Maîtriser l’e-santé pour mieux gérer la douleur - Le Point Vétérinaire n° 389 du 01/10/2018
Le Point Vétérinaire n° 389 du 01/10/2018

NOUVELLES TECHNOLOGIES

Dossier

Auteur(s) : Thierry Poitte

Fonctions : Clinique vétérinaire
8, rue des Culquoilés
La Croix-Michaud
17630 La Flotte-en-Ré

Adapter la prise en charge de la douleur nécessite de bien savoir la reconnaître et la traiter, mais aussi de pouvoir surveiller de manière fine son évolution. L’e-santé offre des perspectives pour chacun de ces aspects de la pratique quotidienne.

La profession vétérinaire est régulièrement invitée à se projeter dans l’e-santé et à ne pas laisser passer le train du numérique. Le désintérêt, voire la méfiance, de la plupart des praticiens est liée, avec raison, au manque actuel de fiabilité des objets connectés, à un défaut d’interface avec leur pratique clinique, à une exploitation grand public venant reléguer le crédit scientifique des données collectées loin derrière la gadgétisation, enfin à la validation et à la concordance des informations collectées (les data) avec les données médicales actuelles. D’autres arguments, moins fondés, concernent la crainte des praticiens de voir leur examen clinique ou leurs choix thérapeutiques remplacés à terme par des algorithmes et des robots décisionnels. Pourtant, l’e-santé ne saurait se résumer à ces objets connectés et notre profession a su déjà, en quelques années, s’approprier « l’usage combiné d’Internet et des outils numériques à des fins cliniques, informationnelles, éducationnelles ou organisationnelles, à la fois localement et à distance pour protéger et améliorer la santé » [4].

Cet article présente un état factuel des réalisations et des projets reliant l’e-santé à la prise en charge de la douleur. Les domaines d’application des nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) concernent les formations en ligne (e-learning), la m-santé (la santé “mobile”) et la télémédecine(1). L’e-santé devient une formidable opportunité autorisant un partage inédit des connaissances, un regroupement de compétences au sein de réseaux, un changement de paradigme dans la recherche clinique grâce à la collecte, l’interprétation et la diffusion des data, enfin l’enrichissement d’une nouvelle relation client indispensable à la prise en charge des affections chroniques (figure). La discipline de la douleur s’est emparée de ces nouvelles technologies dans les domaines de la formation continue et de l’interconnectivité, aussi bien entre les vétérinaires qu’au sein du triptyque soignant, propriétaire, animal.

1 Modalités d’apprentissage de l’e-learning adapté à la douleur

État actuel de la prise en charge de la douleur animale

La douleur animale et la douleur de l’enfant ont une histoire en miroir tragique : celle d’avoir été longtemps niée pour cause d’immaturité du système nerveux pour les premiers, en raison pour les seconds d’une absence cartésienne d’âme, de langage et, donc, de raison.

Les travaux de KJS Anand (1987) sur les bénéfices des morphiniques au cours de la chirurgie du canal artériel chez les bébés prématurés ont bouleversé cette insensibilité légendaire [1].

Concernant la douleur animale, il convient plutôt de parler de révolution lente : les progrès des neurosciences comparées, les apports de l’éthologie et de la psychologie animale ont encore à ferrailler aujourd’hui contre l’ancrage culturel de croyances religieuses, d’anciennes pensées philosophiques et des récentes positions créationnistes ou spécistes légitimant la supériorité de la condition humaine. Contre toute éthique et légitimité scientifique, le dolorisme médical et ses pseudo-vertus de diagnostic ou de garde-fou naturel persistent encore aujourd’hui.

La douleur animale se confronte actuellement, à des degrés divers, à quatre étapes successives de méconnaissance :

- méconnaissance de l’existence même de la douleur chez toutes les espèces et de la compréhension de ses mécanismes : « Je ne crois pas que la douleur existe chez tous les animaux et je pense que nous observons essentiellement des réflexes indispensables à la survie des espèces » ;

- méconnaissance de l’importance des conséquences physiopathologiques des processus douloureux et des états de vulnérabilité de l’animal souffrant : « Je sais que la douleur animale existe, mais je ne suis pas convaincu de ses effets délétères ; je pense que la douleur animale est bien supportée et qu’elle a des vertus diagnostiques et/ou thérapeutiques » ;

- méconnaissance des solutions thérapeutiques innovantes ou des référentiels actualisés : « Je connais la réalité de la douleur animale et de ses impacts négatifs sur la santé et le bien-être animal ; malheureusement, je connais imparfaitement les moyens pharmacologiques et je n’utilise pas les méthodes non pharmacologiques » ;

- méconnaissance des moyens pour mettre en œuvre ces nouvelles solutions thérapeutiques : « J’accepte bien volontiers les recommandations de prise en charge de la douleur animale, mais je ne me sens pas capable de les appliquer dans ma pratique quotidienne à cause du manque de temps et en raison de freins au changement de la part de mes associés ».

Pour améliorer la prise en charge de la douleur animale, les solutions uniques et figées sont inopérantes contre ces blocages successifs : il est inutile d’apporter des réponses à l’incapacité de mise en œuvre si les niveaux inférieurs de méconnaissance ne sont pas traités. Chaque croyance négative doit donc être identifiée puis combattue par un argumentaire solide, propre à réveiller la conscience scientifique du praticien, ses compétences en éthologie, ses connaissances en pharmacologie, son adaptation aux méthodes complémentaires, enfin sa capacité à lever les freins au changement et à manager une équipe soignante autour d’un projet éthique. L’e-learning poursuit ces objectifs en réalisant des activités de formation non présentielles : il améliore la qualité de l’apprentissage en offrant l’accès inédit à des ressources et à des services, en facilitant les échanges et la collaboration à distance.

Nouveaux formats d’apprentissage, nouveau vocabulaire : s’y repérer

Les praticiens ont à leur disposition un panel très diversifié de formats d’apprentissage, synchrones (en temps réel) ou non (en replay), répondant à leur motivation et à leur disponibilité, respectant leur rythme propre d’apprenant.

BIBLIOTHÈQUE COLLABORATIVE OU WIKI-ANALGÉSIE

Une bibliothèque analgésie digitale, sur le site internet de CAP douleur, offre des articles numérisés au format web pour être régulièrement actualisés et éviter ainsi l’obsolescence des données scientifiques. Des arbres décisionnels, des procédures, des guides de recommandations de pratique clinique, fruit d’un travail interdisciplinaire et de consensus scientifiques, sont téléchargeables. Un puissant moteur de recherche explore le contenu pour rapidement présenter des ressources en relation avec des requêtes précises et faciliter la prescription du praticien.

Une banque d’images et de vidéos médicales est attachée à cette bibliothèque. Évolutive et participative, dans l’optique de la création d’un patrimoine commun de connaissances, la collection se veut pédagogique, à destination des praticiens ou des propriétaires, pour faciliter notamment l’évaluation des douleurs somatiques ou viscérales.

WEBINARS

Les webinars (contraction de web et seminar en anglais) sur la douleur sont proposées sous des formats courts et longs s’adaptant aux exigences et aux contraintes de temps des praticiens. Disponibles en replay ou en direct (avec ou sans échange par tchat avec le formateur), les webinars requièrent cependant motivation et assiduité des apprenants. Leur intérêt peut être renforcé par la proposition de sujets nouveaux, insuffisamment traités, et abordés sous forme de regards croisés entre un spécialiste de médecine interne ou de chirurgie et un expert en prise en charge de la douleur.

MOOC

Les Mooc (massive open online courses) sont des cours en ligne gratuits, ouverts au plus grand nombre et proposés par des écoles ou des universités. Des projets de Mooc douleur sont à l’étude, mais se heurtent à une vraie difficulté d’efficience, c’est-à-dire de rapports entre les résultats obtenus et les ressources mobilisées. En effet, les apprenants des Mooc, rarement accompagnés et n’appartenant pas à un groupe identifié, abandonnent en grande majorité (93 %) les cursus proposés.

SPOC

Les Spoc (small private online courses) répondent au fort sentiment d’isolement généré par les Mooc : ils proposent des formations privées payantes, cadencées sur plusieurs semaines, à des groupes restreints (20 à 40 participants), dispensées par des formateurs identifiés et s’appuyant sur un accompagnement individuel et personnalisé des participants.

Les Spoc permettent une dimension de travail à plusieurs, sous forme collaborative. Le formateur devient une ressource importante à la disposition des apprenants. Ces Spoc peinent à trouver leur modèle économique dans la profession vétérinaire en raison d’une offre pléthorique de webinars gratuits et d’un manque de visibilité de leurs atouts. Les Spoc émergeront sans doute avec le développement de l’apprentissage mixte, le blended learning.

MICROLEARNING

Le microlearning est une modalité constituée de très courts modules de formation (30 secondes à 5 minutes), utile pour s’adapter au besoin d’apprendre sur le terrain, au moment même où le besoin est identifié, de manière permanente et très fractionnée. L’apprenant devient maître de sa formation, garde son autonomie pour avancer à son rythme et surtout dans la durée. Le découpage en petits grains d’apprentissage permet de les diffuser petit à petit sur une période plus longue. L’impact mémoriel de ces modules de très courte durée, proposés hebdomadairement, est supérieur à un cours unique de plus longue durée et consulté une seule fois.

La consolidation de ces connaissances est favorisée par la flexibilité des technologies numériques qui permet de varier les activités d’apprentissage, avec, par exemple, l’envoi de cas cliniques, de témoignages vidéo, d’infographies pédagogiques et de questionnaires à choix multiples (QCM) en ligne se rapportant à la situation clinique étudiée.

Cet apprentissage modulaire, adapté au terrain, permet de se remémorer rapidement une procédure rarement utilisée, par exemple d’anesthésie locorégionale de type sacrococcygienne. Des offres de microlearning dans le domaine de l’analgésie devraient voir le jour en 2019.

SERIOUS GAMES

Les serious games sont des jeux vidéo qui visent une intention “sérieuse”, pédagogique, permettant d’apprendre tout en s’amusant. Déjà développés en médecine de la douleur en humaine (formation à la gestion des opiacés, simulateur de consultation douleur), les serious games permettent une immersion dans des situations cliniques reconstituées virtuellement. Le professionnel de santé crée un avatar et se retrouve confronté à des scénarios évolutifs et interactifs dans lesquels il joue son propre rôle de soignant. Le principal intérêt d’un serious game réside dans sa proximité avec une situation professionnelle réelle, permettant au soignant d’expérimenter habiletés et connaissances cliniques dans un cadre sécurisant. Le coût de développement des serious games est cependant très élevé et limite leur disponibilité en médecine vétérinaire.

FORMATION MIXTE

La formation mixte, ou blended learning, propose aux apprenants un accompagnement d’une ou de plusieurs formations en présentiel, associées à des formations en ligne, par exemple un audit sur l’acquisition des connaissances et l’appropriation des outils, suivi d’un webinar sur mesure et correctif, dédié à ces mêmes apprenants. En médecine humaine, ces programmes mixtes d’enseignement ont montré leur supériorité par rapport aux formations en présentiel seul ou en e-learning seul.

Dans le cadre de CAP douleur, pendant 3 années, de nombreuses conférences ont été proposées aux praticiens dans les grandes villes françaises. Dans un deuxième temps, les modalités d’apprentissage ont été regroupées au sein d’une plateforme internet d’informations et de services connectés pour la prise en charge de la douleur animale. Dans un troisième temps, l’ensemble des apprenants a été sollicité pour rejoindre un réseau communautaire, social et collaboratif, acteur de l’e-santé animale, ouvert aux praticiens généralistes et spécialistes désireux d’actualiser leur prise en charge de la douleur, par des moyens pharmacologiques ou non, des biothérapies, des outils numériques, des services connectés et un parcours de formation continue accréditante.

2 Interconnectivité entre vétérinaires

Le réseau CAP douleur a été créé le 16 mai 2016 pour répondre aux besoins de formation continue des vétérinaires dans le domaine de l’analgésie. Il promeut l’interdisciplinarité avec les différentes spécialités vétérinaires et la transversalité avec la médecine humaine via la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) et l’Institut Analgesia (premier pôle européen de recherche et d’innovation contre la douleur). Le réseau est collaboratif puisque les membres s’engagent à partager leurs acquis et à être des acteurs de la communauté.

L’e-santé permet ainsi un partage inédit d’expériences individuelles et collectives, constituant un patrimoine commun de connaissances enrichi par des articles scientifiques, des regards croisés, des banques d’images et de vidéos, des résultats d’enquêtes sur la prévalence d’affections chroniques douloureuses ou de pratiques de prescription.

Un réseau peut aussi compléter la recherche traditionnelle trop fortement dépendante du gold standard représenté par l’essai contrôlé randomisé : sélection drastique des malades, nombreux critères d’exclusion éloignant cette pratique de la réalité des soignants, durée d’étude courte, barrières administratives, etc. En pratique quotidienne, ces nouveaux traitements sont utilisés de manière prolongée chez des malades porteurs de plusieurs affections et les résultats observés peuvent alors être très éloignés.

Via la constitution de banques de données et de cohortes épidémiologiques, le réseau propose la mise en place d’essais pragmatiques sur de larges populations : critères d’inclusion plus souples, sélection des animaux à traiter par analyse de bases de données, randomisation centrée sur les habitudes du vétérinaire prescripteur, suivi longitudinal de longue durée, critères d’analyse orientés vers la qualité de vie.

Ainsi, le réseau CAP douleur récolte les données issues de ses enquêtes sur les pratiques de prescription, de ses applications web et des prochains objets connectés validés mis à la disposition des membres du réseau. Il interprète les résultats en vue d’approfondir les connaissances autour de l’évaluation et des traitements de la douleur. L’ensemble des données est partagé avec la profession vétérinaire. À ce jour, il fédère 266 cliniques, cabinets ou centres hospitaliers vétérinaires, soit 969 praticiens vétérinaires. Certes, les data collectées ne sont pas massives en volumétrie (big data), mais elles apparaissent représentatives de notre profession (10 % des praticiens canins sont adhérents au réseau) et, surtout, ciblées sur des informations qualitatives, fiables et crédibles, au chevet des pratiques, intelligentes et donc immédiatement interprétables (smart data). Celles-ci préfigurent les enjeux réalistes d’une médecine prédictive, préventive, personnalisée, participative et pertinente.

3 Interconnectivité entre vétérinaires, propriétaires et animaux : m-santé et évaluation de la douleur

Définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2009, la m-santé regroupe la pratique médicale ou la collecte de données sur tout dispositif mobile : smartphone, tablette, objet connecté.

Suivi des douleurs arthrosiques

L’arthrose est une maladie pluritissulaire dégradative et inflammatoire. Les douleurs arthrosiques ont pour origine le compartiment articulaire (douleurs mécaniques liées à l’exercice, douleurs inflammatoires nocturnes, douleurs neuropathiques spontanées de type “décharge électrique”) et le compartiment central (hyperalgésie et allodynie).

Les douleurs deviennent chroniques, c’est-à-dire définies comme persistantes ou récurrentes, induisant une détérioration fonctionnelle et des perturbations émotionnelles venant altérer significativement le comportement et la qualité de vie de l’animal.

Les douleurs arthrosiques évoluent en fonction de très nombreux paramètres : progression de la maladie, sensibilité interindividuelle, conditions environnementales (climat, mode de vie, relation propriétaire-animal), nutrition, exercice, efficacité thérapeutique, etc.

Les douleurs arthrosiques peuvent être recherchées lors de l’examen clinique du praticien et par la visualisation des changements structuraux (imagerie), sans qu’il y ait pour autant une corrélation exacte entre la sévérité des réactions ou des lésions et le ressenti douloureux de l’animal. L’évaluation de la fonction locomotrice (score de boiterie) doit être complétée par l’étude des composantes émotionnelles et comportementales de la douleur, grâce à des grilles multiparamétriques validées : Helsinki, Liverpool ou canine brief pain inventory [3, 5, 6].

Développement d’applications évaluant la douleur

Les pratiques évaluatives pour la prise en charge des douleurs chroniques sont très peu répandues en médecine vétérinaire. 95 % des praticiens n’utilisent pas de grilles d’évaluation en raison d’un manque de temps, de connaissances ou de reconnaissance de leur intérêt.

Le réseau CAP douleur a souhaité développer une application web dérivée de la grille d’Helsinki, Dolodog, destinée aux cliniques vétérinaires, pour les aider à évaluer la douleur des animaux qui leur sont confiés et optimiser le suivi des prescriptions (photo 1). La grille d’Helsinki a été modifiée pour tenir compte des signes cliniques d’hypersensibilisation (hyperalgésie et allodynie), des répercussions comportementales de la chronicisation de la douleur (irritabilité ou agressivité) et des situations évocatrices de douleurs neuropathiques (douleurs spontanées de type “décharge électrique”). La version électronique permet une évaluation qualitative (diagnostic des composantes neuropathiques et centrales) et quantitative de la douleur (scoring des douleurs inflammatoires). Dolodog améliore la pertinence des choix thérapeutiques : respect des paliers I, II et III pour les douleurs inflammatoires, antiépileptiques et antidépresseurs tricycliques pour les douleurs neuropathiques, anti-NMDA (N-méthyl-D-aspartate) pour les douleurs centrales.

Cet outil d’évaluation renforce le climat de confiance entre le vétérinaire et le propriétaire, qui perçoit en général de manière positive l’implication de son praticien. Plus de 700 évaluations Dolodog ont été collectées à ce jour : elles permettent déjà de mieux connaître la maladie arthrosique et les proportions relatives de chaque composante de la douleur.

Dans le domaine de la physiothérapie, les lasers les plus récents proposent aux vétérinaires un mode connecté à Internet en wifi, autorisant le partage des données. Fondées sur le volontariat du praticien et l’accord du propriétaire, les données de traitement, non nominatives, sont analysées sur le portail K-Live. Grâce à ce portail en ligne (https://ondemand-klaser.com), le praticien peut voir en temps réel l’historique de ses traitements, avec une répartition par espèce et par indication. Il peut également comparer son utilisation avec le reste de la communauté K-laser Vet présente à travers le monde. À titre d’exemple, l’articulation du grasset est concernée dans presque 17 % des cas déjà partagés.

Ces informations offrent au praticien la possibilité d’évaluer la rentabilité de son équipement et de mettre en place des actions correctrices si besoin, telles que participer à des formations plus avancées pour augmenter la valeur perçue de son outil thérapeutique. Grâce aux data, le fabricant peut optimiser les protocoles de traitement et rendre plus fréquentes et pertinentes les mises à jour.

Objets connectés, activité physique et douleurs arthrosiques

INTÉRÊT DES ACCÉLÉROMÈTRES

Les douleurs arthrosiques sont à l’origine d’une diminution de l’activité physique par gêne et inconfort fonctionnel, en raison des contraintes mécaniques et des nombreux stimuli nociceptifs que l’animal arthrosique perçoit. La dépression associée réduit l’envie de mobilité, tandis que les troubles du sommeil perturbent le repos nocturne en raison de l’inconfort de la position, mais aussi de l’abaissement du seuil douloureux. Les composantes fonctionnelles et émotionnelles de la douleur peuvent être mesurées objectivement par l’accélérométrie.

Des études vétérinaires récentes ont validé l’accélérométrie comme outil d’évaluation de l’activité physique et de réussite d’un traitement anti-inflammatoire chez des chiens arthrosiques [2, 7]. Positionné à proximité du centre de gravité, l’accéléromètre permet de mesurer l’activité motrice du chien, en faisant la différence entre la marche, la course, le jeu et le sommeil. L’analyse des accélérations permet de déterminer l’asymétrie et la régularité de la démarche, donc d’affiner le degré de boiterie présente ou encore de diagnostiquer des boiteries indétectables à l’œil nu. L’actimétrie a l’avantage, sur les tapis de marche, de permettre le suivi continu des chiens dans leur environnement quotidien.

DES DÉFIS À RELEVER

Les objets connectés proposés actuellement en France n’offrent pas suffisamment de services et de garanties pour évaluer les douleurs chroniques : manque d’autonomie, taille et poids des dispositifs, pertinence des algorithmes, synchronisation des données, absence d’interface dédiée aux professionnels de santé, problème d’intégration aux logiciels métier, etc.

La valeur d’usage n’a pas été suffisamment travaillée en amont avec les vétérinaires, ce qui explique aussi le principal frein à l’équipement, par manque d’utilité ressentie des objets connectés.

L’objet connecté doit s’inscrire dans une prise en charge globale de la douleur chronique, pariant sur la complémentarité des données objectives brutes et mathématiques, avec une approche subjective plus subtile, humaine et empathique, compréhensive des mécanismes complexes et intimes de la douleur. Une évaluation maîtrisée de la douleur reliant l’indispensable relation humaine (médecine narrative) aux outils innovants (Dolodog et tracker d’activité) est la première étape d’une alliance thérapeutique fondée sur un climat de compétences et de confiance.

L’objet connecté sera d’autant plus utile pour les praticiens que les données récoltées seront partagées avec l’ensemble de la profession vétérinaire via des réseaux scientifiques. L’utilité de l’objet connecté doit aussi être démontrée aux propriétaires. Pour cela, l’objet doit avoir été conçu en fonction des besoins, des attentes et des contraintes voulues et/ou subies par les utilisateurs (photo 2).

PISTES DE MOTIVATION

Une double stratégie de motivation dirigée vers le praticien et le propriétaire peut, par exemple, s’appuyer sur l’offre différenciante de la consultation douleur. Celle-ci offre un cadre formalisé de cinq étapes pour la prise en charge plurimodale et pluridisciplinaire des douleurs chroniques :

- anamnèse et médecine narrative ;

- examen clinique et évaluation de la douleur (Dolodog, tracker d’activité) ;

- diagnostic de la douleur et de ses mécanismes physiopathologiques ;

- traitement de la douleur ;

- observance et éducation thérapeutique.

Le réseau CAP douleur propose déjà des outils pour mettre en place cette consultation douleur : charte, leaflets, moniteur de consultation, procédures vidéo, etc.

L’aspect ludique de la “gamification” (fixer des défis) est l’une des caractéristiques du numérique qui suscite le plus d’attraction chez les utilisateurs, pour acheter, puis pour utiliser les accessoires connectés (IoT pour Internet of things). Le défi peut être individuel (amélioration de la mobilité de son animal après traitement) ou collectif (comparaison de la mobilité de son animal souffrant à une population de chiens de même race et atteints de la même maladie chronique).

Le moniteur Fitbark convertit l’activité (marche, course, jeu) et la durée du sommeil en points : un objectif de points, reflet de données statistiques globalisées et censé représenter le bien-être de l’animal, est affiché sur l’écran du smartphone. Au propriétaire de relever le défi d’une meilleure qualité de vie pour son animal !

4 Télémédecine

Encadrée pour la première fois par le décret du 19 octobre 2010, la télémédecine est une pratique médicale à distance reposant sur cinq actes : la téléconsultation, la téléexpertise, la télésurveillance, la téléassistance et la régulation médicale(1).

La régulation médicale est déjà une réalité dans notre profession pour les services d’urgence : VetoAdom-Alvetis traite ainsi plus de 490 000 appels par an (communication personnelle de Jean-Louis Patin). Comme en médecine humaine et loin devant les traumatismes et les plaies, la douleur est le premier motif de recours aux services d’urgence.

Les structures vétérinaires spécialisées dans la douleur sont rares et non reconnues pour l’instant par l’Ordre national des vétérinaires. Les consultations “douleur chronique” pour les animaux de compagnie sont insuffisamment proposées en France. La téléassistance médicale permet à un vétérinaire spécialiste d’aider ses confrères à mener ce type de consultation dédiée à la douleur, et de répondre ainsi à une demande sociétale.

La téléexpertise pour les sujets de la douleur est proposée aux membres du réseau CAP douleur via une foire aux questions (FAQ), avec l’assurance d’une réponse personnalisée sous 48 heures. La solution LinkyVet sera prochainement disponible et facilitera les échanges avec les experts, notamment par le partage du dossier médical multimédia de l’animal malade, sous forme de textes (examens de biologie), d’images fixes (radiographies), d’images animées (échographies) ou de sons (auscultation, plaintes, etc.).

Des logiciels d’aide à la prescription d’antalgiques devraient voir le jour en 2019.

La téléconsultation, dans le domaine de la douleur, ne doit s’envisager qu’après un examen clinique préalable : le contact physique avec l’animal est indispensable à l’exploration de la sensibilité, de sa composante spatio-temporelle et de ses troubles (hyperalgésie, hyperpathie et allodynie).

LinkyVet permettra de réaliser une visioconsultation, capable d’étoffer particulièrement la pertinence de l’évaluation de la douleur (photo 3). En effet, cette dernière s’exprime différemment selon l’ambiance protectrice de la maison ou de l’environnement contraint, voire perturbant, de l’établissement de soins. Certains comportements douloureux sont associés à la prise alimentaire, à la période postprandiale, à des activités difficilement reproductibles à la clinique ou surviennent plus fréquemment la nuit ou de façon imprévisible. La visioconsultation permet le tchat et le partage aisé de photos, de vidéos enregistrées ou de séquences en direct, dirigées par le praticien. C’est aussi un outil d’observance remarquable, qui permet aujourd’hui d’ajuster précisément la thérapeutique antalgique en tenant compte des variations individuelles, et permettra aussi prochainement de relever des données issues des objets connectés. L’éducation thérapeutique initiée dans la clinique vétérinaire et prolongée à domicile gagnera en efficacité (une vidéoassistance pourrait par exemple être proposée pour des techniques de massage des chiens arthrosiques). Par rapport à des solutions existantes, LinkyVet devrait être un outil métier facilitant les échanges et les partages avec les clients sous l’autorité du vétérinaire, qui gardera la maîtrise des données, le choix du temps imparti et la possible monétisation de son acte à distance.

Conclusion

Face aux enjeux de l’e-santé animale, la profession vétérinaire a trois cartes à jouer pour garder la main, voire gagner la partie : récolter, interpréter et partager les données avec tous les praticiens pour une meilleure connaissance des maladies et des traitements ; conforter le rôle de soignant des vétérinaires en intégrant les données numériques dans le nouveau paradigme de l’alliance thérapeutique ; se rendre indispensable en donnant des attributs médicaux à la valeur d’usage des objets connectés.

La création d’un label ou d’une accréditation des objets connectés par nos institutions ou des réseaux scientifiques aurait le mérite de garantir la fiabilité et la sécurité des dispositifs, la conformité avec la réglementation, la transparence sur la valeur d’usage et le traitement des données. L’objectif de répondre à ce futur label ou à cette accréditation justifie le partage rigoureux des données (actes médicaux, évaluations Dolodog, données actives provenant des capteurs) entre vétérinaires dans l’intérêt d’une prise en charge améliorée des douleurs chroniques arthrosiques. L’assemblage de ces données, informatisé, transparent, sécurisé et distribué à tous pourrait constituer demain la première blockchain santé vétérinaire.

  • (1) Voir l’article “Télémédecine : de quoi s’agit-il ?” d’H. Rose, dans ce numéro.

Références

  • 1. Anand KJ, Hickey PR. Pain and its effects in the human neonate and fetus. N. Engl. J. Med. 1987;317 (21):1321-1329.
  • 2. Brown DC, Boston RC. Use of an activity monitor to detect response to treatment in dogs with osteoarthritis. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2010;37:66-70.
  • 3. Brown DC, Boston RC, Farrar JT. Comparison of force plate gait analysis and owner assessment of pain using the canine brief pain inventory in dogs with osteoarthritis. J. Vet. Intern. Med. 2013;27:22-30.
  • 4. Coll VetFuturs France. Le livre bleu - Comprendre et anticiper les mutations. 2018:100p.
  • 5. Hielm-Björkman AK, Rita H, Tulamo RM. Psychometric testing of the Helsinki chronic pain index by completion of a questionnaire in Finnish by owners of dogs with chronic signs of pain caused by osteoarthritis. Am. J. Vet. Res. 2009;70:727-734.
  • 6. Walton MB, Cowderoy E, Lascelles D et coll. Evaluation of construct and criterion validity for the “Liverpool osteoarthritis in dogs” (Load) clinical metrology instrument and comparison to two other instruments. PLoS One. 2013;8:1-10.
  • 7. Wernham BGJ, Trumpatori B, Hash J et coll. Dose reduction of meloxicam in dogs with osteoarthritis-associated pain and impaired mobility. J. Vet. Intern. Med. 2011;25:1298-1305.

Conflit d’intérêts

Fondateur du réseau CAP douleur, responsable commission douleur animale de la Société française d’étude et de traitement de la douleur, référent scientifique santé animale pour l’Institut Analgesia.

En savoir plus

Livre blanc Vet IN Tech. E-santé animale : en savoir plus sur les objets connectés. http://vet-in-tech.com/index.php/formulaire.