Responsabilité civile professionnelle et chirurgie bovine - Ma revue n° 019 du 01/01/2019 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 019 du 01/01/2019

JURIDIQUE

Autour de la chirurgie

Auteur(s) : Philippe Tartera

Fonctions : Cabinet d’expertises
vétérinaires Vetodit
6, impasse Salinié
31100 Toulouse
vetodit@orange.fr

Les mises en cause de la responsabilité des vétérinaires en matière de chirurgie bovine peuvent porter sur l’acte lui-même, mais ses corollaires (anesthésie, contention et suivi postopératoire) sont aussi très souvent questionnés.

L’approche de la responsabilité civile professionnelle (RCP) lors d’interventions chirurgicales chez les bovins ne déroge pas aux principes de la RCP vétérinaire en général, mais elle présente quelques spécificités. Alors que les mises en cause de vétérinaires ruraux tendent à devenir plus générales et plus globales (défaut de conseil, défaillances supposées dans le suivi sanitaire des élevages, mauvaise prise en compte des pathologies de groupe, etc.), donc plus complexes à appréhender, celles qui concernent la chirurgie restent circonscrites à un acte sur un animal (encadré).

La chirurgie repose sur des protocoles bien codifiés : il est donc a priori facile de savoir s’ils ont été respectés. La difficulté, dans ce domaine, vient plutôt de la fréquence et de la banalisation d’un nombre d’interventions somme toute assez limité, banalisation qui peut donner lieu à des attentes déraisonnables en ce qui concerne les résultats.

QUELLES SONT LES OBLIGATIONS DU VÉTÉRINAIRE EN MATIÈRE DE CHIRURGIE ?

1. Le principe : une obligation de moyens

En ce qui concerne la chirurgie, le principe général est celui de l’obligation de moyens dite simple, comme pour les autres soins. Cette obligation concerne l’intervention elle-même. Très classiquement, le propriétaire qui s’estime lésé à la suite d’une opération mal conduite doit apporter la preuve d’une faute du chirurgien et d’une relation de causalité entre cette faute et le dommage subi. La notion de faute, assez mouvante, donne lieu à des interprétations variées.

La question principale en chirurgie tourne autour des interventions dites de convenance ou de celles considérées comme banales. L’éleveur attend de ces interventions une absence de complications, voire un gain économique. L’obligation de moyens serait ici dite renforcée. Or le caractère simple ou renforcé de l’obligation de moyens, qui renverse la charge de la preuve, n’est pas technique, mais juridique. S’agissant des soins, la nature juridique de l’obligation ne change pas : dans le cas d’interventions courantes ou de convenance, les moyens mis en œuvre doivent être renforcés, mais l’obligation reste juridiquement simple : la charge de la preuve de la faute reste au lésé.

2. Dans certains cas, des obligations de résultat

Il existe toutefois en chirurgie des obligations de résultat. Lorsqu’elles ne sont pas remplies, la responsabilité est présumée et seule une cause extérieure permet de s’en exonérer. Ces cas concernent la finalité de l’intervention, lors de chirurgie de convenance, et les obligations accessoires du contrat de soins.

Obligation de résultat sur la finalité de l’intervention

Lors d’une intervention de convenance entreprise avec un objectif bien précis, le résultat technique doit obligatoirement être atteint. Par exemple, la castration d’un taurillon ou la déviation latérale du pénis doivent produire des animaux incapables de féconder des femelles. Si ce n’est pas le cas, la responsabilité du vétérinaire est automatiquement engagée. De même, la castration d’une femelle doit supprimer la fonction ovarienne. Mais il n’est pas possible de garantir les avantages attendus de la castration, tant des mâles que des femelles, sur le plan de la croissance ou de la qualité de la viande, par exemple.

Obligations accessoires du contrat de soins

La jurisprudence a progressivement instauré des obligations accessoires au contrat de soins, qui sont des obligations de résultat. L’obligation d’information (recueil du consentement éclairé) rentre dans cette catégorie. Il en va de même pour l’obligation d’utiliser du matériel en bon état. Les dommages provoqués par l’utilisation de matériel défectueux ou mal entretenu, d’instruments chirurgicaux mal stérilisés, ou à la suite de la rupture d’un fil de suture engagent automatiquement la responsabilité du chirurgien. Le même type d’obligation pèse sur l’efficience des gestes techniques : une suture doit obligatoirement assurer l’hémostase chirurgicale, elle doit aussi garantir l’étanchéité des compartiments reconstruits, les nœuds ne doivent pas lâcher, etc.

3. L’obligation de sécurité : toujours imprécise en médecine vétérinaire

En chirurgie humaine, l’obligation de sécurité se rapporte aux dommages causés au patient, sans rapport ni avec son état initial ni avec l’évolution prévisible de cet état. Le principe est que les actes connexes aux soins proprement dits ne doivent pas aggraver l’état du malade. Il s’agit d’une part de la contention et de l’anesthésie, d’autre part des lésions et des infections iatrogènes.

En médecine humaine, l’obligation de sécurité liée aux actes connexes aux soins principaux a longtemps suivi le même régime que ces derniers : il s’agissait d’une obligation de moyens. Puis la jurisprudence l’a transformée en obligation de résultat en 1999. En pratique vétérinaire, la jurisprudence n’a pas encore dégagé de ligne claire. L’évolution pourrait être la même, puisque la responsabilité vétérinaire a toujours été calquée sur la responsabilité médicale, mais ce point n’a pas encore été tranché.

Cette obligation dite de sécurité-résultat pourrait se comprendre dans le cas des lésions et d’infections iatrogènes, comme l’atteinte accidentelle d’un organe non concerné par l’opération en cours, ou l’infection nosocomiale acquise lors d’une opération dans une clinique à la propreté douteuse, ou due à des germes véhiculés d’un animal à un autre par du matériel contaminé (photo 1).

Elle est plus difficile à concevoir dans le cas des accidents d’anesthésie ou de contention. Dans les conditions de la pratique vétérinaire de terrain, tous les aléas de l’anesthésie ne sont pas maîtrisés. Pour ce qui est de la contention, il est parfaitement illusoire de prétendre pouvoir garantir la sécurité totale des animaux lors de chaque intervention. Avec les grands animaux, l’obligation de sécurité en rapport avec la contention devrait absolument rester une obligation de moyens, seule solution réaliste.

DANS QUELS CAS LA RESPONSABILITÉ EST-ELLE MISE EN CAUSE EN PRATIQUE ?

Il est possible de se faire une idée de la nature et de la fréquence des complications sur le terrain en étudiant rétrospectivement les dossiers de mise en cause de la RCP de vétérinaires traités par les cabinets d’expertise exerçant dans ce domaine. Les exemples présentés ci-dessous le sont par ordre de fréquence décroissante, à partir d’une revue de plusieurs centaines de dossiers traités par notre cabinet ces 10 dernières années.

1. Chirurgie obstétricale : la césarienne

Les incidents relatifs à l’obstétrique bovine représentent l’essentiel des mises en cause de la responsabilité des vétérinaires praticiens, tous modes d’exercice confondus. La première place revient de loin à la césarienne. Le caractère courant de cette intervention tend à la banaliser. De nombreux éleveurs connaissent et comprennent bien ses modalités. Il existe clairement pour eux une obligation de résultat. Du côté du vétérinaire, la césarienne relève également d’une sorte de routine, avec des procédures bien maîtrisées. Les incidents surviennent à la marge, dans des circonstances particulières : le praticien attend souvent, presque au même titre que l’éleveur, une prise en charge systématique par son assureur. Or les aléas sont inhérents à toute intervention sur les êtres vivants et il est impossible de tout maîtriser (ne serait-ce qu’en raison de la disproportion de taille et de force physique entre l’intervenant et l’animal) : le cadre de la responsabilité du vétérinaire reste celui de l’obligation de moyens.

Plusieurs catégories d’incidents donnent régulièrement lieu à des mises en cause. Les différends liés à la contention, à la tranquillisation ou au suivi postopératoire rejoignent ceux des autres interventions. La particularité, en ce qui concerne la césarienne, réside dans un questionnement plus important des temps opératoires proprement dits.

Défaut d’étanchéité ou rupture de la suture utérine

Les péritonites dues à un défaut d’étanchéité de la suture utérine, assez fréquentes, impliquent presque toujours la responsabilité du vétérinaire (photo 2). Souvent, l’incision a été réalisée en un lieu inapproprié (loin de la grande courbure), a été mal conduite (plaie en étoile) ou est trop courte, avec des déchirures incontrôlées lors de l’extraction du veau. La technique de suture elle-même peut avoir été déficiente. Parfois, les circonstances rendent toutefois une suture correcte très problématique : l’utérus peut être fragilisé, voire nécrosé, à la suite d’une torsion ; son abord peut avoir été rendu compliqué par diverses contingences, etc. L’appréciation de la responsabilité pourra alors être plus nuancée.

Les cas de rupture du fil de suture engagent invariablement la responsabilité du vétérinaire : la technique de suture a été défectueuse (fil coupé par l’aiguille, nœuds mal faits) ou le fil de suture s’est rompu. Dans ce dernier cas, l’enquête rétrospective montre souvent l’utilisation d’une bobine entamée depuis longtemps et conservée de manière inappropriée (bobine restant longtemps dans la voiture et étant exposée aux variations de température, etc.).

Lésions utérines

Des ruptures ou des perforations utérines hors du site d’hystérotomie, antérieures à la césarienne, mais non détectées et/ou non traitées pendant l’intervention, peuvent aussi donner lieu à des complications de péritonite. La responsabilité est presque toujours engagée si la cause de la lésion est imputable au vétérinaire (due à des manœuvres obstétricales inappropriées avant la décision d’opérer). Si ce n’est pas le cas, il est essentiel de savoir si la lésion a été recherchée ou non (le contrôle de l’intégrité utérine est impératif, que ce soit après un vêlage par les voies naturelles ou lors d’une césarienne avant de refermer la laparotomie) et si elle a été traitée de manière adaptée. En général, la responsabilité du vétérinaire ne peut pas être écartée, sauf si la brèche était inaccessible à l’examen ou au traitement. Toutefois, en cas de larges déchirures, les tentatives de réparation ou le recours à l’hystérectomie étant rarement couronnés de succès, seule une perte de chances peut être retenue (c’est-à-dire que les chances de sauver la situation sont faibles, même avec une technique irréprochable ; l’indemnisation est acceptée, mais minorée d’autant que les chances de sauver la situation étaient faibles).

Autres complications septiques générales à point de départ utérin

Lorsque des complications infectieuses générales aiguës (péritonite aiguë, septicémie) sont la conséquence d’une sévère infection préexistante (présence d’un fœtus emphysémateux), la responsabilité du vétérinaire ne peut pas être retenue. Toutes les solutions (embryotomie, césarienne, etc.) présentent des niveaux de risque comparables. La gravité du pronostic doit être affirmée d’entrée, avant toute proposition d’intervention.

Des infections intra-utérines moins sévères peuvent aussi évoluer vers la généralisation (métropéritonite, septicémie). Si l’origine est imputable au vétérinaire (défaut d’asepsie caractérisé), sa responsabilité est retenue. Si l’origine ne peut pas être imputée au vétérinaire (à la suite de non-délivrance), sa responsabilité ne peut être retenue que si le traitement des complications a été insuffisant, et ce dans la mesure où il a été averti par l’éleveur en temps utile.

Troubles infectieux à point de départ non utérin

La nature des complications infectieuses peut ne pas avoir de rapport avec l’intervention (par exemple, le déclenchement d’une salmonellose à la suite de la dépression du part ou une réticulo-péritonite traumatique). La responsabilité du praticien ne peut pas être retenue, sauf cas particulier (infection intercurrente insuffisamment prise en compte, traitement inadapté).

La responsabilité du vétérinaire est également écartée lors de souillure fortuite, par exemple en cas de chute de la vache sur la plaie de laparotomie ou d’extériorisation intempestive d’organes (intestin, rumen), si la contention a été conforme aux pratiques usuelles et si les mesures appropriées ont été prises.

Lorsque l’origine de la péritonite n’est manifestement pas étrangère à l’intervention, et que la suture utérine n’est pas en cause, il convient de passer en revue de façon détaillée le mode opératoire du vétérinaire, qui révèle souvent un point critique non maîtrisé dans les protocoles d’asepsie.

En tout état de cause, même si l’origine de la complication infectieuse ne peut pas être imputée au vétérinaire, sa responsabilité peut être engagée pour perte de chances de guérison, dans le cas où le traitement des complications a été insuffisant (toujours dans la mesure où il a été averti par l’éleveur en temps utile). Les principaux éléments à prendre en compte sont la nature et la durée de l’antibiothérapie postopératoire et le recueil du consentement de l’éleveur sur les mesures à prendre (suivi, signes d’alerte, lavage péritonéal, réintervention, etc.).

Choc et hémorragies

En cas de mortalité par choc thromboembolique, la responsabilité du vétérinaire ne peut pas être retenue. Cet accident est imprévisible et non maîtrisable. Les risques sont les mêmes en cas de vêlage par les voies naturelles ou de césarienne.

Les conséquences d’une hémorragie intra-utérine impliquent la responsabilité du chirurgien, si celle-ci était prévisible et maîtrisable lors de l’intervention (par exemple, hémorragie de pédicules cotylédonaires) et n’a pas été traitée correctement. La technique chirurgicale doit impérativement assurer l’hémostase. En revanche, si l’hémorragie a été diffuse et s’est inscrite dans la durée, la responsabilité n’est pas impliquée.

De la même façon, une hémorragie intra-abdominale implique la responsabilité si elle est due à un défaut d’hémostase chirurgicale. Elle ne l’implique pas si elle fait suite à une autre cause, non décelable au moment de l’intervention ou non maîtrisable : un trouble de la coagulation, une rupture de l’aorte postérieure ou d’une artère utéro-ovarienne (sauf si cette dernière est due à des tractions intempestives sur l’utérus lors de la césarienne).

Lésions intestinales, incisions accidentelles d’organes

Le chirurgien doit faire en sorte de ne pas léser d’autres organes (intestin, rumen) lors de son intervention, que ce soit directement par incision accidentelle ou par striction d’une anse intestinale lors de l’extériorisation du veau. La responsabilité ne peut pas être écartée si la cause des troubles découle d’une ponction accidentelle de l’intestin, même si tout a été fait pour en limiter les conséquences (en général, les incisions accidentelles de la paroi du rumen lors de l’incision musculo-péritonéale ne portent pas à conséquence).

Affections de la paroi

Des œdèmes, des abcès de paroi ou des emphysèmes sous-cutanés sont relativement fréquents à la suite des césariennes, sans porter à conséquence. La situation se complique si l’inflammation ou l’infection localisées ne se résorbent pas et évoluent en phlegmon accompagné de péritonite à point de départ pariétal ou de déhiscence des sutures de laparotomie, ou si l’emphysème évolue vers une gangrène gazeuse qui a tendance à se généraliser (photo 3).

Si l’origine est imputable au vétérinaire (en cas de défaut d’asepsie caractérisé), sa responsabilité est retenue. Si l’origine ne peut pas être imputée au vétérinaire (absence d’anomalie dans la technique opératoire, asepsie correcte, etc.), sa responsabilité ne peut être retenue que si le traitement des complications a été insuffisant, et ce toujours dans la mesure où il a été averti par l’éleveur en temps utile.

En cas de rupture de fil, la situation est similaire aux cas de rupture du fil de la suture utérine.

2. Chirurgie abdominale

Après la chirurgie obstétricale, la chirurgie abdominale est la plus représentée. Il s’agit principalement de la chirurgie ombilicale chez le veau, avec, très souvent, des accidents d’anesthésie et, plus rarement, des incidents dus à la technique opératoire (sutures défectueuses, atteintes accidentelles d’organes). Des mortalités peuvent être aussi en relation avec l’état de l’animal (septicémie à la suite d’omphalophlébite) et posent la question de la définition des indications opératoires. Accessoirement, des hernies ombilicales peuvent récidiver après leur traitement chirurgical.

Concernant les opérations de hernie inguinale, les échecs sont fréquents, surtout si une entérectomie a été nécessaire, mais donnent rarement lieu à grief. Un caractère trop tardif de la décision opératoire est parfois reproché.

3. Chirurgie digestive

La place suivante revient à la chirurgie digestive, avec principalement la chirurgie du déplacement de la caillette. Les principales contestations rencontrées sont des chocs anesthésiques, des incidents dus à la contention ou au positionnement de l’animal (choc ou fausse-déglutition lors d’un décubitus dorsal), des contaminations peropératoires (vidange partielle de la caillette dans la cavité abdominale), des récidives du déplacement ou des complications infectieuses locales (fistules). Le choix de la technique elle-même (omentopexie, abomasopexie, etc.) est parfois contesté en cas d’échec. Des mortalités en rapport avec l’état physiologique de l’animal (stéatose), ou la présence d’ulcères, peuvent donner lieu à des différends qui posent de nouveau la question de l’évaluation préalable et de la définition du pronostic. L’absence de résultat zootechnique (pas de reprise de l’appétit et production laitière altérée) après une intervention chirurgicale réussie ne donne qu’exceptionnellement lieu à des mises en cause.

Les incidents liés au trocardage suscitent quelques litiges. Très peu de dossiers font suite à des ruminotomies ou à des entérectomies, ces interventions étant relativement peu fréquentes.

4. Chirurgie génitale non obstétricale

En chirurgie génitale, des dossiers font suite à la castration chez la vache (avec hémorragie mortelle) ou à la castration du mâle, avec également des hémorragies ou des nécroses suivies de gangrène (dans le cas des techniques par écrasement) (photo 4). Les cas de saillies effectuées par des animaux mal castrés ne sont pas rares. Les saillies fécondantes faisant suite à des échecs de la vasectomie ou de la déviation latérale du pénis sont encore plus mal vécues, puisque, par destination, le mâle a été mis au milieu des vaches en chaleur.

5. Autres interventions

La chirurgie externe (écornages, interventions sur le pied, sutures de plaies) donne principalement lieu à des accidents de contention ou d’anesthésie ou à des hémorragies. Des chocs septiques peuvent compliquer des vidanges d’abcès au voisinage de la veine mammaire.

La chirurgie orthopédique et articulaire, la chirurgie des affections tendineuses du veau et les amputations sont peu représentées. Il s’agit souvent de chocs anesthésiques. Les chirurgies de la mamelle, urinaire et cardio-respiratoire ne donnent lieu qu’à un nombre insignifiant de dossiers.

QUELS ENSEIGNEMENTS PRATIQUES EN TIRER ?

L’étude des séries exposées ci-dessus et des suites réservées aux différents dossiers permet de dégager quelques tendances.

1. Axes de mise en cause

Anesthésie

Pour la chirurgie des veaux, l’anesthésie générale est de règle. Elle est pratiquée selon des protocoles variés et fait souvent appel à des sédatifs et à des anesthésiques fixes qui n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) chez les bovins et qui sont parfois surdosés. Le jeune veau est particulièrement sensible aux chocs anesthésiques, en raison de son immaturité physiologique.

Chez les bovins adultes, les interventions sont pratiquées sous sédation ou sous anesthésie locorégionale. L’utilisation de produits dépourvus d’AMM bovins est assez répandue. D’une manière générale, les effets dépresseurs des α-agonistes chez les bovins, qui se combinent aux effets du décubitus, sont à l’origine de nombreuses complications. Les anesthésies régionales (épidurale, rachianesthésie) peuvent donner également lieu à des incidents (paralysies persistantes, infections ascendantes) en cas de réalisation technique imparfaite.

L’utilisation de sédatifs ou d’anesthésiques dépourvus d’AMM chez les bovins, voire le non-respect de la cascade, ne sont en aucun cas des fautes professionnelles qui engagent automatiquement la responsabilité civile du praticien. Il existe des motifs techniques parfaitement légitimes pour préférer des molécules ou des associations “non autorisées” chez les bovins. Toutefois, en cas d’incident lié à l’anesthésie, même si le lien de cause à effet n’est pas complètement établi, il est en pratique difficile d’écarter la responsabilité du vétérinaire si le protocole utilisé n’a pas fait l’objet de publication ou d’exposé en conférence ou si quelques précautions préanesthésiques n’ont pas été prises (examen clinique préalable, estimation précise du poids de l’animal, voire pesée pour les veaux).

Contention

Les accidents de contention concernent surtout les bovins adultes. Il s’agit de chutes pendant les phases préparatoires ou de réveil, avec des fractures, des déplacements vertébraux, des lésions nerveuses, etc. Les chutes pendant la phase opératoire elle-même compliquent l’abord aux organes et la réalisation des sutures. Elles sont aussi à l’origine d’importantes contaminations peropératoires. Comme déjà indiqué, il est impossible de prévoir et de maîtriser les mouvements intempestifs de ces animaux. Les accidents de contention ne peuvent être évités à coup sûr. Il convient de toujours anticiper les risques probables et de se placer d’emblée dans une situation de sécurité maximale, en fonction des contraintes imposées par l’environnement matériel et humain.

Autres phases de l’intervention

Bien que la majorité des dossiers, hors césarienne, concerne des complications liées à l’anesthésie ou à la contention, tous les temps de l’intervention chirurgicale sont peu ou prou concernés par les mises en cause observées sur le terrain.

→ La phase préopératoire recouvre la pose de l’indication chirurgicale, l’information de l’éleveur et la préparation de l’intervention.

La qualité de professionnels et le caractère souvent urgent des interventions dispensent d’un formalisme excessif pour le recueil du consentement éclairé. Les fiches d’information détaillées et contresignées ne sont pas encore à l’ordre du jour en pratique bovine. Il n’en reste pas moins que, devant chaque cas, l’indication chirurgicale doit être discutée avec l’éleveur. Elle doit être pesée au regard des autres éventualités (alternatives médicales ou conservatoires, voire décisions d’abattage ou d’euthanasie), en fonction du pronostic et du bénéfice attendu. Les aspects économiques et zootechniques doivent obligatoirement être envisagés.

Les éleveurs sont des professionnels suffisamment avertis pour être impliqués dans le choix entre les différentes techniques possibles, avec leurs avantages et leurs inconvénients respectifs. Les taux de réussite et les risques de complications doivent être clairement exposés.

→ La phase opératoire proprement dite donne lieu à des incidents de nature purement technique : hémorragies, sutures défectueuses, défauts d’asepsie, atteintes accidentelles d’organes, etc. (photo 5). Le vétérinaire doit éviter que ces incidents ne surviennent. Le cas échéant, l’éleveur attend aussi de lui qu’il réagisse avec sang-froid et efficacité pour limiter les dégâts.

→ Les mises en cause qui trouvent leur origine dans la phase postopératoire concernent assez rarement les risques au réveil ou l’absence de résultat positif de l’intervention. Les dossiers liés à des complications infectieuses sont, en revanche, assez fréquents.

2. Approches en fonction des catégories d’animaux

Au-delà des spécificités de l’anesthésie, mentionnées ci-dessus, les attentes concernant les moyens sont plus importantes pour la chirurgie des veaux que pour celle des bovins adultes. Dans le premier cas, les animaux sont transportables : ils peuvent être opérés au cabinet, dans des conditions contrôlées par le vétérinaire. Ce dernier est en situation de maîtriser la plupart des paramètres (installations, adaptation des locaux, asepsie, disponibilité des moyens de réanimation, organisation de la surveillance, etc.) et voit donc sa responsabilité plus facilement mise en cause.

Dans le cas des bovins adultes, les interventions se font par nécessité sur le site d’exploitation, dans un environnement imposé au vétérinaire, particulièrement peu propice à la chirurgie (environnement contaminé, fortes contraintes en matière de disposition des lieux et de personnel disponible, etc.). L’analyse des moyens mis en œuvre par le chirurgien doit forcément tenir compte de ces contraintes.

3. Influence de l’urgence

Comme dans tous les domaines de soins, la notion d’urgence médicale de l’intervention est déterminante pour l’approche de la responsabilité du chirurgien.

L’urgence exonère le praticien d’une bonne partie de son devoir d’information et de la recherche préalable des meilleures conditions opératoires. Par ailleurs, contrairement au vétérinaire équin ou canin, le praticien rural doit obligatoirement prendre en charge toutes les interventions urgentes. Il n’est pas question de se contenter de mesures conservatoires permettant de référer à un confrère qui serait plus compétent.

À partir du moment où l’intervention chirurgicale n’est pas motivée par la nécessité vitale de remédier rapidement à une situation, l’analyse des moyens mis en œuvre devient toutefois plus sévère. Le chirurgien se doit de différer l’intervention jusqu’à ce qu’il estime avoir mis toutes les chances de son côté pour minimiser les risques liés à celle-ci. En cas de contestation, les points suivants seront vérifiés : un examen clinique préopératoire a-t-il eu lieu, l’intervention a-t-elle été préparée dans les règles (avec une éventuelle mise à jeun), le vétérinaire s’est-il assuré que les locaux étaient adaptés, un personnel suffisant a-t-il été requis et les moyens de réanimation étaient-ils disponibles ? Pour les interventions non urgentes, il convient de bien définir l’offre technique du cabinet, de parfaitement maîtriser les interventions proposées (par exemple, chirurgie orthopédique du veau, ovariectomie de la vache, déviation du pénis), sans quoi le recours au référé doit être systématiquement proposé, afin d’éviter des réclamations pour perte de chances.

Conclusion

L’étude des différents dossiers permet de dégager quelques orientations pour tenter d’éviter le développement des mises en cause. D’une manière générale, les vétérinaires semblent principalement concentrés sur le geste technique, sans toujours se préoccuper suffisamment des obligations accessoires. La qualité technique de l’intervention est certes essentielle, mais, dans les faits, la plupart des dossiers reposent sur des défauts de communication et d’information préalables et sur des questions liées à la sécurité de l’animal. La communication avec l’éleveur, le choix du protocole anesthésique et les précautions prises pour éviter les accidents de contention sont déterminants.

Alors que les examens cliniques préopératoires restent encore trop succincts, voire inexistants, sans parler des bilans biochimiques, l’obligation de moyens du chirurgien bovin devra rapidement compter avec l’apparition et le développement de techniques d’évaluation spécifiques, pour mieux préciser les indications chirurgicales et mieux orienter le geste du chirurgien et en affiner le pronostic : dosage de la lactatémie pour décider d’une intervention sur une caillette, recours à l’échographie avant de décider d’une intervention sur une réticulo-péritonite traumatique ou sur une affection ombilicale, entre autres techniques.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Comment les mises en cause sont-elles traitées ?

→ Toute mise en cause consécutive à un incident chirurgical doit être déclarée dans les meilleurs délais à l’assureur du vétérinaire ou du cabinet. La déclaration doit toujours être purement factuelle, sans aucune reconnaissance de responsabilité, mais sans déni de responsabilité a priori non plus. De son côté, l’éleveur déclare souvent le sinistre à son propre assureur. L’assureur le plus diligent, voire les deux, missionnent immédiatement un ou des vétérinaires experts.

Normalement, il importe peu que le vétérinaire expert ait été désigné par l’assureur du vétérinaire (dans le cadre de la garantie responsabilité civile professionnelle) ou par l’assureur de l’éleveur (dans le cadre d’une garantie assistance-recours ou protection juridique), ou encore que l’expertise soit réalisée conjointement par deux vétérinaires experts : en toute logique, la démarche devrait être la même.

→ L’expertise de ce type de sinistre ne peut être valable que si elle prend impérativement en compte trois éléments :

- une anamnèse complète, c’est-à-dire le recueil des déclarations de l’éleveur sur tout ce qui s’est passé avant l’intervention du vétérinaire ;

- une audition contradictoire de l’éleveur et du vétérinaire, qui devrait permettre d’établir les circonstances exactes de l’intervention ;

- un examen de l’animal : son examen clinique s’il est toujours vivant, mais il s’agit le plus souvent d’un examen nécropsique. L’autopsie est quasi obligatoire, sauf si la cause de la mort est facilement identifiable sans autopsie.

→ Lors de l’expertise, le vétérinaire en cause doit fournir des informations factuelles précises et complètes, sans les commenter. Il revient aux experts de recueillir les versions du vétérinaire et de l’éleveur, de procéder à toutes les constatations utiles (autopsie sur place ou décision d’envoyer l’animal à l’équarrissage avec une demande d’autopsie) et de discuter du dossier, de façon à rendre aux assureurs un avis opérationnel.

Points forts

→ Les mises en cause de la responsabilité civile professionnelle concernent principalement la césarienne.

→ En ce qui concerne la chirurgie, le principe général est celui de l’obligation de moyens simple. Des obligations accessoires de résultat existent également pour certains aspects des interventions.

→ La communication avec l’éleveur, le choix du protocole anesthésique et les précautions prises pour éviter les accidents de contention sont déterminants.

EN SAVOIR PLUS

- Desnoyers P. Communication anesthésie-client. Point Vét. 1993;25 (n°sp. “Anesthésie”):419-424.

- Fournier J. La faute professionnelle du vétérinaire, ses conséquences juridiques. Point Vét. 1993;25 (152):47-54.

- Legeay Y. Les obligations du vétérinaire chirurgien dans le cadre de sa responsabilité civile professionnelle. Journées nationales GTV, Dijon. 2000:19-25.

- Mangematin G. Sinistralité en pratique vétérinaire bovine. Dans : Responsabilité civile professionnelle. La Dépêche Vétérinaire. 2000;supplément technique n°71):12-13.

- Mangematin G. Chirurgie bovine et responsabilité civile professionnelle du vétérinaire. Point Vét. 2000;31 (n°sp. “Chirurgie des bovins”):683-685.

- Mangematin G. Échecs et sinistres en chirurgie bovine, équine et canine : approche pratique de la responsabilité du vétérinaire. Journées nationales GTV, Dijon. 2000:27-29.

- Mangematin G. Conduite à tenir face à un aléa, une erreur ou une faute au cours de son exercice professionnel. Journées nationales GTV, Tours. 2002:559-560.

- Moraillon R. Responsabilité civile professionnelle du vétérinaire en matière d’anesthésie. Point Vét. 1993;25 (n°sp. « Anesthésie »):425-429.

- Moraillon R. Responsabilité du vétérinaire dans les urgences. Point Vét. 1998;(n°sp. “Urgences”):665-669.

- Tartera P. Responsabilité civile professionnelle du vétérinaire praticien. Bull. GTV. 2008;47:107-113.

- Tartera P. L’assurance responsabilité civile. Journées nationales GTV, Nantes. 2011:441-445.

- Viguier É, Bouisset S. Règles de prévention du risque infectieux (matériel, animal, opérateur). Règles générales. Applications pratiques. Journées nationales GTV, Dijon. 2000:31-34.