REPRODUCTION
Démarche face aux principaux dilemmes
Auteur(s) : Jérôme Gagnon
Fonctions : Service d’oncologie,
Western College of Veterinary Medicine,
University of Saskatchewan,
52 Campus Drive,
Saskatoon, SK Canada,
S7N 5B4.
Les tumeurs de la glande mammaire sont fréquentes chez les chiens et les chats. L’approche diagnostique est similaire dans les deux espèces, mais la stratégie thérapeutique est différente.
La majorité (85 à 95 %) des tumeurs de la glande mammaire félines sont malignes (les adénocarcinomes étant le diagnostic le plus fréquent), alors qu’environ la moitié sont bénignes chez la chienne. De plus, seule la moitié des chiennes affectées par un néoplasme malin développent des métastases [4, 35, 38]. En d’autres termes, environ 75 % des chiennes avec des tumeurs de la glande mammaire seront traitées adéquatement par excision chirurgicale seulement. Chez les chattes, l’approche chirurgicale à elle seule ne suffit souvent pas à contrôler la maladie.
Avant de discuter de l’approche diagnostique et thérapeutique, il est important de mentionner les facteurs préventifs des carcinomes mammaires (encadré 1 complémentaire sur http://www.lepointveterinaire.fr)(1).
Les tumeurs de la glande mammaire sont souvent une trouvaille fortuite durant l’examen de routine. Le propriétaire peut aussi avoir trouvé une ou des masses sur son animal avant de consulter.
Le signalement de l’animal peut fournir des informations pronostiques. Le risque de tumeurs mammaires malignes est plus élevé chez les chiennes de race de grande taille que chez celles de race de petite taille (58 % contre 25 %) [8]. Les chattes de race siamoise semblent aussi prédisposées à développer des tumeurs mammaires malignes [5, 7].
Les chiennes ont cinq paires de glandes mammaires (deux paires de glandes thoraciques ou craniales, deux paires de glandes abdominales et une paire de glandes inguinales ou caudales), tandis que les chattes en possèdent quatre. Les glandes mammaires caudales sont les plus souvent affectées par un processus néoplasique [42]. Une attention particulière doit être apportée à la palpation de l’ensemble des chaînes mammaires (photos 1a et 1b). De multiples masses sont rapportées dans environ 70 % des cas chez les chiennes et 60 % chez les chattes [5, 19, 36]. Les masses multiples peuvent représenter soit des néoplasmes primaires simultanés, soit l’extension régionale d’une lésion primaire.
Le diamètre maximal des masses doit être mesuré et noté au dossier de l’animal (tableau). Chez la chienne, des masses de moins de 3 cm sont associées à un meilleur pronostic (temps de survie prolongé), alors que celles de plus de 5 cm ont généralement un pronostic plus réservé [1, 11, 23]. Les tumeurs de plus de 3 cm chez les chattes sont associées à un taux de survie plus court, tandis que les nodules de moins de 2 cm ont un bon pronostic avec traitement chirurgical [12, 34].
En raison du drainage lymphatique complexe des glandes mammaires, les nœuds lymphatiques axillaires et inguinaux doivent être rigoureusement évalués. Chez les chiennes, les glandes thoraciques drainent généralement vers les nœuds lymphatiques axillaires et sternaux, la glande inguinale vers les nœuds lymphatiques inguinaux, et les glandes abdominales vers les nœuds axillaires et inguinaux (et parfois poplités) [24]. Cependant, un remaniement du drainage lymphatique est fréquent lors du développement tumoral. Le drainage lymphatique chez les chattes n’est pas aussi prévisible et différents nœuds lymphatiques peuvent être affectés, indifféremment du site primaire de la tumeur [23]. Une lymphangiographie indirecte peut être un outil utile dans la détermination précise des nœuds lymphatiques sentinelles drainant.
La présence de nœuds lymphatiques volumineux, d’un œdème, d’ulcérations et de fixation aux tissus souscutanés peut suggérer un caractère malin [38].
Le carcinome inflammatoire mammaire est une entité clinique spécifique [25, 27, 29]. Les chiennes (et plus rarement les chattes) sont généralement présentées avec des tumeurs chaudes, érythémateuses, de l’œdème, des ulcères et de la douleur intense à la palpation. Ces tumeurs peuvent parfois être confondues avec une mammite. Dans certains cas, le diagnostic ne devient apparent qu’avec la déhiscence d’une incision, après l’excision d’une tumeur mammaire (en particulier chez les chattes).
La cytologie d’une masse affectant la glande mammaire est souvent la première étape diagnostique, mais ce test est associé à certaines limitations. Cette procédure diagnostique peut identifier une population de cellules épithéliales, mais peut parfois ne pas différencier une tumeur bénigne d’un processus malin (photo 2).
Ce test est plutôt utilisé pour exclure d’autres causes de masses mammaires, telles qu’un abcès, un lipome ou un mastocytome.
Une cytologie devrait aussi être effectuée sur tous les nœuds lymphatiques palpables. La présence de métastases régionales dans le nœud lymphatique peut ainsi être détectée. Le résultat de ce test est important pour planifier le traitement (décision d’exciser le nœud lymphatique, chimiothérapie si ce dernier est positif). La présence de métastases nodales peut aussi affecter négativement le pronostic.
Une biopsie est nécessaire pour confirmer le diagnostic de carcinome de la glande mammaire. Les recommandations chirurgicales sont similaires pour les adénomes et les carcinomes. Une seule procédure chirurgicale peut donc être considérée et peut être à la fois diagnostique (biopsie excisionnelle) et thérapeutique.
Si plusieurs masses sont présentes, elles doivent toutes être soumises pour analyse. Certains animaux peuvent avoir des tumeurs concomitantes de différentes histologies.
Un grade histopathologique est attribué aux carcinomes mammaires canins, d’après le système élaboré par Elston et Ellis. Ce système tient compte d’informations sur la formation de tubules, le pléomorphisme nucléaire et l’index mitotique [3, 9]. Un grade est attribué aux tumeurs : grade 1 si elles sont bien différenciées, grade 2 si elles sont modérément différenciées et grade 3 si elles sont peu différenciées. Cette information aide le clinicien à décider si la chimiothérapie est indiquée comme traitement adjuvant après la chirurgie. Le taux de survie est significativement plus court pour les femelles atteintes d’un carcinome mammaire simple de grade 2 ou 3, comparativement aux tumeurs de grade 1. Celles atteintes d’une tumeur de grade 3 ont un risque 21 fois plus élevé de mourir que celles qui ont une tumeur de grade 1 ou 2 [9].
La plupart des animaux étant âgés au moment du diagnostic, obtenir des données de base grâce à l’hématologie, la biochimie et l’analyse d’urine est recommandé avant l’anesthésie et la chirurgie pour s’assurer qu’aucune maladie concomitante n’est présente.
Les radiographies thoraciques peuvent détecter la présence de nodules pulmonaires, de lymphadénomégalie sternale, axillaire ou trachéo-bronchique, ou d’effusion pleurale suggérant la présence de métastases (carcinomatose pleurale). Les métastases sont associées à un mauvais pronostic et leur détection peut changer les décisions du propriétaire concernant le traitement de l’animal (photo 3). Plus de 25 % des chattes présentent des métastases aux nœuds lymphatiques ou aux poumons au moment du diagnostic [4, 38]. Des maladies concomitantes peuvent aussi être diagnostiquées par radiographie, telles que des maladies cardiaques ou pulmonaires pouvant affecter l’approche anesthésique.
L’échographie abdominale est recommandée avant la chirurgie pour les animaux ayant des métastases aux nœuds lymphatiques inguinaux ou des résultats de tests sanguins suggérant une maladie abdominale (élévation des enzymes hépatiques, par exemple). Cet examen fait partie intégrante du bilan d’extension de toute tumeur maligne, une fois le diagnostic établi.
La chirurgie est le traitement de choix tant chez la chienne que chez la chatte diagnostiquée avec une tumeur de la glande mammaire. Elle est contre-indiquée seulement dans les cas de carcinome inflammatoire mammaire (développés à l’étape 3 de cet article) ou de métastases “à distance” (poumons, foie, os, etc.) au moment du diagnostic.
Chez la chienne, l’objectif est d’utiliser la procédure minimale permettant l’excision de la masse avec des marges adéquates [1, 14]. Il est habituellement atteint par mastectomie partielle. En général, des marges latérales de 2 cm (moins si nécessaire chez les chiennes de petite taille) et un plan de fascia pour la marge profonde sont recommandés. Dans certains cas, il peut être nécessaire d’inclure la paroi abdominale afin d’obtenir une marge profonde adéquate.
Une mastectomie unilatérale radicale peut être envisagée chez les chiennes sexuellement intactes au moment du diagnostic, en raison du haut risque d’autres tumeurs mammaires dans la chaîne ipsilatérale.
Une étude a démontré que 58 % des chiennes non stérilisées traitées par mastectomie régionale développent une tumeur dans une autre glande de la chaîne ipsilatérale. Environ 75 % de ces deuxièmes tumeurs sont malignes [39]. La mastectomie unilatérale radicale est une option pouvant être discutée avec le propriétaire, tout en considérant que cette procédure est trop invasive dans 42 % des cas où la situation peut être traitée par une procédure plus simple telle que mastectomie régionale (associée avec moins de complications chirurgicales). La mastectomie radicale est aussi recommandée chez les femelles atteintes de multiples tumeurs le long d’une chaîne (il est plus simple d’effectuer une seule chirurgie pour enlever la chaîne que plusieurs procédures pour retirer plusieurs masses).
Une mastectomie unilatérale ou bilatérale radicale est considérée comme la méthode chirurgicale de choix chez la chatte. L’objectif d’une mastectomie radicale est de diminuer le risque de récidive locale [7, 15]. Nous recommandons la procédure unilatérale pour les masses solitaires ou si de multiples masses sont présentes unilatéralement. La procédure bilatérale est réservée aux chattes avec de multiples masses bilatéralement. Elle est généralement planifiée en deux étapes, où un intervalle de 2 à 6 semaines est prévu entre les deux chirurgies. Une mastectomie bilatérale radicale accomplie en une procédure chirurgicale est habituellement associée à de plus grands risques de complications causées par les tensions chirurgicales et des douleurs postopératoires plus sévères. Le nœud lymphatique inguinal est excisé en routine lors de mastectomie radicale, tandis que le nœud lymphatique axillaire est excisé si une cytologie préopératoire a confirmé la présence de métastases.
L’ovariohystérectomie au moment de l’excision de tumeurs mammaires est une pratique qui demeure controversée. Nous la recommandons en nous appuyant sur les résultats d’une étude ayant démontré que les chiennes stérilisées au moment de l’excision d’une tumeur mammaire avaient plus de chance de vivre au moins 2 ans après la chirurgie que les chiennes demeurant sexuellement intactes [1].
Les chiennes stérilisées moins de 2 ans avant la mastectomie survivent plus longtemps que celles demeurant intactes ou celles stérilisées plus de 2 ans avant la mastectomie (temps médian de survie de 755 jours versus 301 et 286 jours respectivement) [36, 37]. L’ovariohystérectomie semble avoir des bénéfices pour les chiennes atteintes de carcinomes mammaires de grade 2 qui ont des récepteurs à œstrogènes, ou des femelles avec un taux élevé d’estradiol durant la période péri-opératoire [12]. L’ovariohystérectomie au moment de la mastectomie diminue de 50 % le risque de développer de nouvelles tumeurs chez les chiennes affectées par une tumeur bénigne [11]. L’ovariohystérectomie doit avoir lieu avant l’excision de la tumeur mammaire pour prévenir l’implantation de cellules tumorales dans la cavité abdominale.
Le rôle de la chimiothérapie dans le traitement des carcinomes mammaires chez la chienne reste à déterminer. En revanche, cette thérapie est recommandée dans la majorité des tumeurs mammaires félines.
La chimiothérapie est indiquée pour les chiennes présentant des carcinomes de grade 3, selon le système d’Elston et Ellis, lorsque des embolies de cellules tumorales sont visibles dans la vascularisation à l’histopathologie, ou lors de métastases documentées par cytologie ou radiographie. La chimiothérapie est aussi considérée pour les chiennes présentant des tumeurs mesurant plus de 5 cm. Cependant, certains auteurs la recommandent pour les masses mesurant plus de 3 cm [28]. Différents agents chimiothérapeutiques ont été évalués : le cyclophosphamide, la doxorubicine, le carboplatine, la mitoxantrone, le 5-fluorouracil, le paclitaxel et la gemcitabine (ces trois dernières molécules ne sont pas accessibles aux vétérinaires en France) [10, 16, 32, 40]. Nous utilisons la doxorubicine en traitement de première ligne pour les chiennes considérées à risque de développer des métastases (30 mg/m2 pour les chiens de plus de 10 kg ou 1 mg/ kg pour les chiens de moins de 10 kg par voie intraveineuse [IV], une dose toutes les 3 semaines pour un total de cinq doses).
La chimiothérapie est recommandée pour tous les carcinomes mammaires félins mesurant plus de 3 cm, étant donné le comportement biologique plus agressif de ces tumeurs [41]. Cependant, certains auteurs recommandent la chimiothérapie pour tous les cas de carcinomes mammaires félins, sans tenir compte des dimensions initiales de la tumeur. L’utilisation de doxorubicine (1 mg/kg IV, une dose toutes les 3 semaines pour un total de cinq doses) comme traitement adjuvant après la chirurgie donne un temps de survie médian de 448 jours et un taux de survie à 1 an et à 2 ans respectivement de 58,9 % et 37,2 % [21].
Dans une autre étude, le temps médian de survie chez les chattes traitées avec une mastectomie unilatérale et chimiothérapie à base de doxorubicine est statistiquement plus long que pour les chattes traitées avec cette chirurgie sans chimiothérapie (1 998 versus 414 jours). Dans cette même étude, lorsque tous les types de chirurgie sont confondus, l’utilisation de la chimiothérapie adjuvante n’a pas d’effet sur la survie médiane des chattes [18].
L’utilisation de la radiothérapie est limitée pour le traitement de carcinomes mammaires en médecine vétérinaire, car la chirurgie peut habituellement contrôler la maladie localement de façon adéquate. Toutefois, des protocoles de radiothérapie palliatifs pourraient aider à améliorer la qualité de vie de certains animaux en stade avancé (métastases pulmonaires), présentant des tumeurs de taille trop grande pour être excisées, ou des carcinomes inflammatoires mammaires.
Une thérapie hormonale (avec du tamoxifène) est éventuellement possible, ainsi que de l’immunothérapie, mais nous ne les recommandons pas (encadré 2 complémentaire sur http://www.lepointveterinaire.fr).
Bien que rares, les mâles peuvent aussi développer des tumeurs de la glande mammaire. Ces tumeurs peuvent être associées à des anomalies hormonales, comme la production d’œstrogène par une tumeur testiculaire des cellules de Sertoli. Une étude rétrospective a démontré que la majorité des tumeurs mammaires chez les chiens mâles sont bénignes et peuvent être traitées adéquatement avec une approche chirurgicale [30].
Une autre étude rétrospective chez les chats a permis de constater que les carcinomes mammaires présentent un comportement biologique similaire chez les mâles et les femelles [33]. Une approche thérapeutique combinant une mastectomie radicale unilatérale ou bilatérale et de la chimiothérapie est donc recommandée pour les chats mâles atteints de carcinomes mammaires.
Lors de carcinomes inflammatoires mammaires, la chirurgie est généralement contre-indiquée en raison des risques de déhiscence, de récidive locale rapide et de coagulation intravasculaire disséminée postopératoire. L’utilisation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) pourrait aider, car l’expression élevée de COX-2 a été démontrée dans les carcinomes inflammatoires mammaires [29]. Des médianes de survie autour de 6 mois sont rapportées avec un traitement à base de piroxicam, selon deux études rétrospectives [2, 17]. En général, l’objectif de la thérapie est palliatif, avec l’utilisation de médications contre la douleur (incluant les AINS) et des protocoles palliatifs de radiothérapie.
Les sarcomes de la glande mammaire sont rares. Ils ont un comportement biologique agressif et un mauvais pronostic à long terme [3, 6]. Un traitement combinant la chirurgie et la chimiothérapie (protocole incluant doxorubicine ou carboplatine) est indiqué. La glande mammaire est un site commun pour le développement d’ostéosarcomes extrasquelettiques. L’utilisation adjuvante de chimiothérapie pour les chiens avec des ostéosarcomes extrasquelettiques diminue en général les risques de mort causée par la tumeur, comparativement aux chiens traités avec seulement la chirurgie [13].
La stérilisation en bas âge peut diminuer le risque de tumeurs de la glande mammaire (avant le deuxième œstrus chez la chienne et avant l’âge de 1 an chez la chatte). L’histopathologie confirme le diagnostic de carcinome mammaire et est habituellement obtenue au moment du traitement chirurgical. Une mastectomie partielle est indiquée chez la chienne et une mastectomie radicale unilatérale ou bilatérale est recommandée chez la chatte. La chimiothérapie adjuvante est indiquée pour les chiennes avec des tumeurs mesurant plus de 5 cm, des tumeurs de grade 3, des embolies de cellules néoplasiques intravasculaires ou des métastases aux nœuds lymphatiques. La plupart des chattes présentant un carcinome mammaire sont traitées par chimiothérapie, en particulier si la tumeur mesure plus de 3 cm.
(1) Voir l’article “Impact de la stérilisation pour la prévention des cancers” d’É. Rosset, dans ce numéro.
Aucun.
→ La majorité des tumeurs mammaires félines sont malignes, alors qu’environ la moitié des tumeurs mammaires canines sont bénignes.
→ L’approche diagnostique est similaire chez la chienne et la chatte, mais les recommandations thérapeutiques sont différentes dans les deux espèces.
→ Les chiennes sont généralement traitées avec une mastectomie partielle et les chattes avec une mastectomie radicale.
→ La chimiothérapie est recommandée pour la majorité des chattes atteintes de carcinomes mammaires.