NÉONATALOGIE
Dossier
Auteur(s) : Sylvie Chastant*, Hanna Mila**, Karine Reynaud***
Fonctions :
*(Dipl. ECAR)
**NeoCare, ENV de Toulouse
23, chemin des Capelles, 31000 Toulouse
***NeoCare, ENV de Toulouse
23, chemin des Capelles, 31000 Toulouse
****Inrae, CNRS, université de Tours,
IFCE, PRC, Nouzilly
L’allaitement artificiel est parfois la seule solution pour assurer la survie des nouveau-nés puis la maîtrise optimale de leur croissance. Un sondage orogastrique peut se révéler nécessaire.
La tétée est un acte réflexe qui permet au nouveau-né de s’alimenter. Ce processus est donc indispensable à sa survie. Cependant, certains mécanismes qui sous-tendent ce comportement primordial sont parfois déficients. Il convient de les suppléer par une administration forcée qui doit rester atraumatique, via la pose d’une sonde orogastrique. En période néonatale, ce type d’administration par voie orale a essentiellement pour objectif d’assurer les apports nutritionnels. Au cours des douze premières heures de vie, il s’agit également de fournir les immunoglobulines qui assureront le transfert de l’immunité passive.
Pour alimenter le nouveau-né, lorsque la tétée n’a pas lieu ou pas suffisamment, il est nécessaire de procéder à une administration forcée. L’utilisation du biberon est la méthode la plus classiquement employée, mais dans certains cas elle n’est pas adaptée et il faut envisager la pose d’une sonde orogastrique. Les deux options présentent des avantages et des inconvénients (tableau).
Il n’y a pas de limite d’âge inférieure pour la réalisation d’un sondage orogastrique, qui peut être mis en œuvre dès la naissance. Il est indiqué dans les situations suivantes :
- absence de réflexe de succion ;
- succion peu efficace : offrir un biberon à un animal qui déglutit mal l’expose à un risque de fausse déglutition ;
- portée nombreuse : pour gagner du temps par rapport au biberonnage plus chronophage ;
- succion dangereuse : par exemple lors de fente palatine ;
- prise de poids insuffisante : si le biberonnage est le moyen de supplémentation à privilégier, le sondage permet de maîtriser la quantité de nutriments ingérés ;
- en théorie, pour contrôler le moment de la prise colostrale et la dose de colostrum distribuée.
Un sondage orogastrique n’est pas indiqué chez un animal en hypothermie (en dessous de 35 °C), déshydraté ou dont la vidange gastrique n’est pas effective. Plus précisément, la méthode est contre-indiquée [6] :
- lorsque la température rectale est insuffisante, en dessous de 34 ou 35 °C, car la digestion est interrompue, avec souvent l’installation d’un iléus paralytique. Il est donc inutile de placer du lait à digérer directement dans l’estomac. Il convient de réchauffer lentement le jeune avant de l’alimenter en l’exposant à une source de chaleur supérieure de 1 °C à sa propre température, par paliers successifs de façon à obtenir une augmentation de l’ordre de 1 °C par heure (photo 1) [8] ;
- en cas de déshydratation : la prise en charge passe par l’administration de fluides par voie parentérale (voie intraveineuse si la taille du nouveau-né le permet, souscutanée, intra-osseuse éventuellement) car les volumes administrables per os sont souvent insuffisants pour compenser les pertes. La déshydratation n’est pas facile à diagnostiquer chez le nouveau-né, la persistance du pli de peau n’étant pas significative et le seuil critique de densité urinaire non clairement défini (supérieur à 1,017 [5] ou plutôt à 1,030 selon des données NeoCare non publiées). La sécheresse des muqueuses est un signe d’alerte.
Un contrôle préalable de l’appareil digestif s’impose également :
- l’évaluation de la vidange de l’estomac passe par l’observation de l’abdomen dont les contours dépassent alors ceux du thorax et/ou par une palpation abdominale, car il est inutile de pratiquer un sondage orogastrique si l’estomac est encore plein ;
- la vidange gastrique est facilitée par la vacuité de l’ampoule rectale : il convient donc de favoriser l’expulsion du méconium en stimulant le sphincter anal à l’aide de l’extrémité d’un thermomètre pédiatrique et, plus tard, de stimuler la défécation et la miction en massant délicatement la région périnéale à l’aide d’une compresse imbibée d’eau tiède ;
- l’existence d’une anomalie congénitale du tube digestif (agénésie segmentaire) doit être vérifiée. Mais l’absence d’ouverture anale n’est une contre-indication que si elle n’est pas “compensée” par un cloaque (abouchement de la partie terminale du tube digestif dans la partie terminale de l’appareil génital).
Enfin, le sondage orogastrique n’est pas indiqué pour l’antibiothérapie. En effet, l’administration d’antibiotiques par voie orale est susceptible de perturber la flore digestive : la voie parentérale est à privilégier chez les nouveau-nés.
Plusieurs accessoires sont indispensables à la bonne réalisation du sondage [1, 6, 7] :
- chez les très jeunes animaux, une sonde urétrale pour chat convient parfaitement. Les sondes urinaires pour chien sont utilisables, mais manquent un peu de rigidité. Les sondes de gavage en caoutchouc orange sont également possibles. Un diamètre de 1,5 mm est adapté pour les animaux de moins de 300 g, de 2,6 à 3,3 mm audelà. Une sonde de diamètre exagérément réduit rend l’introduction difficile, et augmente le risque de plicature. Les modèles avec une seule ouverture terminale sont à préférer afin de faciliter le nettoyage, le lait s’accumulant sinon entre l’extrémité aveugle et les ouvertures latérales ;
- matériel de nettoyage-désinfection : la sonde est à nettoyer immédiatement après chaque administration de façon à éviter le développement bactérien. Une seringue peut servir à injecter d’abord un détergent à température élevée (pour dégraisser) puis une solution désinfectante ;
- seringue : remplie avec le liquide destiné à l’alimentation du jeune, elle est d’une taille adaptée au volume à administrer (voir plus loin) ;
- chauffe-biberon : il permet de porter le liquide à 37 °C, car le lait froid augmente le risque de vomissements ;
- compresses : pour déclencher la miction et la défécation ;
- balance : pour le suivi de la prise de poids du jeune.
Pour prévenir les vomissements, la quantité administrée à chaque repas ne doit pas dépasser le volume de l’estomac, soit 4 à 5 ml pour 100 g de poids vif chez le chiot, et 2 à 3 ml pour 100 g chez le chaton. Le volume quotidien de lait maternisé habituellement nécessaire est de l’ordre de 20 ml pour 100 g de poids vif par jour, à répartir en quatre à huit repas (soit 20 % du poids du corps par jour) [5]. Néanmoins, si la mère est disponible, le but n’est pas de remplacer complètement l’apport lacté maternel, mais plutôt de le compléter.
→ Mesure de la sonde : pour déterminer la longueur de sonde à introduire, il convient de mesurer la distance entre la pointe du coude et l’extrémité du museau de l’animal, puis de la marquer d’un trait au feutre indélébile qui servira de repère.
→ Préparation de la sonde : pour éviter d’injecter une bulle d’air dans l’estomac, il est conseillé de remplir l’espace mort de la sonde avec le lait. Néanmoins, dans ce cas, il faut brancher la seringue directement sur la sonde de façon à éviter que le liquide ne coule lors du passage dans l’oropharynx. Le contrôle de la position intrastomacale de la sonde est alors difficile.
→ Préparation du lait : la dilution est effectuée selon les recommandations du fabricant de façon extemporanée. Le lait doit être à une température de 37 °C au moment de son administration. Après l’aspiration du liquide, l’air contenu dans la seringue doit être évacué, toujours pour éviter les vomissements (ou la seringue devra rester verticale pour que l’air qu’elle contient ne soit pas injecté dans l’estomac).
Position du jeune : le chiot ou le chaton est placé en décubitus ventral, la main de l’opérateur au-dessus du crâne afin de provoquer l’ouverture de la mâchoire par une pression sur chaque côté de celle-ci. Il n’est pas nécessaire que la gueule soit largement ouverte (photo 2). La main de l’opérateur permet également de limiter les mouvements de la tête, laquelle est maintenue dans une position normale, ni en hyperflexion, ni en hyperextension : ces deux positions sont en effet susceptibles de faciliter le passage de la sonde dans la trachée. La sonde est introduite au-dessus de la base de la langue, d’emblée très en arrière. Une fois au fond de l’oropharynx, elle est maintenue en léger appui, lequel déclenche un mouvement de déglutition que l’opérateur accompagne. La sonde progresse facilement : toute résistance, sur toute la longueur prévue (jusqu’au repère), est anormale.
Vérification de la position de la sonde : le jeune (avant l’âge de 6 à 10 jours) n’est pas capable d’un réflexe de toux si la sonde est introduite dans la trachée. Toutefois, si l’animal est bien positionné en décubitus ventral, le risque de passage dans la trachée est extrêmement faible. Si la sonde est placée dans l’estomac, des bruits de bulles (gargouillis) sont audibles (il va de soi que cette vérification n’est possible que si la sonde n’a pas été remplie de lait avant d’être introduite). Le faible volume respiratoire ne permet pas de percevoir un souffle d’air expulsé de la sonde si celle-ci est en position trachéale. Il suffit néanmoins de vérifier, après l’introduction, que le jeune respire normalement.
Administration : elle s’effectue en une à deux minutes, pour autoriser la distension progressive de l’estomac, ce qui limite en outre le risque de vomissements.
Retrait de la sonde : une fois le liquide administré, il faut éviter de vider l’espace mort de la sonde en injectant de l’air dans celle-ci puis dans l’estomac, pour prévenir tout vomissement. Même pleine, la sonde est retirée lentement en pliant sa partie haute afin d’éviter l’écoulement du liquide qu’elle pourrait contenir au passage de l’oropharynx (risque de fausse route).
Il est important ensuite de bien nettoyer la sonde si elle doit être réutilisée, car le lait est un excellent milieu de développement bactérien. Elle est donc rincée à l’eau très chaude additionnée de liquide vaisselle (pour le dégraissage) à l’aide d’une seringue, puis mise à sécher dans un endroit propre.
Les jeunes sont autant que possible laissés avec leur mère, afin d’entretenir la production de lait, de les encourager à téter par eux-mêmes, de stimuler la miction/défécation et d’assurer leur socialisation. Compte tenu du risque de constipation, le transit digestif est à surveiller, ainsi que le volume et la sensibilité de l’abdomen [5].
Chez les jeunes séparés de leur mère ou si celle-ci n’a pas de comportement maternel, comme la vidange gastrique est facilitée par la vacuité de l’ampoule rectale, il convient de stimuler la défécation et la miction en massant délicatement la région périnéale à l’aide d’une compresse imbibée d’eau tiède. Une pesée quotidienne avant le repas (qui se révèle plus complexe pour les jeunes laissés avec leur mère) et après cette stimulation permet d’objectiver la normalité de la croissance, donc de décider s’il est nécessaire de continuer la complémentation (photo 3). La prise de poids normale d’un chiot est a minima nulle au cours des deux premiers jours de vie [4]. Ensuite, elle est approximativement de 2 à 4 g/kg de poids adulte attendu et par jour : le poids attendu correspond à une fois et demie le poids de naissance à J7 et à trois fois à J21 au minimum [2]. Le chaton, lui, doit prendre 10 à 15 % de son poids de naissance entre J0 et J2 (10 à 15 g a minima) puis 10 à 15 g/jour jusqu’à J21 [3, 5]. Une identification individuelle des nouveau-nés s’impose donc et l’enregistrement des valeurs de poids permet d’adapter les quantités de lait administrées (photo 4). Des courbes de référence par races sont en outre disponibles (1).
Le sondage orogastrique est un acte de relative urgence, en particulier lorsqu’il doit être pratiqué pour assurer les apports nutritionnels dans les premiers jours de vie. Or, à cette période, le propriétaire est peu enclin à amener toute la portée jusqu’au cabinet, ni à faire déplacer le vétérinaire, d’autant plus si le sondage doit être répété fréquemment. L’apprentissage de ce geste par le propriétaire, sous le contrôle du praticien, permettrait donc d’améliorer le taux de survie des chiots et des chatons.
Aucun.