GASTRO-ENTÉROLOGIE
Dominantes pathologiques : démarche diagnostique et traitement
Auteur(s) : Frédéric Vlaemynck*, Adeline Linsart**
Fonctions :
*CaduVet, cliniques NAC
57, rue Salvador Allende
Parc Eurasanté, Épi de Soil
59120 Loos
**Unité NAC
CHV Saint-Martin
275, route Impériale
74370 Saint-Martin-Bellevue
Chez le lapin, les “vraies” diarrhées doivent être différenciées des “fausses” (anomalies de la production des cæcotrophes et de la cæcotrophie), afin de mettre en place au plus vite un traitement adapté.
La présence de crottes de consistance modifiée constitue un motif de consultation et de crainte chez cet animal si fragile qu’est le lapin. Le praticien doit maîtriser les particularités digestives, et plus particulièrement le fonctionnement du cæcum, pour distinguer les véritables diarrhées des désordres digestifs (dénommés “fausses diarrhées”) susceptibles de les mimer, définir les causes du dysfonctionnement et y remédier le plus rapidement possible.
Le lapin produit deux types de crottes : des crottes dures, qui sont dispersées dans l’environnement ou la litière tout au long du jour et de la nuit, et des crottes molles, ou cæcotrophes, en fin de nuit le plus souvent (photos 1 et 2). La cæcotrophie correspond à l’ingestion des crottes molles et permet l’absorption de nombreux nutriments(1). Lorsque le lapin ne peut pas consommer les cæcotrophes, ceux-ci s’agglomèrent sur l’arrière-train, ce qui peut ressembler à une diarrhée aux yeux des propriétaires, communément appelée “fausse diarrhée” (photo 3). La diarrhée vraie correspond à une altération de la production de l’ensemble des crottes. Elle se traduit chez le lapin par une augmentation du volume des fèces et une modification de leur consistance, et est toujours accompagnée d’une grave atteinte de l’état général.
• Les atteintes digestives à l’origine d’une vraie diarrhée chez le lapin sont principalement des entérites et des typhlites. Elles provoquent des diarrhées sévères accompagnées de réactions marquées des tissus lymphoïdes digestifs (appendice vermiforme, sacculus rotondus et plaques de Peyer). Elles sont fréquemment observées chez les lapereaux au sevrage et les jeunes lapins lors de la dégradation des conditions de vie et d’alimentation bénéfiques à la flore cæcale fibrolytique. Ces diarrhées sont souvent précédées de fèces volumineuses, pâteuses et nauséabondes. L’état général de l’animal est conservé au début des troubles, puis il se dégrade.
• Les fausses diarrhées, c’est-à-dire les anomalies de la production des cæcotrophes et de la cæcotrophie, sont plus fréquemment d’origine alimentaire et environnementale. Elles sont souvent observées chez les lapins adultes ou seniors. L’individu touché est généralement en surpoids (ration pauvre en fibres donc plus énergétique). Les crottes dures sont produites normalement, mais peuvent avoir un aspect modifié (irrégulières, parfois petites et sèches). Les cæcotrophes sont produits de manière erratique et ne sont pas consommés. Ils restent collés à l’arrière-train ou se retrouvent parfois dans la litière. Cette affection chronique, qui évolue sur plusieurs semaines ou mois, fait courir à l’animal des risques de myiase et de pyodermite et peut, à terme, induire une diarrhée glaireuse, voire aqueuse et profuse, lors du stade entérotoxinogène. Dans ce cas, le pronostic est plus sombre (photos 4 et 5).
Lors d’une alimentation déséquilibrée et pauvre en fibres, le temps de séjour cæcal est augmenté, car le reflux par le côlon proximal est maximal. Cependant, les bactéries fibrolytiques ne reçoivent pas de substrat valorisable, ce qui entraîne une diminution de la synthèse d’acétates et augmente les butyrates. Les variations des paramètres physico-chimiques du cæcum (modifications osmolaires et de pH) rendent le milieu plus favorable à la multiplication de bactéries potentiellement pathogènes, telles que E. coli, Clostridium spp., etc.
Différents facteurs influent sur le tableau clinique observé : l’âge du lapin et son statut immunitaire, la présence d’une flore digestive pathogène, les conditions de survenue du manque de fibres (brutal ou progressif) et les quantités de glucides ingérées.
La correction alimentaire est souvent la meilleure réponse à apporter dans les premiers stades ou lors de forme chronique(1) [1].
Plusieurs facteurs peuvent interrompre le comportement de cæcotrophie :
– environnementaux : température, hygrométrie, changement du matériel, absence de zone de repos ou de période de calme, etc. ;
– physiques : affections dentaires, obésité, douleurs rachidiennes, etc. ;
– émotionnels : consultation, stimulation incessante par l’entourage humain, nouvel animal, etc. ;
– alimentaires : altération de la qualité des cæcotrophes lors de régime inadapté, notamment ;
– bactériens (salmonellose, colibacillose, yersiniose et clostridiose) ou parasitaires (coccidiose, notamment) ;
– iatrogènes : par exemple, antibiotiques mal tolérés qui initient une dysbiose entérotoxémique (diarrhée, crottes glaireuses, cæcum aérique, etc.)(2) ;
– génétiques : les lapins “chaplins”, homozygotes pour un locus de couleur de pelage, peuvent développer un mégacæcum et un mégacôlon [2].
D’autres facteurs peuvent également engendrer un arrêt du péristaltisme digestif, dû à l’action de l’adrénaline et/ou de la noradrénaline. Il en découle parfois une prolifération bactérienne, une accélération du transit ou une hypermotilité qui favorisent des diarrhées infectieuses. Ces situations sont fréquemment rencontrées chez les lapereaux et les lapins récemment adoptés.
Il est important de distinguer une vraie diarrhée d’une fausse, qui correspond à une anomalie de la cæcotrophie dont il convient de rechercher et de corriger les causes. La fausse diarrhée engage le pronostic vital de l’animal et nécessite une hospitalisation immédiate, ainsi qu’un traitement de soutien (apport de fluides pour prévenir la déshydratation et les troubles métaboliques comme une acidose, une hypoglycémie, etc.) et étiologique (figure) [3, 5]. Ce dernier comporte, selon les cas, des antibiotiques, sélectionnés pour leur innocuité chez le lapin, un choix de préférence conforté par un antibiogramme. Sinon, l’association de métronidazole (à la dose de 20 mg/kg toutes les 12 heures) et de sulfadiméthoxine/ triméthoprime (à raison de 15 mg/kg par 12 heures) constitue souvent un bon choix de première intention, ou encore des antiparasitaires. Une analgésie multimodale peut être mise en place si nécessaire. Du maropitant (de 1 à 2 mg/kg par voie sous-cutanée ou orale une fois par jour) peut également être prescrit en cas de douleur abdominale et d’éventuelles sensations nauséeuses (observation personnelle de l’auteur). En outre, comme une flore toxinique (par exemple Clostridium spp.) peut se développer lors de diarrhée, la cholestyramine (à la dose de 1 g/kg /jour) peut être administrée pour chélater les toxines [4]. En revanche, la physiopathogénie tend à contre-indiquer les antidiarrhéiques (lopéramide, bromure de prifinium, etc.) et les pansements digestifs (phosphate d’aluminium, kaolin, etc.) traditionnels, peu étudiés pour cette espèce.
(1) Voir les articles « Alimentation du lapin de compagnie : recommandations pratiques pour les propriétaires » et « Microbiote digestif chez le lapin : rôle des prébiotiques et probiotiques » dans ce numéro.
(2) Voir l’article « Utilisation raisonnée des antibiotiques chez le lapin de compagnie » dans ce numéro.
Conflit d’intérêts : Aucun
La compréhension du fonctionnement du cæcum est fondamentale pour appréhender les causes de l’altération du transit digestif chez le lapin et leur résolution. Une démarche rigoureuse permet la mise en place d’un plan thérapeutique adapté