Shunt portosystémique acquis chez une jeune chienne - Le Point Vétérinaire expert canin n° 346 du 01/06/2014
Le Point Vétérinaire expert canin n° 346 du 01/06/2014

GASTROENTÉROLOGIE CANINE

Cas clinique

Auteur(s) : Vanessa Seigue*, Laurent Couturier**

Fonctions :
*Azurvet, 2, boulevard Kennedy
06800 Cagnes-sur-Mer

Le shunt portosystémique acquis est une affection rare pour laquelle l’angioscanner apporte une grande aide au diagnostic.

La suspicion clinique d’un shunt chez un jeune animal est fondée sur les commémoratifs, l’anamnèse et des dosages biochimiques (augmentation des acides biliaires pré- et postprandiaux, hyperammoniémie). Un examen d’imagerie fiable est indispensable pour confirmer le diagnostic et en déterminer l’origine afin de proposer un éventuel traitement chirurgical. L’objectif de cet article est d’illustrer, à travers un cas clinique, les difficultés diagnostiques des shunts acquis et la nécessité d’effectuer un diagnostic différentiel rigoureux et des examens d’imagerie.

CAS CLINIQUE

1. Commémoratifs

Une chienne golden retriever âgée de 3 ans, non stérilisée, est référée pour explorer un épanchement abdominal à l’échographie. Elle a été présentée pour une distension abdominale d’apparition aiguë 15 jours auparavant, associée à une fatigabilité et à une apathie progressive. Une ponction de l’épanchement a été réalisée et a révélé la présence d’un transudat pur : liquide eau de roche, de densité 1006. Le dosage des acides biliaires est supérieur à 30 µmol/l en phases pré- et postprandiale.

2. Examen clinique

La chienne est présentée avec un abdomen très distendu avec un signe du flot positif. Elle est amaigrie. Aucune autre anomalie significative à l’examen clinique n’est notée.

3. Hypothèses diagnostiques

En présence d’un transudat pur, il convient de rechercher une éventuelle hypoalbuminémie ou une hypertension portale présinusoïdale (tableau).

Une biochimie a été réalisée chez un confrère. Le taux protéique est de 63 g/l (valeurs usuelles de 50 à 72 g/l) et l’albuminémie de 26 g/l (valeurs usuelles de 26 à 40 g/l). L’hypoalbuminémie étant infirmée par la biochimie, une hypertension portale est suspectée.

Des examens d’imagerie sont requis pour confirmer l’hypertension portale présinusoïdale et en déterminer l’origine.

4. Examens complémentaires

Échographie

L’examen échographique révèle la présence d’un épanchement anéchogène important (liquide eau de roche, densité de 1006). Le foie est de petite taille (évaluation subjective), mais le diamètre de la veine porte est normal en regard du hile. Le parenchyme pancréatique est “tigré”, un aspect caractéristique d’un oedème pancréatique, avec une dilatation de la veine pancréatico-duodénale craniale et de la veine gastroduodénale (photo 1). La paroi intestinale est d’épaisseur normale. Un long vaisseau dilaté et tortueux partant de la veine splénique et se terminant dans la veine rénale gauche est également mis en évidence (photo 2). Le flux portal à l’entrée du foie est diminué (photo 3). Il est de l’ordre de 4 à 5 cm/s et mesuré selon la méthode de la valeur maximale décrite par Nyland (volume échantillon au milieu de la veine porte, angle entre la veine porte et la ligne de tir inférieur à 60°) [6]. Pour obtenir la vitesse moyenne porte, ce résultat est multiplié par un coefficient de 0,57, ce qui donne une vitesse comprise entre 2,3 et 2,8 cm/s chez cet animal. Chez le chien, la norme est de 10 à 25 cm/s, d’après Mattoonet coll. [4].

Une hypothèse de shunt acquis splénorénal est émise, probablement secondaire à une affection hépatique primitive (micro-hépatie).

Les lésions hépatiques primitives sont rares et peu documentées en médecine vétérinaire.

Afin de mieux visualiser le vaisseau anormal, un angioscanner est réalisé.

Scanner

L’animal est anesthésié (induction au propofol par voie intraveineuse, à la dose de 6 ml/10 kg, puis relais à l’isoflurane après intubation) et placé en décubitus dorsal. Il reçoit une injection intraveineuse d’iothalamate de sodium (Telebrix 35®, à la dose de 800 mg/kg). Une hélice en algorithme parenchymateux est commencée dès la fin de l’injection afin d’optimiser la phase portale de l’injection, qui débute en moyenne environ 15 secondes après l’injection [5]. Le long vaisseau tortueux identifié à l’échographie est facilement visualisé partant de la veine splénique, avec une boucle en regard de la face ventromédiale du rein gauche et s’abouchant dans la veine rénale gauche par l’intermédiaire de la veine gonadique (photo 4).

5. Diagnostic

Un diagnostic de shunt extra-hépatique acquis est confirmé avec la présence d’un shunt splénogonadique. Cependant, l’origine de l’hypertension n’est pas déterminée. Une biopsie hépatique permettrait d’établir un diagnostic, mais elle n’est pas réalisable le jour des examens en raison de l’ascite. Par la suite, le propriétaire n’a pas souhaité que cet examen soit pratiqué étant donné le pronostic sombre de l’affection.

6. Traitement

Lors de shunt acquis, toute intervention chirurgicale est contre-indiquée car ligaturer le shunt majorerait l’hypertension portale. Seul un traitement médical a été mis en place, qui comporte une alimentation spécifique (L/D) et une administration de spironolactone (Prilactone®, 2 mg/kg/j), de furosémide (Dimazon®, 1 mg/kg deux fois par jour) et de Silycure® (150 mg deux fois par jour). Une semaine après le diagnostic et la mise en place du traitement, l’abdomen de l’animal a bien diminué de taille (disparition du signe du flot), l’appétit est normal et l’activité jugée meilleure par les propriétaires.

DISCUSSION

Les shunts portosystémiques sont classés selon qu’ils sont intra- ou extra-hépatiques.

Les shunts intra-hépatiques sont congénitaux et également catégorisés selon leur localisation dans le foie : division droite, gauche ou centrale.

Les shunts extra-hépatiques peuvent être congénitaux ou acquis, uniques ou multiples. Dans le cas ici rapporté, il s’agit d’un shunt extra-hépatique.

1. Topographie des shunts extrahépatiques

Il est primordial de différencier les shunts extra-hépatiques selon qu’ils sont congénitaux ou acquis pour envisager le traitement.

Shunts extra-hépatiques congénitaux

Les shunts extra-hépatiques congénitaux sont classés en six grands groupes anatomiques : spléno-cave, splénoazygos, spléno-phrénique, gastrique (droit)-cave, gastrique (droit)-cave avec boucle caudale et gastrique (droit)-azygos [5].

Shunts extra-hépatiques acquis

Les shunts extra-hépatiques acquis sont classés en deux grands groupes :

– les shunts macroscopiques (de diamètre important) entre la veine splénique et la veine gonadique gauche ou la veine rénale gauche ;

– les shunts de petite taille aussi appelés “varices”. Ils peuvent être situés dans le thorax (autour de l’oesophage, du coeur) et l’abdomen (autour du diaphragme, du pancréas, du duodénum, du mésentère, etc.). Ces varices ne sont pas visibles à l’échographie, mais seulement au scanner [1].

La visualisation d’un vaisseau tortueux et anormal dans l’abdomen est un argument en faveur d’un shunt extra-hépatique. La connaissance de l’anatomie vasculaire permet de différencier un shunt acquis d’un shunt congénital.

La reconnaissance d’un shunt acquis passe aussi par la compréhension de sa mise en place, qui est toujours secondaire à une hypertension portale.

2. Suspecter et diagnostiquer une hypertension portale

Un shunt acquis est secondaire à une hypertension portale. Celle-ci doit être recherchée pour confirmer le diagnostic. Dans notre cas, la présence d’un transudat pur était le signe indirect fort d’une hypertension portale. À l’échographie, la présence d’une hypertension portale se diagnostique grâce à la mesure du flux portal. Le flux normal est biphasique, avec une accélération en expiration et une moindre vélocité en inspiration. Cela est dû au mouvement caudal du diaphragme en inspiration qui comprime les veines sus-hépatiques, ce qui ralentit le flux hépatique. Une autre technique Doppler (mesure par insonation uniforme) utilise un volume échantillon qui englobe les parois de la veine porte et aucun coefficient de correction n’est ensuite appliqué, d’après Lamb et Mahoney [3]. En cas d’hypertension, le flux est modifié : apparition d’un flux hépatofuge (visible en mode Doppler couleur) ou de vélocité basse (flux portal normal de 10 à 25 cm/s). Ce phénomène peut également être suspecté à l’angioscanner [8].

La présence d’un shunt acquis est toujours associée à une hypertension portale. Cependant, une hypertension portale peut aussi être associée à un shunt congénital et à une maladie hépatique primitive (hypoplasie portale microscopique anciennement appelée “dysplasie microvasculaire”). Cela représente un piège diagnostique. Une fois l’hypertension portale confirmée, son origine doit être recherchée, afin d’adapter le traitement.

3. Étiologie de l’hypertension portale

L’hypertension portale est due à une résistance au passage du flux sanguin dans la veine porte. Cette résistance peut provenir d’une obstruction pré-hépatique, intra-hépatique ou post-hépatique. Les occlusions intra-hépatiques sont les plus fréquemment incriminées dans les hypertensions portales et les shunts acquis [2]. Des maladies hépatiques chroniques chez des animaux âgés, telles qu’une hépatite, une fibrose, une cirrhose ou un néoplasme, peuvent en être à l’origine. Des affections primaires du foie chez le jeune sont aussi possiblement en cause : fistules artério-veineuses, hypoplasie porte intra-hépatique microscopique, hypoplasie/atrésie de la veine porte principale, hypertension idiopathique non cirrhotique du foie.

À la suite de l’hypertension portale, les vaisseaux embryonnaires se développent et les varices deviennent macroscopiques. Il s’agit d’un mécanisme d’adaptation. La coexistence de shunts acquis et congénitaux a été décrite chez plusieurs chiens, et rend d’autant plus pertinente la réalisation d’un examen d’imagerie préopératoire fiable et de grande qualité, comme le scanner [2].

Dans notre cas, la possibilité d’une hépatite chronique n’a pas été évoquée, bien que le labrador soit une race prédisposée, en raison du jeune âge de l’animal (l’âge moyen des labradors qui présentent une hépatite chronique est de 7 ans).

4. Limites de l’échographie et intérêt du scanner

L’échographie est une excellente technique de première intention lors de suspicion de shunt portosystémique (avec un bilan des acides biliaires pré- et postprandiaux préalable en faveur de cette hypothèse). Si elle n’est pas concluante (shunts multiples, difficultés d’examen, manque d’expérience), un angioscanner peut être réalisé pour s’affranchir de ces contraintes.

Lors de shunt acquis associé à la présence d’une ascite en quantité importante, comme dans ce cas, la réalisation d’un examen échographique devient plus délicate en raison de l’augmentation de volume, le contraste étant en revanche renforcé. De plus, les petits vaisseaux des shunts acquis restent difficiles à visualiser à l’échographie [4]. L’angioscanner devient alors l’examen de choix.

D’après Zwingenberger et coll., l’angioscanner donne plus de détails sur l’anatomie vasculaire, comparativement à l’échographie ou à la laparotomie, lors de shunt congénital ou acquis [8]. Il consiste à injecter un produit de contraste et à réaliser l’hélice abdominale pendant les temps artériel et portal de rehaussement vasculaire. Cet examen permet le plus souvent de visualiser l’origine et l’insertion des shunts (photo 5). Ce qui n’est pas toujours le cas, même à la laparotomie, et il convient d’être en mesure de décrire les abouchements précis d’un shunt congénital en cas de décision opératoire.

Conclusion

Le shunt acquis chez le jeune chien est une maladie rare qu’il convient de savoir reconnaître pour ne pas la confondre avec un shunt congénital, dont le traitement est différent. L’angioscanner est l’examen de choix pour confirmer la présence d’un shunt acquis. Seules les biopsies du foie permettent un diagnostic précis de l’affection hépatique primitive à l’origine de l’hypertension portale, donc des shunts acquis.

Références

  • 1. Bertolini G. Acquired portal collateral circulation in the dog and cat. Vet. Radiol. Ultrasound. 2010;51(1):25-33.
  • 2. Ferrel EA, Graham JP, Hanel R et coll. Simultaneous congenital and acquired extrahepatic portosystemic shunts in two dogs. Vet. Radiol. Ultrasound. 2003;44(1):38-42.
  • 3. Lamb CR, Mahoney PN. Comparison of 3 methods for calculating portal blood flow velocity in dogs using duplex- Doppler ultrasonograph. Vet. Radiol. Ultrasound. 1994;35:190-194.
  • 4. Mattoon JS, Auld DM, Nyland TG. The liver. In: Nylan TG, Mattoon JS, eds. Small animal diagnostic ultrasound. 2nd ed. 2002:93-127.
  • 5. Nelson NC, Nelson LL. Anatomy of extrahepatic portosystemic shunts in dogs as determined by computed tomography angiography. Vet. Radiol. Ultrasound. 2011;52(5):498-506.
  • 6. Nyland TG, Fisher PE. Evaluation of experimentally induced canine hepatic cirrhosis using duplex Doppler ultrasound. Vet. Radiol. ultrasound. 1990;31:189-194.
  • 7. Zwingenberger AL, McLear RC, Weisse C. Diagnosis of arterioportal fistulae in four dogs using computed tomographic angiography. Vet. Radiol. Ultrasound. 2005;46(6):472-477.
  • 8. Zwingenberger AL, Schwarz T, Saunders M. Helical computed tomographic angiography of canine portosystemic shunts. Vet. Radiol. Ultrasound. 2005;46(1):27-32.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La présence d’une hypertension portale à l’échographie doit conduire à rechercher un shunt acquis secondaire.

→ La détermination de l’origine du shunt (acquis ou congénital) est indispensable puisqu’elle détermine l’attitude thérapeutique.

→ L’angioscanner est l’examen complémentaire de choix dans l’exploration des shunts acquis.

→ La connaissance de la topographie anatomique des shunts acquis est requise pour les mettre en évidence sur les examens d’imagerie.

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