MAMELLE
Appareil génito-urinaire
Auteur(s) : Bérangère Ravary-Plumioën*, Vincent Plassard**
Fonctions :
*Hospitalisation grands animaux
Pathologie des animaux de production
École nationale vétérinaire d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort Cedex
Le contrôle d’une lactation anormale chez la chèvre de compagnie peut se révéler difficile et nécessiter une mammectomie par ligatures vasculaires.
Chez les petits ruminants, certaines affections de la mamelle, telles que les mammites gangreneuses, chroniques suppurées ou abcédées et, plus rarement, les tumeurs (fibrome, carcinome, adénocarninome) nécessitent l’ablation chirurgicale de la mamelle pour la survie de la femelle [15, 20].
Outre ces affections, les vétérinaires sont parfois confrontés à des troubles de la lactation chez des chèvres (non gestantes au préalable) élevées par des particuliers comme animaux de compagnie [3, 17, 21, 23, 25, 26]. Les propriétaires ne pouvant traire quotidiennement l’animal, il convient de trouver un moyen de supprimer la lactation, pour le bien-être de l’animal et la tranquillité des propriétaires.
Contrairement à la vache, chez laquelle la mammectomie totale (par exérèse chirurgicale) est rarement tentée en raison de la difficulté d’intervention, l’hémi-mammectomie ou la mammectomie totale est plus souvent réalisée chez les petits ruminants [6-b, 18, 19, 20, 22, 24]. Chez la vache, une technique de mammectomie par ligatures vasculaires des vaisseaux de la mamelle est employée lors d’affection grave de la mamelle avec atteinte de l’état général(1). Elle nécessite un double abord : abdominal (laparotomie par le flanc) pour ligaturer les vaisseaux honteux externes, et externe pour ligaturer la vascularisation périnéale ventrale et les veines mammaires craniales [2, 5]. Ce principe de ligatures de la vascularisation de la mamelle peut être appliqué aux petits ruminants, en s’adaptant aux particularités anatomiques de l’espèce.
Après avoir décrit le syndrome de lactation anormale chez la chèvre de compagnie, l’article présente, en images, la technique chirurgicale de ligatures vasculaires de la mamelle dans cette espèce.
Certaines chèvres de compagnie, non saillies au préalable, présentent un développement mammaire important. Celui-ci peut être causé par un dépôt de gras, mais aussi par un syndrome de lactation anormale, aussi dénommé pseudo-lactation, voire pseudo-gestation (à tort, ce terme désignant une affection utérine spécifique de la chèvre, affection qui n’est pas toujours associée à ces cas de lactation). Ce syndrome peut aussi être rencontré chez le mâle, entier ou castré [11, 25, 26]. Dans une étude menée aux Pays-Bas, les animaux affectés étaient majoritairement des chèvres adultes (entre 3 et 8 ans), mais parfois des animaux jeunes (moins de 2 ans), ou au contraire relativement âgés (plus de 10 ans) ; 63 % des chèvres n’avaient jamais été gestantes ; il s’agissait aussi bien de races laitières que de races naines [23]. En revanche, ce syndrome est rare chez la brebis [25].
Les chèvres affectées présentent une mamelle de taille volumineuse (avec de larges trayons), souvent souple, inconfortable voire douloureuse, rendant éventuellement leur déplacement difficile. Un liquide laiteux (lait ou liquide plus transparent, couleur paille) est produit au niveau d’un ou des deux quartiers, en quantité parfois importante (jusqu’à 3,5 l/j) [3, 23-25]. Cette lactation anormale peut être observée plus fréquemment en été (période de l’année où la prolactinémie est naturellement la plus haute) [23]. Des complications peuvent survenir : mammite, lésions cutanées en région de la mamelle ou des trayons, si la mamelle frotte contre les membres postérieurs ou le sol [23].
En raison du développement des caprins en tant qu’animaux de compagnie, tant dans les fermes pédagogiques que chez les particuliers, une augmentation de la prévalence de ce syndrome est à prévoir.
Bien que la cause de cette affection ne soit pas encore vraiment connue, il est possible qu’une part héréditaire intervienne (animaux descendants d’individus au haut potentiel de production laitière), ou bien que la lactation soit induite par une sensibilité plus élevée à la prolactine de certaines chèvres, voire par une hyperprolactinémie (causée parfois par un adénome hypophysaire) ou un taux sanguin élevé de PTHrP (peptide apparenté à l’hormone parathyroïdienne), occasionné par certaines tumeurs [16, 24, 25]. Certains auteurs évoquent aussi une forte sensibilité à une progestéronémie prolongée (provoquée par un corps jaune persistant, des ovaires polykystiques ou une tumeur ovarienne), donc un déclenchement de la lactation à la suite du traitement hormonal (prostaglandines) ou chirurgical (exérèse de l’ovaire) mis en œuvre pour traiter la perturbation hormonale initiale [16, 24, 26]. Un bilan hormonal n’est généralement pas entrepris chez ces animaux pour en déterminer la cause. La lactation peut également être induite par un comportement d’auto-allaitement, la chèvre tétant son propre pis, ou par irritation de la mamelle par des plantes de la pâture (chardons ou orties) [23]. La consommation de végétaux riches en phyto-œstrogènes (comme le trèfle, la luzerne), notamment au printemps, pourrait aussi y contribuer [25, 26].
Lors de mamelle très engorgée, donc douloureuse, les propriétaires ont tendance à traire la chèvre pour soulager l’animal. Toutefois, traire ou masser les mamelles est déconseillé, car ces gestes stimulent la sécrétion de prolactine, donc la production de lait. Pour la même raison, l’application de pommade sur les mamelles est aussi à proscrire [23]. Un tarissement peut être tenté en modifiant l’alimentation (apport uniquement de foin sans concentrés) pour réduire la production lactée. Il est conseillé d’instaurer ce tarissement en période automnale, période pendant laquelle la lactation diminue naturellement [24]. Toutefois, s’agissant d’animaux de compagnie, les propriétaires ont tendance à ne pas respecter strictement le régime alimentaire conseillé, en leur offrant des friandises ; le tarissement est alors difficile à obtenir [23].
Des mesures thérapeutiques peuvent être associées aux mesures alimentaires précédemment évoquées. Des traitements médicaux, à base d’inhibiteurs de la sécrétion de prolactine, sont souvent instaurés par voie orale : bromocriptine (5 mg/j pendant 14 jours), cabergoline (5 µg/kg/j pendant 4 à 6 jours) ou quinagolide (1 mg/j pendant plusieurs jours) (sans autorisation de mise sur le marché [AMM] pour les caprins en France) [3, 23, 24]. Ils se révèlent souvent peu ou pas efficaces, induisant au mieux une diminution sensible (10 à 20 %) et temporaire de la production lactée [10, 12, 24, 26]. Une enquête aux Pays-Bas, menée sur 24 chèvres de compagnie atteintes de lactation anormale, rapporte une efficacité de la gonadoréline (GnRH, à raison de 2,5 ml de Receptal®) dans la moitié des cas [17]. En revanche, tout traitement à base de prostaglandines est à éviter car celles-ci, en induisant une chute de la progestérone, stimulent le développement du parenchyme mammaire et initient la lactation [23, 24, 26]. Une destruction des acini par injection intramammaire d’antiseptiques, par exemple une solution de chlorhexidine 2 % (5 à 10 ml) ou de policrésulène 8 % (10 à 20 ml), est parfois réalisée par certains praticiens, mais elle induit une inflammation douloureuse, qui peut se compliquer d’une mammite chronique sévère ou d’une mamelle trop pendante (donc gênante, voire sujette à des blessures), nécessitant finalement la mastectomie chirurgicale [24].
Faire pâturer l’animal sur une herbe coupée courte, voire le garder à l’intérieur, peut permettre d’éviter toute stimulation de la mamelle par des herbes hautes [23].
Toutes ces mesures thérapeutiques, alimentaires et de gestion ne permettent pas toujours de contrôler ce syndrome de lactation anormale [23]. Une mammectomie (par exérèse chirurgicale) est alors parfois proposée aux propriétaires lors d’échec des mesures précédentes [3, 20, 23, 26]. Une autre option thérapeutique est la ligature de la vascularisation de la mamelle pour induire une nécrose sèche du parenchyme mammaire, donc l’arrêt de la production lactée.
La vascularisation de la mamelle des chèvres est assez similaire à celle des brebis et des vaches.
Chaque quartier est alimenté par l’artère honteuse externe, qui émerge de l’anneau inguinal superficiel, à travers l’aponévrose du muscle oblique externe et le ligament supérieur du pis. En région caudale de la base de la mamelle, l’artère honteuse externe émet tout d’abord un rameau caudal, dirigé vers le périnée (donnant sur l’artère labiale ventrale, après avoir irrigué les nœuds lymphatiques mammaires et la partie dorso-caudale de la glande), puis se divise en plusieurs artères mammaires (caudale, craniale et médiale) dans le parenchyme mammaire, et se poursuit cranialement à la mamelle, sous la peau du ventre, en une fine artère épigastrique caudale superficielle (figure 1). Une interconnexion artérielle (à partir de l’artère mammaire médiale) entre les deux moitiés de la mamelle est présente à travers le ligament suspenseur [1, 4, 14]. Cependant, l’apport sanguin de la mamelle par l’artère honteuse externe ne serait pas unique chez la chèvre. Une étude a montré récemment que les branches labiale, dorsale et mammaire de l’artère périnéale ventrale (provenant de l’artère honteuse interne) y contribuent. Ces branches s’anastomosent avec la branche labiale ventrale, issue soit de l’artère honteuse externe, soit de l’artère mammaire moyenne [1].
Le sang de chaque moitié de la mamelle est ensuite drainé par plusieurs racines veineuses s’anastomosant aux veines honteuse externe, épigastrique caudale superficielle (ou veine mammaire craniale) et périnéale. Toutefois, les veines mammaires caudales sont fines (voire absentes chez la brebis) et le sang est principalement drainé par les veines honteuse externe et mammaire craniale. Il n’existe pas de cercle veineux basal comme chez la vache. Contrairement aux brebis, les chèvres présentent en avant de la mamelle seulement deux veines superficielles (les deux veines mammaires craniales latérales gauche et droite) et non trois (une veine mammaire principale, la veine craniale médiane et deux veines mammaires craniales latérales) [4].
La ligature des vaisseaux mammaires est indiquée lors de :
– syndrome de lactation anormale ;
– mammite gangreneuse (associée à une amputation du trayon), pour éviter la dissémination dans l’organisme de toxines [8] ;
– toute autre affection mammaire sévère pouvant avoir un retentissement sur l’état général de l’animal et ne pouvant être traitée médicalement avec succès.
L’intervention chirurgicale est effectuée en plusieurs temps :
– ligature des vaisseaux (veine et artère) en région inguinale ;
– ligature des veines mammaires en région craniale de la mamelle ;
– ligature des artères en région périnéale.
Un jeûne préopératoire est conseillé, avec un retrait des aliments (foin et concentrés) 24 heures avant la date prévue de l’intervention, puis de l’eau, 12 heures avant.
L’intervention est réalisée sous anesthésie, au moins locale, voire générale (tableau 1).
Une antibiothérapie de couverture, à base de pénicilline, et un traitement de la douleur, à base d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (kétoprofène, acide tolfénamique, méloxicam), sont instaurés avant l’intervention chirurgicale.
La chèvre est placée en décubitus dorsal. La mamelle, en régions inguinale (de chaque côté de la mamelle), périnéale et celle située en avant de la mamelle, est préparée aseptiquement (savonnage, puis désinfection), après une tonte des poils.
L’intervention commence en région des anneaux inguinaux superficiels, chacun étant situé entre la face interne de la cuisse et la base de la mamelle, à environ 6 à 8 cm cranio-dorsalement du bord caudal de la base de la mamelle [1, 8]. Leur identification se fait par palpation au travers de la peau (photos 1a et 1b).
Une incision cutanée, d’environ 5 cm de long, est réalisée au scalpel, en regard d’un des deux anneaux inguinaux. Une dissection mousse des tissus mous (tissu sous-cutané, gras et ligament suspenseur du pis) est réalisée jusqu’à identifier, émergeant de l’anneau inguinal, l’artère et la veine honteuses externes, ainsi que le nerf génito-fémoral. L’artère est reconnaissable au pouls, appréciable à la palpation (photos 2 et 3). Les vaisseaux sont chargés sur un instrument chirurgical stérile (du type clamp) ou légèrement tirés à l’aide d’un fil de traction, pour la réalisation des ligatures (photo 4).
Une double ligature transfixée est posée sur chacun des vaisseaux (l’artère et la veine), en utilisant un fil résorbable (exemples : lactomer 9-1 Polysorb® déc. 3 à 4, polyglactine 910 Vicryl® déc. 3 à 4) (figure 2). L’artère et la veine sont successivement sectionnées entre chacune des deux ligatures. L’absence de saignement anormal, à l’extrémité de chaque vaisseau (notamment l’artère), est vérifiée (photos 5 à 7).
Une suture sous-cutanée est réalisée au moyen d’un fil résorbable tressé, serti sur une aiguille à section triangulaire (exemples : lactomer 9-1 Polysorb® déc. 2, polyglactine 910 Vicryl® déc. 2) (photo 8).
Une suture cutanée, au moyen d’un fil irrésorbable serti sur une aiguille à section triangulaire (exemples : nylon Monosof® déc. 3, polybutester Novafil® déc. 3 soie déc. 4), achève l’intervention au niveau du premier anneau inguinal (photo 9).
La même procédure est effectuée au niveau du second anneau inguinal.
Une ligature transcutanée de chacune des deux veines épigastriques caudales superficielles (veines mammaires craniales) est ensuite effectuée, en utilisant un fil monobrin irrésorbable serti sur une aiguille à section triangulaire (exemples : nylon Monosof® déc. 3, polybutester Novafil® déc. 3), juste en avant de la mamelle (photos 10 à 12). Il convient de faire attention à bien passer le fil sous la veine, et non au travers (en vérifiant qu’aucun saignement n’apparaît au point de sortie du fil), et de ne pas implanter le fil trop profondément au travers de la paroi abdominale (au risque de ne pas arriver à oblitérer complètement la lumière de la veine avec la ligature, voire de pénétrer dans la cavité abdominale). Sinon, le fil doit être repassé adéquatement, en un site un peu plus caudal. La peau de la chèvre étant fine et souple, il n’est pas nécessaire de faire la ligature sur une compresse pliée, comme chez la vache [5].
Au vu des données anatomiques récentes sur l’implication possible, dans la vascularisation de la mamelle, des branches issues de l’artère périnéale ventrale, il convient de finaliser l’intervention en réalisant, en région périnéale (environ 4 à 6 cm ventralement à la vulve, dans le plan médian), une ligature transcutanée (avec le même fil monobrin irrésorbable que précédemment) des branches dorsale labiale et mammaire (issues de l’artère honteuse interne) qui cheminent en position sous-cutanée, comparativement à ce qui est fait chez la vache [1, 5]. Comme pour les veines mammaires craniales, les vaisseaux ne doivent pas être traversés lors du passage du fil de ligature. Ces dernières ligatures ne sont pas toujours réalisées, certains auteurs considérant cet apport vasculaire comme insignifiant : l’atrophie mammaire obtenue dans le cas de mammites gangreneuses semble satisfaisante sans cette ligature [8].
Les mesures postopératoires consistent en la poursuite de l’antibiothérapie de couverture (pendant 3 à 5 jours) et du traitement de la douleur avec un anti-inflammatoire non stéroïdien (pendant 3 jours). Certaines chèvres peuvent manifester des signes de douleur assez marqués (prostration, tachycardie, voire vocalises) à l’issue de l’intervention. Dans ce cas, une dose de butorphanol (0,05 à 0,1 mg/kg par voie intraveineuse ou intramusculaire, effet de 1 à 2 heures) peut être administrée, des doses plus importantes pouvant causer une excitation (0,1 à 0,2 mg/kg), voire une ataxie (0,4 à 0,5 mg/kg) [13]. Une baisse d’appétit, une hypotonie ruminale, de l’abattement (animal souvent couché ou prostré) ou une posture anormale (dos légèrement voussé, queue relevée) peuvent être observés après l’intervention, mais ces signes ne durent que 1 à 2 jours.
Les fils de suture cutanée et de ligature transcutanée sont retirés au bout de 15 à 21 jours.
Enfin, les propriétaires de la chèvre ainsi opérée doivent être informés qu’elle ne doit plus jamais être mise en contact avec un mâle entier, afin d’éviter toute gestation [25, 26].
Aucune complication au niveau de la cicatrisation des plaies en région inguinale, ni au niveau des ligatures vasculaires, n’est observée (photo 13). Comme chez l’homme, un anévrisme peut se développer proximalement à la ligature, secondairement à l’intervention. Toutefois, cette complication n’a pas encore été rapportée chez la vache ni chez la chèvre [2]. Dans les semaines suivant l’intervention, une atrophie lente de la mamelle et un tarissement progressif en cas de lactation surviennent (tableau 2). Sur des mammites gangreneuses, une nécrose sèche avec une atrophie de la mamelle est obtenue en 2 à 3 semaines [8].
La mammectomie par ligatures vasculaires est une technique plus facile (visualisation des vaisseaux à ligaturer, contrairement à la vache) et rapide à réaliser (20 à 45 minutes, selon le nombre de sites de ligature) que la mammectomie par exérèse totale [8, 21]. Elle devrait être efficace, car l’artère honteuse externe est non seulement ligaturée, mais également sectionnée entre les ligatures, l’apport sanguin vers la mamelle est donc complètement supprimé par cet abord. Toutefois, il convient de bien serrer les ligatures vasculaires transcutanées et de ne pas oublier la ligature des vaisseaux en région périnéale, afin d’être sûr d’induire une nécrose sèche de la mamelle.
Aucun.
→ Les chèvres de compagnie peuvent produire du lait sans gestation préalable. Les traitements médicaux et les mesures alimentaires sont souvent sans effet sur ce type de lactation.
→ Une mammectomie par ligatures vasculaires est indiquée lors de lactation anormale ou d’autres affections mammaires chez la chèvre.
→ La ligature de la vascularisation mammaire est réalisée uniquement par voie externe chez la chèvre, contrairement à ce qui se pratique chez la vache.