Télémédecine : de quoi s’agit-il ? - Le Point Vétérinaire n° 389 du 01/10/2018
Le Point Vétérinaire n° 389 du 01/10/2018

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Dossier

Auteur(s) : Hélène Rose

Fonctions : 72, rue du 11-novembre-1918
94700 Maisons-Alfort

L’une des composantes de l’e-santé, la télémédecine, a vu son cadre réglementaire se préciser ces dernières années. Elle entre en application en médecine humaine. De quoi nourrir les réflexions de la profession vétérinaire pour se l’approprier.

De la même façon que l’obligation d’information et le consentement éclairé auxquels sont soumis les vétérinaires sont largement inspirés de ceux des médecins, la télémédecine vétérinaire pourrait se voir transposer les encadrements législatifs de la télémédecine humaine.

La télémédecine est avant tout une nouvelle forme d’organisation de la pratique médicale au service du patient, soumise aux mêmes règles de déontologie, aux mêmes lois et règlements et aux mêmes standards de pratique clinique que les consultations et les soins “classiques”, réalisés en présentiel (encadré). Elle a pour vocation de les compléter, non de les remplacer, en apportant de nouvelles solutions.

Cet article présente les différentes branches de la télémédecine humaine afin de clarifier ce qui, dans les pratiques vétérinaires, relève déjà de la télémédecine, et d’envisager quelques pistes de développement.

1 Les différents actes de télémédecine

Cinq actes de télémédecine sont reconnus en France : la téléconsultation, la téléexpertise, la télésurveillance, la téléassistance et la régulation médicale (figure).

Seule la régulation médicale (les appels au Service d’aide médicale d’urgence, le Samu) existe depuis longtemps, le premier Samu officiel ayant vu le jour en 1968 à Toulouse (Haute-Garonne). Les expérimentations réalisées depuis quelques années ont majoritairement concerné la téléconsultation et la téléexpertise (78 % des projets lors d’un recensement en 2013, selon la Direction générale de l’offre de soins, la DGOS). Ces deux types d’actes vont maintenant s’étendre au niveau national.

La téléconsultation

La téléconsultation est la réalisation à distance de la consultation d’un patient par un médecin. Un autre professionnel de santé (infirmier, par exemple) peut être aux côtés du patient et assister le médecin au cours de la consultation. Une traçabilité des échanges doit être assurée.

Depuis le 15 septembre 2018, les actes de téléconsultation sont remboursés par l’assurance maladie. Ceux-ci sont réalisés par vidéotransmission : le médecin, qu’il s’agisse d’un médecin traitant ou d’un spécialiste, invite le patient à se connecter à un site ou à une application sécurisée via un ordinateur ou une tablette équipée d’une webcam. Le patient, ou son représentant légal, doit au préalable avoir donné son consentement libre et éclairé. Cette téléconsultation s’inscrit dans le parcours de soins, sauf pour les spécialistes déjà consultables directement (les ophtalmologues ou les gynécologues, par exemple).

Selon le livre bleu du projet VetFuturs France, à l’horizon 2030, « les activités vétérinaires à distance pourraient se développer pour rationnaliser les visites », mais les téléconsultations resteraient « moins utiles qu’en médecine humaine, les animaux ne pouvant pas exprimer leur état, ce qui rend l’examen physique souvent indispensable ». Ce point mérite d’être nuancé. Pour le vétérinaire, observer le comportement de l’animal à son domicile pourrait apporter des informations utiles, différentes de celles obtenues dans une salle de consultation, l’animal n’ayant pas à subir le stress d’un déplacement et d’un lieu inconnu (photo 1). Et, de même que l’assistance d’un personnel soignant est possible pour les téléconsultations en médecine humaine, un déplacement à domicile d’une auxiliaire spécialisée vétérinaire (ASV) formée pour aider à la consultation à distance du vétérinaire pourrait voir le jour, l’animal étant transporté vers un établissement de soins vétérinaires chaque fois que son état de santé le nécessite.

La téléexpertise

La téléexpertise permet à un médecin de solliciter à distance l’avis d’un ou de plusieurs confrères spécialistes par l’intermédiaire des technologies de l’information et de la communication (TIC). Cet acte médical est une action asynchrone, dans le sens où patient et médecin ne se parlent pas, l’interaction se déroulant entre deux médecins.

Jusqu’à présent, la téléexpertise ne faisait pas l’objet d’une rémunération. Elle relevait plus de la confraternité des échanges autour d’un patient. Mais à partir de février 2019, elle prendra officiellement sa place dans le parcours de soins de certaines catégories de patients : les personnes atteintes d’une affection de longue durée (ALD), celles atteintes de maladies rares, celles résidant dans des zones très faiblement peuplées, les personnes dépendantes hébergées dans des centres spécialisés, et les détenus le nécessitant. Son application devrait être élargie à l’ensemble des patients en 2020.

Largement informelle jusqu’à présent dans la profession vétérinaire, la téléexpertise commence à se structurer (1). Cependant, son modèle économique est encore à définir.

La télésurveillance

La télésurveillance permet à un professionnel médical d’interpréter à distance des données recueillies sur le lieu de vie du patient. Ces données, enregistrées par les appareils de suivi, ne pouvaient auparavant être collectées que lors de rendez-vous périodiques.

Plusieurs cahiers des charges d’expérimentation de télésurveillance ont été publiés au Journal officiel de la République française : pour les patients insuffisants rénaux, cardiaques ou pulmonaires chroniques, pour ceux porteurs de prothèses cardiaques implantables à visée thérapeutique, pour ceux atteints de diabète. Ainsi, certaines expérimentations portent sur la collecte de données de différents synchroniseurs cardiaques. Classiquement, pour que les données enregistrées par ces appareils soient traitées, le patient doit se rendre dans son centre d’implantation, tous les 3 à 6 mois (selon le type de matériel). Cette surveillance est peu productive et chronophage pour les cardiologues qui l’effectuent. Grâce à un boîtier autonome de télétransmission placé dans la chambre du patient, à son domicile, les données enregistrées peuvent être transmises chaque nuit vers un centre agréé de gestion des données cryptées, puis retransmises au centre d’implantation et transformées en indicateurs de suivi, eux-mêmes contrôlés en continu par une infirmière. Celle-ci est chargée de surveiller les indicateurs, de contacter un cardiologue lorsqu’un problème mineur est détecté et d’organiser une hospitalisation lors d’un problème majeur, sans interférer avec la prise en charge d’urgence : en cas de problème aigu, le patient doit contacter le Samu.

Cet exemple porte sur des dispositifs médicaux de pointe, mais le même principe pourrait être adapté à de nombreuses situations. Bien utilisés, notamment grâce à l’implication du vétérinaire, certains objets connectés déjà présents sur le marché des animaux de compagnie permettent ainsi de détecter une anomalie dans la routine quotidienne d’un animal. Si la profession se les approprie, leur impact pourrait croître dans les années à venir.

La téléassistance

La téléassistance médicale (à ne pas confondre avec la téléalarme, qui permet à une personne âgée ou handicapée d’être mise en relation avec un centre opérateur par simple pression d’un bouton lors de problème médical aigu ou de perte d’autonomie soudaine) permet à un professionnel médical d’assister à distance un autre médecin ou professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte médical (photo 2). Elle peut concerner, par exemple, des actes paramédicaux ou des actes de chirurgie (téléchirurgie). Elle peut aussi s’appliquer à la téléassistance radiologique, où un médecin peut seconder un autre professionnel de santé pour la réalisation d’actes d’imagerie médicale.

La téléassistance existe déjà de manière informelle dans la profession vétérinaire. Son développement pourrait être très intéressant, puisqu’elle pourrait faciliter un transfert direct et sur mesure de connaissances immédiatement applicables au chevet de l’animal. Son encadrement et son modèle économique sont toutefois à définir.

Régulation médicale

La régulation médicale existe déjà dans notre profession (1). Son utilisation n’est pas encore aussi répandue qu’en médecine humaine, mais faire appel à un centre de régulation se montre très utile pour les vétérinaires ayant fait le choix de travailler seul ou de gagner en confort en soulageant la charge de travail de leur ASV. Le centre trie les appels reçus selon leur degré de gravité et assure la gestion de l’agenda des vétérinaires par voie dématérialisée lorsqu’ils ne sont pas disponibles pour répondre au téléphone. Ce type de services devrait continuer à se développer à l’avenir.

2 Bénéfices attendus

En médecine humaine, plusieurs bénéfices sont attendus du développement de la télémédecine :

- améliorer la qualité de vie des patients ;

- faciliter l’accès aux soins pour tous, notamment pour les personnes vivant dans des zones de “désert médical” ;

- améliorer la coordination entre les professionnels de santé, ce qui favorisera la sécurisation des pratiques ;

- prévenir les hospitalisations ou réhospitalisations ;

- diminuer le recours aux urgences et réduire le coût des transports : pour les pouvoirs publics, ces deux enjeux doivent permettre de réaliser des économies tout en garantissant l’accès aux soins.

En dehors de ce dernier point, qui ne concerne pas la profession vétérinaire, les enjeux de la télémédecine semblent comparables, notamment en ce qui concerne l’amélioration de la qualité de vie des animaux. Cet objectif est déjà au cœur des logiciels de suivi dont l’usage s’intensifie dans les élevages. Il est également revendiqué par de nombreux objets connectés développés pour les animaux de compagnie, mais le manque de labellisation officielle ralentit légitimement leur adoption. La dématérialisation pourrait permettre à des propriétaires situés dans des zones où les vétérinaires spécialistes sont peu nombreux d’avoir plus facilement recours à des consultations référées, sur les conseils de leur vétérinaire généraliste et en lien avec lui. À condition que chaque intervenant dispose du matériel nécessaire : logiciel, matériel audio et vidéo de qualité (une mauvaise qualité de son ou d’image est une source connue de décrochage pour les webinars, notamment, et aurait un impact négatif sur le bon déroulement d’une consultation), appareils médicaux de qualité, etc.

3 Facteurs de réussite et freins identifiés

Les retours d’expérience des nombreux projets de télémédecine humaine lancés depuis le début des années 2010 ont permis d’identifier leurs principaux facteurs de déploiement et de pérennisation. Un rapport de la DGOS fait ressortir en premier lieu l’importance du facteur humain, même lorsqu’il s’agit d’outils numériques. Une large concertation de l’ensemble des acteurs, sensibilisés par une communication appropriée, autour d’un besoin de santé identifié, avec l’appui d’une maîtrise d’ouvrage expérimentée (compétences techniques et connaissance du milieu médical), sont des clés du succès. Au vu des coûts générés, un bon niveau de portage politique est également nécessaire. Et le dispositif de gouvernance et de pilotage doit, bien entendu, être cohérent et efficace sur le terrain.

La Haute autorité de santé (HAS) pointe également que les principales difficultés rencontrées ont été liées « à la réticence des acteurs libéraux à s’engager sur les projets de télémédecine compte tenu de l’absence de visibilité sur la rémunération des actes de télémédecine […] et les problématiques d’ordre logistique ou d’infrastructure ».

La profession vétérinaire fait face à des inquiétudes similaires, rapportées notamment dans le livre bleu du projet VetFuturs France. L’exemple du déploiement de la télémédecine et de son encadrement strict en médecine humaine pourrait être de nature à rassurer les praticiens vétérinaires. À charge pour les représentants de la profession d’accompagner et d’encadrer les changements de pratique à venir.

Conclusion

La clarification et la définition légale du contenu de la télémédecine humaine pourraient servir de cadre pour l’évolution future des pratiques en médecine vétérinaire, à condition que la profession se saisisse de cette opportunité. Évolution et non révolution : tout ne peut être fait à distance, les actes “en présentiel” continueront à faire partie intégrante de l’activité vétérinaire. Pour que cette évolution se déroule sereinement, les praticiens doivent se mobiliser pour adopter un cadre législatif et professionnel qui protège la qualité de leurs actes, et pour adapter les équipements informatiques et les logiciels utilisés dans les différents établissements de soins vétérinaires.

  • (1) Voir l’article “Maîtriser l’e-santé pour mieux gérer la douleur” de T. Poitte, dans ce numéro.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Définition légale de la télémédecine

La télémédecine est une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication. Elle met en rapport, entre eux ou avec un patient, un ou plusieurs professionnels de santé, parmi lesquels figure nécessairement un professionnel médical et, le cas échéant, d’autres professionnels apportant leurs soins au patient.

Elle permet d’établir un diagnostic, d’assurer, pour un patient à risque, un suivi à visée préventive ou un suivi post-thérapeutique, de requérir un avis spécialisé, de préparer une décision thérapeutique, de prescrire des produits, de prescrire ou de réaliser des prestations ou des actes, ou d’effectuer une surveillance de l’état des patients.

La définition des actes de télémédecine ainsi que leurs conditions de mise en œuvre sont fixées par décret, en tenant compte des déficiences de l’offre de soins dues à l’insularité et l’enclavement géographique.

D’après l’article L. 6316-1 du Code de la santé publique, modifié par la loi n° 2017-1836 du 30/12/2017 - Art. 54 (V).

EN SAVOIR PLUS

- Coll DGOS - Ministère des Affaires sociales et de la Santé. La preuve par 10. Principaux enseignements du bilan des PRT et du recensement des projets télémédecine 2013. 2014:25p.

- Coll HAS. Prise en charge de la téléconsultation : accompagner les professionnels dans leur pratique. 2018. https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2869705/fr/prise-en-charge-de-la-teleconsultation-accompagner-les-professionnelsdans-leur-pratique?portal=r_1482172

- Coll HAS. Fiche Mémo - Qualité et sécurité des actes de téléconsultation et de téléexpertise. 2018:4p.

- Coll HAS. Expérimentations relatives à la prise en charge par télémédecine. Rapport préalable. 2016:60p.

- Coll VetFuturs France. Le livre bleu - Comprendre et anticiper les mutations. 2018:100p.

- Mabo P. Télémédecine/télésurveillance en cardiologie. Les études Compas, Evatel et Ecost. Site internet HAS. 2012. https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1271633/fr/telemedecine-/-telesurveillance-en-cardiologie

- Légifrance : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=88115BA3730BE80044CEC271DF23AA81.tplgfr22s_1?cidTexte=LEGITEXT000006072665&idArticle=LEGIARTI000020891702&dateTexte=20180513&categorieLien=cid

- Poitte T, Chambrin C, Santaner G et coll. Livre blanc “E-santé animale, en savoir plus sur les objets connectés”. 2017:67p.

https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/telemedecine/article/la-telemedecine