HÉPATOLOGIE-INFECTIOLOGIE
Cas clinique
Auteur(s) : Delphine Dullin
Fonctions : HOPia, anciennement
Clinique vétérinaire Bozon
49, rue des Chantiers
78000 Versailles
Les tumeurs du foie ne provoquent une altération de l’état général que tardivement. Dans certains cas, une complication surinfectieuse peut en permettre une découverte anticipée et,?paradoxalement, améliorer le pronostic.
Les affections hépatiques du chat sont majoritairement représentées par les maladies inflammatoires et notamment la cholangite neutrophilique bactérienne. Les tumeurs hépato-biliaires sont très rares chez le chat et restent peu fréquentes chez le chien. Le cystadénome hépatique biliaire fait partie de ces maladies tumorales et peut s’accompagner de surinfection bactérienne.
Un chat européen mâle castré de 7 ans est présenté pour une dysorexie évoluant vers l’anorexie depuis 1 semaine et un épisode de vomissement 12 heures avant la consultation. L’animal n’a pas d’antécédent majeur, ses vaccins et ses traitements antiparasitaires sont à jour.
L’examen général révèle un animal avec un score corporel de 5/9, présentant un abattement marqué, une déshydratation estimée entre 5 et 8 % et une température rectale à 39,8 °C. Son abdomen est légèrement distendu et sa palpation inconfortable révèle une large masse irrégulière et solide de 5 à 7 cm localisée dans l’abdomen cranial à moyen, dont l’extrémité craniale s’étend au-delà de l’arc de l’hypochondre. Les reins sont à distance de la masse, de surface lisse et de taille normale. La rate est individualisable, sans anomalie et sans contact avec la masse. Le foie est difficilement palpable, a priori en raison du volume occupé par la masse. Le reste de l’examen clinique est sans anomalie.
Le bilan anamnestico-clinique est une anorexie associée à une hyperthermie et une masse abdominale. La priorité est d’identifier la nature de cette masse, puis le cas échéant, de relier l’anorexie et l’hyperthermie à ce signe clinique.
En raison de la localisation cranio-centrale de la masse, les organes pouvant être concernés sont le foie, le pancréas, les nœuds lymphatiques mésentériques, le tube digestif et une surrénale. L’extension de la masse en amont de l’arc de l’hypochondre privilégie l’origine hépatique.
Les origines peuvent être inflammatoire, parasitaire, tumorale, hémorragique ou mécanique (tableau).
En l’absence d’antécédents pouvant laisser suspecter une coagulopathie et ou de traumatisme rapporté chez un chat vivant strictement en appartement, l’hypothèse hémorragique est peu probable. Un bilan de coagulation a été décliné par les propriétaires. Vu son mode de vie et la régularité de son traitement antiparasitaire régulier, les causes parasitaires sont exclues. Les causes privilégiées sont donc une hépatopathie inflammatoire ou tumorale.
La masse étant apparue comme le signe le plus discriminant, une échographie abdominale est réalisée pour la caractériser.
Une masse bosselée d’environ 8 × 5 cm est visualisée, issue du lobe hépatique gauche. Elle est hyperéchogène par rapport au parenchyme hépatique, avec de nombreuses cavités kystiques. La démarcation entre les parties normale et lésionnelle du parenchyme hépatique est nette et s’étend sur environ 7 cm dans le plan frontal avec une épaisseur maximale de 2 cm dans le plan sagittal (photo 1).
Le réseau biliaire présente un épaississement pariétal marqué. La vésicule, de contenu anéchogène et située à l’écart de la masse, est notamment concernée (3 mm d’épaisseur pariétale) (photo 2).
Le reste de l’échographie abdominale est sans anomalie : absence d’épanchement, de carcinomatose ou d’adénomégalie abdominale.
Un profil hémato-biochimique est réalisé afin d’explorer l’hyperthermie, d’objectiver une réaction inflammatoire systémique, de caractériser l’atteinte hépatique et, le cas échéant, de préparer une intervention chirurgicale.
L’hématologie révèle un comptage leucocytaire normal à 5,84 × 109/l (valeurs usuelles [VU] : 2,87 à 17,02). L’analyse par classe leucocytaire identifie une neutropénie sévère à 0,22 × 109/l (VU : 1,48 à 10,29) associée à une monocytose marquée à 1,8 × 109/l (VU : 0,05 à 0,67). Les lignées rouge et plaquettaire sont normales. Ces résultats sont compatibles avec un processus inflammatoire subaigu très actif.
La biochimie révèle une élévation isolée et sévère des g-glutamyl-transférases à 9 UI/l (VU : 0 à 4) (alanine aminotransférase [Alat], phosphatase alcaline [PAL], bilirubine totale, urée, glycémie et cholestérol sont dans les valeurs usuelles) orientant vers une pathologie primaire ou secondaire du réseau biliaire. Ces analyses placent en hypothèse principale un processus inflammatoire (aseptique, infectieux ou tumoral) affectant les voies biliaires.
Il s’agit donc d’une masse hépatique. En raison de son caractère polykystique, une tumeur du réseau biliaire est prioritairement considérée. En raison de la haute prévalence des métastases péritonéales et abdominales et de l’élévation des enzymes hépatocytaires en cas de carcinome, non objectivées chez ce chat, un cystadénome biliaire est fortement suspecté.
D’autre part, l’épaississement pariétal des voies biliaires et notamment de la vésicule, en conjonction avec une dégradation clinique soudaine avec hyperthermie et vomissement, laissent suspecter une cholangite bactérienne associée.
L’exérèse chirurgicale complète du cystadénome biliaire est curative. Compte tenu de la forte suspicion clinique chez ce chat, les propriétaires optent pour une intervention chirurgicale rapide, sans passer par la confirmation diagnostique histologique d’une biopsie hépatique.
La prémédication à base de midazolam à 0,2 mg/kg (Hypnovel®, Roche) par voie intramusculaire (IM) et méthadone à 0,2 mg/kg IM (Comfortan®, Dechra) est suivie d’une induction au propofol à 2 mg/kg par voie intraveineuse (Propofol®, Abbott) permettant une intubation pour un relais gazeux à l’isoflurane à effet (Vetflurane®, Virbac). Du méloxicam à 0,3 mg/kg est administré par voie sous-cutanée (Metacam®, Boehringer Ingelheim). Dans le contexte d’une chirurgie viscérale d’un organe potentiellement infecté, une injection intraveineuse d’antibiotiques à large spectre de première intention est réalisée : amoxicilline-acide clavulanique à 20 mg/kg (Augmentin®, GlaxoSmithKline).
Une incision cutanée est réalisée depuis le processus xiphoïde jusqu’aux deux tiers de l’abdomen. La ligne blanche est identifiée et incisée. Le ligament falciforme est retiré. La masse polykystique est identifiée (photo 3) et extériorisée (photo 4). Elle se limite aux lobes hépatiques médial et latéral gauches. Des ligatures guillotines sont réalisées dans l’épaisseur du parenchyme hépatique sain à 5 mm de distance de la masse à l’aide de fil tressé à résorption lente (Vicryl® 3-0) (figure). Puis l’exérèse est réalisée aux ciseaux de Metzenbaum (photo 5). L’hémostase hépatique est contrôlée à l’aide d’un bistouri électrique monopolaire (photo 6). Le foie laissé en place est lisse et de couleur normale. La vésicule biliaire est perméable. L’organe est réintégré dans l’abdomen.
La cavité abdominale est inspectée et aucune autre anomalie n’est constatée hormis des nœuds lymphatiques hépatiques discrètement indurés ; ils sont cytoponctionnés en vue d’une analyse cytologique.
L’abdomen est rincé à l’aide d’une poche réchauffée de soluté isotonique (Vetivex® Hartmann’s) de 500 ml et l’abdomen est refermé classiquement en trois plans.
La masse est cytoponctionnée avant d’être immergée dans le formol et envoyée pour analyse histologique (photo 7).
Le réveil du chat est rapide et sans complication. La reprise alimentaire est immédiate. Vingt-quatre heures après la chirurgie, le chat mange convenablement, est confortable à la palpation abdominale malgré l’arrêt progressif des morphiniques et présente une normalisation de sa température. Sa sortie est donc prévue avec une prescription orale de méloxicam à 0,1 mg/kg/j (Metacam®, Boehringer Ingelheim) pour 5 jours et d’amoxicilline-acide clavulanique à 20 mg/kg toutes les 12 heures (Nisamox®, Bayer) pour 2 semaines.
Une large population inflammatoire constituée de polynucléaires neutrophiles plus ou moins dégénérés et de macrophages actifs est prépondérante sur un fond de bacilles extracellulaires. De nombreuses figures de phagocytose sont observées (photo 8).
Une population cellulaire rendue méconnaissable par l’intense dégénérescence qui affecte les cellules, probablement induite par l’inflammation sévère précédemment décrite, est aussi notée (photo 9).
L’analyse cytologique confirme la présence d’une cholangite bactérienne, mais ne permet pas de se prononcer sur l’hypothèse.
L’aspect des trois prélèvements réalisés est compatible avec des nœuds lymphatiques réactionnels. Aucune cellule tumorale ou agent pathogène n’y sont observés.
Les spécimens histologiques révèlent de très nombreuses structures kystiques à diamètre variable bordées de cellules épithéliales tumorales bien différenciées (photo 10). La paroi kystique est essentiellement constituée d’une monocouche cellulaire, mais quelques zones de prolifération sont observées, à l’origine d’épaississements multifocaux (photo 11).
Des foyers d’inflammation neutrophilique sont omniprésents, notamment en périphérie des structures kystiques. Ces dernières sont supportées par une quantité faible à modérée de fibrose et contiennent de volumineux amas de neutrophiles luminaux plus ou moins dégénérés, associés à des macrophages à inclusions basophiliques pouvant évoquer des bactéries (photo 12).
L’analyse histologique est compatible avec un cystadénome biliaire avec surinfection bactérienne.
Les propriétaires rapportent un retour à la normale complet du chat, sans récidive des signes cliniques. L’antibiothérapie n’est pas renouvelée au-delà de sa prescription initiale.
Après 1 an, l’état de santé de l’animal est bon.
Les tumeurs hépatiques sont généralement secondaires ; il s’agit de métastases issues de tumeurs primaires spléniques, pancréatiques et gastro-intestinales. Le foie est aussi atteint par des tumeurs systémiques du type lymphome ou mastocytose [2, 5, 9]. Les tumeurs hépatiques primaires chez le chat sont rares ; leur prévalence est estimée à 1 à 2,9 % des cancers félins [5]. Elles peuvent être réparties en quatre catégories principales : les tumeurs hépatocellulaires (adénome, carcinome, hépatoblastome), les tumeurs des voies biliaires (adénome, carcinome), les sarcomes et les tumeurs neuro-endocriniennes, mais sont le plus fréquemment issues des voies biliaires chez le chat [1].
Qu’elles soient d’origine biliaire ou hépatocytaire, les tumeurs félines concernées sont bénignes dans un peu plus de la moitié des cas. Le pronostic associé à une tumeur hépatique dépend de quatre critères : des résultats histologiques (type et malignité), de la présence de métastases au diagnostic, du type morphologique de la tumeur (massif, nodulaire ou diffus) et de sa localisation [5].
Les tumeurs hépatiques primaires étant à la fois radio- et chimio-résistantes, leur traitement repose uniquement sur une prise en charge chirurgicale. Une tumeur bénigne, unique et focale, située à distance de la vésicule biliaire et de la veine cave caudale sera de meilleur pronostic [8]. L’hépatectomie partielle peut aller jusqu’à 70 % du volume total sans complications, grâce aux capacités de régénération importantes de cet organe [9, 10].
Le cystadénome biliaire est la tumeur hépatique primaire la plus fréquente chez le chat (plus de 50 %) [10]. Celle-ci est à croissance lente et à diagnostic tardif car les signes cliniques pouvant être attendus sont liés à la compression organique induite par un large volume tumoral. Sont alors rencontrés des signes non spécifiques tels que des vomissements et une dysorexie [2].
Les analyses biochimiques ne révèlent pas toujours d’anomalie dans ce contexte. Une élévation des enzymes hépatiques (Alat, aspartate aminotransférase, PAL, bilirubine) est significativement plus fréquente en cas de processus malin (cystadénocarcinome), mais pas nécessairement présente [10].
L’échographie permet d’avancer sur le diagnostic différentiel du type tumoral impliqué et de son caractère malin. En effet, les tumeurs biliaires félines sont souvent polykystiques et l’extension métastatique est presque toujours présente lors du diagnostic de cystadénocarcinomes biliaires (carcinomatose, hypertrophie des nœuds lymphatiques régionaux, etc.) [4, 7, 10].
Une exérèse complète permet d’assurer une rémission clinique au long terme, sans récidive locale [9]. Chez l’homme, la transformation maligne de ces adénomes est décrite et quelques cas de changements anaplasiques ont été rapportés dans l’espèce féline. Autant d’arguments pour préconiser une exérèse chirurgicale précoce [10].
Il existe des facteurs prédisposant aux cholangites ; ils peuvent être d’origine intrahépatique par obstruction des voies biliaires (lithiases, tumeurs) ou extrahépatiques par extension régionale d’une maladie inflammatoire (pancréatite, maladie inflammatoire chronique de l’intestin ou MICI, triade féline) [2, 5]. Chez ce chat, il est probable que l’infection se soit développée secondairement au cystadénome biliaire.
L’animal n’a pas présenté une dégradation lente de l’état général, mais une symptomatologie aiguë accompagnée d’hyperthermie. Plus de la moitié des tumeurs hépatiques dans cette espèce sont asymptomatiques, en particulier les tumeurs bénignes [9, 10]. La cholangite aiguë que le chat a exprimée cliniquement a permis de révéler un processus tumoral sous-jacent asymptomatique.
Après l’intervention, le chat a vite retrouvé l’appétit, ce qui n’est pas si fréquent que cela dans ce type de contexte. Cette observation peut être interprétée de différentes manières. Une première hypothèse s’appuie sur le retrait du foyer infectieux et de la masse volumineuse comprimant les organes adjacents, retirant à la fois une source de nausée ou de compression mécanique. Une seconde hypothèse repose sur l’hypoglycémie postopératoire décrite en cas de lobectomie hépatique, qui stimulerait le centre de la faim [9]. Quoi qu’il en soit, la glycémie n’a pas été dosée après l’opération, l’amélioration de l’état général étant excellente et rapide.
Dans le cas décrit, un certain nombre d’examens complémentaires ont été refusés par les propriétaires pour des raisons financières. La démarche diagnostique et thérapeutique idéale aurait aussi comporté un profil de coagulation avant tout geste interventionnel afin d’évaluer les risques hémorragiques, une biopsie de la masse et un bilan d’extension thoracique (radiographie ou scanner) afin d’exclure une pathologie cancéreuse métastatique, et une culture bactérienne d’un prélèvement biliaire afin d’adapter l’antibiothérapie de manière raisonnée, dans l’éventualité d’une absence de réponse à l’antibiothérapie probabiliste de première intention instaurée [3, 5, 7, 10].
Dans le cas décrit, la présence de bactéries intracellulaires identifiées à la cytologie a été d’une importance majeure. En effet, au niveau histologique, les bactéries peuvent être confondues avec des sels biliaires. La pièce d’exérèse avait un aspect histologique majoritairement bénin, mais de larges plages suppurées assez atypiques étaient aussi présentes multifocalement, avec un pléomorphisme périphérique discret. Sans l’information de la mise en évidence d’une cholangite bactérienne concomitante, ces plages auraient pu être interprétées comme des foyers de nécrose d’une croissance tumorale rapide et auraient pu orienter vers un processus malin. Un diagnostic de carcinome biliaire aurait alors pu être attribué à ce chat, dont le pronostic, même en cas de forme massive et résécable, est extrêmement sombre dans cette espèce [1].
Les tumeurs hépatiques primaires du chat sont majoritairement bénignes. Leur traitement repose uniquement sur l’exérèse chirurgicale. Le pronostic dépend de la nature histologique, du degré de malignité, mais aussi de la morphologie tumorale et de sa localisation. En déformant l’architecture hépatique, les tumeurs du foie figurent parmi les facteurs de prédisposition des cholangites bactériennes. Il convient de suspecter cette complication et de la rechercher par cytologie et culture biliaires afin de traiter l’atteinte hépatique dans son ensemble.
Aucun.
→ Un chat présentant une baisse de l’état général est atteint d’un cystoadénome biliaire, compliqué d’une cholangite, qu’une exérèse et une antibiothérapie ont traités.
→ Les tumeurs hépatiques primaires du chat sont bénignes dans plus de 50 % des cas et l’exérèse chirurgicale complète est curative.
→ Les tumeurs hépatiques sont des facteurs de risque pour les cholangites bactériennes.
→ Une bonne communication avec le laboratoire et un renseignement méticuleux des fiches accompagnatrices des spécimens histologiques sont indispensables pour aboutir au diagnostic.