Les solutions alternatives au colostrum canin ou félin - Le Point Vétérinaire n° 407 du 01/07/2020
Le Point Vétérinaire n° 407 du 01/07/2020

NÉONATALOGIE

Dossier

Auteur(s) : Sylvie Chastant*, Hanna Mila**, Aurélien Grellet***

Fonctions :
*(Dipl. ECAR)
**NeoCare
ENV de Toulouse
23, chemin des Capelles
31000 Toulouse
sylvie.chastant@envt.fr

Pour assurer la survie optimale des nouveau-nés privés de colostrum maternel, le simple lait (artificiel ou naturel) ne suffit pas durant les premiers jours. Des substituts colostraux existent.

Au cours des deux jours qui suivent la naissance, les mamelles de la chienne et de la chatte sécrètent un liquide très particulier, le colostrum. Sa fonction est de fournir de l’énergie aux nouveau-nés et de leur permettre d’absorber des anticorps (immunoglobulines, Ig). Comme les chiots et les chatons naissent avec une concentration sérique en Ig presque nulle, c’est l’ingestion du colostrum qui va établir une immunité protectrice contre de nombreux virus et bactéries pendant les quatre à huit premières semaines de vie (photo 1).

1 Contexte

Un substitut colostral peut se révéler nécessaire :

- lorsque la mère est absente ou refuse la tétée ;

- si la sécrétion colostrale ne s’est pas déclenchée après la parturition ;

- si elle est insuffisante par rapport à la taille de la portée ;

- pour les jeunes trop faibles pour téter : ils sont alors nourris par sondage orogastrique et s’il n’est pas possible de prélever une quantité suffisante de colostrum chez la mère, une autre source est requise ; - en prévention de l’isoérythrolyse néonatale féline (chatons de groupe A ou AB nés de mères B) (encadré) [10].

2 Absorption des immunoglobulines

L’absorption des Ig à travers la paroi digestive des chiots et des chatons n’est possible que pendant les douze premières heures de vie, avant la fermeture de la barrière intestinale [7]. Les substituts colostraux, de même que le colostrum, devront obligatoirement être ingérés durant cette période. Toutefois, plus l’administration est précoce, plus la quantité d’anticorps absorbée est importante, car le taux d’absorption intestinale des immunoglobulines G (IgG ou anticorps) chute rapidement (40 % à la naissance puis divisé par deux toutes les quatre heures). Néanmoins, après la fermeture de la barrière, le colostrum (ou ses substituts) continue à jouer un rôle immunitaire, mais uniquement local, dans le tube digestif.

3 Méthodes d’obtention

Mère de substitution

La situation idéale pour faire adopter des nouveau-nés est de disposer d’une autre femelle, ayant mis bas au plus deux jours auparavant, et de préférence multipare, avec des portées présentant un faible taux de mortalité. Mais en pratique, cela n’est possible que dans les élevages de grande taille. En outre, cette stratégie est plus facilement envisageable chez la chienne que chez la chatte. Dans l’espèce féline, il est par ailleurs indispensable de s’assurer de la compatibilité des groupes sanguins des chatons et de la mère de substitution. Ainsi, faire adopter par une mère B des chatons de groupe A ou AB est impossible, alors que l’inverse ne présente pas de risque [10].

Substituts colostraux

Plus couramment, des substituts colostraux sont utilisés, administrés au biberon ou par sondage orogastrique (1). Ce dernier procédé est particulièrement adapté aux nouveau-nés sans réflexe de succion efficace ou atteints d’une fente palatine. Il permet également de maîtriser le moment de l’ingestion et la quantité ingérée.

4 Nature du colostrum de substitution

Le substitut colostral doit au minimum assurer un apport en énergie, mais aussi en immunoglobulines. En effet, les chiots et les chatons naissent quasiment agammaglobulinémiques et environ 90 % des anticorps circulants, à deux jours de vie, sont d’origine colostrale [5, 16]. Divers substituts sont disponibles, homospécifiques mais aussi hétérospécifiques.

Colostrum canin ou félin

À l’instar de ce qui est couramment pratiqué chez les bovins et les équidés, le principe est de constituer une banque de colostrum. Le moment de la collecte se situe entre la fermeture de la barrière intestinale des jeunes de la portée de la femelle donneuse (12 heures chez le chiot, 16 heures chez le chaton) et la chute rapide de la concentration en IgG des sécrétions mammaires (moins 50 % au cours des 24 premières heures post-partum) (photo 2) [4, 6, 7]. Il est recommandé aux éleveurs de prélever le lait d’une femelle au cours du deuxième jour après la mise bas, donc après que ses chiots ou chatons ont acquis leur propre immunité passive, mais avant que la concentration en IgG ait trop chuté. Si les sécrétions mammaires produites avant la mise bas sont riches en Ig, il est déconseillé de les collecter, car cela reviendrait à appauvrir ensuite celles obtenues post-partum.

Il est très important de ne stocker que le colostrum des chattes du groupe A, qui pourra être administré à tous les chatons, quel que soit leur groupe sanguin. La valeur immunologique du colostrum est très variable d’une femelle à l’autre (entre 3 et 55 g d’igG/l chez la chienne) [14]. En pratique, et en l’absence de moyen disponible pour évaluer la qualité du colostrum la réfractométrie est inefficace, il est préférable de sélectionner comme donneuses les femelles dont les portées précédentes ont présenté un faible taux de mortalité et un bon taux de croissance jusqu’à 2 mois, et d’effectuer le prélèvement aussi précocement que possible (dès 24 heures après la mise bas du dernier-né). En général, la collecte est un acte facile à réaliser chez la chienne, plus complexe chez la chatte (photo 3). Après un nettoyagedésinfection et le séchage du trayon, le colostrum est collecté dans des tubes en plastique d’une contenance de 2 à 5 ml, puis congelé. Il peut être conservé pendant six mois à - 20 °C [17]. Il est important de veiller au respect des mesures d’hygiène lors de la collecte, le liquide étant destiné à des nouveau-nés. La décongélation doit être réalisée à 37 °C, de préférence au bain-marie ou au chauffe-biberon, mais en aucun cas au four à micro-ondes car cela détruirait les anticorps. Le colostrum est ensuite administré au jeune à la dose de 1,5 ml pour 100 g de poids corporel, et les apports énergétiques sont complétés avec du lait maternisé.

À ce jour, il s’agit du meilleur substitut au colostrum maternel, qui fournit l’énergie et l’immunité nécessaires, mais aussi les hormones et les facteurs de croissance.

Colostrum bovin

Le colostrum de bovin est une source d’anticorps qui présente l’avantage d’être facile à collecter et disponible en très grande quantité. Cependant, son intérêt comme substitut colostral n’a pas été évalué chez le chiot ou le chaton. Il n’apporterait que des éléments strictement nutritionnels (énergie, acides aminés), ainsi que des hormones et des facteurs de croissance. Les anticorps qu’il contient n’auraient qu’un intérêt limité dans le transfert passif d’immunité, en raison de leur destruction rapide dans le sang du chiot ou du chaton.

Sécrétions mammaires au-delà de la phase colostrale

À partir du troisième jour post-partum, la concentration en IgG chute très rapidement. Dès lors, il s’agit de lait et non plus de colostrum (figure). À cette période, les sécrétions mammaires permettent d’assurer un apport en énergie correct, puisque la valeur énergétique du lait est inférieure de seulement 20 % à celle du colostrum, mais nettement insuffisant en IgG [2, 3, 4, 8]. Le lait contient 1 à 2 g/l d’IgG, au lieu de 20 g/l dans le colostrum. Ainsi, il faudrait de 13 à 26 ml de lait pour obtenir l’équivalent en IgG.

Sécrétions mammaires de pseudogestation

Chez la chienne, les sécrétions mammaires de pseudogestation affichent des concentrations en IgG du même ordre que les concentrations en IgG mesurées dans le colostrum [1]. Leur valeur énergétique demeure toutefois inconnue. Il s’agit d’une source d’IgG potentiellement intéressante, mais l’efficacité et les risques de son administration chez le chiot n’ont pas encore été évalués.

Laits maternisés

Les laits maternisés sont dépourvus d’immunoglobulines canines et/ou félines et leur concentration énergétique est inférieure de moitié à celle du colostrum [11]. Ils assurent donc un apport nutritionnel, sans aucun apport immunologique.

Sérum canin ou félin

Le sérum prélevé chez un chien adulte contient des immunoglobulines, mais à une concentration environ deux fois inférieure à celle du colostrum, pour une valeur énergétique très faible. Les essais d’administration de sérum canin par voie orale dès la naissance à des chiots privés de colostrum ne conduisent qu’à une augmentation du taux circulant d’IgG très inférieure à celle obtenue après une tétée du colostrum [5, 16]. L’administration orale de sérum canin “en soutien” à des chiots ayant accès à leur mère n’a pas non plus permis de diminuer la proportion de chiots en déficit de transfert d’immunité [13]. Chez le chaton, la voie orale semble permettre l’acquisition d’une immunité passive significative, mais il est nécessaire d’administrer de très gros volumes (20 à 40 ml de sérum) et la protection n’est que de quelques jours [12]. Le sérum des donneurs doit être compatible avec le groupe sanguin du chaton et, bien entendu, négatif pour les virus de l’immunodéficience (FIV) et de la leucose féline (FeLV).

Sérum d’une autre espèce

Le sérum équin a l’avantage d’être plus facilement accessible en gros volume. Néanmoins, si l’administration d’IgG équines purifiées permet d’obtenir un pic de concentrations d’IgG sériques similaire à celui obtenu avec du sérum félin, leur durée de vie est courte : sept jours après la naissance, ces concentrations sont déjà faibles. De plus, l’immunité conférée au chaton ne serait pas efficace [9].

Poudre d’œuf hyperimmune

Lorsque des poules sont vaccinées contre des antigènes canins ou félins, elles synthétisent des anticorps contre ces derniers qui sont exportés ensuite en grande quantité dans le jaune de leurs œufs. Ces anticorps (dits IgY, pour yolk, jaune d’œuf), récupérés après une simple collecte des œufs, sont donc disponibles facilement et en grande quantité. Sous la forme de poudre d’œuf, les IgY sont alors mélangés à du lait maternisé afin d’obtenir un substitut immunologique et énergétique. Un seul est actuellement commercialisé pour le chiot (PuppyProTech®, Royal Canin, contenant des IgY anti-E. coli et anti-CPV2), mais aucun n’est disponible pour le chaton [15].

Conclusion

Le colostrum reste une sécrétion complexe qu’aucun substitut ne peut égaler. Si le colostrum ou les substituts colostraux contribuent à diminuer le risque de mortalité néonatale, leur administration ne dispense pas des mesures d’hygiène classiques telles que le nettoyagedésinfection fréquent de la maternité, les soins du cordon ombilical, l’hygiène buccale et cutanée de la mère, par ailleurs correctement vaccinée. La salubrité et l’attention portée à un apport énergétique suffisant, via le suivi du poids, permettront de limiter la pression infectieuse d’une part, et de mobiliser les défenses immunitaires du jeune animal face aux agents pathogènes d’autre part.

  • (1) Voir « La pose d’une sonde orogastrique chez un très jeune animal » dans ce dossier.

Conflit d’intérêts

NeoCare a contribué à la mise au point du substitut colostral commercialisé par Royal Canin.

ENCADRÉ : Groupes sanguins et consommation du colostrum chez le chaton

Les chattes de groupe sanguin B présentent dans le sang circulant des anticorps anti-A, qui sont donc sécrétés dans le colostrum après la mise bas. Tout chaton porteur de l’épitope érythrocytaire A (donc de groupe A ou AB) qui consommerait ce colostrum est exposé à un risque d’érythrolyse, qui conduit au développement d’un ictère et/ou à la mort. Si une chatte de groupe B est accouplée avec un mâle de groupe A ou AB, elle peut donner naissance à des chatons de groupe A. Ceux-ci devront alors être séparés de leur mère dès la naissance et jusqu’à la fin de la fermeture de la barrière intestinale, de façon à prévenir l’absorptiond’immunoglobulines (les chatons sont séparés pendant les 24 premières heures de vie). Le risque n’existe pas avec les chattes de groupe A, qui produisent spontanément des anticorps anti-B de faible activité [10].

Références

  • 1. Abrard M, Ronsin P, Mila H et coll. Intérêt des sécrétions mammaires de lactation de pseudogestation comme substitut immunologique du colostrum. Congrès Afvac, Marseille, 2018.
  • 2. Adkins Y, Lepine AJ, Lönnerdal B. Changes in protein and nutrient composition of milk throughout lactation in dogs. Am. J. Vet. Res. 2001;62: 1266-1272.
  • 3. Adkins Y, Zicker SC, Lepine AJ et coll. Changes in nutrient and protein composition of cat milk during lactation. Am. J. Vet. Res. 1997;58:370-375.
  • 4. Albaret A. Composition immunologique des sécrétions lactées dans l’espèce canine. Thèse vét. ENV de Toulouse, 2016.
  • 5. Bouchard G, Plata-Madrid H, Youngquist RS et coll. Absorption of an alternate source of immunoglobulin in pups. Am. J. Vet. Res. 1992;53 (2):230-233.
  • 6. Casal ML, Jezyk PF, Giger U. Transfer of colostral antibodies from queens to their kittens. Am. J. Vet. Res. 1996;57:1653-1658.
  • 7. Chastant-Maillard S, Freyburger L, Marcheteau E et coll. Fermeture de la barrière intestinale chez le chiot. Point Vét. 2013;336:58-62.
  • 8. Claus MA, Levy JK, MacDonald K et coll. Immunoglobulin concentrations in feline colostrum and milk, and the requirement of colostrum for passive transfer of immunity to neonatal kittens. J. Feline Med. Surg. 2006;8 (3):184-191.
  • 9. Crawford PC, Hanel RM, Levy JK. Evaluation of treatment of colostrum-deprived kittens with equine IgG. Am. J. Vet. Res. 2003;64:969-975.
  • 10. Fournier A, Chastant-Maillard S. Focus sur l’isoérythrolyse néonatale. Point Vét. 2017;381:37-39.
  • 11. Heinze CR, Freeman LM, Martin CR et coll. Comparison of the nutrient composition of commercial dog milk replacers with that of dog milk. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2014;244 (12):1413.1422.
  • 12. Levy JK, Crawford PC, Collante WR et coll. Use of adult cat serum to correct failure of passive transfer in kittens. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2001;219:1401-1405.
  • 13. Mila H, Feugier A, Grellet A et coll. Inadequate passive immune transfer in puppies : definition, risk factors and prevention in a large multibreed kennel. Prev. Vet. Med. 2014;116 (1-2):209-213.
  • 14. Mila H, Feugier A, Grellet A et coll. Immunoglobulin G concentration in canine colostrum : evaluation and variability. J. Reprod. Immunol. 2015;112:24-28.
  • 15. Mila H, Grellet A, Mariani C et coll. Natural and artificial hyperimmune solutions : impact on health in puppies. Reprod. Domest. Anim. 2017;52 (Suppl 2):163-169.
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