Fixation de caillette par cœlioscopie après déplacement à gauche - Ma revue n° 019 du 01/01/2019 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 019 du 01/01/2019

CAILLETTE

Appareil digestif

Auteur(s) : Catherine Lutz

Fonctions : Clinique vétérinaire de la Moder
7, rue Hana
Pfaffenhoffen 67350
Val-de-Moder

Le déplacement de caillette à gauche peut être traité chirurgicalement par cœlioscopie pour le confort de l’animal et du praticien.

En France, les interventions sur caillette par endo­scopie sont rares, seuls quelques cabinets étant équipés pour les pratiquer. En revanche, cette méthode est courante dans les pays voisins. En Allemagne, la majorité des vétérinaires sont équipés d’un endoscope ou réfèrent, le cas échéant, à des confrères qui le sont. En effet, la fixation de caillette par endoscopie présente de nombreux avantages (tableau)(1).

DÉCISION OPÉRATOIRE

Lorsque le déplacement de caillette est confirmé par auscultation (“ping” caractéristique), différents paramètres, susceptibles de fournir des indications sur la gravité de l’affection, sont évalués. La glycémie (valeurs normales comprises entre 50 et 80 mg/l) et la concentration sanguine en β-hydroxybutyrates (BHB) (les valeurs sont souvent comprises entre 1,2 et 1,8 mmol/l, signe d’une acétonémie déjà clinique, puisque supérieure au seuil de 0,9 mmol/l) sont mesurées. Des valeurs fortement modifiées de ces deux paramètres assombrissent le pronostic et impliquent d’adapter le traitement. Le pH urinaire est seulement évalué dans les cas graves. S’il est inférieur à 7,8, une acidose sanguine, consécutive à une acidose ruminale (rare dans notre clientèle) ou à une cétose clinique (fréquente en cas de déplacement de caillette), peut être suspectée. Une acidurie paradoxale est parfois présente lors de déplacement de caillette à droite avec torsion (non opérable par laparoscopie). Un pH urinaire supérieur à 8,5 (alcalose métabolique) s’accompagne d’un arrêt du transit digestif. Dans ce cas, il convient de distribuer 100 g de KCl par voie orale.

Si l’éleveur prend la décision d’opérer, l’abord par laparotomie conventionnelle et l’intervention par cœlioscopie lui sont tous deux proposés, mais la seconde proposition est généralement retenue par les éleveurs.

PRÉPARATION DU MATÉRIEL

Le matériel doit être lavé et nettoyé entre deux interventions. Des brosses de petite taille, destinées à nettoyer l’intérieur des canules, sont fournies avec le matériel. L’ensemble du matériel est nettoyé en profondeur dans l’appareil à ultrasons utilisé en pratique canine. Le Spieker de Christiansen, très long, et la fibre optique rigide, avec sa lumière, sont uniquement lavés et rincés à l’eau.

La mallette, préparée par un auxiliaire spécialisé vétérinaire (ASV), selon une liste disponible à la clinique, comprend :

– tout le matériel en inox spécifique pour les caillettes (d’après la mallette fournie du Dr Fritz) : trois canules et trocarts de 5, 8 et 13 mm de diamètre ; une fibre optique rigide ; le pique-caillette (canule et trocart) ; le pousse-navicule et sa navicule ; le Spieker de Christiansen ;

– une bobine de fil de suture solide (ici, un fil irrésorbable de diamètre USP 5, utilisé toute l’année pour les autres chirurgies bovines) ;

– un anesthésique local (procaïne) ;

– un rasoir et des lames ;

– des ciseaux simples non stériles (pour couper les fils) ;

– une lame de scalpel (voire deux, en cas de besoin), son manche et un porte-aiguille ;

– des aiguilles roses, des seringues de 20 ml ;

– une petite bande de crêpe ;

– un flacon d’une suspension de pénicilline (en cas de découverte peropératoire de péritonite) (photos 1a à 1d).

PRÉPARATION DE L’ANIMAL ET INCISIONS CUTANÉES

L’animal debout est tondu en regard du rumen, à une largeur de main de la dernière côte et à une largeur de main sous les lombaires, sur une zone de 5 cm2 (photo 2). Un second carré est tondu, entre les deux dernières côtes, sensiblement à la même hauteur que le précédent. Si la vache est grande, ou présente un abdomen profond, l’incision entre les côtes peut être prévue un peu plus bas. La zone est désinfectée à l’alcool 70°. L’anesthésie locale est assurée par une injection de procaïne (10 ml par site). L’incision cutanée est pratiquée sur chaque site, verticalement, sur 1 cm de long à l’aide d’une lame de scalpel (photo 3).

La canule et son trocart (diamètre de 8 mm) sont alors insérés en regard du rumen, cranio-dorsalement par rapport à la vache (photo 4). L’objectif est de pénétrer dans l’abdomen et non dans le rumen. Cette étape demande un peu d’expérience et de pratique. Il arrive que la canule soit insérée par erreur dans le rumen, mais cela est sans conséquence pour l’animal. Il convient alors de la retirer et de recommencer la manipulation. Une fois la canule en place, la valve est ouverte et laisse passer l’air dans l’espace intrapéritonéal (espace sous vide). La fibre optique rigide est introduite dans la canule de 8 mm. Le chirurgien vérifie visuellement, à l’aide de la caméra, la localisation intrapéritonéale et la présence de la caillette. Puis le second trocart et sa canule (diamètre de 5 mm) sont insérés dans l’espace intercostal en veillant à bien laisser la valve fermée, au risque de dégonfler la caillette et de devoir recommencer l’opération ultérieurement (photo 5).

POSE DE LA NAVICULE ET DÉGONFLAGE DE LA CAILLETTE

Le trocart de 5 mm est retiré et le pique-caillette (composé d’une canule longue et fine et de son trocart) est inséré. Il est planté rapidement dans la caillette, idéalement dans la zone visible dorsalement, peu vascularisée. Cette opération doit être réalisée rapidement, pour éviter que la caillette ne se dégonfle avant même l’insertion de la navicule.

Le trocart utilisé pour la ponction de la caillette est retiré, en bouchant la sortie d’air avec le doigt. La présence d’une odeur typique de caillette (odeur d’estomac acide) permet de s’assurer de la bonne position de la canule dans la caillette. La navicule est poussée énergiquement au fond à l’aide du pousse-navicule, pour éviter qu’elle ne reste coincée dans sa canule. Le chirurgien laisse alors sortir l’air par la canule, en contrôlant visuellement la diminution de la taille de la caillette, jusqu’à sa disparition complète sous la panse (photos 6 et 7).

Il est parfois nécessaire de mobiliser la canule à l’intérieur de la caillette durant la sortie d’air, voire de souffler dedans pour dégager les particules alimentaires susceptibles de boucher la sortie d’air.

Un rumen contractile, bouchant la vue de l’optique, est le gage d’un animal en bonne santé, favorable à la guérison.

ABOMASOPEXIE ET FIN DE L’OPÉRATION

La canule de 5 mm est retirée de l’espace intercostal ; elle est remplacée par la canule et son trocart de 13 mm (le plus épais), insérés dans l’espace intrapéritonéal à partir de l’espace intercostal (photo 8). Le trocart est ensuite retiré pour pouvoir insérer le Spieker de Christiansen (photo 9). La pointe est maintenue à l’intérieur du ­Spieker, afin de ne pas blesser la vache (photos 10a à 10c). Le Spieker, avec sa pointe ainsi protégée, est descendu à l’intérieur de la vache en longeant le péritoine en direction de la droite de l’ombilic. Le chirurgien contrôle avec l’autre main, par l’extérieur, la bonne descente de la pointe du Spieker le long de la paroi abdominale (l’instrument est senti à travers la peau et les muscles). Cela rassure également l’animal. Lorsque le chirurgien a vérifié la présence du Spieker dans la zone ombilicale, il doit le pousser vers la droite (cela demande parfois de pousser le rumen), en veillant à éviter la veine mammaire. D’un coup sec, la paroi abdominale est transpercée à l’aide de la pointe interne du Spieker, en frappant le haut de celui-ci au niveau de la paroi intercostale (photo 11). Il convient d’être vigilant, car il arrive que certaines vaches sursautent violemment, même si cela demeure exceptionnel.

Le fil de suture est attaché à la pointe sortant de l’abdomen sous la vache, puis est remonté dans la canule du Spieker et sorti par l’espace intercostal. Il est ensuite fixé avec les fils de la navicule, par un nœud en boucle autour du doigt. Le tout est redescendu en tirant sur les fils sous la vache, jusqu’à ce que plus aucune tension ne soit ressentie sur les fils. Les deux fils de la navicule sont fixés dans une bande de crêpe par deux points séparés (en passant le fil dans deux aiguilles) (photos 12a et 12b). Plusieurs nœuds sont réalisés sur les fils sortant de la bobine, puis le surplus est coupé.

Il convient de tirer en douceur sur les fils pour bien descendre la caillette au fond de l’abdomen, en veillant à ne pas serrer trop fort pour éviter le risque de nécrose interne localisée (seule une abcédation avec un peu de fibrine est recherchée) (photo 13).

Les canules de 8 et 13 mm sont retirées après avoir vérifié visuellement, au moyen de l’optique, l’absence d’adhérences, de fibrine ou de sang, et après avoir sorti l’air de l’abdomen de la vache en exerçant une pression avec les poings dans les deux triangles de rumination (l’éleveur appuie de l’autre côté). Si ce type d’anomalie est présent, l’extrémité de la canule est dévissée et un flacon d’une suspension de pénicilline est versé dans l’espace intra­péritonéal (photo 14).

Les deux incisions ne sont pas suturées en raison des risques d’abcès, ce qui peut paraître surprenant. En effet, de petits abcès sont parfois observés, mais cela se produit uniquement en cas de sutures et jamais lorsque les incisons ne sont pas refermées.

SUIVI POSTOPÉRATOIRE

Le suivi postopératoire est identique à celui d’une opération de caillette classique par laparotomie. En revanche, la fixation par endoscopie ne nécessite pas de traitement médical particulier. Il convient toutefois de faire attention aux cas de métrite souvent associés aux déplacements de caillette : un traitement antibiotique s’impose alors.

En cas de douleur, un anti-inflammatoire non stéroïdien sans délai d’attente peut être administré. À la suite de l’opération, un drenchage est conseillé : 30 à 40 litres d’eau immédiatement après l’opération (pas plus pour ne pas mettre trop de pression sur la zone de fixation) et 60 litres le lendemain (avec ou sans propylène glycol, en fonction des valeurs mesurées de BHB).

La bande de crêpe peut être coupée par l’éleveur après un délai de 3 semaines.

Conclusion

Malgré quelques difficultés de mise en place dans notre clientèle, les taux de réussite de cette technique sont actuellement supérieurs à ceux obtenus avec une laparotomie (85 % de réussite avant la mise en place de la technique contre 92 % actuellement). La formation de la moitié des vétérinaires de la clinique (2 sur 4) a permis de découvrir quelques détails pratiques supplémentaires. Ainsi, la vache peut également être roulée sur le dos pour fixer la caillette à l’abdomen(2). Le matériel à endoscopie peut être rentabilisé en l’utilisant pour d’autres affections (urolithiase des petits ruminants, par exemple). L’intervention sur caillette déplacée à droite est également possible, mais plus délicate.

Cette technique opératoire est rapide, simple et confortable pour l’animal. Nous opérons désormais par cœlioscopie tous les déplacements de caillette à gauche, d’où la déception de nos éleveurs lorsque la caillette est déplacée à droite et qu’il est alors nécessaire d’ouvrir.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La fixation de caillette par cœlioscopie est praticable en ferme, avec un minimum de formation.

→ La guérison des vaches est beaucoup plus rapide avec cette méthode nécessitant peu de traitement (coût plus faible pour l’éleveur, aucun délai d’attente).

→ La rapidité et la propreté de l’intervention apportent un confort pour tous.