TOXICOLOGIE
Fiche toxicologie
Auteur(s) : Laurence Tavernier, Jennifer Blondeau, Stéphane Queffélec
Fonctions : CNITV, VetAgro Sup
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
TÉL. : 04 78 87 10 40
Substance illicite la plus consommée en France, le cannabis est loin d’être cantonné à l’ancien cliché des milieux marginaux, et chaque vétérinaire est susceptible d’être confronté à cette intoxication.
Le cannabis provient d’une plante, cannabis sativa, dont différentes variétés sont sélectionnées soit pour leur richesse en composés psychoactifs, soit au contraire avec de faibles teneurs pour un usage textile (chanvre). Elle contient de nombreux cannabinoïdes (66 identifiés), le principal étant le Δ-9-tétrahydrocannabinol (THC).
Différentes formes de cannabis sont utilisées, avec des teneurs en thc variables, qui tendent à augmenter ces dernières années, d’après les relevés de l’observatoire français des drogues et des toxicomanies :
- “herbe” ou “marijuana” : feuilles, tiges et fleurs séchées (teneur en thc de 5 à 20 %, en moyenne autour de 10 %) ;
- “haschich” ou “shit” : résine extraite des sommités fleuries (10 à 30 % de thc, en moyenne entre 20 et 25 %) ;
- “huile de haschich” : alcool visqueux obtenu par pressage des inflorescences (jusqu’à 80 % de THC), plus rare en pratique.
La drogue est consommée additionnée de tabac dans des cigarettes (“joints”), ou incorporée à des aliments (“beurre de marrakech”, gâteaux “space cakes”, etc.).
Dans les cas recensés au centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV) au cours des 10 dernières années, le cannabis figure parmi les 15 toxiques les plus fréquents, représentant environ 1 % des appels. Son usage s’est en effet largement répandu. Sa banalisation incite d’ailleurs peut-être davantage les propriétaires à l’évoquer. Il s’agit essentiellement d’ingestion accidentelle de la drogue laissée accessible, parfois de la plante cultivée à la maison par les consommateurs. À un moindre degré, l’exposition aux fumées lors de l’utilisation par le propriétaire pourrait entraîner une intoxication passive des animaux.
Les espèces concernées sont majoritairement le chien, impliqué dans presque 83 % des cas, à un moindre degré le chat (15 %), et de façon anecdotique les nouveaux animaux de compagnie (lapins, rongeurs, perroquets, etc.). Bien que cela soit très rare, les animaux de rente pourraient être concernés (contamination des fourrages par la récolte accidentelle de plantations clandestines de cannabis dissimulées dans les champs).
La dose létale médiane (DL50) du thc serait supérieure à 3 g/kg chez le chien. Toutefois, des effets peuvent se manifester à des doses 1 000 fois inférieures. En pratique, obtenir une estimation précise de la dose ingérée est souvent difficile, car les concentrations sont très variables.
Plusieurs récepteurs aux cannabinoïdes ont été identifiés, mais le mécanisme d’action du THC reste mal connu, comme celui de son principal métabolite, le 11-hydroxy-Δ-9-tétrahydrocannabinol, plus actif que le thc lui-même. Ses effets sont nombreux et complexes :
- action sur certains neurotransmetteurs : stimulation de la synthèse de dopamine, noradrénaline et sérotonine, accélération du recyclage du GABA (acide γ- aminobutyrique), etc. ;
- vasodilatation ou vasoconstriction ;
- effet anti-émétique central, mais possibles vomissements par irritation de la muqueuse gastrique, etc.
Les répercussions à long terme ou dans des situations particulières, par exemple lors d’exposition répétée in utero ou sur des individus immatures, sont difficiles à objectiver.
L’absorption du THC est rapide. Les effets surviennent généralement 30 minutes à 2 heures après l’ingestion, avec un pic autour de 4 à 5 heures. Lors d’inhalation, les effets surviennent en moins d’un quart d’heure. Fortement liposoluble, le THC reste fixé, notamment au niveau cérébral, d’où une demi-vie biologique assez longue, d’une trentaine d’heures, malgré une décroissance rapide des taux plasmatiques.
Le tableau clinique associe :
- des troubles neurologiques dominants : somnolence, incoordination motrice, ataxie, hypermétrie, faiblesse, désorientation, incontinence urinaire, mydriase, regard “vitreux”, parfois nystagmus, plus rarement des troubles “en hyper” (tremblements surtout, hyperexcitabilité, inquiétude, vocalises, etc.). Le coma ou les convulsions restent exceptionnels ;
- des troubles digestifs : vomissements, salivation, parfois diarrhée ;
- une perturbation de la thermorégulation : hypothermie, plus rarement hyperthermie ;
- des troubles cardio-respiratoires : dépression respiratoire, bradycardie, parfois tachycardie.
Les symptômes durent en général 24 à 72 heures, mais pourraient parfois se prolonger au-delà de 5 jours, en fonction de la quantité ingérée.
La recherche du THC est possible dans le contenu gastrique, éphémère dans le plasma, plus durable dans l’urine. Il est toutefois difficile de trouver un laboratoire capable de faire la recherche en routine. Les tests urinaires disponibles en pharmacie sont peu sensibles chez le chien : la métabolisation rapide du composé recherché chez l’homme induit de nombreux faux négatifs. Le diagnostic repose plutôt sur les signes cliniques et les commémoratifs. Recueillir ceux-ci nécessite de gagner la confiance du propriétaire, tant sur l’aspect législatif (respect du secret professionnel) que par l’absence de jugement moral, afin de ne pas le pousser à dissimuler l’exposition.
L’absorption et les effets étant rapides, l’utilisation éventuelle de vomitifs doit être précoce et tenir compte du risque de fausse-route si l’état de conscience est déjà altéré. L’apomorphine est la plus efficace chez le chien, à 0,1 mg/kg par voie sous-cutanée (SC) ; elle est en revanche contre-indiquée chez le chat. La xylazine (0,4 mg/kg SC) ou la médétomidine (30 à 90 µg/kg SC) peuvent aussi être utilisées, voire éventuellement l’eau oxygénée diluée à 10 volumes (1 à 4 ml/kg per os [PO]), en faisant attention à l’irritation induite, surtout chez le chat. Un lavage gastrique est envisageable.
Du charbon végétal activé peut être administré, par sondage si nécessaire, à raison de 1 à 4 g/kg PO, puis de l’huile de paraffine, 30 à 45 minutes plus tard (1 à 2 ml/kg). En raison de l’existence d’un cycle entéro-hépatique, l’administration de charbon activé, puis d’huile de paraffine, peut être répétée trois ou quatre fois par jour, en fonction de la durée et de l’intensité des troubles.
Enfin, en raison de la liposolubilité du thc, les émulsions lipidiques intraveineuses (ELI) pourraient avoir une bonne efficacité. Un protocole empirique a été proposé, avec des émulsions à 20 % :
- chez le chien : 1,5 ml/kg en intraveineuse (IV) lente sur 2 à 10 minutes, puis perfusion de 0,25 ml/kg/min sur 30 minutes, voire plus selon l’évolution clinique. Les perfusions sur 30 minutes peuvent être remplacées au besoin par des bolus répétés toutes les demi-heures ;
- chez le chat : 2 ml/kg en iv lente, puis perfusion de 4 ml/kg/h pendant 4 heures (mêmes remarques que chez le chien).
en pratique, le coût et les difficultés d’approvisionnement des eli, plutôt utilisées en milieu hospitalier même si elles ne lui sont pas réservées, restreignent leur utilisation aux cas sévères, qui restent assez rares.
Il n’existe pas d’antidote spécifique pour le cannabis. Le traitement est surtout de soutien : monitorage de la température et correction éventuelle par des moyens physiques, surveillance des paramètres cardiovasculaires, perfusion si besoin, administration de diazépam (0,25 à 0,5 mg/kg en IV) en cas de stimulation excessive du système nerveux central, etc.
L’évolution est généralement favorable. Il convient toutefois de se méfier du risque de dépression respiratoire et de tachycardie en début d’intoxication, des complications potentielles liées à l’altération de la conscience (fausse-route, chute, etc.) Et de la toxicité des composés potentiellement ingérés en même temps, comme le tabac ou le chocolat pour certains “space cakes”.
Aucun.
- Brutlag A, Hommerding H. Toxicology of marijuana, synthetic cannabinoids, and cannabidiol in dogs and cats. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2018;48 (6):1087-1102.
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- Peterson ME, Talcott PA. Small Animal Toxicology. 3rd ed. Saunders Elsevier, St Louis. 2013:911p.
- Poppenga RH, Gwaltney-Brant SM. Small Animal Toxicology Essentials. Wiley-Blackwell, Ames. 2011:336p.