THÉRAPEUTIQUE MÉDICAMENTEUSE
Particularités thérapeutiques
Auteur(s) : Emilie Tessier
Fonctions : LC Vet, clinique réservée au chat et au lapin
15, quai des Alpes
67000 Strasbourg
La fluidothérapie est souvent nécessaire chez le lapin hospitalisé, en privilégiant le soluté NaCl à 0,9 %. La prise en charge doit être précoce, avec une voie d’administration adaptée à l’état général et aux besoins de l’animal.
Lorsqu’un un lapin est hospitalisé, la fluidothérapie est systématiquement envisagée et se révèle souvent nécessaire, que ce soit en phase périopératoire, lors d’arrêt du transit, de diarrhée ou à titre de soutien afin de prévenir d’autres complications. En effet, comme il dissimule son inconfort, le lapin est présenté plus tardivement en consultation qu’un chien ou un chat, et le risque de complications graves, notamment digestives, est élevé. Cela implique de mettre en place un soutien hydrique et une réalimentation assistée le plus rapidement possible
Les règles de base de la fluidothérapie adoptées chez le chien et le chat sont transposables au lapin, en dehors de quelques points spécifiques comme sa sensibilité à l’hyperhydratation et sa réponse au choc hypovolémique. Les besoins hydriques oraux du lapin en entretien sont de 80 à 100 ml/kg/jour, soit des valeurs supérieures à celles des carnivores domestiques. Le lapin a en effet un métabolisme plus élevé, un débit de filtration glomérulaire plus rapide, un appareil digestif très développé et proportionnellement une grande surface pulmonaire (donc des pertes plus importantes dues à la respiration) [3].
Plusieurs voies d’administration sont possibles lors de fluidothérapie chez le lapin, en veillant à un cadre de soins “rabbit friendly” qui ne stresse pas l’animal (tableau 1, photos 1 et 2).
Le chlorure de sodium (NaCl à 0,9 %) doit solutés peuvent être choisis, selon leurs avantages et leurs inconvénients (tableau 2).
Le degré de déshydratation du lapin hospitalisé est estimé selon les commémoratifs, l’anamnèse et l’examen clinique. Un ralentissement de transit est souvent assimilé à une déshydratation à 5 % car les pertes hydriques digestives, le pli de peau et l’enophtalmie sont des signes plus tardifs et rarement observés. Ses besoins d’entretien sont de 3 à 4 ml/kg/heure [6]. Ce débit est appliqué en maintenance par une administration intraveineuse ou intraosseuse [6]. Suivant le degré de déshydratation et l’état de l’animal, les cristalloïdes peuvent être perfusés jusqu’à 4 à 8 ml/kg/heure, quel que soit le motif de l’hospitalisation. Si la voie sous-cutanée est choisie, 10 à 20 ml/kg sont administrés au maximum toutes les cinq à six heures et de préférence en plusieurs points.
Les besoins supplémentaires en fluides sont calculés selon la formule suivante : % déshydratation × poids corporel (kg) × 1 000 ml/l = déficit en fluides (ml). Ce déficit est ajouté aux fluides de maintenance (3 à 4 ml/kg par heure). Comme chez les carnivores domestiques, si la perte volumique s’est produite au cours des dernières vingt-quatre heures, le remplacement doit s’étaler sur six à huit heures. Si les pertes datent de vingt-quatre à soixante-douze heures, les déficits sont corrigés sur vingt-quatre heures [4].
Chez le lapin hospitalisé, la perfusion est généralement conseillée jusqu’à la reprise de l’alimentation et du transit digestif. Dans le cas d’affection digestive, la réhydratation par voie orale est très importante, mais l’ajout d’une fluidothérapie sous-cutanée ou intraveineuse est recommandé. La voie intraveineuse permet de prévenir les complications (choc vasculaire).
En phase peropératoire, il était souvent recommandé de perfuser 10 ml/kg/heure, par crainte d’une hypotension anesthésique. Or celle-ci ne répond pas ou peu à la fluidothérapie, même agressive. Il convient de réduire la dose d’anesthésique, de gérer la douleur et de veiller au maintien de la température centrale, voire d’utiliser des médicaments à visée cardiovasculaire plutôt que d’augmenter le débit de perfusion [1]. En période peropératoire, il est préconisé de perfuser une fois et demie à deux fois les besoins d’entretien, soit 6 à 8 ml/kg / heure, avec une diminution progressive si les constantes restent stables et que l’intervention est longue (diminution de 25 % du débit initial toutes les heures) [1]. Les signes d’hyperhydratation comme d’hypotension sont à surveiller étroitement tout au long de la procédure (monitorage).
Une surcharge hydrosodée peropératoire liée à une fluidothérapie trop importante serait associée à des complications telles que des œdèmes, des nausées, des troubles cardiopulmonaires, un retard de cicatrisation, aggravant ainsi la morbidité. Chez le lapin, le risque de surcharge hydrique est important, entraînant une hémodilution et un potentiel œdème interstitiel, puis un œdème pulmonaire. Il convient donc de surveiller les paramètres comme l’augmentation du rythme respiratoire, d’éventuels crépitements à l’auscultation, etc. Cependant, ces symptômes apparaissent lorsque les premiers signes de surcharge, plus discrets, n’ont pas été repérés (encadré 1).
En raison des faibles volumes perfusés et du risque de surcharge, l’utilisation d’un pousse-seringue ou d’une pompe à perfusion est vivement recommandée. Les perfuseurs classiques, avec débitmètre, sont utilisables mais manquent de précision pour les lapins de petite taille et ne disposent pas d’une d’alerte si la perfusion passe mal. Les perfuseurs pédiatriques sont également intéressants dans la mesure où ils dispensent 60 gouttes/ml, au lieu de 20 gouttes pour les perfuseurs classiques. Enfin, le lapin étant sujet aux pertes de chaleur, les fluides et les kits de perfusion doivent être réchauffés avant et pendant leur emploi. La température de la pièce d’hospitalisation et de celle du stockage du matériel joue sur la température du fluide. Plusieurs solutions sont possibles pour réchauffer les solutés : poche de perfusion mise au micro-ondes (attention au risque de brûlure), plongée dans l’eau chaude, enveloppée avec sa tubulure au chaud, ou placée dans un chauffe-perfusion.
Lors de déshydratation, un arrêt des sécrétions et un appel massif des liquides de l’ensemble de l’appareil digestif du lapin se produisent. Cela entraîne un dessèchement de tout son contenu, provoquant ou aggravant ainsi une stase digestive susceptible d’induire un état de choc. Lors d’occlusion digestive, l’état de choc hypovolémique est, quant à lui, provoqué par un effet de troisième secteur.
L’hypotension est particulièrement délicate à gérer dans cette espèce. En effet, le lapin n’est pas forcément tachycarde, sa fréquence cardiaque peut être normale ou lente [5]. Il ne répond pas comme le chien lors de cet état de choc, mais plutôt comme le chat. La phase de choc précoce ou compensatoire est inexistante, le lapin est directement observé en phase de décompensation (tableau 3) [5]. À un stade encore précoce, la fréquence cardiaque est normale ou lente, la pression artérielle chute, ainsi que la température corporelle. Le flux sanguin diminue vers la peau, les muscles, les reins et le tractus digestif qui sont donc mal oxygénés. Le métabolisme devient anaérobie et produit de l’acide lactique : c’est l’acidose métabolique. Plus elle évolue, plus l’intégrité cellulaire diminue et de plus en plus d’organes se mettent à dysfonctionner. Plus le stade est précoce, plus la thérapie liquidienne agressive permet de soutenir la pression artérielle et la fréquence cardiaque (encadré 2).
Lorsque le choc hypovolémique persiste et que les réponses neuro-endocriniennes ne parviennent pas à restaurer et à maintenir la perfusion tissulaire, la défaillance organique devient irréversible. L’hypoxie tissulaire prolongée est sévère et le flux artériel est notamment insuffisant vers le cœur et le cerveau. Un cercle vicieux cardiocirculatoire est en place, ce qui aggrave encore la situation. Le lapin présente une bradycardie, une oligurie ou une anurie, un œdème pulmonaire, voire un coma. L’hypotension et l’hypothermie sont sévères, les muqueuses pâles ou cyanotiques, le temps de recoloration cutané est long, le pouls faible ou absent. Finalement, l’animal meurt d’un arrêt cardiopulmonaire.
(1) Voir l’article « Alimentation assistée du lapin hospitalisé » dans ce numéro.
(2) Voir l’article « Pose d’un cathéter veineux auriculaire chez le lapin » dans ce numéro
Conflit d’intérêts : Aucun
• Élévation de la pression artérielle.
• Augmentation de la fréquence cardiaque.
• Muqueuses mouillées.
• Écoulement nasal séreux (“nez humide”).
• Épiphora.
• Œdème des conjonctives.
• Œdème périphérique (l’œdème scrotal est particulièrement visible).
• Œdème pulmonaire.
• Prise de poids brutale.
• 10 à 15 ml/kg d’un soluté cristalloïde à administrer en quinze minutes, associé à 5 ml/ kg de soluté colloïde en cinq à dix minutes, combiné à un réchauffement de l’animal.
• Dès que la pression artérielle moyenne remonte au-dessus de 40 mmHg*, le cristalloïde seul est poursuivi, ainsi que le réchauffement, durant trente minutes à une heure.
• Un bolus de colloïdes peut être administré tous les quarts d’heure tant que la pression artérielle moyenne ne remonte pas au-dessus de 90 mmHg (Hetastarch®, à la dose de 5 ml/kg durant quinze minutes).
* La pression artérielle est difficile à évaluer chez le lapin.
En fluidothérapie, il n’existe pas de protocole fixe. C’est l’évaluation fréquente de l’animal et l’adaptation à ses besoins qui permet d’obtenir des résultats, et plus la prise en charge est précoce, plus les chances de succès sont élevées. Le cadre d’intervention doit être le plus “rabbit friendly” possible, afin de ne pas nuire au lapin malgré la qualité des soins apportés.