Fracture de la crête tibiale à la suite d’une ostéotomie de nivellement du plateau tibial - Le Point Vétérinaire expert canin n° 389 du 01/10/2018
Le Point Vétérinaire expert canin n° 389 du 01/10/2018

CHIRURGIE ORTHOPÉDIQUE

Analyse d’article

Auteur(s) : Alexandre Caron

Fonctions : CHV Atlantia
22, rue René-Viviani
44200 Nantes
a.caron@chv-atlantia.com

Le nivellement du plateau tibial est la chirurgie la plus pratiquée à travers le monde pour traiter une rupture du ligament croisé cranial chez le chien [9]. Les complications possibles sont nombreuses [1, 3, 6]. L’article résumé se penche sur les facteurs de risque menant à une complication particulière, qui peut être qualifiée de majeure puisqu’elle nécessite une reprise chirurgicale : la fracture de la crête tibiale [5].

PRÉVALENCE DE LA FRACTURE DE LA CRÊTE TIBIALE

Le taux de fractures de la crête tibiale rapporté dans l’article résumé est faible (0,77 %), ce qui concorde avec les études les plus récentes dans lesquels les chirurgiens étaient très expérimentés [3, 5]. Les études plus anciennes rapportaient des taux de 3 à 9 % [6-8]. Cette variation pourrait correspondre à la courbe d’apprentissage, avec un risque initial accru de fracture. Cette évolution peut plus probablement être attribuée à la meilleure connaissance de la technique et de ses failles. Ainsi, la planification chirurgicale est plus précise pour éviter ce type de complications.

PLANIFICATION DE L’OSTÉOTOMIE DE NIVELLEMENT DU PLATEAU TIBIAL

Technique chirurgicale

La technique chirurgicale est la première partie à maîtriser lors d’une ostéotomie de nivellement du plateau tibial (TPLO). L’article résumé insiste sur le lien entre la broche antirotatoire et le risque de fracture de la tubérosité tibiale. Cette broche est utilisée temporairement au cours de la chirurgie pour stabiliser le plateau tibial après son nivellement, avant de mettre en place la plaque et les vis. Elle est introduite cranialement. L’article résumé souligne deux points importants à ne pas négliger [5]. L’utilisation d’une seule broche est à privilégier, ce qui signifie que la broche doit (dans la mesure du possible) être mise en position satisfaisante au premier essai, afin de ne pas multiplier les tunnels et fragiliser la tubérosité. Par ailleurs, il est recommandé de positionner cette broche juste proximalement à l’insertion du tendon tibio-patellaire pour limiter le risque de fracture de la tubérosité tibiale. Le point de tension le plus élevé est situé juste à l’insertion ou distalement à l’insertion du tendon tibio-patellaire. C’est pourquoi cette zone doit être évitée pour l’insertion de la broche antirotatoire, sous peine de créer une zone de faiblesse supplémentaire. Par ailleurs, dans l’article résumé, les tubérosités tibiales pour lesquelles le point le plus fin de la tubérosité tibiale est situé distalement à l’insertion du tendon tibio-patellaire risquent davantage de développer une fracture [5].

Point critique

Un autre point de la planification d’une TPLO évoqué dans l’article résumé est le point dit critique. Celui-ci correspond à la rotation qui amènerait le plateau tibial sous l’horizontale du point d’insertion du tendon tibio-patellaire. Une fragilisation de la tubérosité tibiale est suspectée, une fois passé ce point. L’article résumé n’identifie cependant pas ce facteur comme favorisant les fractures [5]. Pour ma part, lorsque cela est nécessaire, je préserve la broche antirotatoire en place afin de solidariser la tubérosité tibiale du reste du tibia proximal.

Géométrie de l’ostéotomie

La compression du foyer d’ostéotomie est un élément essentiel de la technique afin d’augmenter la rigidité mécanique du tibia après stabilisation, mais aussi de favoriser une cicatrisation plus rapide. Il avait été suspecté que l’absence de compression fragilise la tubérosité tibiale par manque de soutien caudal lors de la tension exercée par le système des quadriceps. L’article résumé ne trouve pas d’association entre ce défaut technique et le risque de fracture de la tubérosité tibiale. Néanmoins, il me semble capital de tenter d’obtenir la meilleure compression possible pour des raisons mécaniques et biologiques.

Les auteurs de l’article résumé utilisent couramment la géométrie spécifique à chaque individu pour la tubérosité tibiale afin de placer la ligne d’ostéotomie. Le rapport entre la hauteur de coupe vis-à-vis de l’insertion du tendon tibio-patellaire et la largeur du tibia, au niveau le plus distal de la coupe, doit être inférieur ou égal à 0,6, afin de limiter le risque de fracture de la tubérosité tibiale. Ainsi, si ce ratio est plus grand lors du positionnement de l’ostéotomie pendant la planification préopératoire, le niveau de coupe est décalé plus proximalement, dans l’objectif de répondre à ce critère [5].

CHIRURGIE BILATÉRALE SIMULTANÉE

L’article résumé identifie la réalisation d’une TPLO bilatérale simultanée comme un risque important de fracture de la tubérosité tibiale [5]. Les autres études publiées ne sont pas unanimes quant à ce risque [2-4, 7, 10]. La réalisation d’une TPLO bilatérale simultanée implique une prise en charge précoce et forte de chacun des membres opérés. Ainsi, le choix d’une telle pratique doit être réfléchi au cas par cas. Pour ma part, je ne m’interdis pas de réaliser simultanément une TPLO bilatérale. Je réserve cependant cela aux chiens qui sont très handicapés par une double rupture de ligament croisé, afin de favoriser un retour rapide à une fonction ambulatoire. Par ailleurs, il devient capital de porter une attention toute particulière aux autres facteurs de risque de fracture de la tubérosité tibiale et de les éviter.

Conclusion

Les complications à la suite d’une TPLO peuvent être graves. Une fracture de la tubérosité tibiale n’est pas toujours simple à réparer. Il est alors capital de maîtriser les facteurs favorisant cette complication afin d’en limiter le taux d’apparition.

Références

  • 1. Barnes DC, Trinterud T, Owen MR et coll. Short-term outcome and complications of TPLO using anatomically contoured locking compression plates in small/medium-breed dogs with “excessive” tibial plateau angle. J. Small Anim. Pract. 2016;57:305-310.
  • 2. Bergh MS, Rajala-Schultz P, Johnson KA. Risk factors for tibial tuberosity fracture after tibial plateau leveling osteotomy in dogs. Vet. Surg. 2008;37:374-382.
  • 3. Fitzpatrick N, Solano MA. Predictive variables for complications after TPLO with stifle inspection by arthrotomy in 1000 consecutive dogs. Vet. Surg. 2010;39:460-474.
  • 4. Kergosien DH, Barnhart MD, Kees CE et coll. Radiographic and clinical changes of the tibial tuberosity after tibial plateau leveling osteotomy. Vet. Surg. 2004;33:468-474.
  • 5. Mehrkens LR, Hudson CC, Cole GL. Factors associated with early tibial tuberosity fracture after tibial plateau leveling osteotomy. Vet. Surg. 2018;47:634-639.
  • 6. Pacchiana PD, Morris E, Gillings SL et coll. Surgical and postoperative complications associated with tibial plateau leveling osteotomy in dogs with cranial cruciate ligament rupture: 397 cases (1998-2001). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2003;222:184-193.
  • 7. Priddy NH, Tomlinson JL, Dodam JR et coll. Complications with and owner assessment of the outcome of tibial plateau leveling osteotomy for treatment of cranial cruciate ligament rupture in dogs: 193 cases (1997-2001). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2003;222:1726-1732.
  • 8. Stauffer KD, Tuttle TA, Elkins AD et coll. Character, complications associated with 696 tibial plateau leveling osteotomies (2001-2003). J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2006;42:44-50.
  • 9. Von Pfeil DJF, Kowaleski MP, Glassman M et coll. Results of a survey of Veterinary Orthopedic Society members on the preferred method for treating cranial cruciate ligament rupture in dogs weighing more than 15 kilograms (33 pounds). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2018;253:586-597.
  • 10. Witte PG, Scott HW. Tibial plateau leveling osteotomy in small breed dogs with high tibial plateau angles using a 4-hole 1.9/2.5 mm locking T-plate. Vet. Surg. 2014;43:549-557.

Conflit d’intérêts

Aucun.

OBJECTIF

Déterminer les facteurs de risque d’une fracture de la crête tibiale à la suite de la réalisation d’une ostéotomie de nivellement du plateau tibial chez le chien (TPLO).

MÉTHODE

Étude rétrospective. Les chiens opérés d’une TPLO de 2010 à 2017 dans une clinique de référé sont inclus, jusqu’à obtenir 3 000 cas. Le point le plus fin de la tubérosité tibiale sur la radiographie de profil est identifié et mesuré. La position du tunnel de la broche antirotatoire est notée, ainsi que l’existence ou non d’un gap au site d’ostéotomie.

RÉSULTATS

Un taux de 0,77 % de fractures de la crête tibiale est identifié (n = 23/3 000). La durée moyenne entre la chirurgie et l’identification de la fracture est de 42 jours. Les facteurs de risque identifiés pour une fracture de la crête tibiale sont : l’utilisation de plus d’une broche antirotatoire (risque multiplié par 15,7), le placement de cette broche distale à l’insertion du tendon tibio-patellaire (risque multiplié par 9,5), une tubérosité tibiale dont le point le plus fin est distal à l’insertion du tendon tibio-patellaire (risque multiplié par 19,2) et la réalisation d’une TPLO bilatérale simultanée (risque multiplié par 21,6). Le manque de compression au niveau de l’ostéotomie ne semble pas être un facteur favorisant, pas plus qu’une rotation du plateau tibial au-delà du point critique (niveau de l’insertion du tendon tibio-patellaire) ou le poids du chien.

Un ratio établi à partir de différentes mesures du tibia est significativement différent chez les chiens développant une fracture de la crête tibiale. La sensibilité et la spécificité de ces ratios en phase préopératoire sont cependant insuffisantes pour prédire avec précision les cas à risque.