ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE
Particularités thérapeutiques
Auteur(s) : Éric Fresnay
Fonctions : Anses-ANMV
14, rue Claude Bourgelat
35300 Fougères
Un bilan de pharmacovigilance, établi sur six ans, montre les effets indésirables des médicaments rapportés chez le lapin de compagnie. Leur connaissance permet d’anticiper les risques au regard des bénéfices attendus.
Aucun médicament n’est anodin et sans danger. Les accidents thérapeutiques sont inhérents à toute utilisation d’un médicament, notamment chez le lapin de compagnie. Une bonne connaissance des effets indésirables des différentes spécialités permet au vétérinaire de choisir, dans l’arsenal disponible, le traitement le plus approprié aux caractéristiques de chaque animal. Toutefois, très peu de médicaments vétérinaires sont autorisés chez le lapin de compagnie (considéré comme une espèce mineure), pour lequel il est fréquent d’utiliser des médicaments “hors autorisation de mise sur le marché” (AMM). Les données issues de la pharmacovigilance peuvent aider à préciser le risque iatrogène. La surveillance continue des risques et des bénéfices des médicaments, réalisée grâce au système de pharmacovigilance, contribue donc à l’amélioration constante des connaissances sur les molécules.
Le lapin est, après le chat et le chien, le mammifère le plus présent dans les foyers français. Si plusieurs études menées ces dernières années ont permis de mieux connaître les effets indésirables susceptibles de se produire chez les carnivores domestiques, peu de données sont disponibles pour le lapin de compagnie [2, 3, 6, 8]. L’objectif de cette étude est de faire un bilan des événements indésirables déclarés chez le lapin sur une période récente, suffisamment longue pour être représentative, afin de mieux connaître ces réactions potentielles, de les prévenir et de mieux les prendre en charge lorsqu’elles surviennent.
Le système de pharmacovigilance vétérinaire français repose sur les déclarations spontanées qui, pour plus de 80 % d’entre elles, sont transmises par les vétérinaires. Les 20 % restants ont pour origine les centres antipoison et de toxicovigilance (cas concernant une réaction chez l’homme), les propriétaires, les écoles vétérinaires et les pharmaciens (figure 1). Les déclarations reçues sont enregistrées dans la base française de pharmacovigilance, puis transmises après leur évaluation dans la base européenne de pharmacovigilance gérée par l’Agence européenne du médicament (EMA). La plupart des cas concernent les carnivores domestiques, puis les bovins, les équidés, les porcs, et les lapins de compagnie avec 1,25 % des cas enregistrés en 2018 [7].
Entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2018, 23 320 déclarations d’événements indésirables survenus chez les animaux ont été transmises à l’Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV). Parmi elles, 421 déclarations concernent les lapins de compagnie. Elles ont été identifiées en sélectionnant, dans un premier temps, toutes les déclarations de la base impliquant des lapins, puis en éliminant celles correspondant à des événements survenus chez des lapins de chair, en prenant en compte les effectifs traités et/ou la description du cas. Au final, 386 déclarations d’événements indésirables chez le lapin de compagnie ont été retenues pour l’analyse, après l’exclusion de 35 cas imputés N (improbables), c’est-à-dire des cas pour lesquels une relation de causalité avec le médicament a pu être écartée (encadré 1). Dans 317 déclarations, il s’agit d’effets indésirables stricto sensu : 121 cas à la suite du recours à des médicaments dans le cadre de l’AMM, 196 cas avec l’utilisation d’au moins un médicament sans AMM chez le lapin, les 69 déclarations restantes concernant la suspicion d’un manque d’efficacité de médicaments avec une AMM lapin (encadré 2). Dans le cadre de ces 386 déclarations, 655 lapins ont été affectés par les événements indésirables signalés et 376 d’entre eux sont morts.
L’analyse des cas a consisté, dans un premier temps, à identifier les classes thérapeutiques concernées par les déclarations et à décrire les principaux effets indésirables qui y sont associés puis, dans un second temps, à focaliser sur les deux classes responsables de la majorité des cas déclarés.
L’utilisation de 431 médicaments est rapportée dans l’ensemble de ces déclarations (soit 102 spécialités différentes citées au moins une fois), ce qui correspond en moyenne à 1,17 médicament administré par cas. Lorsque plusieurs médicaments ont été administrés concomitamment, il est souvent difficile de déterminer leur rôle respectif ou d’éventuelles interactions. Sur cette période, les cinq principales classes thérapeutiques impliquées sont, par ordre décroissant, les vaccins (46,3 %), les antiparasitaires externes (26,8 %) ou internes (7,2 %), les antibiotiques (6,2 %) et les médicaments agissant sur le système nerveux (4,2 %) (figure 2).
Dans une même déclaration, différents types d’effets indésirables, affectant parfois plusieurs fonctions ou organes, sont généralement rapportés. Les principaux signes cliniques sont des troubles systémiques, observés dans 82,6 % des déclarations : abattement, anorexie, fièvre, décubitus, mais aussi la mort, qui survient dans 33,7 % des troubles systémiques décrits. Les autres troubles constatés sont neurologiques (29 %), digestifs (13 %), cutanés (11,9 %), oculaires (9,3 %), respiratoires (8,3 %) et comportementaux (5,7 %) (photo). Le manque d’efficacité est classé parmi les troubles systémiques et représente 13,2 % de ces troubles.
Au moins un vaccin est cité dans 194 déclarations, parmi 386 au total, comme étant impliqué dans un effet indésirable (125 cas) ou un manque d’efficacité (69 cas). Tous les cas de manque d’efficacité relevés sont ainsi dus à des vaccins. Dans 183 cas, un seul vaccin a été administré, deux vaccins dans 6 cas, et le vaccin était associé à un antiparasitaire ou à un anesthésique dans 5 cas. Les principaux troubles décrits après la vaccination sont d’ordre systémique (anorexie, apathie, hyperthermie et mort), neurologique (ataxie, convulsion, tremblements musculaires) ou digestif (diarrhée, ballonnement, stase intestinale). Des réactions au site d’injection (nodule, inflammation, nécrose) sont également rapportées.
La plupart (84 %) des 69 cas de manque d’efficacité déclarés concernent le vaccin Nobivac Myxo-RHD, avec la survenue de signes de myxomatose malgré la vaccination et, dans une moindre mesure (7 cas), l’apparition de la maladie hémorragique virale (VHD). Dans ces derniers cas, en l’absence d’analyse pour identifier le virus, il n’est pas exclu que la maladie soit due au nouveau variant de ce dernier, contre lequel Nobivac Myxo-RHD n’a pas d’indication [1]. Les autres cas de manque d’efficacité déclarés concernent aussi principalement des vaccins contre la myxomatose, Lyomyxovax et Dercunimix (8 cas), et ceux contre la VHD, Lapinject et Filavac VHD (3 cas).
Parmi les 386 déclarations retenues, 116 cas concernent au moins un APE ayant affecté 123 lapins. Tous les cas rapportent la survenue d’effets indésirables, aucun d’un potentiel manque d’efficacité (présence de puces, tiques ou poux malgré le traitement). La plupart des cas (108 sur 116) correspondent à une intoxication consécutive à l’application d’un médicament à base de fipronil. Les principaux signes cliniques rapportés sont, dans 91,7 % des cas, des troubles systémiques (anorexie, léthargie, prostration, mort), neurologiques (55,6 % des cas), digestifs (18,5 %) et comportementaux (10,2 %). Parmi les 123 lapins affectés, 27 sont morts.
Parmi les 8 cas restants, 5 correspondent à l’utilisation d’un spot-on à base d’imidaclopride, seul ou associé à la perméthrine. Les principaux troubles constatés sont des réactions au site d’application et des troubles systémiques peu spécifiques (agitation, anorexie, apathie, décubitus). Dans les trois derniers cas, des médicaments à base de pyriproxyfène, de fluméthrine ou de crotamiton sont suspectés d’être responsables des effets indésirables déclarés (troubles systémiques), mais les informations disponibles restent insuffisantes pour retenir ou rejeter une éventuelle implication du médicament.
L’interprétation de l’ensemble de ces résultats doit se faire avec précaution, car il n’est pas tenu compte ici du nombre total de lapins exposés aux différents médicaments sur la période du bilan. De plus, ces cas provenant de remontées spontanées du terrain, il est généralement admis que les vétérinaires déclarent plus volontiers les effets indésirables pour les produits récents que ceux pour les produits anciens, mieux connus, et que les déclarations de cas graves sont également proportionnellement plus nombreuses que celles portant sur des effets bénins ou bien connus [4]. Par ailleurs, seuls les cas graves initialement communiqués au titulaire de l’AMM sont, conformément à la réglementation, transmis par voie électronique à l’ANMV où ils font l’objet d’un enregistrement dans la base française de pharmacovigilance (encadré 3). Les cas non graves directement transmis au titulaire de l’AMM sont exploités dans le cadre de l’évaluation des rapports périodiques de sécurité envoyés par les laboratoires à l’ANMV à des intervalles définis réglementairement. Non enregistrés dans la base française, ils n’ont donc pas été pris en compte dans notre bilan. En outre, dans un certain nombre de cas, en raison du manque d’informations ou d’analyses complémentaires, le rôle du médicament n’est pas catégoriquement écarté, mais d’autres causes non investiguées peuvent être suspectées. À titre d’exemple, dans certains cas de troubles neurologiques (ataxie) évocateurs d’une encéphalitozoonose, le rôle du médicament (vaccin ou APE) reste douteux en l’absence d’examens complémentaires permettant d’exclure une infection par E. cuniculi [5].
Sur la période de l’étude, 65 déclarations seulement ont concerné le lapin d’élevage, avec comme principales classes thérapeutiques impliquées les vaccins et les antibiotiques. Toutefois, ces chiffres bruts, sans analyse plus approfondie, ne permettent pas de conclure que le lapin de compagnie, avec 421 déclarations, est davantage susceptible de présenter des réactions indésirables que le lapin de chair. En effet, les profils et les motivations des éleveurs et des propriétaires d’animaux de compagnie sont très différents, les premiers ne rapportant généralement à leur vétérinaire que les événements à l’origine d’une perte économique.
Déclarer les effets indésirables permet une surveillance continue des risques et des bénéfices des médicaments vétérinaires après leur mise sur le marché (encadré 4). À la suite des déclarations reçues, lorsque de nouveaux effets indésirables sont identifiés ou que la fréquence d’une réaction connue est modifiée, les résumés des caractéristiques des produits (RCP) et les notices des médicaments concernés sont actualisées. Par exemple, le RCP de Nobivac Myxo-RHD a été modifié en 2014 pour indiquer que, chez le lapin de compagnie, dans de très rares cas peuvent survenir : des réactions locales au site d’injection telles qu’une nécrose, des croûtes ou une perte de poils ; des réactions graves d’hypersensibilité potentiellement fatales ; l’apparition de légers signes cliniques de myxomatose au cours des trois semaines qui suivent la vaccination (une infection récente ou latente par des souches terrain du virus de la myxomatose semble, dans une certaine mesure, jouer un rôle). De même, depuis juin 2004, il est mentionné dans la notice de tous les produits à base de fipronil que leur usage est contre-indiqué chez le lapin en raison d’effets potentiellement létaux. Le nombre important de déclarations enregistrées montre malheureusement que cette contre-indication est insuffisamment connue des propriétaires de lapin de compagnie et qu’il est nécessaire de la leur rappeler régulièrement à l’occasion d’une consultation, quel qu’en soit le motif(1).
(1) Le vétérinaire peut s’abonner à la Lettre d’information mensuelle sur les médicaments, sur le site de l’Anses (www.anses.fr), pour être informé régulièrement des actualisations de RCP en lien avec la pharmacovigilance.
Conflit d’intérêts : Aucun
En médecine vétérinaire, l’ensemble des données disponibles, confrontées aux données bibliographiques et aux précédents cas enregistrés, conduisent à une imputation, c’est-à-dire à un classement du cas dans l’une des quatre catégories (A, B, O, N) prévues par les lignes directrices de l’Agence européenne du médicament (EMA). Elle exprime le lien entre le médicament administré et les signes cliniques observés : probable (A), possible (B), non concluant (O1), non classable (O), improbable (N).
Pour l’évaluation de l’imputabilité, plusieurs facteurs sont à considérer :
– l’association dans le temps, qui inclut une éventuelle disparition ou une reprise des symptômes à l’arrêt du traitement ou lors d’administrations répétées, ou encore une correspondance anatomique (notamment avec le site d’injection ou d’application du médicament) ;
– le profil pharmacotoxicologique (concentrations sanguines et expérience acquise sur le médicament) ;
– la présence d’éléments cliniques ou pathologiques caractéristiques ;
– l’exclusion des autres causes possibles ;
– l’exhaustivité et la fiabilité des données fournies par la déclaration du cas ;
– la mesure quantitative du degré de contribution d’un médicament au développement d’un effet indésirable (relation dose-effet).
À compter de janvier 2022, la pharmacie vétérinaire sera encadrée par un nouveau règlement et le système ABON sera supprimé. Il sera remplacé par un nouveau système, où l’imputation devrait être simplifiée entre « un lien existe ou peut exister entre l’effet indésirable constaté et le médicament » et « un lien entre le médicament et l’effet indésirable est catégoriquement exclu ». Les critères pour exclure catégoriquement sont en discussion.
Plusieurs types d’événements indésirables sont à déclarer en pharmacovigilance :
– les réactions survenant chez l’animal après l’administration d’un médicament, qu’il s’agisse d’une mortalité, de symptômes prolongés ou permanents, inattendus, ou de signes cliniques connus (mentionnés dans la notice) mais dont la fréquence ou l’intensité semble avoir augmenté ;
– les manques d’efficacité chez l’animal, qui n’a pas été protégé ou guéri par le médicament malgré son utilisation conforme aux recommandations de l’AMM ;
– les effets survenant chez l’homme après une exposition normale ou accidentelle au médicament, lors de l’administration ou après un contact avec les animaux traités ;
– un problème de résidus ou d’inhibiteurs chez les animaux de production, malgré le respect du temps d’attente ;
– une suspicion d’impact sur l’environnement observé après l’utilisation d’un médicament vétérinaire (pollution, perte de biodiversité, etc.).
• Les déclarations des effets indésirables constatés sur le terrain par les vétérinaires contribuent à une meilleure connaissance des médicaments.
• Peu de molécules disposent d’une AMM chez le lapin de compagnie, ce qui conduit à prescrire des médicaments hors AMM dont les risques n’ont pas été évalués dans cette espèce.
• Les vaccins et les antiparasitaires externes sont les principales spécialités à l’origine de déclarations de cas de pharmacovigilance.
• La connaissance des effets indésirables survenus chez le lapin permet d’apporter au propriétaire une information appropriée quant au bénéfice attendu pour son animal au regard des risques potentiels.
• Effet indésirable grave : réaction qui se traduit par une anomalie ou une malformation congénitale ; ou qui provoque des symptômes permanents ou prolongés, un handicap, une incapacité importante chez l’animal traité ; ou qui est susceptible de mettre la vie de l’animal en danger et d’entraîner sa mort.
• Effet indésirable inattendu : réaction dont la nature, la sévérité ou l’évolution ne concordent pas avec les caractéristiques connues du médicament telles qu’elles figurent dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) et la notice d’utilisation.
La déclaration des événements observés peut être effectuée :
– en ligne sur le nouveau site de télédéclaration https://pharmacovigilanceanmv.anses.fr ;
– via un formulaire téléchargeable sur le même site de télédéclaration et à retourner au Centre de pharmacovigilance vétérinaire de Lyon (CPVL), également disponible en format papier auprès de l’Anses-ANMV ou du CPVL ;
– par téléphone auprès du CPVL, cet appel devant toutefois être suivi du retour de la fiche de déclaration envoyée par le CPVL.
Il est important de remplir la déclaration de la façon la plus précise et la plus détaillée possible, afin de permettre une exploitation optimale des données. S’ils sont disponibles, les examens de laboratoire, les rapports d’autopsie, les photos ou toute autre information pertinente doivent être joints au dossier, et les diagnostics différentiels plausibles pris en considération.
Acteurs clés du système avec 80 % des déclarations, les vétérinaires contribuent à améliorer les connaissances sur les médicaments vétérinaires, pour le plus grand bénéfice des animaux, de leurs propriétaires et de l’ensemble des acteurs de la santé animale. Comme pour toutes les espèces mineures, il existe peu de spécialités avec AMM chez le lapin de compagnie. Il est par conséquent particulièrement important de faire remonter les effets indésirables observés avec les médicaments destinés à d’autres espèces, afin de mieux connaître les risques chez le lapin et de les utiliser avec les précautions qui s’imposent, notamment pour minimiser le risque vaccinal [9].