Le chocolat - Le Point Vétérinaire n° 389 du 01/10/2018
Le Point Vétérinaire n° 389 du 01/10/2018

TOXICOLOGIE

Fiche toxicologie

Auteur(s) : Laurence Tavernier*, Jennifer Blondeau**, Stéphane Queffélec***

Fonctions :
*CNITV, VetAgro Sup
1, avenue Bourgelat, 69280 Marcy-l’Étoile
cnitv@vetagro-sup.fr
Tél. : 04 78 87 10 40

Aliment apprécié et largement répandu dans les foyers, le chocolat est une source fréquente d’intoxication, ou simplement d’interrogation pour les propriétaires qui entendent parler de son danger potentiel.

Le toxique

Le chocolat provient des fèves du cacaoyer (Theobroma cacao), qui sont fermentées, séchées, torréfiées et broyées pour obtenir de la pâte de cacao (photo 1). Celle-ci peut être séparée en beurre de cacao et cacao maigre (poudre de cacao), ou utilisée (partiellement dégraissée) pour la confection du chocolat, avec adjonction de sucre, de beurre de cacao ou d’autres matières grasses végétales, de lait en poudre s’il s’agit de chocolat au lait, parfois de vanille ou d’autres arômes, de céréales, de fruits secs, etc. Hormis pour le chocolat blanc (beurre de cacao sans poudre de cacao), la réglementation européenne impose au moins 35 % de cacao dans la composition du chocolat.

De façon plus marginale, l’intoxication peut faire suite à l’ingestion d’écorces de cacao utilisées comme paillage ou dans des engrais (souvent en faible quantité pour ces derniers), ou à l’emploi de sous-produits du cacao en alimentation animale.

Les principaux composés toxiques du chocolat sont les méthylxanthines :

- la théobromine, la plus spécifique du chocolat ;

- la caféine, en quantité nettement moindre ;

- la théophylline, présente sous forme de traces.

Espèces concernées et fréquence de l’intoxication

Dans les motifs d’appels reçus au Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV) au cours des 10 dernières années et dans les intoxications avérées, le chocolat arrive en tête de liste, avec une fréquence accrue en décembre-janvier et en avril : traditionnellement consommé pendant les fêtes de fin d’année et à Pâques, il se trouve alors facilement à portée des animaux de compagnie.

Le chien est de loin l’espèce la plus concernée, impliquée dans plus de 95 % des cas, en raison de ses habitudes alimentaires peu sélectives et de la présence essentiellement domestique du chocolat. Loin derrière arrivent le chat, puis les nouveaux animaux de compagnie (lapin, furet, rongeurs, perroquets, etc.) dont le faible poids corporel augmente le risque d’intoxication. Toutes les espèces peuvent être atteintes, y compris les chevaux, les animaux de rente, ou même les animaux de la faune sauvage s’approchant de l’homme par opportunité alimentaire.

Doses toxiques

Un seuil précis de toxicité est difficile à établir, en raison de variations de sensibilité individuelle. En pratique, la teneur en méthylxanthines est aussi variable, selon la provenance du cacao, la teneur en cacao maigre et en beurre de cacao, etc., et elle n’est jamais connue avec précision, notamment pour les assortiments de chocolats. La prise en charge doit alors reposer sur l’hypothèse la plus défavorable (encadré).

Chez le chien, des effets pourraient être visibles à partir de 20 mg/kg : agitation, stimulation cardiaque légère, action diurétique. Une intoxication plus sévère est possible à partir de 50 à 60 mg/kg, entraînant des troubles cardiaques, des convulsions. La DL50 (dose létale 50) serait comprise entre 250 et 500 mg/kg pour la théobromine chez le chien, et autour de 200 mg/kg chez le chat. La DL50 de la caféine chez le chien serait comprise entre 140 à 150 mg/kg.

En pratique, une intoxication marquée est à redouter si l’animal a ingéré plus de 6 à 12 g de chocolat noir, ou 25 à 30 g de chocolat au lait, par kilogramme de poids vif (photo 2).

Pathogénie

L’intoxication fait intervenir plusieurs mécanismes :

- une inhibition des phosphodiestérases, d’où l’effet ionotrope positif ;

- une libération de catécholamines, d’où la stimulation du système nerveux orthosympathique ;

- un antagonisme des récepteurs à adénosine, entraînant de nombreuses répercussions sur le cœur, les vaisseaux, les bronches, le système nerveux central, etc. ;

- une modification de la concentration cellulaire en calcium, d’où une contraction des muscles striés.

Tableau clinique

Les méthylxanthines jouent le plus grand rôle dans l’intoxication, mais les conséquences des autres composés du chocolat ne doivent pas être négligées : le sucre, dont les effets restent toutefois minimes, les matières grasses, dont l’excès expose notamment à un risque de pancréatite.

Quoique l’absorption des méthyl­xanthines soit supposée rapide, le pic plasmatique pourrait être différé jusqu’à 10 à 15 heures après l’ingestion sous forme de chocolat. En pratique, les troubles apparaissent entre 1 et 12 heures après la prise, souvent dans les 4 à 6 heures.

Les principaux signes cliniques d’une intoxication sont :

- des troubles digestifs : vomissements, parfois diarrhée, ballonnements, coliques ;

- des troubles nerveux : anxiété, agitation (plus rarement prostration), raideur, ataxie, tremblements, voire convulsions ;

- des troubles cardiorespiratoires : tachycardie (parfois bradycardie), arythmies (tachycardie ventriculaire ou supraventriculaire), arrêt cardiaque, rarement défaillance respiratoire ou œdème pulmonaire ;

- des troubles métaboliques associés : polyurie, polydipsie, acidose métabolique, hypokaliémie, hyperthermie, etc.

Les symptômes durent généralement 12 à 36 heures, mais peuvent persister jusqu’à 72 heures.

Examens complémentaires

La recherche des méthylxanthines est possible sur du contenu gastrique, du plasma, de l’urine ou sur le foie (biopsies ou analyses post-mortem), mais elle est rarement réalisée en pratique. Le diagnostic est le plus souvent orienté par les commémoratifs, avec une ingestion accidentelle connue.

Traitement

Traitement éliminatoire

Le traitement est d’abord éliminatoire. L’évacuation gastrique est intéressante jusqu’à 6 heures après l’ingestion, voire plus lors d’ingestion massive, et ce même si le chien a déjà vomi spontanément.

Plusieurs molécules peuvent être utilisées pour induire des vomissements :

- l’apomorphine, à la dose de 0,1 mg/kg par voie sous-cutanée (SC) : la plus efficace pour le chien mais contre-indiquée chez le chat ;

- la xylazine, à raison de 0,4 mg/kg SC ;

- la médétomidine, à la dose de 30 à 90 µg/kg SC ;

- éventuellement l’eau oxygénée à 10 volumes, à raison de 1 à 4 ml/kg per os (PO) : attention à l’irritation induite, surtout chez le chat.

Un lavage gastrique peut aussi être réalisé, notamment en cas d’altération de la conscience (risque de fausse-route en cas de vomissements). Il pourrait parfois s’avérer plus efficace que les vomissements, en favorisant la désagrégation de l’agglomérat de chocolat susceptible de se former au niveau gastrique.

La vidange gastrique doit être complétée par l’administration de charbon végétal activé, à raison de 1 à 4 g/kg PO. En raison de la lenteur de l’absorption et de la durée d’un cycle entéro-hépatique, l’administration de charbon est à répéter toutes les 4 à 6 heures, pour une durée dépendant des signes cliniques. Pour faciliter l’évacuation, il est possible de donner de l’huile de paraffine (1 à 2 ml/kg PO), 30 à 45 minutes après chaque prise de charbon, sauf s’il y a déjà une diarrhée.

L’élimination est majoritairement urinaire, avec possibilité de réabsorption rénale (surtout à faible débit) et vésicale. Une diurèse forcée pourrait donc être proposée à l’aide d’une perfusion et de diurétiques, voire en posant une sonde urinaire à demeure.

Traitement symptomatique

La prise en charge est ensuite symptomatique :

- en cas de vomissements excessifs ou devenant improductifs : anti-vomitifs ;

- en cas de convulsions : diazépam (0,5 à 2 mg/kg par voie intraveineuse [IV] ou intrarectale), voire autres molécules anesthésiques ;

- en cas de tachycardie persistante : propranolol(1) (0,02 à 0,06 mg/kg IV, toutes les 6 heures, mais il ralentit l’élimination de la théobromine) ou métoprolol(1) (0,2 à 0,4 mg/kg PO, toutes les 12 heures) ;

- en cas d’extrasystoles : lidocaïne (1 à 2 mg/kg IV).

Les troubles métaboliques tels qu’une acidose, une modification de la kaliémie, etc., doivent également être corrigés.

Pronostic

L’évolution est le plus souvent favorable, surtout lors de prise en charge précoce. Le pronostic reste toutefois à moduler en fonction de la quantité ingérée et du pourcentage de cacao, de l’âge et de l’état de santé du chien (antécédents cardiaques, notamment) et des signes présentés (convulsions, arythmies).

  • (1) Médicament à usage humain.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Teneurs moyennes en méthylxanthines selon le type de chocolat

Les teneurs moyennes en méthylxanthines, majoritairement la théobromine, sont les suivantes :

- chocolat noir classique (50 à 55 % de cacao) : 500 à 800 mg/100 g ;

- chocolat au lait (35 % cacao) : 200 à 225 mg/100 g ;

- chocolat blanc : < 4 mg/100 g ;

- cacao en poudre : 1 400 à 2 800 mg/100 g ;

- poudre instantanée pour boisson chocolatée : 480 mg/100 g ;

- fèves de cacao : 1 060 à 5 300 mg/100 g ;

- coques de cacao : 530 à 900 mg/100 g ;

- paillage de coques de cacao : 200 à 3 200 mg/100 g.

EN SAVOIR PLUS

- Opinion of the scientific panel on contaminants in the food chain on a request from the European Commission on theobromine as undesirable substances in animal feed. The EFSA J. 2008;725:1-66.

- Peterson ME, Talcott PA. Small Animal Toxicology, 3rd ed. St Louis, Saunders Elsevier. 2013:911p.

- Poppenga RH, Gwaltney-Brant SM. Small Animal Toxicology Essentials. Wiley-Blackwell, Ames. 2011:336p.