MALADIES INFECTIEUSES EN ÉLEVAGE
Cas clinique
Auteur(s) : Michaël Lallemand*, Olivier Albaric**
Fonctions :
*Clinique vétérinaire Saint-Léonard,
La Barre, 49120 Melay
**Laboratoire d’histopathologie
animale, Oniris, La Chantrerie,
BP 40706, 44307 Nantes Cedex 03
De diagnostic aisé sous sa forme classique, l’actinobacillose peut être confondue sous sa forme atypique avec un processus tumoral ou avec la tuberculose.
Sous sa forme la plus classique, dite de la “langue de bois”, l’actinobacillose est une maladie fréquemment rencontrée chez les bovins. Le motif d’appel est souvent extrêmement évocateur (ptyalisme, mastication difficile et douloureuse, déformation de l’auge par exemple). Le diagnostic clinique est aisé, par un simple examen physique de la langue. Toutefois, la langue n’est pas toujours le siège principal des lésions. Cette maladie peut prendre des formes plus déroutantes, aussi bien pour l’éleveur que le clinicien. Ce cas clinique décrit l’une de ces formes atypiques.
Une vache prim’holstein qui saigne du nez depuis le matin est examinée. Il s’agit d’une vache gestante de 6 mois, en cours de deuxième lactation.
Un mois auparavant, un confrère l’a examinée, avec pour motif d’appel une asthénie, une baisse d’appétit et de production. Ce premier examen n’a pas permis de mettre en évidence d’autres symptômes que ceux décrits par l’éleveur. En l’absence de diagnostic, il a été convenu de rester dans l’expectative.
Lors de la dernière visite, l’éleveur décrit une nonchalance, une mastication lente, un dépérissement et une baisse de production, continus depuis la première visite. La rumination lui semble conservée et l’appétit, bien que diminué, est toujours présent.
L’examen général révèle une température rectale de 38,4 °C, une fréquence cardiaque de 72 battements par minute, une respiration et des contractions ruminales normales en fréquence et en amplitude. La palpation transrectale ne révèle pas d’anomalie et permet de confirmer le stade présumé de gestation. Les matières fécales apparaissent normales.
L’examen rapproché de la tête montre une épistaxis bilatérale, plus intense à droite. La muqueuse nasale de la narine droite est colonisée par de multiples nodules de consistance charnue qui déforment le mufle ; leur diamètre varie de 1 mm à environ 2 cm (photos 1 et 2). Les moindres frottements ou tractions de la muqueuse déclenchent des saignements. D’autres nodules de taille et de consistance comparables, plus éparses, peuvent être palpés du côté droit de la face, au niveau de la joue et du chanfrein. Les nœuds lymphatiques parotidiens, sous-mandibulaires et rétropharyngiens droits sont fortement hypertrophiés (le nœud lymphatique parotidien mesure environ 10 cm de long par 5 cm de large). Les lésions sont fortement latéralisées à droite, mais quelques nodules d’environ 1 mm de diamètre sont aussi présents sur la narine gauche. Dans la cavité buccale, une masse ovale volumineuse est découverte en région maxillaire. De même consistance que les nodules nasaux, elle colonise la portion craniale aux prémolaires sur une dizaine de centimètres (photo 3). En regard de cette masse, la muqueuse palatine est ulcérée en plusieurs endroits. La langue semble totalement épargnée par les lésions : sa taille, sa forme, sa consistance et sa mobilité sont normales.
Le tableau clinique est marqué par un dépérissement progressif, associé à une prolifération nodulaire nasale, buccale et faciale, ainsi qu’une adénomégalie périphérique. La consistance particulièrement ferme des nodules et leur aspect envahissant évoquent plus particulièrement une prolifération tissulaire néoplasique ou une inflammation granulomateuse chronique. Les hypothèses diagnostiques formulées sont donc, par ordre de priorité :
– une néoplasie de nature indéterminée ;
– une actinobacillose ou une actinomycose atypique ;
– des granulomes fongiques ;
– une tuberculose atypique.
L’objectif principal de l’éleveur vis-à-vis de cet animal est de prolonger la gestation jusqu’à son terme. Or les deux principales maladies suspectées ouvrent des perspectives thérapeutiques différentes :
– presque nulles avec un pronostic sombre, en cas de processus tumoral ;
– simples et abordables, avec un pronostic nettement plus favorable, en cas d’actinobacillose ou d’actinomycose.
Il est proposé à l’éleveur un examen cytologique, afin d’obtenir rapidement des informations sur la nature des nodules.
Une ponction à l’aiguille fine, suivie d’un étalement sur lame, est réalisée sur trois sites : un nodule de la cavité nasale droite, la masse située en région maxillaire et le nœud lymphatique parotidien droit. Une contention modérée de la vache suffit, sans sédation préalable. Les prélèvements sont colorés à la clinique dans la demi-journée (au May-Grunwald-Giemsa).
Quel que soit le site de ponction, les frottis ont des profils identiques : la totalité des cellules présentes, recueillies en grand nombre, sont de nature inflammatoire. Leur population est constituée presque uniquement de neutrophiles et de macrophages, avec présence de cellules géantes multinucléées (photo 4). La découverte de cette inflammation qualifiée de pyogranulomateuse, étendue aux nœuds lymphatiques périphériques, sans identification de cellule néoplasique sur les frottis, oriente fortement le diagnostic vers une actinobacillose ou une actinomycose atypique.
Bien que peu probable, compte tenu de la présentation clinique, de l’épidémiologie de la tuberculose en France et du statut indemne du cheptel, l’examen cytologique seul ne permet pas d’exclure une infection par Mycobacterium bovis. Afin d’éliminer définitivement cette hypothèse, et celle d’un processus tumoral, la réalisation de biopsies est planifiée. Pour des raisons pratiques, celles-ci sont réalisées 3 jours après la mise en place d’un traitement.
Une antibiothérapie à base d’une association de pénicilline G (11 000 UI/kg sous forme de procaïne, 11 000 UI/kg sous forme de benzathine) et de dihydrostreptomycine (22 mg/kg) : Shotapen(r), 60 ml par voie intramusculaire une fois tous les 3 jours, est mise en place pour une durée initiale de 15 jours.
Trois jours après le début du traitement, l’état général de la vache s’est nettement amélioré. L’éleveur la juge beaucoup plus vigoureuse. Le mufle et la face sont moins déformés. L’épistaxis n’est plus présente. Les nœuds lymphatiques sont moins hypertrophiés. Enfin, le volume des lésions nodulaires a diminué, aussi bien au niveau buccal que nasal (photos 5, 6 et 7).
La réponse nettement favorable au traitement a renforcé notre hypothèse infectieuse. Pour obtenir une confirmation définitive, les biopsies prévues sont réalisées.
La vache est tranquillisée à l’aide d’une injection intraveineuse de xylazine (0,03 mg/kg, soit 1 ml de Rompun®), puis maintenue fermement au cornadis à l’aide d’un licol. Une infiltration locale de lidocaïne à 2 % (Laocaïne®) est réalisée autour des deux sites de prélèvements choisis : une portion de muqueuse nasale et une portion de muqueuse gingivale infiltrées par les lésions nodulaires. À chaque fois, les tissus sont prélevés grâce à deux incisions en côte de melon, et la plaie est suturée par un point simple en U, réalisé à l’aide d’un monofilament non résorbable (Ethilon®, USP 2-0/déc. 3). Les prélèvements sont soumis à des examens histopathologique (conditionnement au formol) et bactériologique (conditionnement tube sec).
L’histologie confirme l’analyse cytologique, révélant des lésions nasales et buccales inflammatoires pyogranulomateuses chroniques marquées, développées autour de corps de Splendore-Hoeppli (structures éosinophiliques en forme de massue) (photos 8 et 9).
Une coloration de Gram montre la présence de colonies bactériennes Gram négatives.
Il s’agit donc de lésions histologiques typiques d’actinobacillose.
La mise en culture d’un fragment tissulaire permet d’isoler des levures, une souche de microcoque et une souche de Staphylococcus aureus, mais aucune bactérie du genre Actinobacillus. Le profil de cette population bactérienne est assez évocateur d’une contamination de surface du prélèvement (en outre, un traitement antibiotique était en cours).
Après 15 jours du même traitement (Shotapen(r) tous les 3 jours), la vache a repris une attitude tout à fait normale. Toutefois, les nodules n’ont pas totalement disparu.
Le risque de rechute n’étant pas négligeable, deux options sont proposées à l’éleveur : poursuivre le traitement 15 jours de plus ou l’interrompre en espérant que cette rémission suffise à mener la gestation jusqu’à son terme. L’éleveur choisit la seconde.
Aucune rechute n’est notée après la fin du traitement et la gestation arrive à son terme sans incident. La vache donne naissance à des jumeaux vivants.
Compte tenu de l’excellent état général de cet animal et de son bon niveau de production, l’éleveur a décidé de le garder dans le troupeau. Deux mois après le vêlage, la seule séquelle visible est un nodule ferme et non douloureux de 5 cm de diamètre sur la joue droite (photo 10).
L’actinobacillose est une maladie fréquemment rencontrée en médecine bovine.
Dans sa forme classique, dite de la “langue de bois”, les signes d’appel sont peu équivoques (ptyalisme, mastication douloureuse et langue gonflée). Le diagnostic est aisé [1, 8]. Actinobacillus lignieresii, la bactérie responsable, est un bacille Gram négatif commensal de la cavité buccale des ruminants. Il est également retrouvé sur les barbes des épillets de nombreux végétaux. Toute zone cutanée ou muqueuse sujette aux abrasions ou aux piqûres par de tels végétaux est une porte d’entrée potentielle pour Actinobacillus lignieresii et peut devenir le siège de granulomes ou d’abcès [8]. Des formes de localisation inhabituelle sont ainsi décrites occasionnellement chez les bovins et les chevaux [2]. Chez les bovins, les publications font mention des narines, des paupières, ou encore d’une veine jugulaire à la suite d’une ponction à l’aiguille [7]. Des plaies de césarienne sont également citées [5]. L’œsophage, le pharynx, le palais et la peau du flanc sont aussi possibles [9]. Récemment, Jean-Marie Nicol, praticien à Châteaubriant a illustré sur le site Internet Vétofocus le cas d’une vache normande atteinte d’actinobacillose présentant des abcès sur l’un des flancs(1).
Face à de tels cas, le diagnostic différentiel est parfois délicat. L’actinobacillose peut être confondue avec une néoformation d’origine tumorale, un tissu de granulation exubérant ou toute autre maladie infectieuse responsable d’une inflammation pyogranulomateuse, comme un mycétome ou une tuberculose de localisation atypique. Dans cette situation, la cytologie est facile à mettre en œuvre et livre un résultat dans la journée. Dans ce cas, elle a permis d’orienter rapidement la suspicion diagnostique vers une origine infectieuse et de mettre en place un traitement de première intention. Toutefois, la cytologie seule ne suffit pas pour parvenir au diagnostic définitif car l’inflammation pyogranulomateuse mise en évidence n’est pas spécifique de l’actinobacillose. L’examen de choix est l’analyse histologique des lésions a fortiori si la tuberculose est incluse dans le diagnostic différentiel [8].
Même si la tuberculose est très peu probable compte tenu de son épidémiologie, du statut indemne du troupeau et de la présentation clinique très atypique de la maladie, ses conséquences possibles pour la santé animale et humaine, ainsi que son statut de maladie animale réputée contagieuse, imposent de l’exclure de façon formelle.
La tuberculose fait partie des hypothèses diagnostiques dans le diagnostic différentiel des lésions pharyngées, comme l’actinobacillose [3]. Les lésions tuberculeuses sont parfois retrouvées sur les nœuds lymphatiques périphériques, en particulier rétropharyngiens et parotidiens [10]. En outre, une étude réalisée sur 50 bovins positifs en intradermo-tuberculination (IDT) a permis d’isoler Mycobacterium bovis à partir de lésions du tractus respiratoire antérieur chez 4 d’entre eux, tandis qu’un cinquième a présenté une lésion localisée à la narine. D’un point de vue histopathologique, M. bovis se distingue d’A. lignieresii par la nécrose caséeuse centrale plus ou moins minéralisée au sein des granulomes. L’inflammation est plus granulomateuse que pyogranulomateuse. La coloration de Ziehl révèle souvent la présence de bacilles acido-alcoolo-résistants intralésionnels.
Comme l’analyse histologique des lésions est un examen de référence pour le diagnostic de la tuberculose et que l’éleveur a accepté de la réaliser, il n’a pas été jugé opportun de procéder à une IDT [3]. Si l’éleveur avait refusé la biopsie, cela aurait été indispensable, préalablement à l’arrêté préfectoral de mise sous surveillance en cas de résultat positif.
D’un point de vue thérapeutique, le traitement de choix classiquement décrit n’a pas été mis en place.
Un large consensus est établi sur l’usage en première intention d’iodure de sodium à la dose de 70 mg/kg par voie intraveineuse, traitement éventuellement répété après 7 à 10 jours en surveillant l’apparition éventuelle de signes d’iodisme (épiphora, toux, perte d’appétit, diarrhée, furfur) [1, 4, 6, 8]. Le mode d’action des ions iodures n’est pas clairement établi. Ils exerceraient une action anti-inflammatoire vis-à-vis de la réaction granulomateuse plutôt qu’une activité antimicrobienne directe [8]. Smith rapporte que le rapport entre des avortements et l’injection d’iodure a été évoquée par le passé [8]. « Ne pas administrer chez la vache en gestation avancée » figure d’ailleurs à la rubrique “précaution” du résumé des caractéristiques du produit (RCP) de l’une des deux spécialités à base d’iodure commercialisées en France (iodure veto-veine(r) Coophavet). Toujours selon Smith, l’association possible entre iodure et avortement est controversée et nous n’y avons jamais été confronté [8]. Toutefois, nous n’avons voulu prendre aucun risque, l’éleveur ayant clairement signifié sa volonté de mener la gestation de cette vache à terme.
Le traitement a reposé exclusivement sur une antibiothérapie. La dose journalière recommandée est de 10 000 UI/kg pour la pénicilline et 10 mg/kg pour la streptomycine [4]. Compte tenu de la chronicité des lésions, une association pénicilline/streptomycine a été prescrite pour une durée initiale de 15 jours, en choisissant une spécialité à longue durée d’action (Shotapen(r)) afin de faciliter l’observance (hors RCP dans ce schéma thérapeutique réitéré).
Ce traitement antibiotique a pu fausser le résultat de la culture bactériologique réalisée à partir de la biopsie prélevée 3 jours plus tard (pas d’Actinobacillus en culture, alors que des bactéries à Gram négatif ont été identifiées sur les coupes histologiques, mais un profil bactérien in fine typique de contaminants de surface).
Le pronostic est qualifié d’excellent pour les formes classiques, d’après Smith [8]. Il serait légèrement plus nuancé pour les formes atypiques. Notre expérience clinique rejoint pareille estimation. Malgré la persistance de lésions nodulaires à la fin du traitement, aucune rechute n’a été observée et la plupart des lésions se sont résorbées en quelques semaines. Des proportions de rechute élevées, de l’ordre de 30 à 40 %, ont déjà été évoquées [1].
L’actinobacillose est une maladie bien connue des éleveurs et des vétérinaires lorsqu’elle se développe sous sa forme linguale typique. Dans de rares cas, elle adopte des formes plus déroutantes qui peuvent être confondues avec des processus tumoraux ou d’autres maladies infectieuses, comme l’illustre ce cas. Le clinicien devra réaliser un examen histologique pour parvenir au diagnostic de certitude. Par rapport aux autres maladies incluses dans le diagnostic différentiel, le traitement médical de l’actinobacillose est facile à mettre en œuvre, abordable pour l’éleveur et assorti d’un pronostic plutôt bon, même si la présentation clinique est inhabituelle.
Les auteurs remercient le Dr Christophe Rousseau, de Segré (Maine-et-Loire), pour sa collaboration à la bactériologie.
→ L’actinobacillose bovine peut prendre des formes atypiques caractérisées par la prolifération de granulomes ou d’abcès de localisations diverses, n’incluant pas la langue.
→ L’examen complémentaire de choix pour confirmer une suspicion d’actinobacillose est l’analyse histologique des lésions.
→ La cytoponction est un examen facile à mettre en œuvre et peut orienter rapidement le diagnostic.
→ L’injection intraveineuse d’iodure de sodium, traitement de choix, n’a pas été mise en œuvre.
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