L’ALIMENTATION ASSISTÉE DU LAPIN HOSPITALISÉ - Ma revue n° 020 du 01/01/2020 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 020 du 01/01/2020

THÉRAPEUTIQUE NON MÉDICAMENTEUSE

Particularités thérapeutiques

Auteur(s) : Emilie Tessier

Fonctions : LC Vet, clinique réservée au lapin et au chat
15, quai des Alpes
67000 Strasbourg

Une réalimentation rapide avec un aliment adapté est essentielle chez les lapins hospitalisés. L’aliment de gavage doit être choisi en fonction des besoins nutritionnels et des modalités d’administration.

Lors de l’hospitalisation d’un lapin de compagnie, une réalimentation assistée doit être mise en place le plus rapidement possible, en complément du soutien hydrique, de manière à couvrir les besoins énergétiques de l’animal(1). En effet, l’appareil digestif des lapins est très complexe et tout arrêt du transit, même de courte durée, peut entraîner des conséquences graves, parfois fatales.

VOIES D’ADMINISTRATION

Le nourrissage à la seringue, ou gavage, est l’une des solutions les plus simples et les plus fréquemment mises en œuvre, durant l’hospitalisation comme au domicile. Des seringues de 15 ml à embout conique ou de 1 ml sont utilisées, selon les préférences, pour administrer 1 ml, parfois en deux ou trois fois si besoin, en laissant le temps à l’animal de déglutir entre deux prises.

Certains lapins, qui apprécient particulièrement le produit de gavage et ont malgré tout un peu d’appétit, “tètent” directement le mélange à la sortie de la seringue, sans nécessiter de contention. Mais le plus souvent, il convient de contenir l’animal dans une serviette et de glisser l’extrémité de la seringue au niveau du diastème (photo 1). La seringue doit être légèrement enfoncée pour déclencher une mastication.

Le nombre de gavages nécessaires pendant l’hospitalisation est souvent important (trois à quatre fois par jour), ce qui allonge la durée des soins, avec un stress non négligeable chez les lapins qui sont gavés avec difficulté. Le nourrissage à la seringue peut donc convenir pour soutenir le transit digestif en période postopératoire simple, par exemple après une intervention chirurgicale de convenance ou lors d’une hospitalisation de courte durée. Pour les autres cas plus complexes, la pose d’une sonde naso-œsophagienne est recommandée(2) [3].

La sonde peut rester en place tant qu’elle ne provoque pas de rhinite (en général une semaine au maximum). Dans tous les cas, elle n’empêche pas le lapin de s’alimenter seul. Si la sonde est correctement fixée près du nez dès la sortie de la narine, puis au-dessus de la tête entre les oreilles, le port d’un carcan n’est pas nécessaire (photo 2). Il serait à l’origine d’un stress supplémentaire et constituerait une gêne pour l’ingestion des cæcotrophes, nécessaires au bon fonctionnement du système digestif.

Plus exceptionnellement, une sonde d’œsophagotomie peut être utile, notamment dans des cas de chirurgie maxillofaciale, de rhinite, etc. Elle est mise en place durant une anesthésie générale. Le protocole de pose est le même que chez le chien ou le chat. Le passage du clamp courbe est cependant plus délicat, car l’ouverture de la mâchoire est réduite chez le lapin, le cou très court et le pharynx étroit. La sonde peut rester en place plus longtemps qu’une sonde naso-œsophagienne, et permet de faire passer des aliments de gavage plus épais, respectant les besoins en fibres longues [4]. En raison des risques d’infection plus élevés dans cette espèce, un nettoyage-désinfection quotidien de la sonde est indispensable.

CALCUL DU BESOIN ÉNERGÉTIQUE

Chez le lapin, le besoin énergétique à l’entretien (BEE) est estimé à l’aide de la formule suivante : BEE = k × 70 × P75 kg (k = 1,2 à 2 chez un lapin alade ; P = poids). Cependant, l’anorexie prolongée étant susceptible de diminuer le métabolisme, le lapin malade nécessite des apports caloriques moindres. Un “facteur maladie” correctif de 0,5 à 0,9 peut ainsi être appliqué aux besoins d’entretien : BEE × facteur maladie = kilocalories/ jour. Plus le lapin est cachectique ou anorexique depuis longtemps, plus le facteur maladie est bas [2].

CHOIX DE L’ALIMENT DE RÉALIMENTATION

Le produit de réalimentation doit respecter les besoins nutritionnels du lapin, calculés en taux de matière sèche (MS) : 13 à 20 % MS de fibres et 12 à 17 % MS de protéines) [1].

Plusieurs produits sont disponibles (tableau). Dans tous les cas, il s’agit de poudres auxquelles une certaine quantité d’eau doit être ajoutée selon la consistance souhaitée. Les besoins énergétiques sont calculés en grammes de poudre à donner par jour. Cette quantité diffère suivant le produit choisi et doit être pesée, puis répartie en plusieurs petits repas tout au long de la journée. Pour le nourrissage par sonde, seuls Critical Care Fine Grind d’Oxbow et Emeraid® Herbivore de Lafeber sont utilisables.

En période d’anorexie où l’hypoglycémie stimule le métabolisme des graisses, donc la lipidose hépatique et l’acidocétose, le lapin a besoin d’une source d’énergie rapidement assimilable. L’administration de sucres simples et de fibres digestibles/ courtes favorise la fermentation cæcale et permet de retrouver une production de glucose par la voie métabolique normale (synthèse d’acides gras volatils grâce aux bactéries du cæcum). Dans ce cas, Emeraid® Herbivore est le plus indiqué. En effet, il reconstitue l’énergie, les graisses et les protéines épuisées chez l’animal. Il contient des niveaux élevés de glutamine et d’arginine, des protéines hydrolysées et, surtout, un mélange hautement digestible de graisses et de glucides simples pour fournir de l’énergie. Il contient également une quantité équilibrée d’acides gras polyinsaturés oméga 3/6 [2]. Ce régime est donc indiqué pour les lapins affaiblis et cachectiques, ceux à capacité digestive réduite ou qui ont besoin de calories supplémentaires pour maintenir ou prendre du poids. Il n’est plus recommandé une fois que l’animal est sorti de la phase de stabilisation (cinq à sept jours), car il est trop riche et manque de fibres indigestibles/longues.

Les produits plus riches en fibres indigestibles/ longues sont le Critical Care d’Oxbow et les Recovery et Recovery Plus de Supreme, car ils sont élaborés à base de foin de phléole des prés. Ils vont donc stimuler beaucoup plus la motricité digestive par leur action mécanique. Ces produits sont indiqués pour les lapins qui ne peuvent pas ou ne veulent pas reprendre leur régime alimentaire normal (douleur dentaire ou autre) à la suite d’une intervention chirurgicale, d’une maladie ou d’un état nutritionnel dégradé. Ils sont complets et peuvent être donnés au long cours aux lapins.

  • (1) Voir l’article « La fluidothérapie chez le lapin hospitalisé » dans ce numéro.

  • (2) Voir l’article « Sondage nasogastrique chez le lapin » dans ce numéro.

Références

  • 1. Desprez I, Volait L, Pignon C. Comment et quand reµalimenter un lapin anorexique ? Point Veµt. 2015;(361):38-41.
  • 2. Proenca LM, Mayer J. Prescription diets for rabbits. Vet. Clin. North Am. Exot. Anim. Pract. 2014;17 (3):485-502.
  • 3. Rosen LB. Nasogastric tube placement in rabbits. J. Exot. Pet Med. 2011;20 (1):27-31.
  • 4. Whittington JK. Esophagostomy feeding tube use and placement in exotic pets. J. Exot. Pet Med. 2013;22 (2):178-191.

Conflit d’intérêts : Aucun

CONCLUSION

La prise en charge précoce du lapin de compagnie hospitalisé et l’adaptation rapide des apports à ses besoins permet d’accroître les chances de succès de la réalimentation.