ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE
Particularités thérapeutiques
Auteur(s) : Thomas Coutant*, Minh Huynh**
Fonctions :
*(IPSAV médecine zoologique,
DE NAC, DE pathologie
aviaire, résid. ECZM avian)
**(Dipl. ECZM avian,
dipl. ACZM)
Service NAC
CHV Frégis
43, avenue Aristide Briand
94110 Arcueil
Cet article présente une méthode générale de recherche d’une formulation thérapeutique et d’une posologie adaptées au lapin de compagnie, et les risques associés.
Il existe actuellement peu d’autorisations de mise sur le marché (AMM) pour des médicaments ciblant l’espèce Oryctolagus cuniculus. Devant la demande croissante en soins vétérinaires chez le lapin de compagnie, de plus en plus d’études scientifiques confortent l’usage de nombreuses molécules pharmaceutiques chez cette espèce. La mise en place d’un plan de traitement médical nécessite cependant l’accès à des médicaments facilement utilisables en pratique, tant pour le praticien que pour le propriétaire, et la connaissance du protocole applicable chez le lapin. L’objectif est de promouvoir l’observance du traitement, donc son efficacité, et de garantir sa sécurité. Or à l’heure actuelle, le vétérinaire est confronté quotidiennement au défide trouver des solutions alternatives thérapeutiques compatibles avec l’anatomie et la physiologie particulières de cet animal.
Une recherche sur le site de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses, Index iRCP) met en évidence le peu de substances et de spécialités pharmaceutiques bénéficiant d’une AMM ciblant le lapin (143 versus plus de 1 419 chez le chien, par exemple). Cependant, la liste de ces AMM se compose principalement de médicaments visant les élevages cunicoles, incompatibles avec une pratique individuelle chez les animaux de compagnie (quantités et donc coûts trop importants, modes d’administration inadaptés, temps de médication trop courts, etc.).
L’arsenal thérapeutique strictement autorisé et utilisable chez le lapin de compagnie est donc relativement limité, et le praticien est souvent contraint d’avoir recours au principe de la cascade(1) (figure 1). Toutefois, les différences de poids et de posologie entre les espèces cibles et le lapin conduisent à des formulations soit trop concentrées pour être administrées sans risque, soit insuffisamment concentrées et nécessitant alors l’administration de volumes conséquents. De plus, la morphologie orale du lapin rend l’administration de médicaments sous une autre forme que liquide (comprimés et gélules) peu aisée en pratique. Or, une grande partie des formulations pour les carnivores domestiques ou l’homme n’existent pas sous la forme buvable.
En l’absence de formulation buvable d’une concentration adaptée facilement administrable par le propriétaire afin d’assurer l’observance du traitement, le dernier niveau de la cascade peut être utilisé : la préparation extemporanée. Il s’agit alors de reconditionner un médicament, le plus souvent à partir de comprimés ou de gélules, pour les transformer en formulation liquide. Cette transformation comporte cependant des risques importants d’instabilité du principe actif (encadré) [8]. La consultation des études de stabilité des préparations extemporanées, régulièrement publiées dans la littérature scientifique, est donc nécessaire. Par exemple, la préparation d’une solution de doxycycline, en suivant les formules publiées, permettrait une conservation durant sept jours au réfrigérateur [6]. Pour cela, il est cependant nécessaire de suivre scrupuleusement le procédé décrit, ce qui implique souvent l’accès à des substances pharmaceutiques spécifiques (diluants), un matériel de mesure spécialisé (balances de grande précision notamment), ainsi qu’un temps de préparation non négligeable dans le cas d’une pratique vétérinaire classique. Une solution consiste à recourir au service de reconditionnement d’une pharmacie, qui peut en outre ajouter des arômes (fruits notamment) à la préparation pour en augmenter l’appétence et faciliter ainsi l’observance du traitement. Néanmoins, de telles officines ne sont pas toujours accessibles en pratique, peuvent pratiquer des prix prohibitifs et nécessiter des délais de préparation incompatibles avec les affections traitées [8].
Dans les faits, la plupart des praticiens ont recours au simple reconditionnement, en réduisant un comprimé en poudre ou en ouvrant une gélule et en diluant le matériel ainsi obtenu dans l’eau. Cette pratique est la plus couramment employée face aux difficultés rencontrées, mais elle est également la plus risquée, pour l’ensemble des raisons citées précédemment et du fait de l’absence d’évaluation scientifique dans la majorité des cas (même s’il est montré, pour la doxycycline, qu’elle reste stable sept jours dans l’eau à température ambiante) [9]. De plus, certains comprimés (comme les non-sécables) n’ont pas une composition homogène, l’utilisation d’un demi-comprimé écrasé n’est donc pas forcément l’équivalent d’un comprimé entier écrasé. Enfin, le médicament ainsi reconstitué est à administrer immédiatement. Une nouvelle préparation est donc nécessaire à chaque administration, selon le principe de précaution.
La pratique de la médecine vétérinaire factuelle, basée sur des preuves scientifiques (evidence-based medicine), permet d’assurer à l’animal les meilleurs soins en l’état des connaissances actuelles, et d’éviter ainsi des erreurs potentiellement fatales, déjà connues et rapportées. Un algorithme peut être utilisé pour rechercher la posologie adaptée au lapin, pour une molécule donnée, avec la meilleure qualité de preuve scientifique (figure 2) [10]. Cette recherche est soit directe, à l’aide d’articles scientifiques originaux via des moteurs de recherche ou des bases de données, actualisés et d’un haut niveau de preuves, soit en consultant des articles de revues scientifiques, la littérature grise (thèses, rapports techniques, etc.), les ouvrages de référence ou encore les formulaires de posologie (figure 3) [7]. Elle ne doit pas se limiter aux seules publications vétérinaires. Par exemple, les études réalisées en laboratoire, où le lapin est utilisé depuis plusieurs décennies, sont parfois transposables à la pratique clinique. Enfin, les données pharmacocinétiques (devenir d’une substance dans l’organisme) sont à dissocier et à interpréter au regard des données pharmacodynamiques (effet de la substance sur l’organisme) (tableau). Si ces dernières sont les plus utiles, elles sont aussi plus rares et plus difficiles à obtenir.
Lorsqu’aucune étude n’existe chez le lapin, la posologie d’une molécule peut alors être recherchée pour les autres espèces lagomorphes, puis les rongeurs, puis les carnivores domestiques, etc. Cependant, plus l’espèce est éloignée du lapin, moins l’extrapolation de l’information est considérée comme fiable, en termes d’efficacité et de sécurité, en raison des différences de métabolisme, notamment au niveau de la digestion, pour les médicaments administrés par voie orale.
Il convient en outre de garder à l’esprit que la plupart des données scientifiques disponibles sont issues d’animaux sains, généralement jeunes et d’un seul sexe, et concernent l’emploi d’une seule molécule. Des variations d’efficacité et de toxicité peuvent donc survenir secondairement à l’état physiologique de l’animal malade, de son âge ou de son genre, de même que des interactions médicamenteuses inattendues (molécules ayant des effets indésirables potentiels sur le même organe, comme les aminoglycosides et les anti-inflammatoires non stéroïdiens sur les reins) [10].
Ainsi, lorsqu’un protocole thérapeutique est mis en place, et particulièrement dans le cas d’extrapolations à partir d’autres espèces, l’approche la plus sûre consiste à commencer l’administration à faible dose, tout en réévaluant régulièrement l’animal afin de repérer les signes d’efficacité ou, au contraire, de toxicité. Les modalités de cette surveillance dépendront des effets (attendus comme indésirables) connus de la molécule employée. Par exemple, lors de l’utilisation d’un diurétique de l’anse pour traiter un œdème pulmonaire, la posologie sera progressivement augmentée selon l’efficacité clinique (évaluée à l’aide d’une auscultation et de radiographies) et l’absence de toxicité, notamment rénale (évaluée par le suivi des paramètres rénaux sanguins). Cette approche, d’autant plus importante que l’index thérapeutique (marge entre les doses efficace et toxique) de la molécule est faible, ne convient cependant pas à tous les médicaments, notamment à ceux qui nécessitent absolument une dose minimale, comme les anti-infectieux(2) [11].
Dans tous les cas, l’utilisation d’une molécule dont les données scientifiques sont jugées insuffisantes pour assurer à l’animal une efficacité et une innocuité satisfaisantes doit faire l’objet d’une information rigoureuse du propriétaire sur les risques encourus afin d’obtenir son consentement éclairé. Ce principe est particulièrement vrai dans le cadre de traitements palliatifs et/ou de dernière chance (thérapie anticancéreuse, par exemple).
(1) Voir article “Prescription et délivrance de médicaments chez le lapin de compagnie” dans ce numéro.
(2) Voir article “Utilisation raisonnée des antibiotiques chez le lapin de compagnie” dans ce numéro.
Conflit d’intérêts : Les auteurs ont des liens commerciaux avec la société Virbac.
L’instabilité du principe actif de la nouvelle formulation, qui se solde le plus souvent par une inefficacité, voire un risque de toxicité, peut être secondaire à [7] :
– des excipients ou diluants ayant induit une altération du pH de l’environnement du principe actif ou introduit des agents dégradant celui-ci ;
– une concentration inadaptée du principe actif ;
– des réactions chimiques facilitées par des modifications d’humidité, de luminosité, de pH ou de température conduisant à des conditions de conservation différentes du produit initial ;
– la présence d’oxydants (métaux, etc.) pouvant chélater le principe actif ;
– la combinaison de molécules qui s’inactivent l’une l’autre (une base faible mélangée à un acide faible, par exemple) ;
– une préparation non homogène, notamment due à la sédimentation des produits.
L’absence sur le marché de formulation médicamenteuse adaptée à l’administration chez le lapin, mais aussi de posologies adéquates pour cette espèce, oblige souvent le vétérinaire à recourir au principe de la cascade qui ne cible pas ses besoins spécifiques. La littérature scientifique disponible peut permettre de surmonter ces écueils, à la condition de conserver un esprit critique sur les différentes sources et de savoir jongler entre celles-ci. Lors d’utilisation de préparations extemporanées, la possibilité d’une perte d’efficacité, voire d’innocuité, secondaire à la modification de formulation doit toujours être envisagée par le vétérinaire prescripteur, particulièrement dans les cas d’échec thérapeutique ou d’effets secondaires dus au traitement. L’expérience clinique du praticien et l’évaluation du lapin doivent primer dans tous les cas, chaque animal et situation étant uniques.