MAMELLE
Appareil génito-urinaire
Auteur(s) : Guillaume Belbis*, Xavier Quentin**, Vincent Plassard***, Sylvie Chastant-Maillard****
Fonctions :
*École nationale vétérinaire d’Alfort
Unité de pathologie des animaux de production
7, avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort
**Clinique vétérinaire des Estuaires
1, boulevard Willy-Stein
50240 Saint-James
***École nationale vétérinaire d’Alfort
Unité de pathologie des animaux de production
7, avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort
****Service reproduction
UMR 1225 IHAP, Inra-ENVT
23, chemin des Capelles, 31076 Toulouse
Cet article propose une technique simple, peu coûteuse, permettant de prendre en charge sur le terrain les cas de mammites ou d’abcès mammaires graves.
La gestion thérapeutique des mammites bovines repose principalement sur l’utilisation d’antibiotiques (intramammaires et/ou parentéraux, selon le type de mammite), associée éventuellement à celle de molécules anti-inflammatoires, à une fluidothérapie et à divers traitements adjuvants (antioxydants, par exemple) [7]. Cependant, certaines mammites extrêmement sévères (comme les mammites gangreneuses) peuvent ne pas répondre au traitement médical entrepris et/ou mettre en jeu la survie de l’animal à court terme, rendant le traitement médical inefficace.
Les publications scientifiques rapportent plusieurs techniques chirurgicales permettant de prendre en charge ces infections graves de la mamelle, mais aussi les abcès mammaires [3, 8, 10, 12]. Ces techniques peuvent être séparées en mammectomies radicales (retrait du tissu mammaire) et en mammectomies physiologiques, dans lesquelles certains (ou la totalité) des vaisseaux participant à la vascularisation de la mamelle sont ligaturés [1, 3, 8, 12]. La première technique (mammectomie au sens strict ou mammectomie radicale) n’est réellement applicable qu’aux petits ruminants, car trop lourde chez la vache. La mammectomie physiologique, décrite ici, est une solution alternative intéressante chez la vache, mais également chez les petits ruminants(1).
La voie d’abord pour ligaturer les vaisseaux intra-abdominaux (artères et veines honteuses externes) varie également selon les chirurgiens : ces vaisseaux sont abordés soit via une laparotomie par le flanc, soit par colpotomie [1, 3, 11]. Un abord de ces vaisseaux par cœlioscopie est également envisageable, cela ayant déjà été décrit sur un modèle cadavre [5].
Les deux quartiers d’un même côté reçoivent leur vascularisation par l’intermédiaire de l’artère honteuse externe correspondante et, dans une moindre mesure, d’un rameau de l’artère honteuse interne (figure 1) [2, 9].
L’artère et la veine honteuses externes sont des vaisseaux de gros calibre (l’artère pouvant atteindre 2 cm de diamètre chez une vache forte productrice, au pic de lactation). L’artère provient d’un tronc pudendo-épigastrique et la veine aboutit à ce tronc situé sous le péritoine de la région prépubienne, non loin de l’anneau inguinal profond. Artère et veine honteuses externes s’engagent ensemble dans l’espace inguinal.
L’artère honteuse externe se divise à la face dorsale de la mamelle en deux ramifications, les artères mammaires craniale et caudale. Cette dernière est anastomosée vers l’arrière avec l’artère périnéale ventrale (prolongement de l’artère honteuse interne). L’artère périnéale ventrale est paire : les deux vaisseaux droit et gauche cheminent tous les deux très près l’un de l’autre, et peuvent paraître confondus à l’examen externe (visuel et sensation du pouls).
En ce qui concerne le système veineux, il est organisé en trois étages : veines des trayons, veines du parenchyme et collecteurs de la base du pis. Ces derniers constituent entre le bord du pis et la paroi abdominale le cercle veineux du pis que drainent de chaque côté trois veines : une veine moyenne, la veine honteuse externe, très volumineuse et anastomosée vers l’avant avec la veine mammaire craniale, et vers l’arrière avec la veine mammaire caudale, qui se prolonge par la veine périnéale ventrale (racine de la veine honteuse interne) qui, bien que paire, est souvent fusionnée avec la veine périnéale ventrale controlatérale (figure 2).
L’objectif de cette intervention est de limiter le passage des toxines dans la circulation sanguine par ligature des veines sortant de la mamelle, tout en induisant une nécrose sèche de la mamelle par ligature des artères assurant la vascularisation du parenchyme mammaire.
Les revues scientifiques proposent des descriptions de mammectomie physiologique consistant à ligaturer, après laparotomie, les artères et veines honteuses externes seules [1, 10]. Cependant, cette ligature seule n’est pas suffisante chez toutes les vaches, des échecs avec persistance de la production de lait ayant été notés alors même que ces vaisseaux étaient totalement oblitérés [6]. Ces échecs après ligature unique ont également été rapportés [10]. Il est vraisemblable que la participation des rameaux provenant de l’artère périnéale ventrale à la vascularisation du pis est plus importante que celle que lui attribuent les publications scientifiques chez certains animaux.
Il est, par conséquent, nécessaire de compléter la technique proposée dans les revues scientifiques en ajoutant à la ligature de l’artère et de la veine honteuses externes celle des artères périnéales. La ligature des veines mammaires craniales est également nécessaire pour limiter le relargage des toxines bactériennes d’origine mammaire dans la circulation générale. L’existence du cercle veineux du pis nécessite la ligature des deux veines, même si un seul côté de la mamelle est atteint. Seule cette technique, que nous réalisons classiquement, est décrite dans cet article.
Le matériel nécessaire pour la réalisation de cette intervention comprend l’équipement chirurgical classique pour une laparotomie (dont un fil monofilament résorbable déc. 5).
Pour réaliser la ligature des vaisseaux de gros calibre (artère et veine honteuses externes), l’utilisation d’élastiques de 1 cm de large (bracelets élastiques de 1,5 cm ´ 10 mm, disponibles en papeterie) est préférée à celle de fil de suture, qui risque de sectionner les vaisseaux. L’emploi de colliers de serrage Colson® de 7 mm de large (colliers d’électricien, disponibles en magasin de bricolage) est également envisageable, même si leur utilisation a été, dans notre expérience, associée dans certains cas à une moins bonne oblitération des vaisseaux (photo 1). Ces colliers nécessitent l’achat complémentaire d’une pince métallique permettant de les serrer, qui doit être stérilisée.
Une laparotomie est pratiquée par le flanc gauche ou droit (les vaisseaux gauche et droit étant accessibles par le côté opposé). L’animal est préparé de manière classique, comme pour toute laparotomie : tonte, nettoyage, désinfection, anesthésie locale traçante ou, mieux, paravertébrale. En effet, la dissection du péritoine entourant les vaisseaux peut être sensible pour certains animaux : la réalisation d’une anesthésie paravertébrale (T13 à L4) sur les nerfs les plus caudaux permet de limiter l’inconfort, donc les mouvements de l’animal, pendant ce temps opératoire.
Point important : l’incision doit être assez large pour permettre au chirurgien d’introduire les deux bras dans l’abdomen (jusqu’au coude), sous peine d’avoir des difficultés à réaliser les ligatures.
Une fois dans la cavité abdominale, l’anneau inguinal profond situé du côté du site de laparotomie est repéré à l’aveugle : la main est posée à plat contre l’aile de l’ilium, puis ramenée cranialement, tout en restant en contact avec la paroi musculaire abdominale. Les premiers vaisseaux rencontrés sont les vaisseaux honteux externes, environ 5 cm cranialement à l’ilium. Afin de confirmer qu’il s’agit bien de ces vaisseaux, il est possible de les suivre en direction ventrale : ils s’engagent et disparaissent dans une fente longitudinale horizontale d’environ 4 cm de long dans la paroi abdominale. Cette structure (constituée par le bord du muscle droit de l’abdomen, extrêmement tendu en raison de la proximité de son attache tendineuse sur le pubis) est l’anneau inguinal interne, zone légèrement dépressible, avec un rebord très tendu et dur. Cette zone, située peu en dessous de l’horizontale du pubis (elle est souvent recherchée trop ventralement) sert de point de repère pour confirmer que l’opérateur est bien en regard des vaisseaux honteux externes, et constitue un repère anatomique pour la dissection.
Une fois les vaisseaux repérés (par le pouls de l’artère honteuse), le péritoine les entourant est disséqué à l’aveugle. En pratique, celui-ci est pincé et déchiré au doigt sur le côté des vaisseaux, le plus près possible de l’anneau inguinal (photo 2). Il est important que la ponction ne soit réalisée que 2 à 4 cm au-dessus de l’anneau, pour ne pas provoquer la dévascularisation de vaisseaux destinés à la paroi abdominale. La ponction du péritoine n’est pas effectuée sur les vaisseaux pour éviter de les perforer. Le doigt poursuit alors la dissection dans le tissu conjonctif situé derrière les vaisseaux, jusqu’à ce qu’il soit possible d’en faire le tour (photo 3). Cette étape peut être ressentie comme la plus impressionnante lors de la première intervention ; cependant, la manipulation des vaisseaux est sûre, même si elle doit être pratiquée avec précaution et douceur.
Une fois les vaisseaux isolés, un élastique, préalablement coupé, afin d’obtenir une lanière, et désinfecté dans une solution à base de chlorhexidine, est passé derrière les vaisseaux. Il convient, à cette étape, de vérifier que l’artère et la veine sont bien toutes les deux entourées par l’élastique. L’élastique est ensuite serré comme un fil de suture afin de ligaturer les vaisseaux (photo 4) : à ce moment-là, il est nécessaire, lors de laparotomie par le flanc, d’introduire les deux bras dans l’abdomen pour placer l’élastique et serrer le nœud bien à plat (pour éviter de casser le bracelet caoutchouc). Le nœud est serré en avançant les pouces le plus près possible du vaisseau, afin de ne pas exercer de traction sur celui-ci. L’absence de pouls résiduel en dessous et la présence d’une turgescence au-dessus de la ligature confirment aisément la qualité de celle-ci. Si le nerf génito-fémoral est inclus dans la ligature, cela n’entraîne aucune répercussion chez l’animal.
La même opération est réalisée avec les vaisseaux honteux externes controlatéraux, facilement accessibles par la même plaie de laparotomie. Ainsi qu’expliqué plus haut, il est indispensable de neutraliser les vaisseaux des deux côtés, même si un seul vaisseau latéral mammaire est atteint.
Lorsque des colliers Colson® sont employés, l’extrémité libre du collier après serrage ne doit pas être coupée. En effet, elle pourrait alors devenir tranchante et constituer un risque potentiel pour les organes abdominaux. En général, la partie libre du collier, aux bords mousse, finit emprisonnée dans un amas de fibrine (inflammation locale) et ne constitue donc pas un risque pour l’animal. Enfin, la paroi musculaire et la peau sont suturées de manière classique.
La voie d’abord de l’artère périnéale ventrale est située dans le plan médian de la région périnéale, sous la vulve, à environ 20 cm en dessous de la limite ventrale de la pointe de la fesse (tubérosité ischiatique). Celle-ci est repérée avant l’intervention par son pouls (sauf chez les animaux en bon état corporel). Une anesthésie épidurale caudale est suffisante pour réaliser l’intervention. La zone est tondue et préparée aseptiquement. L’opérateur passe à travers la peau une aiguille triangulaire de forte section, sur laquelle est monté un fil monofilament déc. 5, puis charge les rameaux sanguins souhaités. Si les vaisseaux sont traversés, le monofilament va faire “glisser” le sang vers la sortie de l’aiguille (figure 3). Il convient alors de recommencer à un autre endroit. Une compresse pliée est placée entre les deux chefs, puis le nœud est posé et serré fortement au-dessus de celle-ci (photos 5a et 5b). Après avoir serré la ligature, il convient de bien vérifier l’absence de pouls résiduel.
La zone de la veine mammaire craniale est repérée et tondue sur environ 20 cm de long, cranialement au pis (se laisser une marge de manœuvre caudalement, au cas où le vaisseau serait accidentellement traversé durant la ligature). Une anesthésie locale de part et d’autre de la veine est réalisée et la zone est préparée chirurgicalement. Étant donné la localisation de la suture à réaliser, l’éleveur tient la queue de l’animal horizontale afin de limiter les éventuels coups de pied contre le chirurgien. De la même façon qu’au deuxième temps, l’opérateur passe à travers la peau, puis charge la veine mammaire craniale à l’aide d’un fil monofilament déc. 5 doublé et d’une aiguille triangulaire de forte section. L’opérateur passe alors l’aiguille dans la paroi musculaire, en veillant à ne pas lui faire suivre une trajectoire trop verticale afin qu’elle ne pénètre pas dans la cavité abdominale. À nouveau, une compresse pliée est ensuite placée, puis le nœud très serré est posé (photo 6). En cas de passage de l’aiguille dans la lumière de la veine, la manipulation doit être recommencée, en se positionnant caudalement à la première tentative.
En raison de l’existence du cercle veineux du pis, il est ensuite nécessaire de réaliser la ligature de la veine de l’autre côté, en utilisant la même méthode.
Une antibiothérapie classique de couverture est mise en place pendant 3 à 5 jours, associée à un traitement anti-inflammatoire non stéroïdien. Ce traitement anti-inflammatoire doit être réalisé pendant 3 jours afin de prévenir la douleur qui pourrait survenir à la suite de la pose des ligatures, même si, d’après notre expérience, celle-ci est limitée. En particulier, nous n’avons pas observé d’engorgement mammaire douloureux, ni de signes de douleur associés à la dévascularisation du parenchyme mammaire. Enfin, si l’intervention est réalisée sur un animal très choqué (par une mammite gangreneuse, par exemple), une fluidothérapie peut être nécessaire.
À la fin de l’intervention, il est fréquent d’observer des trayons plus pâles et plus froids qu’avant la chirurgie. Les jours suivant l’intervention, les signes généraux sont réputés être moins importants, et l’amélioration de l’état général se fait rapidement, avec une reprise de l’appétit en 1 à 2 jours chez des animaux anorexiques avant l’intervention [4]. L’amélioration des symptômes est le seul signe précoce permettant de s’assurer de la réussite de l’intervention. En effet, aucune différence de température n’est observée au niveau de la peau de la mamelle, celle-ci étant irriguée par d’autres rameaux vasculaires que ceux ligaturés. De plus, à la suite de la ligature des vaisseaux, l’involution du parenchyme mammaire est très lente, pouvant prendre 6 à 8 semaines. Par conséquent, la réussite de l’intervention ne peut être évaluée que sur la reprise de l’état général et non sur des signes mammaires [1, 4].
À la suite de la ligature des vaisseaux, un caillot se met en place en amont de l’élastique. Lors de ligature incomplète des vaisseaux (essentiellement au niveau de l’artère honteuse externe), ce caillot se forme, mais oblitère incomplètement le vaisseau : un reliquat de vascularisation du pis est alors présent et aucune amélioration n’est observée. Des thrombi peuvent aussi disséminer dans le système vasculaire lors de ligature incomplète et créer des défauts de perfusion d’organes éloignés (reins, par exemple).
Bien que les indications puissent paraître peu nombreuses, cette technique chirurgicale, très simple, peut constituer une alternative pratique à une amputation de la mamelle lors de mammite grave ne répondant pas au traitement chez des animaux de valeur (bouchère, essentiellement). Elle peut également constituer une alternative dans les propositions de soins lors de mammite gangreneuse grave ou de mammite toxinogène prononcée en réduisant la mortalité et en améliorant la récupération chez des animaux pour lesquels seule l’euthanasie aurait pu être envisagée. Dans tous les cas, l’objectif est de proposer une technique opérationnelle sur le terrain pour des cas souvent désespérés.
(1) Voir l’article “Gestion du syndrome de lactation anormale de la chèvre par ligatures vasculaires de la mamelle” de B. Ravary-Plumioën et coll., dans ce numéro.
Aucun.
→ Des ligatures sont posées sur cinq troncs vasculaires : artères et veines honteuses externes à droite et à gauche, veine mammaire craniale à droite et à gauche, artère et veine périnéales.
→ La pose de ligatures par laparotomie et voie externe est une méthode chirurgicale sûre, plus facile à réaliser et moins risquée pour l’animal que l’ablation de la mamelle.
→ Cette intervention est indiquée en cas de mammite (notamment gangreneuse) ne répondant pas au traitement ou d’emblée très grave.
→ L’ablation mammaire n’est possible en pratique que chez les chèvres et les brebis.