponible en routine dans les laboratoires spécialisés vétérinaires et de l’intérêt limité de l’électrophorèse des protéines sériques et de l’immunoélectrophorèse. Une cinétique (2 mesures à quelques semaines d’intervalle) serait probablement plus intéressante qu’une analyse isolée. Aucune donnée n’est publiée chez le chat, toutefois une évolution comparable peut être présumée. Par ailleurs, en cas de déshydratation au cours des 7 premiers jours de vie, la protéinémie et l’albuminémie sont peu modifiées, par comparaison avec l’adulte chez lequel l’albuminémie augmente significativement [2]. L’hématocrite pourrait être un meilleur reflet du statut hydrique à cet âge.

– Bilan lipidique : l’alimentation lactée entraîne une hypercholestérolémie et une hypertriglycéridémie. La concentration sanguine en lipides diminue ensuite progressivement jusqu’à l’âge de 6 mois à 1 an, en parallèle de la mise en place d’un métabolisme des lipoprotéines fonctionnel. La diminution de la cholestérolémie et de la triglycéridémie doit faire suspecter en priorité une alimentation insuffisante en quantité et/ou en qualité.

– Glycémie : la néoglucogenèse et la glycogénolyse hépatiques sont déficientes chez le nouveau-né. La principale source de glucose est donc alimentaire, ce qui implique une plus grande prédisposition de ces jeunes animaux à l’hypoglycémie de jeûne, particulièrement ceux de taille miniature.

2. Activités enzymatiques

L’activité des enzymes hépatiques est impactée par la prise colostrale (phosphatases alcalines [PAL], gamma glutamyl-transférases [GGT]) et par la croissance (isoenzymes musculaires (aspartate aminotransférase [Asat], alanine aminotransférase [Alat]) et osseuses [PAL]).

En pratique, l’activité des transaminases augmente au cours des premiers jours de vie, mais est toujours en deçà de celle rapportée chez l’adulte. En revanche, l’activité des PAL reste élevée jusqu’à la fin de la croissance (en raison d’une augmentation d’origine ostéoblastique). Sa valeur s’accroît parallèlement à la taille de l’animal.

MÉTABOLISME PHOSPHOCALCIQUE

Chez le chien, l’alimentation lactée et la croissance osseuse (par résorption/accrétion) entraînent une hypercalcémie et une hyperphosphatémie (avec conservation d’un rapport phosphocalcique égal à 2) jusqu’à la fin de la croissance. Chez le chat, il semble que la calcémie et la phosphatémie soient équivalentes à celles de l’adulte dès l’âge de 3 mois.

En pratique, les désordres phosphocalciques chez le jeune résultent le plus souvent d’erreurs alimentaires (déficit en vitamine D et calcium, excès de phosphore) et de leur correction (supplémentation inadéquate en vitamine D), qu’il est important de déceler rapidement pour éviter des conséquences irréversibles telles qu’une déformation osseuse ou un retard de croissance [7].

HÉMATOLOGIE

À la naissance, la numération des hématies, l’hémoglobinémie et l’hématocrite sont généralement équivalentes à celles de l’adulte, puis diminuent presque de moitié dès le deuxième jour pour augmenter de nouveau progressivement jusqu’à l’âge de 6 mois [1, 6, 8]. Cela traduit la disparition des hématies maternelles et la maturation progressive des systèmes hématopoïétiques (augmentation de la production et allongement de la durée de vie des globules rouges). Le volume globulaire moyen est très élevé à la naissance (environ 90 femtolitres, versus 60 à 77 fl selon les valeurs de référence chez l’adulte) et diminue progressivement pour atteindre l’intervalle de référence de l’adulte à 6 mois. En parallèle, avant l’âge de 4 mois, il est classique d’observer des signes de régénération sur le frottis sanguin (polychromatophilie, érythroblastes acidophiles), d’autant plus marqués que l’hématocrite est bas (photo).

La numération leucocytaire est généralement à la limite supérieure de l’intervalle de référence de l’adulte (voire légèrement augmentée) jusqu’à l’âge de 6 mois. Il est possible, mais pas systématique, d’observer une lymphocytose physiologique qui participe à cette tendance à la leucocytose.

Conclusion

Les résultats d’un bilan biologique chez un chiot ou un chaton en croissance s’interprètent majoritairement à la lumière de l’immaturité des principales fonctions organiques. Face à une variabilité individuelle parfois importante, il peut être plus informatif de réaliser un suivi biologique afin d’apprécier l’évolution des variables au cours du temps chez un même animal.

Références

  • 1. Ishii T, Hori H, Ishigami M et coll. Background data for hematological and blood chemical examinations in juvenile beagles. Exp. Anim. 2013;62 (1):1-7.
  • 2. Lawler DF. Neonatal and pediatric care of the puppy and kitten. Theriogenology. 2008;70:384-392.
  • 3. Gorman ME. Clinical chemistry of the pupppy and kitten. Peterson ME, Kutzler MA (Ed). Small animal pediatrics: the first 12 months of life. St Louis (MO), WB Saunders. 2011:259-275.
  • 4. Grundy SA. Clinically relevant physiology of the neonate. Vet. Clin. Small Anim. 2006;36:443-459.
  • 5. Rentschler LA, Hirschberger LL, Stipanuk MH. Response of the kitten to dietary taurine depletion: effects on renal reabsorption, bile acid conjugation and activities of enzymes involved in taurine synthesis. Comp. Biochem. Physiol. B. 1986;84 (3):319-325.
  • 6. Rosset E, Rannou B, Casseleux G, Chalvet-Monfray K, Buff S. Age-related changes in biochemical and hematologic variables in Borzoi and Beagle puppies from birth to 8 weeks. Vet. Clin. Pathol. 2012;41/2:272-282.
  • 7. Siliart B. Endocrinologie du métabolisme phosphocalcique. Point Vét. 2019;numéro spécial (49):94-100.
  • 8. Von Dehn B. Pediatric clinical pathology. Vet. Clin. Small Anim. 2014;44:205-219.
  • 9. Zandvliet MM, Rothuizen J. Transient hyperammonemia due to urea cycle enzyme deficiency in Irish wolfhounds. J. Vet. Intern. Med. 2007;21 (2):215-218.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Les principaux organes qui contrôlent l’homéostasie ne sont matures que vers l’âge de 6 à 8 mois.

→ L’utilisation chez un très jeune animal des valeurs de référence établies pour l’adulte peut conduire à une mauvaise appréciation de son état.

→ L’évaluation de la fonction rénale doit tenir compte de variables sanguines (urée, créatinine) plus faibles chez le jeune en croissance que chez l’adulte. Les capacités de concentration urinaire sont par ailleurs équivalentes à celle de l’adulte vers l’âge de 2 mois. L’ionogramme est, quant à lui, peu modifié.

→ Le dosage des acides biliaires est adapté à l’évaluation de la fonction hépatique chez le jeune en croissance.

→ Une légère anémie régénérative, ainsi qu’une leucocytose modérée (par rapport aux valeurs de référence de l’adulte) sont banales chez le jeune animal.