PRESCRIPTION ET DÉLIVRANCE DE MÉDICAMENTS CHEZ LE LAPIN DE COMPAGNIE - Ma revue n° 020 du 01/01/2020 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 020 du 01/01/2020

ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE

Particularités thérapeutiques

Auteur(s) : Hervé Pouliquen*, Antoine Rostang**

Fonctions :
*Professeur
**Maître de conférences
Unité de pharmacologie et toxicologie
Oniris
101, route de Gachet
44300 Nantes

La rédaction d’une ordonnance et la délivrance de médicaments sont soumises à des obligations réglementaires qu’il convient de connaître, notamment chez le lapin de compagnie car les prescriptions hors AMM sont fréquentes.

La prescription d’un traitement chez le lapin de compagnie n’est possible qu’après un examen clinique. Elle est obligatoire pour la plupart des médicaments. Le vétérinaire a des obligations en ce qui concerne la prescription et la délivrance de médicaments, sous peine de s’exposer à des sanctions pénales. À cette responsabilité pénale s’ajoute une responsabilité civile professionnelle. Ainsi, le vétérinaire qui commettrait une faute est tenu de réparer les dommages qui pourraient en résulter. Selon le Code de déontologie, « sa responsabilité civile professionnelle doit être couverte par un contrat d’assurance adapté à l’activité exercée ». Cet article rappelle les règles générales de prescription chez les animaux de compagnie et de loisir, et précise les spécificités qui s’appliquent au lapin de compagnie.

RÈGLES GÉNÉRALES DE PRESCRIPTION D’UN MÉDICAMENT

1. Règles générales pour l’ordonnance

Hormis pour les médicaments classés comme stupéfiants, toute prescription peut être réalisée sur tout support, manuscrit ou électronique, qui doit être imprimé.

L’ordonnance contient un message, pour le propriétaire et éventuellement pour le pharmacien assurant la délivrance, qui doit être parfaitement compris. Un accident pourrait ainsi être imputé au prescripteur, au moins en partie, s’il résulte de la mauvaise qualité de la rédaction.

Le procédé d’écriture d’une ordonnance manuscrite doit être indélébile et infalsifiable. Toute ordonnance doit être rédigée de façon concise, simple et lisible.

Pour les médicaments à prescription obligatoire avec délivrance, l’ordonnance doit nécessairement porter plusieurs mentions chez le lapin de compagnie (encadré 1 et figure 1) [4]. Ces règles générales valent également pour les médicaments soumis à prescription administrés par le vétérinaire lui-même, y compris ceux qui sont réservés à l’usage hospitalier.

2. Prescription hors AMM ou hors RCP

Dans le cas du lapin de compagnie, le vétérinaire utilise très souvent la prescription “hors AMM” (encadré 2). Il doit le faire en se référant à ses connaissances, qui doivent lui permettre d’exploiter de manière responsable le potentiel thérapeutique des médicaments disponibles. Si le praticien prescrit chez un lapin de compagnie une spécialité pharmaceutique vétérinaire indiquée chez le lapin de chair (par exemple contenant l’association sulfadiazine-triméthoprime ou la tiamuline), cela n’entre pas dans le cadre de la “cascade” de prescription si l’indication est la même que celle qui figure dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP). En revanche, dès lors que le vétérinaire prescrit une spécialité pharmaceutique hors AMM ou hors RCP, la prescription est obligatoire.

De plus, le recours à la “cascade” n’est possible que si un médicament approprié n’est pas disponible dans l’espèce et/ ou dans l’indication (encadré 3). Dans ce contexte de prescription hors AMM, il convient également de signaler toute suspicion d’inefficacité ou d’effet indésirable. Le Code de déontologie indique que la prescription de médicaments vétérinaires « est établie compte tenu de ses conséquences, notamment économiques, pour le propriétaire du ou des animaux ». Chez le lapin de compagnie, il est donc possible de considérer qu’en fonction des revenus du propriétaire, un médicament humain, moins coûteux qu’un médicament vétérinaire, sera plus approprié, car il permettra une meilleure observance du traitement, et ainsi un meilleur état de santé du lapin.

RÈGLES PARTICULIÈRES DE PRESCRIPTION D’UN MÉDICAMENT

1. Prescription de stupéfiants

Outre les mentions générales, l’ordonnance pour la prescription de stupéfiants doit obligatoirement préciser en toutes lettres le nombre d’unités thérapeutiques par prise, le nombre de prises et le dosage dans le cas de spécialités pharmaceutiques (figure 2) [3, 5].

Dans le cas d’une prescription suivie de la délivrance du stupéfiant, obligatoirement réalisée par un pharmacien d’officine, l’ordonnance doit être rédigée sur un support “sécurisé”. En revanche, dans le cas d’une prescription de stupéfiants (kétamine ou fentanyl) avec administration par le vétérinaire lui-même, il est conseillé de rédiger l’ordonnance sur un support non sécurisé. En effet, le support sécurisé est inutile lorsqu’il n’y a pas de délivrance de stupéfiant. Il peut même se révéler dangereux, car une telle ordonnance sur support sécurisé et incorrectement rédigée, présentée par un propriétaire à une pharmacie, pourrait lui permettre de se faire délivrer le stupéfiant.

2. Médicaments à prescription restreinte

Les vétérinaires qui souhaitent disposer, pour leur usage professionnel chez le lapin de compagnie, de certaines spécialités pharmaceutiques humaines à prescription restreinte (tableau 1) peuvent les obtenir par une simple commande auprès du laboratoire fabricant ou exploitant. Ces spécialités trouvent leurs justifications d’usage principalement pour les soins d’urgence non satisfaits par les spécialités vétérinaires, notamment en chirurgie. Elles permettent d’assurer de meilleurs soins aux lapins de compagnie et notamment de leur éviter des souffrances inacceptables. Les trois molécules les plus utilisées chez le lapin sont la bupivacaïne, le midazolam et, dans une moindre mesure, le métronidazole. Il est interdit pour les vétérinaires de délivrer ces médicaments aux propriétaires de lapin de compagnie.

3. Médicament contenant un antibiotique d’importance critique

AIC vétérinaires

Les substances AIC (antibiotiques d’importance critique) sont, à ce jour, toutes les céphalosporines de troisième et quatrième générations et les fluoroquinolones de deuxième génération commercialisées en médecine vétérinaire [2].

La prescription des AIC n’est autorisée que lors de traitement curatif et métaphylactique, et uniquement en l’absence de médicament sans substance AIC « suffisamment efficace ou adaptée pour traiter la maladie diagnostiquée » [7]. Cela relève de la seule compétence du vétérinaire prescripteur, qui devra être capable de le justifier en cas de contrôle.

Chez le lapin de compagnie, les AIC les plus utilisés sont la marbofloxacine, l’enrofloxacine et le ceftiofur par voie générale, ainsi que l’ofloxacine et la ciprofloxacine par voie oculaire.

Pour pouvoir prescrire un médicament contenant une substance AIC, quatre conditions sont imposées au vétérinaire prescripteur : réaliser lui-même l’examen clinique en sus d’une analyse du contexte épidémiologique, effectuer une identification bactérienne, faire un antibiogramme selon les normes citées dans l’arrêté du 18 mars 2016, et respecter les rubriques “contre-indications” et “précautions d’emploi” du RCP [2, 7].

Cependant, il existe trois dérogations à cette règle applicables aux nouveaux animaux de compagnie :

– prélèvement impossible du fait de « la localisation de l’infection, du type d’infection ou de l’état général de l’animal » ;

– « cas aigu d’infection bactérienne pour laquelle un traitement avec d’autres familles d’antibiotiques serait insuffisamment efficace (réévaluation du traitement par le vétérinaire en fonction de l’évolution du contexte clinique et épidémiologique et des résultats des examens complémentaires portés à sa connaissance dans un délai de quatre jours après la prescription) » ;

– non-obligation de refaire l’examen bactériologique et l’antibiogramme « si les résultats d’examens complémentaires effectués depuis moins de trois mois pour le même animal ont été portés à la connaissance du vétérinaire » [7]. L’arrêté du 18 décembre 2017 a modifié celui du 18 mars 2016 en permettant que des tests validés par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses-Fougères) soient utilisés pour soutenir la prescription d’un AIC [7]. Ainsi, les laboratoires d’analyses pourront recourir à d’autres méthodes que celles définies par l’Association française de normalisation (Afnor) si elles sont validées. Par ailleurs et surtout, les tests destinés à être utilisés directement par un vétérinaire pourraient être approuvés, sous réserve que les fabricants ou les distributeurs de ces tests soumettent une demande de validation à l’Anses en conformité avec son cahier des charges.

Le vétérinaire prescripteur est tenu de conserver pendant cinq ans les résultats des examens et des analyses justifiant sa prescription [7].

La durée maximale de prescription est d’un mois et l’ordonnance ne peut pas être renouvelée [7].

AIC humains

Aucun médicament humain contenant une substance AIC listée dans l’arrêté du 18 mars 2016 n’est autorisé en médecine vétérinaire (tableau 2) [2]. Cependant, chez le lapin de compagnie, la prescription de ciprofloxacine, d’ofloxacine ou de norfloxacine à usage humain lors d’infections oculaires, par voie locale, peut être réalisée dans le cadre de la “cascade” et selon les mêmes règles que celles décrites pour les AIC vétérinaires [2, 7].

4. Préparation extemporanée

Les préparations magistrales sont désignées par leur composition complète, avec le nom et la quantité de chaque constituant : principe (s) actif (s), substances auxiliaires et excipient sont réunis par un trait vertical (encadré 4).

POSSIBILITÉS DE RENOUVELLEMENT DE L’ORDONNANCE

Le renouvellement de l’ordonnance par le propriétaire est possible ou non selon les cas (tableau 3). Outre les rares renouvellements de facto interdits ou autorisés, tous les autres sont au choix du vétérinaire prescripteur.

OBLIGATIONS LORS DE LA DÉLIVRANCE DES MÉDICAMENTS AU PROPRIÉTAIRE

1. Cas général

Lors de la délivrance des médicaments vétérinaires prescrits, le pharmacien ou le vétérinaire transcrit aussitôt à la suite, à l’encre, sans blanc ni surcharge, cette délivrance sur un registre ou l’enregistre par tout système approprié ne permettant aucune modification des données qu’il contient après validation de leur enregistrement. Il s’agit d’un ordonnancier papier ou électronique sur lequel huit mentions doivent figurer [6].

Lorsqu’un vétérinaire exécute ses propres ordonnances, il peut utiliser une procédure simplifiée d’enregistrement qui le dispense de l’ordonnancier. En effet, si l’ordonnance est rédigée sur un support à duplicata, le vétérinaire est dispensé d’un enregistrement sur un ordonnancier. Il doit cependant conserver pendant dix ans ses duplicatas qui valent enregistrement.

Sur l’ordonnance originale remise au détenteur des animaux, le vétérinaire doit mentionner, au moment de son exécution, ses nom et adresse, la date de délivrance, la quantité délivrée et, le cas échéant, la mention « médicaments remis par… » avec l’indication de l’intermédiaire qui remet les médicaments, lorsqu’il s’agit de médicaments livrés par “colisage” [6].

Sur le duplicata de l’ordonnance, le praticien, lorsqu’il effectue sa délivrance, indique la date de délivrance, la quantité délivrée, le numéro de lot des médicaments et, le cas échéant, la mention « médicaments remis par… » avec l’indication de l’intermédiaire qui remet les médicaments, lorsqu’il s’agit de médicaments autres que des aliments médicamenteux livrés par “colisage”.

Toutes ces mentions doivent être reportées sur l’ordonnance à chaque renouvellement, et comme il n’y a plus de duplicata, l’enregistrer sur le registre dédié, conservé dix ans.

2. Cas particulier des médicaments contenant des substances vénéneuses

Pour les médicaments des listes I et II, il ne peut être délivré, en une seule fois, une quantité de médicaments correspondant à une durée de traitement supérieure à un mois pour les mêmes animaux ou à trois mois si le conditionnement unitaire est adapté. Chez le lapin de compagnie, cela peut par exemple concerner, soit la délivrance d’un antibiotique prescrit pendant six semaines pour des abcès dentaires avec remaniements de l’alvéole, voire des os maxillaires ou mandibulaires, soit la délivrance de tramadol prescrit lors de soins palliatifs. Dans l’espace réservé sur le conditionnement extérieur de la spécialité pharmaceutique ou sur l’étiquette de la préparation extemporanée, le vétérinaire exécutant doit porter la dose et la fréquence de prise, au moment de la délivrance.

Pour les médicaments vétérinaires classés comme stupéfiants, la question de la délivrance par le vétérinaire ne se pose pas, car elle est pour le moment interdite, et les médicaments humains stupéfiants ne peuvent être délivrés que par un pharmacien.

Références

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré 1 : MENTIONS À PORTER SUR L’ORDONNANCE POUR LES MÉDICAMENTS À PRESCRIPTION OBLIGATOIRE (SAUF STUPÉFIANTS ET AIC)

Les mentions obligatoires à faire figurer sur l’ordonnance (pour les médicaments qui requièrent une prescription, à l’exception de ceux classés comme stupéfiants et les antibiotiques critiques) sont les suivantes :

– date de la prescription, l’ordonnance étant valable pour une durée maximale d’un an à compter de cette date ;

– nom, prénom et adresse du praticien, ainsi que son numéro d’inscription au tableau de l’Ordre des vétérinaires lorsqu’il est tenu de s’y inscrire ;

– nom, prénom et adresse du détenteur du lapin de compagnie ;

– identification du lapin de compagnie (espèce, âge, sexe, nom, numéro d’identification éventuel, etc.) ;

– inscription qui désigne le ou les médicaments à mettre à la disposition de la personne chargée d’appliquer le traitement : dénomination ou formule du médicament, quantité prescrite ;

– instruction ou mode d’utilisation, qui s’adresse à la personne susmentionnée : dose, fréquence et durée du traitement, voie d’administration ;

– signature de son rédacteur, lisible et non falsifiable (ce qui impose que ce ne soit pas un gribouillis), apposée immédiatement sous la dernière ligne de la prescription. Si un espace libre est laissé entre la dernière ligne et la signature, rendre cet espace inutilisable.

Encadré 2 : “CASCADE” DE PRESCRIPTION DANS LE CAS DU LAPIN DE COMPAGNIE

L’article L. 5143-4 du Code de la santé publique fixe la démarche à suivre si aucun médicament vétérinaire approprié, bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) ou d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU), n’est disponible. Il précise que le vétérinaire doit, en priorité, prescrire un médicament vétérinaire autorisé pour l’animal de l’espèce considérée et dans l’indication thérapeutique visée.

À défaut, le vétérinaire peut prescrire :

– un médicament vétérinaire autorisé pour des animaux d’une autre espèce pour la même indication, ou de la même espèce dans une autre indication (hors RCP) ;

– à défaut, un médicament vétérinaire autorisé pour des animaux d’une autre espèce pour une autre indication (hors RCP) ;

– à défaut, un médicament autorisé pour l’usage humain ou un médicament vétérinaire autorisé dans un autre État membre, pour la même espèce ou pour une autre espèce, pour l’affection concernée ou pour une affection différente ;

– à défaut, une préparation magistrale.

Encadré 3 : DEUX EXEMPLES DE MÉDICAMENTS NON APPROPRIÉS CHEZ LE LAPIN DE COMPAGNIE

• Tramadol : les spécialités pharmaceutiques vétérinaires par voie orale se présentent sous la forme de comprimés à 17,6 et 70,3 mg. Il est donc difficile d’adapter les doses précisément au lapin (10 mg/kg) [source : Pierre Chappe]. En outre, il est nécessaire de broyer ces comprimés dans de l’eau pour les faire avaler au lapin, en sachant qu’il n’existe aucune donnée sur l’homogénéité et la stabilité d’une telle suspension buvable préparée extemporanément. L’usage de spécialités pharmaceutiques humaines sous la forme de solutions orales (par exemple Contramal® ou Topalgic®) est donc plus approprié, notamment pour la prise et l’observance du traitement.

• Métronidazole : le conditionnement de la spécialité pharmaceutique vétérinaire sous la forme d’une suspension orale ne convient pas au lapin. En effet, la seringue doseuse n’est pas adaptée au poids de l’animal et la suspension contient un arôme de foie de volaille adapté au chien et non au lapin. La spécialité pharmaceutique humaine, sous la forme d’une suspension orale (par exemple Flagyl®), est de ce fait mieux adaptée au lapin.

Points clés

• La prescription hors AMM est souvent nécessaire et le vétérinaire doit alors justifier de l’absence de médicament approprié chez le lapin de compagnie et de la pertinence du médicament hors AMM.

• La prescription de tout médicament hors AMM requiert la rédaction d’une ordonnance.

• L’administration d’un médicament stupéfiant par le vétérinaire nécessite la rédaction d’une ordonnance, un support “non sécurisé” étant préconisé.

• Les mentions spécifiques à faire figurer sur l’ordonnance pour la délivrance de médicaments doivent répondre à trois questions (qui, quand et combien ?). Le numéro de lot doit être noté sur l’ordonnancier ou sur le duplicata de l’ordonnance qui le remplace.

Encadré 4 : EXEMPLE D’INSCRIPTION POUR UNE PRÉPARATION MAGISTRALE À BASE D’HUILES ESSENTIELLES

Remerciements

Les auteurs remercient leur confrère Pierre Chappe à Toulouse pour les éléments pratiques relatifs à la prescription quotidienne de médicaments chez le lapin de compagnie.

CONCLUSION

Le respect des règles pour la prescription de médicaments chez le lapin de compagnie demande une vigilance au praticien, surtout que la prescription hors AMM est très fréquente. L’administration, sans délivrance, par le prescripteur d’un stupéfiant doit s’accompagner de la rédaction d’une ordonnance sur un support “non sécurisé”. La délivrance des médicaments vétérinaires prescrits et le renouvellement éventuel de l’ordonnance sont également soumis à des règles simples dès lors que l’ordonnance est à duplicata. À compter du 28 janvier 2022, de nombreuses dispositions nationales sur la pharmacie vétérinaire seront régies par le nouveau règlement européen 2019/6. Certaines dispositions vont donc changer, notamment sur la prescription, le renouvellement des ordonnances, les ventes en ligne au détail et la “cascade” de prescription.