OTO-RHINO-LARYNGOLOGIE
Dominantes pathologiques : démarche diagnostique et traitement
Auteur(s) : Florent Modesto
Fonctions : (IPSAV, DABVP exotic companion mammals)
My Exotic Vet SRL
Clinique vétérinaire Brasseur
6, rue Dechamps
7170 Manage (Belgique)
Les rhinites chroniques constituent un défimédical pour les praticiens. Une démarche raisonnée est primordiale pour proposer le meilleur protocole thérapeutique aux propriétaires.
Les affections des voies respiratoires supérieures sont fréquemment diagnostiquées chez les lapins de compagnie [10]. Un traitement symptomatique des cavités nasales est souvent entrepris en première intention, sans évaluation réelle de l’étendue des lésions, ce qui entraîne une persistance ou une récidive rapide du trouble observé.
Chez le lapin, une interconnexion existe entre l’atteinte des cavités nasales, paranasales (sinus), l’oreille moyenne et le système bronchopulmonaire, en raison de l’anatomie et de certaines particularités physiopathologiques de cette espèce. Cela rend parfois le traitement inefficace ou explique des récidives rapides. Une approche méthodique doit ainsi être réalisée pour gérer au mieux ces affections.
Lors de la présentation d’un lapin pour une atteinte des voies respiratoires supérieures, plusieurs éléments importants sont à relever dans l’anamnèse. En effet, une rhinite peut être secondaire à une infection, mais aussi découler d’un environnement non adapté ou d’une maladie sousjacente.
Un questionnement méthodique permet de mettre en évidence des facteurs de risque susceptibles d’induire une rhinite non infectieuse, qui s’infecte rapidement chez le lapin, ou de déclencher une infection chez un animal porteur (tableau).
Une évaluation de l’alimentation est également à prévoir, car un régime non adapté peut provoquer une affection dentaire sousjacente à la rhinite [4, 22].
Les symptômes respiratoires sont souvent perçus de manière partielle par les propriétaires. Ainsi, dans une étude menée au RoyaumeUni, ils représentent seulement 1,2 % des motifs de consultation [30]. La prévalence des atteintes de l’appareil respiratoire semble cependant plus élevée, atteignant 1,7 % pour les voies supérieures à 6,02 % pour le système respiratoire complet, selon deux études menées au Royaume-Uni et au Japon [24, 32].
En outre, les infections des voies respiratoires supérieures se propagent fréquemment à d’autres sites (passage des cavités nasales au sinus, à la trompe d’Eustache, à l’oreille moyenne, aux canaux lacrymaux, aux bronches, etc.). Par conséquent, il est important de collecter le maximum d’informations lors de l’anamnèse, en posant les bonnes questions, pour éviter un diagnostic partiel de ces affections, qui peut être responsable de récidives ou d’une persistance des signes respiratoires.
La présence de sécrétions nasales, leur nature (couleur, texture) et la fréquence du jetage sont primordiales à évaluer, car elles peuvent aider à suspecter l’existence d’un processus infectieux (photo 1). Cependant, les infections ne s’accompagnent pas systématiquement d’écoulements purulents chez le lapin. Cela s’explique par l’absence (ou le nombre très faible) de lysozymes chez cette espèce, produisant un pus caséeux qui est éliminé avec difficulté [10].
Une évaluation attentive des poils autour des narines et des membres antérieurs permet de mettre en évidence la présence de sécrétions nasales nettoyées par le lapin.
D’autres signes d’une propagation de l’atteinte des cavités nasales à d’autres sites peuvent passer inaperçus (prurit débutant des oreilles, dilatation du canal auriculaire, lésion respiratoire profonde, etc.). Une revue de chaque système doit donc être réalisée avec le propriétaire pour s’assurer qu’il n’a pas omis de parler de symptômes ou de modifications du comportement qu’il ne considérait pas comme importants.
L’examen clinique doit toujours être le plus complet possible. De nombreuses rhinites récidivantes résultent d’une mauvaise détection des infections concomitantes (par exemple une sinusite, une otite, une bronchopneumonie) qui induisent un phénomène de réinfection/recontamination chronique. La palpation du crâne, du conduit auriculaire, du thorax et de l’abdomen, ainsi que l’auscultation thoracique et sinusale sont primordiales pour les détecter.
Les infections localisées, multifocales ou systémiques ne s’accompagnent pas forcément d’une hyperthermie chez le lapin. Une température normale ne doit donc pas exclure une infection propagée à divers organes.
Une liste étayée des troubles est effectuée sur la base de l’anamnèse et de l’examen clinique, afin d’orienter le diagnostic et d’évaluer précisément les lésions de chaque système atteint, responsables de la probable chronicité de l’affection.
Une rhinite ne doit jamais être prise à la légère chez le lapin de compagnie. Si de nombreux facteurs de risque sont présents dans l’environnement et que l’animal est présenté pour la première fois sans signe évident d’infection, une modification des conditions de vie peut être envisagée en premier lieu. À ce stade, une rhinite inflammatoire environnementale peut être suspectée. Un traitement symptomatique et un contrôle dix à quinze jours plus tard sont alors entrepris.
En cas d’infection évidente (pus rejeté par les narines), de symptômes récidivants ou persistants (malgré les modifications environnementales), des examens complémentaires sont indispensables.
Une culture bactériologique doit être entreprise, associée à un antibiogramme intégrant des antibiotiques utilisables chez le lapin, pour déterminer le germe en cause et le traiter de manière ciblée. Le prélèvement s’effectue par un écouvillonnage nasal (à 1 cm de profondeur au maximum pour éviter des surinterprétations). Lors d’épiphora concomitant, un prélèvement supplémentaire, par rinçage du canal lacrymal, est à réaliser avec un liquide stérile. En effet, l’abouchement distal du conduit lacrymal, sur la face ventro-médiale du pli alaire des narines, permet une contamination depuis l’entrée des cavités nasales (photo 2).
L’épidémiologie et la sensibilité des bactéries responsables des infections des voies respiratoires supérieures sont bien étudiées. Dans une étude de 2006, les bactéries les plus fréquemment isolées sont Pasteurella multocida (54,8 %), Bordetella bronchiseptica (52,2 %), Pseudomonas spp. (27,9 %) et Staphylococcus spp. (17,4 %) [29]. Pasteurella multocida et Bordetella bronchiseptica font partie de la flore commensale facile à isoler [9]. La pathogénicité de ces bactéries dépend des conditions de stress ou d’immunodépression. De plus, certaines souches de Pasteurella multocida produisent des exotoxines, ce qui leur confère une pathogénicité plus élevée (souches A et D) [15]. Il est fortement conseillé de faire déterminer par le laboratoire la présence de l’enzyme ornithine décarboxylase, qui permet d’attribuer un caractère pathogène à la souche de Pasteurella multocida (ODC+) ou de la considérer comme peu ou pas pathogène (ODC-), ou celle de la forme toxigénique, par real-time polymerase chain reaction (RT-PCR) Pasteurella toxA [18].
L’évaluation approfondie par l’imagerie médicale permet de préciser les sites atteints (cavités paranasales, oreille moyenne et voies respiratoires basses) et de mieux comprendre le processus pathologique chez l’animal afin d’adapter le traitement.
Il est primordial de connaître l’implication des sinus dans le processus pathologique de la rhinite. En effet, beaucoup de rhinites chroniques ou récidivantes résultent d’une recontamination des cavités nasales par un sinus infecté. Chez le lapin, la communication entre les sinus et les cavités nasales s’effectue uniquement via l’ostium du récessus maxillaire ventral. En cas de sinusite bactérienne, une sténose ou une obstruction de l’ostium par l’inflammation et/ ou le pus caséeux sont rapidement observées, empêchant la vidange du sinus [1, 31]. Le traitement médical seul ne pourra être curatif dans ce type d’atteinte. L’imagerie avancée, comme le CT-Scan ou l’imagerie par résonance magnétique (IRM), permet une meilleure évaluation des cavités nasales et des sinus, en comparaison de la radiographie ou de la rhinoscopie (photos 3).
Dans une étude rétrospective de 2016, les anomalies des cavités nasales ont été détectées chez 33,3 % des lapins par radiographie, versus 56,7 % par CT-Scan [5]. L’atteinte d’un ou de plusieurs sinus a été mise en évidence chez trois animaux (30 %) par radiographie, versus dix par CT-Scan (58,8 %). Le scanner s’est révélé diagnostique dans 100 % des cas, fournissant un meilleur détail des structures anatomiques et décelant des lésions non observées à la radiographie [5].
De plus, une corrélation significative est montrée entre l’évaluation des lésions osseuses via la mesure de Hounsfield (HU) et l’évaluation histopathologique des lésions [11]. Cet examen offre ainsi une évaluation plus précise pour établir un protocole thérapeutique adapté et un pronostic étayé chez les lapins affectés.
Une colonisation de la bulle tympanique via la trompe d’Eustache est fréquemment observée en cas d’infection de l’appareil respiratoire. Cependant, 27 à 32 % des otites moyennes purulentes sont asymptomatiques [8, 13]. Il convient donc de rechercher cette complication en cas de rhinite chronique, avant même l’apparition d’une symptomatologie évocatrice.
Les agents pathogènes détectés sont fréquemment similaires à ceux présents dans les cavités nasales : Pasteurella multocida, Bordetella bronchiseptica, Pseudomonas spp., Moraxella catarrhalis, Staphylococcus aureus, Escherichia coli, Proteus mirabilis, etc. [21].
La sensibilité et la spécificité de différentes techniques d’imagerie pour détecter les otites moyennes sont variables [8, 14, 16, 17]. Le scanner est le seul examen qui affiche une sensibilité et une spécificité de 100 % et permet une gradation des lésions (photo 4) [27]. La radiographie a une sensibilité de 77 % et une spécificité de 82,5 %. Une bulle tympanique remplie de pus peut donc apparaître normale à cet examen. L’échographie (sur cadavre) est très sensible et spécifique (80 % et 92,5 %). Cependant, l’approche décrite est plus complexe à réaliser sur un animal vivant et aucune donnée n’est publiée dans ce contexte. Il est intéressant de noter que la présence de symptômes n’est pas proportionnelle à la sévérité des lésions observées à l’imagerie.
Des anomalies de croissance dentaire (couronne de réserve) ont été mises en cause dans des cas de rhinite chronique (photo 5) [4].
Pour évaluer correctement les structures dentaires, des radiographies externes ou intra-orales peuvent être réalisées(1) [2, 3, 26]. Le scanner permet cependant une évaluation plus précise des lésions dentaires, ainsi que de leur implication réelle lors de rhinite [4, 5, 28].
En cas de sinusite rhinogénique, un dysfonctionnement de l’ostium peut contribuer au développement d’une infection des voies respiratoires inférieures. Expérimentalement, 84 % des lapins infectés par Bordetella bronchiseptica présentant une sinusite ont développé des complications de bronchite et/ou une pneumonie [1].
La radiographie permet de diagnostiquer aisément ce type de lésion, bien que le scanner reste plus sensible et spécifique [23].
Lors de lésions broncho-pulmonaires concomitantes, un lavage broncho-alvéolaire est fortement conseillé afin de confirmer la nature de l’atteinte en réalisant une culture bactériologique et une cytologie (photos 6 et 7).
La mise en place d’un protocole thérapeutique efficace repose sur la nature du germe mis en évidence et de l’étendue des lésions. Une approche chirurgicale peut se révéler nécessaire.
Le lapin respire obligatoirement par le nez. En cas de rhinite purulente bilatérale marquée, son pronostic vital est engagé. Les narines doivent être dégagées à l’aide d’une compresse humidifiée. Un mouchebébé ou une seringue peut être utilisé pour aspirer les sécrétions proximales des cavités nasales. L’oxygénothérapie est parfois nécessaire [10]. Une nébulisation de NaCl à 0,9 % peut également soulager le lapin dyspnéique, ou encore l’administration d’un bronchodilatateur dans la nébulisation (Terbutaline 1 %) [10].
En cas d’anxiété, comme la fréquence respiratoire augmente et aggrave l’hypoxie, un anxiolytique peut être administré (midazolam à la dose de 0,1 à 0,3 mg/kg par voie intramusculaire toutes les quatre à six heures).
La gestion médicale de la rhinite chronique repose sur le traitement étiologique de l’infection et la gestion des lésions concomitantes. Certaines bactéries ont des profils de résistance ou de sensibilité naturelle connus, mais l’antibiothérapie est choisie selon les résultats de l’antibiogramme, qui inclut les résistances acquises de la bactérie aux antibiotiques [29].
La nébulisation constitue également un traitement complémentaire de choix pour les rhinites. En cas d’atteinte par Pasteurella multocida, l’utilisation de hyaluronidase dans la solution de nébulisation (100 à 150 U pour 100 ml) est conseillée, compte tenu de la structure capsulaire composée d’acide hyaluronique des souches virulentes.
Une inflammation accompagne le processus pathologique de la rhinite. Un antiinflammatoire non stéroïdien est fortement recommandé [10]. La laserthérapie peut également se révéler efficace dans la gestion des rhinites (et des sinusites) [19]. Une réduction significative du développement bactérien est notée chez les animaux atteints d’une rhinosinusite bactérienne aiguë induite, traités avec un laser [19]. Son efficacité clinique reste à démontrer, mais l’impact sur l’inflammation locale et la liquéfaction du pus caséeux rendent cet outil thérapeutique intéressant.
Le contrôle de tous les facteurs de risque environnementaux est primordial pour diminuer l’inflammation associée et prévenir les récidives après le traitement.
En cas de problème dentaire, le retrait chirurgical des dents incriminées est nécessaire.
Les infections sinusales sont fréquemment présentes en cas de rhinite, ou expliquent souvent l’absence de réponse au traitement. En cas d’échec des premiers traitements médicaux, une approche chirurgicale est souvent requise pour vidanger les cavités paranasales et effectuer des biopsies, afin de mieux cibler la thérapie. Différentes approches chirurgicales (latérale, dorsale ou ventrale) des sinus sont décrites [4, 20, 31, 33]. L’option latérale semble générer moins de complications et de contraintes postopératoires pour le propriétaire, tout en assurant un meilleur confort à l’animal (photo 8). La chirurgie peut apparaître comme un acte invasif, mais elle constitue un élément majeur de 8 la gestion des sinusites rhinogéniques(2).
La découverte d’une otite moyenne au cours de l’exploration d’une rhinite chronique nécessite une thérapeutique spécifique. Non traitée, l’otite moyenne peut déboucher sur des complications variées (syndrome vestibulaire, ostéomyélite et ostéoprolifération avec douleur à la mastication et malocclusion secondaire, otite externe, etc.). Son traitement repose sur une antibiothérapie adaptée (bactériologie) et une prise en charge médico-chirurgicale. La partial ear canal ablation and lateral bulla osteotomy (Pecalbo) est actuellement l’intervention de choix [6, 7, 12] (photos 9 en complément sur Internet). Une ouverture seule de la bulle tympanique et sa vidange peuvent également être effectuées. Cette intervention est plus simple à réaliser en cas d’abcédation à partir de la bulle tympanique (photos 10 en complément sur Internet). Cependant, le taux de complications est plus marqué (déhiscence de plaie, nécrose focale, récidive, etc.) [6].
Une myringotomie peut également être envisagée chez le lapin, si les coûts ou les complications liées à l’intervention sont trop importants. Toutefois, son efficacité semble plus limitée à long terme.
La gestion d’une infection des voies respiratoires inférieures repose principalement sur l’utilisation d’une antibiothérapie raisonnée, idéalement à partir des résultats de l’antibiogramme après un lavage broncho-alvéolaire, mais une extrapolation est possible en prélevant les voies hautes [10]. L’administration de mucolytiques (N-acétylcystéine, à raison de 20 mg/kg per os deux fois par jour), d’anti-inflammatoires et de nébulisations permet également d’optimiser le traitement.
Les infections chez le lapin ne suivent pas une dynamique infectieuse similaire à celle observée en médecine canine. Cependant, aucune étude précise relative à la durée de l’antibiothérapie n’est publiée à ce jour pour le lapin qui présente ces atteintes. Une antibiothérapie raisonnée doit donc être appliquée, suivant l’évolution des lésions et les molécules utilisées. La durée des traitements est souvent plus longue, variable selon le germe en cause et le site infecté.
Un suivi médical doit toujours être réalisé au cours des sept jours qui suivent la mise en place des traitements, puis juste avant et après leur arrêt, afin d’évaluer la disparition des lésions. En cas de rhinite et/ou de sinusite, un scanner de contrôle peut être effectué un à deux mois après l’arrêt des traitements. Les bronchopneumonies nécessitent un suivi plus régulier par l’imagerie. L’évaluation a lieu un mois après la mise en place du traitement, ainsi qu’avant la fin de la thérapie. De nouvelles images sont idéalement réalisées un, trois et six mois après l’arrêt des traitements, pour évaluer une éventuelle récidive.
(1) Voir l’article « Imagerie dentaire du lapin de compagnie » dans ce numéro.
(2) Voir l’article « Prise en charge de la douleur chez le lapin de compagnie » dans ce numéro.
Conflit d’intérêts : Aucun
• Chez le lapin de compagnie, une rhinite chronique peut être accompagnée d’une sinusite, d’une otite moyenne ou/ et d’une bronchopneumonie.
• Pasteurella multocida est un agent infectieux majeur qui se propage rapidement dans le nez et les oreilles du lapin de compagnie.
• Le pus des lapins étant caséeux, les traitements antibiotiques seuls sont rarement efficaces lorsque ce pus est cloisonné dans une structure anatomique fermée comme les sinus ou l’oreille moyenne.
• Une cause fréquente de récidive des rhinites est la présence concomitante d’une sinusite rhinogénique.
• Une intervention chirurgicale est parfois nécessaire en cas de rhinosinusite ou d’otite moyenne simultanée chez le lapin.
Les rhinites chroniques du lapin s’accompagnent fréquemment d’atteintes des sinus, de l’oreille moyenne ou/et des voies respiratoires inférieures, malgré des signes cliniques souvent frustes. Une évaluation complète de ces structures chez l’animal atteint permet souvent de mieux comprendre la chronicité ou le caractère récidivant de cette affection. Une thérapie multimodale adaptée peut alors être mise en place afin de fournir des soins ciblés offrant le meilleur pronostic et limitant le risque de récidives.