Le traitement chirurgical de la laxité patellaire du veau nouveau-né - Ma revue n° 019 du 01/01/2019 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 019 du 01/01/2019

ROTULE

Membres et appareil locomoteur

Auteur(s) : Xavier Quentin*, Guillaume Belbis**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire des Estuaires
1, boulevard Willy-Stein
50240 Saint-James
x.quentin@wanadoo.fr
**École nationale vétérinaire d’Alfort
Unité de pathologie des animaux de production
7, avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort
guillaume.belbis@vet-alfort.fr

Chez le veau nouveau-né, le traitement de la laxité patellaire vise à réaliser une extension stable entre la cuisse et le tibia, sans toucher au ligament tibio-patellaire intermédiaire, ni à la capsule articulaire.

La laxité patellaire est une affection du veau mais aussi du poulain [3]. Elle affecte le nouveau-né, mais elle est parfois rapportée chez les jeunes adultes [4]. Elle peut être uni- ou bilatérale.

Diverses techniques chirurgicales ont été proposées pour la correction de cette affection [5, 6].

Cet article décrit une technique chirurgicale originale, réalisable uniquement chez le veau nouveau-né (de moins de 3 semaines), visant à obtenir une extension stable entre la cuisse et le tibia, sans toucher au ligament tibio-patellaire intermédiaire, grâce à un cadre réalisé avec du fil d’acier (figure 1).

SYMPTÔMES CLINIQUES DE LA LUXATION PATELLAIRE

La laxité patellaire est une affection orthopédique uni- ou bilatérale. Elle est observée après une extraction forcée en présentation antérieure au moment du vêlage [1]. Lorsqu’elle est d’origine traumatique, elle peut atteindre toutes les tranches d’âge [4].

La prise de décision chirurgicale doit être rapide. En effet, la plupart des publications scientifiques rapportent des échecs chirurgicaux lorsque l’intervention est pratiquée chez des veaux de plus de 3 mois d’âge.

Chez l’adulte, cette affection doit être différenciée de l’accrochement de la rotule [7].

1. Commémoratifs

Les animaux atteints sont généralement des veaux de bon gabarit, dont la mère présente un petit bassin (disproportion fœto-maternelle). Ainsi, cette affection touche principalement des bovins de type allaitant, même si elle peut aussi être observée chez des veaux laitiers, mâles comme femelles (plus fréquente chez les femelles que chez les mâles) [1].

Un vêlage en présentation antérieure, avec une extraction forcée, fait toujours partie des commémoratifs.

Selon que l’affection est uni- ou bilatérale, le veau boite du membre atteint, ne se lève pas du tout ou rampe (photos 1 et 2, vidéos 1 et 2 complémentaires sur lepointveterinaire.fr).

2. Examen clinique

Le veau ne présente pas de douleur lors de la marche : il s’appuie sur la ou les pattes atteintes. Aucun œdème ni point douloureux ne sont à noter aux articulations du ou des membres concernés.

En cas d’atteinte unilatérale, le membre postérieur semble se dérober à chaque pas.

Une fois l’animal couché, la luxation latérale de la rotule (initialement en place, le plus fréquemment) est facile à obtenir à la main en la mobilisant, même sans sédation. Cette affection est aussi appelée luxation de la rotule.

À la manipulation du ou des membres atteints, aucun signe de fracture n’est présent.

3. Examens complémentaires

Il est toujours possible, lors de suspicion de fracture, de réaliser une radiographie du membre.

Après sédation, le signe du tiroir n’est pas réalisable.

4. Diagnostic différentiel

En cas d’atteinte bilatérale, la démarche est caractéristique. Toutefois, une fracture du bassin résultant de l’extraction forcée ne doit pas être exclue.

Lors d’atteinte unilatérale, le diagnostic différentiel comprend :

– les affections méniscales ;

– la rupture des ligaments croisés ;

– les affections osseuses (fractures des os longs, du bassin).

PRÉPARATION CHIRURGICALE

1. Matériel chirurgical

Le matériel chirurgical nécessaire comprend :

– une trousse chirurgicale de base (bistouri, ciseaux et porte-aiguille) ;

– une perceuse portable munie d’un foret pour chirurgie osseuse (diamètre 3 ou 4 mm trempé dans l’alcool) ;

– du fil de cerclage en acier inoxydable malléable de diamètre 0,8 à 1,5 mm et une tenaille ;

– deux aiguilles à injection 60/20 ou mieux, l’aiguille-mandrin d’un cathéter ;

– un fil de suture cutanée.

2. Anesthésie et préparation du veau

L’anesthésie intrarachidienne est tout à fait indiquée pour cette intervention (photos 3 et 4).

Pour mémoire, le protocole anesthésique consiste à injecter doucement une association comprenant 0,1 ml de xylazine 2 % et 1 ml de lidocaïne 2 % pour 10 kg de poids vif (+/- détomidine 40 µg/kg), dans l’espace intervertébral L6-S1 [2](1).

Une fois anesthésié, le veau est placé en décubitus latéral sur le membre sain, le membre atteint étant attaché verticalement à une corde de traction (photo 5).

L’objectif de l’intervention est de réaliser une extension stable entre la cuisse et le tibia, en raccourcissant la liaison rotule-tibia, sans toucher au ligament tibio-patellaire intermédiaire [1].

TEMPS CHIRURGICAUX

1. Préparation du site chirurgical

La préparation du site est réalisée classiquement :

– tonte ou rasage large autour du genou, se prolongeant sur le tibia ;

– désinfection du site chirurgical (polyvidone iodée ou chlorhexidine).

2. Incision cutanée

L’incision cutanée est large : elle débute au-dessus de la rotule et descend jusqu’au tiers ou jusqu’à la moitié supérieure du tibia. Une légère dilacération du tissu sous-conjonctif est réalisée.

Avec cette méthode, il n’est pas utile de découvrir la rotule, ni la crête tibiale, encore moins d’ouvrir la capsule articulaire du genou, ce qui est un avantage par rapport à d’autres techniques décrites [1-6]. En effet, le respect de l’intégrité de la capsule articulaire évite les risques d’arthrite du genou, apparaissant souvent après 8 jours.

3. Temps osseux : rotule et tibia

Tout d’abord, le chirurgien repère la rotule en la mobilisant (photo 6). Le foret de la perceuse est posé sur la face latérale de la rotule, en direction de la face médiane (figure 2A). Il convient de forer dans la rotule, sans passer dans la capsule articulaire. Si la capsule articulaire est forée par erreur, le foret est retiré et le forage est repris à côté.

Au moment du retrait du forêt, une aiguille 60/20, ou un mandrin de cathéter (plus pratique car plus long), est placée dans l’orifice. Le forage est doublé parallèlement (deux forages à environ 1 cm de distance), en raison de la structure cartilagineuse de la rotule (os mou) qui ne résiste pas à une forte traction (photo 7, figure 2B).

Parfois, la rotule peut être forée à la seule force de l’aiguille. Après ces deux forages, un câble en acier est introduit dans le biseau de l’aiguille proximale et poussé dans la lumière de celle-ci, jusqu’à l’autre extrémité. L’aiguille peut alors être retirée (photo 8, figure 2C).

Les deux chefs (extrémités) du câble en acier sont ensuite croisés, en passant dans l’orifice distal, l’opération étant facilitée par la présence de l’aiguille-mandrin (photo 9, figure 2D).

Une fois les fils croisés, les deux extrémités sont tirées afin de mettre le fil d’acier sous tension en contact avec la rotule (photo 10).

Le même principe est appliqué pour passer le fil d’acier dans le tibia. Dans ce cas, il est impératif d’éviter de forer le noyau osseux du sommet de la crête tibiale, ainsi que le cartilage de croissance [1].

Le premier forage est effectué le plus distalement possible dans la crête tibiale (photos 11 et 12). Un second forage est ensuite pratiqué dans la partie plus proximale (figure 2E). L’orifice distal est creusé à environ 3 cm sous le plateau tibial, puis le trou proximal à 0,5 à 1 cm du premier.

Le câble en acier est alors placé dans la crête tibiale, par le trou distal (figure 2F). Les fils sont ensuite croisés dans le trou proximal (photo 13, figure 2G).

Le double passage des fils d’acier dans la rotule et la crête assure une fixation solide. Avec un simple passage, ces structures risquent d’être déchirées dès qu’une tension leur est appliquée (photo 14).

Une fois la mise sous tension du fil effectuée, un important rapprochement de la rotule et du plateau tibial est observé. Les câbles situés du même côté sont ensuite enroulés l’un autour de l’autre, de manière à former des torons (un en face médiane et un en face latérale) (photo 15, figure 2H). Le ligament tibio-patellaire intermédiaire se plisse alors.

Une fois les torons réalisés, l’articulation est mise en flexion. Cette opération doit pouvoir s’effectuer facilement, sans forcer. Si la flexion n’est pas possible (trop de tension), les torons doivent être défaits afin de donner un peu de “mou”.

Parfois, le fil d’acier peut casser lors de la réalisation des torons. Le passage complet d’un nouveau fil d’acier peut alors être effectué ; un fil complémentaire peut également être utilisé.

À la fin, le câble en excès est coupé, puis les torons sont pliés le long du cadre métallique, de façon à être atraumatiques (figure 2I).

Contrairement à d’autres techniques, aucune résection du ligament tibio-patellaire intermédiaire, qui se trouve replié dans cette méthode, n’est à réaliser [1, 6]. Le cadre métallique assure la tension de l’ensemble.

La suture cutanée termine la chirurgie.

4. Phase postopératoire

L’antibiothérapie est assurée par une association classique de pénicilline et de streptomycine, selon les autorisations de mise sur le marché (AMM), pendant 5 jours.

L’utilisation d’un anti-inflammatoire non stéroïdien, susceptible de masquer une arthrite débutante, ne doit pas être systématique.

Le veau est remis sur une aire paillée pour permettre une reprise rapide de l’exercice.

Le membre opéré ne doit pas être manipulé violemment par le chirurgien ou l’éleveur, sous peine de casser le cadre métallique. Dans un tel cas, des difficultés de cicatrisation sont observées (irritation cutanée ou sous-cutanée). L’animal doit alors être réopéré pour ôter le cadre. Selon la récupération obtenue, il peut être utile de remettre un montage.

La récupération fonctionnelle est très rapide : l’appui se fait dès le deuxième jour après l’intervention (vidéo 3 complémentaire sur lepointveterinaire.fr).

Certains auteurs, en cas d’atteinte bilatérale, préconisent de différer l’intervention du second membre [6]. Dans notre clientèle, nous réalisons les deux interventions le même jour.

La récupération est très rapide et les séquelles souvent mineures.

L’intervention est contre-indiquée dans deux situations, en raison d’un taux d’échecs très élevé :

– lors de paralysie complète et définitive du quadriceps fémoral ;

– lors d’intervention au-delà de 3 semaines d’âge.

INTÉRÊT DE LA CHIRURGIE

1. Facilité

→ L’intervention est très rapide (environ 30 à 45 minutes par membre entre l’incision et la suture cutanées).

→ Cette technique ne nécessite aucune ouverture de la capsule articulaire. Elle ne présente donc aucun risque d’infection articulaire, sauf au moment du forage de la rotule, si celui-ci est trop profond et passe par la capsule articulaire.

→ Le coût des consommables est limité.

2. Difficultés

→ Les forages de la rotule et de la crête tibiale s’effectuent sans ôter les fascias qui les entourent. Assez souvent, ces derniers s’enroulent autour du foret. Ils doivent être, dans ce cas, découpés et éliminés à l’aide d’une lame de bistouri du foret.

En cas de forage dans la capsule articulaire, l’arthrite est quasi systématique. Lors d’atteinte, le foret doit être retiré et il convient de recreuser juste à côté sans chercher à refermer l’effraction réalisée par erreur de manipulation.

Conclusion

Cette affection, peu fréquente, est facile à diagnostiquer quand elle est connue du praticien : elle se traduit par une paralysie musculaire accompagnée d’une lésion partielle du nerf fémoral.

Le traitement proposé permet de retrouver la structure fonctionnelle du genou dès la fin de l’intervention. Le cadre métallique permet cette récupération.

D’autres méthodes chirurgicales existent, mais celle-ci est très simple et permet une récupération très rapide, en l’absence d’autres lésions (nerveuses, par exemple).

Les manipulations en ostéopathie permettent une récupération fonctionnelle dans les cas les moins graves.

  • (1) Voir l’article “La rachianesthésie chez le veau : retour sur les pratiques et les protocoles des 15 dernières années en France” de G. Touzot-Jourde, dans ce numéro.

Références

  • 1. Decante F. Traitement de la laxité patellaire traumatique du veau. Bull. GTV. 1998;581:47-52.
  • 2. Guatteo R, Holopherne D. Anesthésie des bovins. Point Vét. Collection Carnet clinique. 2006:177p.
  • 3. Leitch M, Kotlikoff M. Surgical repair of congenital lateral luxation of the patella in the foal and calf. Am. Coll. Vet. Surg. 1980;91 (1):1-4.
  • 4. Marchionatti E. Surgical correction of traumatic lateral patellar luxation. Vet. Surg. 2016;45:121-124.
  • 5. Pentecost R, Niehaus A. Cranial cruciate ligament, meniscus, upward fixation of the patella. Vet. Clin. Food Anim. 2014;30:265-281.
  • 6. Ravary B. Traitement chirurgical de la laxité patellaire chez le veau. Point Vét. 2001;n°sp « Chirurgie des bovins et des petits ruminants » (tome II):92-96.
  • 7. Ravary B, Bouisset S. L’accrochement de la rotule des bovins adultes. Point Vét. 2002;228:42-44.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La laxité patellaire chez le veau nouveau-né peut être uni- ou bilatérale et résulte toujours d’une extraction forcée lors du vêlage.

→ Cette technique vise à obtenir une extension stable entre la cuisse et le tibia, sans toucher au ligament tibio-patellaire intermédiaire, grâce à un cadre réalisé avec du fil d’acier.

→ La rotule et le tibia sont percés, sans toucher à la capsule articulaire, ce qui limite les risques infectieux postopératoires.

→ La récupération est rapide et sans séquelles.

REMERCIEMENTS

L’auteur remercie Frédéric Decante pour son article paru en 1998 dans le Bulletin des GTV, qui lui a permis de découvrir l’existence de cette affection et lui a inspiré sa cure chirurgicale [1].