INDICATIONS ET CONTRE-INDICATIONS DES ANTI-INFLAMMATOIRES CHEZ LE LAPIN - Ma revue n° 020 du 01/01/2020 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 020 du 01/01/2020

THÉRAPEUTIQUE MÉDICAMENTEUSE

Particularités thérapeutiques

Auteur(s) : Émilie Tessier*, Adeline Linsart**

Fonctions :
*Clinique LC Vet
15, quai des Alpes
67000 Strasbourg
**Unité NAC
CHV Saint-Martin
275 route Impériale
74370 Saint-Martin-Bellevue

L’utilisation des antiinflammatoires stéroïdiens et non stéroïdiens, empirique chez le lapin de compagnie, doit être adaptée à l’affection et à l’effet souhaité, en tenant compte des risques qu’elle peut entraîner.

Le recours à un anti-inflammatoire stéroïdien (AIS) ou non stéroïdien (AINS) est conditionné par différents critères : l’espèce, l’âge et le statut reproducteur de l’animal, l’origine de l’inflammation à contrôler et la présence de maladies concomitantes. Leur utilisation est empirique chez le lapin de compagnie, aucun d’entre eux ne disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette espèce.

ANTI-INFLAMMATOIRES NON STÉROÏDIENS

Indications et contre-indications générales

Les AINS sont utilisés chez le lapin, comme chez les autres espèces, pour leurs effets anti-inflammatoire, antipyrétique et analgésique (douleur aiguë ou chronique légère à modérée, surtout d’origine inflammatoire). Leur synergie avec les opioïdes dans la gestion de la douleur est reconnue. Les principaux effets indésirables sont surtout digestifs, hépatiques et rénaux, ce qui limite leur utilisation chez les lapins adultes, mais aussi chez les jeunes et les femelles gestantes. Le risque d’effet indésirable est majoré avec l’augmentation de la posologie en raison de leur faible index thérapeutique.

La sensibilité accrue aux AINS, qui existe chez le chat (défaut de glucuronoconjugaison), ne semble pas être connue chez le lapin.

Le méloxicam chez le lapin

Le méloxicam est le principal AINS pour lequel des données scientifiques existent chez le lapin (encadré). À des doses allant jusqu’à 1 mg/kg/jour, son usage semble sûr jusqu’à 29 jours d’administration, sans effets secondaires cliniquement observables et sans élévation importante des variables biochimiques testées [3]. Cependant, cette étude repose sur des éléments cliniques, alors que le lapin, espèce proie, masque le plus possible ses symptômes. L’examen post-mortem des lapins testés n’a pas permis de détecter de signes de toxicité du méloxicam à cette dose, laquelle induit des effets secondaires sur le microbiote intestinal limités, même après vingt et un jours d’administration [4].

Les données pharmacocinétiques disponibles ne permettent pas d’établir avec certitude la fréquence d’administration idéale du méloxicam chez le lapin [1, 3, 14]. À ce jour, une administration biquotidienne est généralement retenue. En cas de traitement de longue durée, une dose de 0,5 mg/kg /12 heures semble plus sûre, mais nécessite un suivi biologique afin de surveiller la fonction rénale. Le transit digestif doit également être surveillé : tout trouble de l’appétit ou ralentissement de transit doit conduire à rechercher les effets secondaires classiques des AINS (ulcères, gastrite, etc.). Une dose de 0,2 à 0,3 mg/kg est anti-inflammatoire, mais apparaît insuffisante pour obtenir un effet analgésique si la douleur n’est pas d’origine inflammatoire [15]. Le méloxicam peut aussi être administré ponctuellement en cas de pic algique, mais cela limite l’efficacité analgésique lors d’affection chronique douloureuse, car le cercle vicieux de l’hyperalgésie peut alors s’installer.

Lors d’une intervention chirurgicale, les risques d’hypotension peranesthésique étant accrus, il est conseillé d’administrer l’AINS en phase postopératoire, après le réveil complet de l’animal, notamment chez les sujets susceptibles de présenter des complications rénales. Une dose de 1 mg/kg par voie sous-cutanée ou intramusculaire permet d’initier le traitement. Un opioïde est utilisé dans le cadre de l’analgésie préemptive [2]. Les AINS induisent des effets secondaires rénaux majorés par rapport aux opioïdes et offrent une efficacité analgésique souvent inférieure.

Il n’existe pas de données pharmacocinétiques, pharmacodynamiques et nociceptives suffisantes pour qu’un consensus sur la dose et la fréquence d’administration soit définitivement établi. Les posologies pratiquées couramment sont de 0,5 mg/kg par 12 heures et jusqu’à 1 mg/kg toutes les 12 à 24 heures, par voie orale ou sous-cutanée, par exemple pendant trois jours pour une castration, cinq jours pour une ovario-hystérectomie et sept à quinze jours pour une ostéosynthèse (matin et soir les premiers jours, puis une fois par jour pour la fin du traitement) [2, 11].

Intérêts des AINS en neurologie

En cas de traumatisme médullaire ou central, les lésions initiales sont évolutives pendant 24 heures. Elles sont dues à l’impact initial, aux forces de compression et aux déchirures neuronales et vasculaires médullaires. Puis apparaissent les atteintes secondaires, semblables à une véritable autodestruction médullaire post-traumatique, responsables de l’extension des lésions. Leurs conséquences peuvent ainsi être plus graves que celles du traumatisme initial. La prise en charge de l’animal neuro-traumatisé doit donc avoir pour objectif de limiter l’extension de ces lésions, et cela grâce aux AINS. Certains d’entre eux atteignent le liquide cérébrospinal à des concentrations efficaces, améliorent la perfusion sanguine au niveau médullaire, inhibent la transmission nociceptive et diminuent l’inflammation et l’œdème [7].

Plus l’anti-inflammatoire est administré tôt après le traumatisme, plus le bénéfice est important. Une étude démontre les effets neuroprotecteurs supérieurs du méloxicam par rapport à la méthylprednisolone chez le lapin [5]. En cas de traumatisme médullaire chez un lapin, la dose à recommander serait de 0,5 à 1 mg/kg/j de méloxicam, pendant sept à quatorze jours.

ANTI-INFLAMMATOIRES STÉROÏDIENS

Risques liés à l’utilisation des AIS chez le lapin

Les AIS (ou glucocorticoïdes) sont utilisés pour leurs effets anti-inflammatoire, anti-allergique et immunosuppresseur. Les effets indésirables à surveiller sont digestifs et rénaux, comme avec les AINS, ainsi qu’une hyperglycémie et une diminution de l’immunité.

En médecine humaine, ainsi que chez le chien et le chat, les glucocorticoïdes ne sont pas recommandés en cas de traumatisme crânien ou de lésions médullaires, les complications infectieuses et liées à l’hyperglycémie secondaire pouvant être très graves [9].

Le lapin fait partie des espèces particulièrement sensibles aux AIS [12]. Lorsqu’il est exposé à des glucocorticoïdes exogènes, il risque de présenter une lymphopénie immédiate et profonde par lymphocytolyse. L’immunodépression induite peut avoir des conséquences sévères, notamment sur sa flore digestive, quelles que soient la dose et la voie d’administration. Le risque est aussi d’exacerber une infection préexistante, souvent non visible cliniquement chez le lapin, comme une pasteurellose (écoulements oculaires et nasaux mucopurulents) ou encore une encéphalitozoonose (photo 1). Dans ce dernier cas, l’utilisation des glucocorticoïdes est donc contre-indiquée [6]. Certains auteurs recommandent cependant une injection unique de glucocorticoïdes à action immédiate lors de syndrome vestibulaire chez le lapin, mais leur supériorité thérapeutique par rapport aux AINS n’est pas démontrée dans cette indication. La dexaméthasone n’a pas montré de bénéfices cliniques lors d’encéphalitozoonose nerveuse chez le lapin [13].

Une pododermatite, susceptible d’évoluer vers des abcès du jarret, peut être due à la combinaison de l’immunosuppression et de l’amincissement de la peau à la suite de l’administration d’AIS à long terme. Des cas d’otite externe sévère et d’abcès du pavillon auriculaire sont rapportés après un court traitement topique contenant un stéroïde [10].

De plus, les ulcères digestifs et une défaillance hépatique chronique sont fréquents chez les lapins débilités (observation des auteurs).

Ainsi, il convient d’utiliser les AIS avec une grande prudence chez cette espèce, notamment en utilisant des formes à action immédiate, à des doses plus faibles et idéalement sur une courte durée de traitement (cinq jours consécutifs au maximum). Les formes retard doivent être proscrites. Chaque fois que cela est possible, il convient de privilégier une administration locale.

Indications des AIS en cancérologie

L’utilisation raisonnée la plus courante des AIS per os chez le lapin est le traitement palliatif des néoplasies systémiques, notamment le lymphome et le thymome(1). La prednisolone est la plus souvent employée, combinée à la chimiothérapie ou seule, comme mesure palliative, à la dose de 0,5 à 2 mg/kg toutes les 12 heures per os.

Autres utilisations des AIS

En dermatologie, peu de maladies nécessitant d’induire une immunosuppression thérapeutique sont décrites chez le lapin (pemphigus foliacé, adénite sébacée). Les traitements topiques régulant les états kérato-séborrhéiques sans AIS peuvent améliorer très significativement l’état du lapin lors d’adénite sébacée, sans avoir recours aux immunosuppresseurs (photos 2 et 3). L’usage de la voie orale doit être évité. En ophtalmologie, l’utilisation de topiques contenant un AIS peut être justifiée et présenter une balance bénéfices/risques favorable au traitement topique. Utilisés dans un cadre approprié, les glucocorticoïdes topiques n’occasionnent pas d’effets secondaires oculaires supérieurs à ceux observés dans les autres espèces. Ainsi, le praticien s’appuiera sur les indications de prescription établies dans la prise en charge des carnivores domestiques.

Les allergies sont très rares chez le lapin, mais leur gestion peut nécessiter l’emploi de glucocorticoïdes (suspicion de rhinite et pododermatite allergique chez certains individus, après l’éviction des causes les plus fréquentes). Chaque fois que le recours à un AIS est nécessaire dans un contexte allergique ou d’atteinte locale, une administration par voie locale doit être privilégiée, afin de limiter la survenue des effets secondaires.

  • (1) Voir l’article « Prise en charge des principaux cancers chez le lapin : fiche technique » dans ce numéro.

Références

  • 1. Carpenter JW, Pollock CG, Koch DE et coll. Single and multiple-dose pharmacokinetics of meloxicam after oral administration to the rabbit (Oryctolagus cuniculus). J. Zoo Wild. Med. 2009;40 (4):601-606.
  • 2. Cooper CS, Metcalf-Pate KA, Barat CE et coll. Comparison of side effects between buprenorphine and meloxicam used postoperatively in dutch belted rabbits (Oryctolagus cuniculus). J. Am. Assoc. Lab. Anim. Sci. 2009;48 (3):279-285.
  • 3. Delk KW, Carpenter JW, KuKanich B et coll. Pharmacokinetics of meloxicam administered orally to rabbits (Oryctolagus cuniculus) for 29 days. Am. J. Vet. Res. 2014;7 (2):195-199.
  • 4. Eshar D, Weese JS. Molecular analysis of the microbiota in hard feces from healthy rabbits (Oryctolagus cuniculus) medicated with long term oral meloxicam. BMC Vet. Res. 2014;10:62.
  • 5. Gopinathan A, Pawde A, Amarpal Aithal AM et coll. Comparison of neurological recovery facilitated by a COX-2 inhibitor as well as long acting prednisolone in paraplegic rabbits. Indian J. Vet. Surg. 2009;30 (1):17-21.
  • 6. Grosset C, Desmarchelier M. Corticoïdes chez les NAC : prescrire ou proscrire ? L’Essentiel. 2010;162:32-34.
  • 7. Hakan T, Toklu HZ, Biber N et coll. Effect of COX-2 inhibitor meloxicam against traumatic brain injuryinduced biochemical, histopathological changes and blood-brain barrier permeability. Neurol. Res. 2010;32 (6):629-635.
  • 8. Karachalios T, Boursinos L, Poultsides L et coll. The effects of the short-term administration of low therapeutic doses of anti-COX-2 agents on the healing of fractures. An experimental study in rabbits. J. Bone Joint Surg. Br. 2007;89 (9):1253-1260.
  • 9. Kuo KW, Bacek LM, Taylor AM. Head trauma. Vet. Clin. Small Anim. 2018 (48):111-128.
  • 10. La’Toya L. Exotics oncology: special focus on updates on therapies for rabbits and ferrets. Penn. annual conference proceedings. 2016.
  • 11. Leach MC, Allweiler S, Richardson C et coll. Behavioural effects of ovariohysterectomy and oral administration of meloxicam in laboratory housed rabbits. Res. Vet. Sci. 2009;87 (2):336-347.
  • 12. Petritz OA, Chen S. Therapeutic contraindications in exotic pets. Vet. Clin. North Am. Exot. Anim. Pract. 2018;21 (2):327-340.
  • 13. Sieg J, Hein J, Jass A et coll. Clinical evaluation of therapeutic success in rabbits with suspected encephalitozoonosis. Vet. Parasitol. 2012;187 (1.2):328-332.
  • 14. Turner PV, Chen HC, Taylor WM. Pharmacokinetics of meloxicam in rabbits after single and repeat oral dosing. Comp. Med. 2006;56 (1):63-67.
  • 15. Wenger S. Anesthesia and analgesia in rabbits and rodents. J. Exot. Pet Med. 2012;21:7-16.

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré : RECOURS AUX AUTRES AINS

Paracétamol, aspirine et ibuprofène sont impliqués dans de multiples cas de toxicité, à la suite d’une automédication par les propriétaires. Les données disponibles en médecine humaine ne ciblent pas la sécurité thérapeutique chez le lapin. Leur utilisation est donc à éviter.

Peu de données existent à ce jour sur l’utilisation des coxibs chez le lapin, mais ils sont prometteurs. Une étude sur des s uivis de fractures montre des effets indésirables moindres sur la cicatrisation osseuse avec le rofécoxib par rapport à la prednisolone et au méloxicam [8].

CONCLUSION

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens, comme le méloxicam, semblent d’une utilisation assez sûre chez le lapin. Dans les cas où les anti-inflammatoires stéroïdiens sont indiqués, les avantages doivent l’emporter sur les risques, étant donné la grande sensibilité de cette espèce aux glucocorticoïdes.

En savoir plus

• Damaison MP. La pathologie tumorale des lagomorphes : étude bibliographique. Thèse méd. vét. Alfort. 2011:260p.

• Fleurenceau AA. Bilan bibliographique des données de l’analgésie chez le lapin. Thèse méd. vét. Alfort. 2019:144p.