HYGIÈNE ALIMENTAIRE
Fiche
Auteur(s) : Éric Dromigny
Fonctions : Département de santé des animaux d’élevage et santé publique
Hygiène et qualité des aliments
École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation
Nantes Atlantique-Oniris
BP 40706, 44307 Nantes Cedex 03
Chaque phase doit être suivie systématiquement et méthodiquement.
Une enquête lors de toxi-infection alimentaire collective (TIAC) est souvent fastidieuse. Elle doit surtout être réalisée de façon ordonnée. Trois phases appelées “procédures” (investigatoire, probatoire et incriminatoire) se succèdent, avant que des conclusions puissent être proposées, éventuellement assorties de mesures correctives.
Elle correspond à l’observation méthodique et systématique des faits pour récolter un faisceau de données sanitaires, cliniques, épidémiologiques, alimentaires et hygiéniques.
La série d’investigations incontournables forme une véritable chaîne après une phase d’alerte (figure 1). Cette suite de recherches permet d’obtenir des données et des prélèvements (cliniques, alimentaires et en entreprise) qui sont soumis à expertise. L’ensemble de cette procédure requiert des moyens humains importants, notamment sous la forme de services officiels interdisciplinaires (santé, agriculture, économie, laboratoires) dotés de pouvoirs d’investigation suffisants.
Les indices sont examinés par des experts, faisant converger les preuves pour identifier l’aliment vecteur.
Cette phase de haut niveau comprend l’étude chronologique, l’étude cas-témoins, l’isolement et l’identification de l’agent microbien (tableau 1). Les indices récoltés sont liés entre eux. Ils sont donc examinés à la lumière de repères historiques ou épidémiologiques, et des autres éléments obtenus, de façon systématique et méthodique.
Dans l’étude chronologique, l’examen de la courbe chronologique et du pic de nouveaux cas permet de déduire la durée d’incubation probable (ou médiane) (figure 2).
Le repas pris en commun susceptible d’être à l’origine du foyer peut ainsi être déterminé.
→ L’étude cas-témoins (ou des cohortes) permet, grâce à des outils statistiques (χ2 ou odds ratios) de déterminer un ou plusieurs aliments suspects sélectionnés parmi ceux qui composent le menu du repas pris en commun suspect. La cohorte est étudiée, c’est-à-dire l’ensemble des individus ayant vécu le même événement au cours d’une même période, sur la base d’un tableau à quatre entrées (tableau 2).
→ L’étude des profils bactériens permet d’identifier une souche anadémique, grâce au profilage phénétique (recherche des caractères phénotypiques, incluant en particulier le sérotypage “sérologique”) et génomique des souches. Le profilage génomique fait appel à des marqueurs moléculaires directs, ou gènes d’intérêt (gènes de production de toxine, par exemple, pour un profil de virulence) et à des marqueurs indirects (gènes de certaines protéines), mais aussi à des profils séquentiels, ou séquences types (ST), par exemple en multi-locus sequence typing ou MLST, ou en PFGE (pulsed field gel electrophoresis).
Le processus incriminatoire permet de reconstituer la chaîne alimentaire fautive, c’est-à-dire, d’une part, les composants de cette chaîne et, d’autre part, les erreurs ayant abouti à la fabrication et à la distribution d’un aliment dangereux.
Les traçabilités rétrospective et prospective sont confrontées. La première vise à identifier la ou les entreprises du secteur alimentaire qui ont fabriqué, distribué ou assemblé l’aliment vecteur et le repas correspondant. Par opposition, la traçabilité prospective a pour objectif de retrouver la distribution des produits suspectés le long de la chaîne alimentaire en partant de l’entreprise du secteur alimentaire d’origine en direction du consommateur, et en identifiant les circuits de distribution [1].
Ce double traçage s’accompagne d’une inspection hygiénique des composants des entreprises du secteur alimentaire :
– les locaux, l’équipement et le matériel (environnement stricto sensu) ;
– le personnel ;
– les denrées alimentaires ;
– les procédés.
L’inspection vise à détecter les erreurs d’hygiène à l’origine des risques microbiologiques :
– la contamination microbienne des denrées alimentaires ;
– le développement non maîtrisé des microflores ;
– la destruction non maîtrisée des microflores.
Des prélèvements environnementaux (surfaces) et alimentaires sont réalisés pour confronter des souches d’entreprise avec les souches cliniques et alimentaires. Il s’agit de révéler les fautes d’hygiène pour démontrer les responsabilités de chacun : les fabricants, les distributeurs, les assembleurs et, éventuellement, le consommateur.
Les difficultés du processus incriminatoire sont d’ordre technique : le traçage impose parfois de remonter les circuits commerciaux sur plusieurs pays, voire à l’échelle de continents. Les pistes nationales et internationales, souvent brouillées, nécessitent des inspections européennes longues et fastidieuses, qui se prolongent éventuellement dans des États tiers (mêmes difficultés que pour les investigations).
Les preuves ont tendance à disparaître une à une avec le temps. Les restes d’aliments sont jetés, les lots distribués, les matières premières utilisées, et les souvenirs et les traces numériques et microbiennes s’effacent.
Un faisceau de preuves est nécessaire pour confirmer l’origine de l’aliment vecteur.
Les services d’inspection à l’international auraient également besoin de pouvoirs de police.
Des faisceaux de preuves sont assemblés en vue de proposer des mesures correctives.
En dernier recours, trois faisceaux de données (observées, issues de l’expertise et reconstituées) sont examinés, pour en tirer une conviction par déduction sur le mécanisme général de la production de la denrée alimentaire toxique (figure 3).
À chaque type d’indices correspond un certain signal qui déclenche de façon orientée les étapes suivantes permettant de progresser dans le degré de conviction quant à l’aliment vecteur.
Des mesures correctives doivent être proposées après la conclusion. Elles sont déduites des preuves accumulées. Elles permettront le tarissement de la source de l’agent microbien et la clôture de l’enquête.
La question des responsabilités est posée sur deux plans :
– la responsabilité pénale, avec une infraction par rapport à des règles établies. La responsabilité pénale sanctionne le non-respect de règles impératives et se trouve indépendante de l’existence d’un dommage causé ou non. Dans le cas des TIAC, elle est directement liée à la notion de fautes d’hygiène, mais aussi à celles de toxicité et de loyauté des aliments ;
– la responsabilité civile, avec un dommage qu’il convient de réparer.
Un consommateur malade après avoir mangé une denrée alimentaire peut obtenir réparation du préjudice (matériel et éventuellement moral) s’il prouve :
– le dommage subi ;
– que la personne poursuivie a commis une faute (fabrication incorrecte de la denrée alimentaire par négligence, mauvaise conservation par le vendeur) ;
– et le lien de causalité entre les deux.
Dans les deux cas, toute la difficulté repose sur la mise en évidence de l’infraction ou de la faute, ce qui, en matière de microbiologie alimentaire, est délicat, pour les raisons investigatoires, probatoires et incriminatoires déjà évoquées.
Il n’y a jamais d’aveux ni de témoins oculaires. Les véritables pièces à conviction, ou preuves « accablantes », n’existent que rarement, dans des cas extrêmes, comme une intoxination histaminique ou staphylococcique, en présence d’une concentration élevée de toxique ou de toxine préformée dans l’aliment, ou un botulisme associé à des négligences de stérilisation évidentes et une absence d’autocontrôle accusateur.
Dans les autres cas, il convient de se contenter, au mieux, d’une quasi-certitude, au pire, d’une simple présomption.
La construction fragile de la conviction caractérise les investigations des foyers de TIAC, même pour les formes épidémiologiques classiques. La chaîne des investigations peut, en effet, être rompue à tout moment, en raison de défaillances nombreuses.
Des enquêtes particulièrement chaotiques, voire contre-productives, sont à prévoir quand il s’agit de situations sanitaires et épidémiologiques complexes comme celles qui semblent émerger actuellement, tel le foyer dû à E. coli O104:H4.
(1) Les difficultés de l’investigation du foyer dû à E. coli O104 : H4 font l’objet de l’article “Foyer à E. coli O104 : H4, un cumul de circonstances aggravantes”, du même auteur, dans ce numéro.
→ Au cours de la phase sanitaire, la déclaration fait suite à l’observation d’une atteinte d’une collectivité. En France, les toxi-infections alimentaires collectives sont des maladies à déclaration obligatoire, sur la base de la définition donnée dans la brochure 1487 du Journal officiel : « Apparition d’au moins deux cas groupés similaires d’une symptomatologie, en général gastro-intestinale, dont on peut rapporter la cause à une même origine alimentaire. » La déclaration est requise pour toute personne qui en a connaissance, mais plus particulièrement pour les responsables d’établissement où le repas suspect a pu être pris en commun. Les cas graves, tels les syndromes hémolytiques et urémiques, sont systématiquement signalés par les hôpitaux, sans attendre une augmentation du nombre de cas, qui risquerait d’être trop tardive. La déclaration s’effectue auprès des services officiels : les directions départementales interministérielles (DDI, ex-DDSV et ex-DDCCRF) et les agences régionales de santé (ARS, ex-DDASS) en France.
→ Une investigation clinique descriptive s’ensuit, destinée à décrire le foyer sur le plan médical (tableaux cliniques relevés sur une fiche par cas interrogé) et à identifier une souche clinique commune (souvent par prélèvements de selles diarrhéiques).
→ Puis vient l’investigation épidémiologique, avec le relevé des données relatives à la consommation (des malades et des témoins ou des non-malades : type, lieux). Des outils statistiques permettent d’en déduire le ou les aliments suspects (voir infra “Procédure probatoire”).
→ Au cours de l’investigation alimentaire, le ou les produits suspects font l’objet de prélèvements, pour y détecter un agent microbien (forme végétative ou toxine).
→ L’investigation hygiénique finale correspond à l’inspection des composants de la chaîne alimentaire.
Tous les nouveaux cas en amont de la médiane de la courbe sont directement reportés sur la courbe de la durée d’observation. La durée médiane d’incubation est considérée comme égale à la durée d’observation de tous les cas (ou x2 – x1). Elle permet de définir un repas pris en commun suspect, dont le menu est relevé pour servir de base au questionnaire de consommation.
D’après JORF, 1987.
Dans sa formule la plus simplifiée, l’odds ratio est le rapport des produits des paires concordantes (a et d) sur le produit des paires discordantes (b et c), soit a × d/b × c. Les odds ratios statistiquement significatifs présentent des valeurs supérieures à 4, voire de 2 à 4 (il convient d’avoir davantage de paires concordantes que de paires discordantes), et aussi un intervalle de confiance étroit.
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