Cas de diverticule du canal de l’ouraque chez un veau - Le Point Vétérinaire expert rural n° 338 du 01/09/2013
Le Point Vétérinaire expert rural n° 338 du 01/09/2013

CHIRURGIE OMBILICALE DU VEAU

Cas clinique

Auteur(s) : Guillaume Lamain

Fonctions : Vétérinaires de l’Arche
61130 Belleme

Une masse ombilicale se révèle être une accumulation d’urine dans le canal de l’ouraque persistant et distalement obturé, qui aurait pu compromettre la vie de l’animal sans intervention chirurgicale.

Un veau charolais mâle âgé de 15 jours et pesant 40 kg est examiné à la ferme pour un abattement et de l’anorexie. L’éleveur a traité le veau pour un abcès ombilical. Depuis 3 jours, l’animal reçoit une association de benzylpénicilline et de dihydrostreptomycine, sans modification de la masse ombilicale ni de la vivacité de l’animal.

CAS CLINIQUE

1. Examen clinique

Examen général

Le veau se lève après quelques secondes de stimulation. Il se tient debout, mais apparaît modérément abattu (photos 1 et 2). Son abdomen n’est pas creusé. Sa mère, dont la mamelle est vide, a été récemment tétée. Les paramètres de l’examen général sont dans les normes, comme le révèlent la prise de température rectale (39,1 °C), l’examen des muqueuses, des nœuds lymphatiques, de la respiration et du système cardiovasculaire. Le veau n’est pas déshydraté (persistance du pli de peau inférieure à 2 secondes et absence d’énophtalmie).

Examen de la masse ombilicale

Le cordon ombilical est déjà séparé du nombril. Une masse ombilicale de 10 cm de diamètre est observée dès que le veau est debout (photo 3). La masse n’est pas chaude. Elle est souple et dépressible, mais sa palpation provoque chez le veau une réaction douloureuse (tentative de soustraction à la contention de l’éleveur). Il est possible de repousser son contenu vers l’abdomen. À la base de cette structure, un anneau de 1,5 cm de diamètre est détecté entre les muscles, au niveau de la ligne blanche. Aussitôt après la manipulation de la masse, le veau urine normalement. L’urine ne contient pas de sang macroscopiquement visible. La palpation profonde de la cavité abdominale déclenche à nouveau une réaction douloureuse du veau, mais aucune autre anomalie n’est détectée.

Diagnostic différentiel

Les affections envisagées dans le cas d’une atteinte de l’ombilic chez un jeune veau sont une hernie ombilicale d’une portion du mésentère ou du tube digestif, une omphalite compliquée ou non d’une persistance du canal de l’ouraque et/ou d’une infection des structures vasculaires adjacentes (artères vésicales et veine ombilicale).

2. Examens complémentaires

L’urine émise par les voies naturelles est récupérée et versée sur une bandelette urinaire. Les paramètres obtenus sont dans les normes usuelles.

Un examen échographique de la masse est réalisé. Il révèle un liquide (anéchogène) contenu dans une fine structure tubulaire (iso-échogène), progressant caudalement dans l’abdomen et communiquant avec la vessie.

Une ponction de la masse à l’aiguille (18 G, 40 mm) permet de récupérer au goutte-à-goutte un liquide transparent, clair et légèrement jaune (photo 4). L’adjonction d’une seringue de 10 ml facilite la récupération d’une partie de ce liquide qui, une fois transféré dans un pot stérile et passé 30 secondes au four à micro-ondes, dégage une odeur urineuse.

La vidange complète de la masse est impossible. Celle-ci reprend du volume au fur et à mesure qu’elle est ponctionnée.

Le diagnostic proposé est une persistance du canal de l’ouraque avec la séquestration de l’urine dans une poche qui semble sous-cutanée, en région ombilicale.

3. Traitement chirurgical

L’opération est pratiquée à la ferme. Le veau est anesthésié (xylazine 2 %, 0,2 mg/kg par voie intraveineuse [IV] puis kétamine 100 mg/ml, 2 mg/kg IV) et placé en décubitus dorsal dans une auge propre. Le site opératoire est largement rasé et désinfecté. Une anesthésie locale est pratiquée par infiltration sous-cutanée et intramusculaire de 20 ml de lidocaïne 2 %, puis une désinfection chirurgicale de la zone rasée est réalisée.

La peau est incisée en côte de melon autour de l’ombilic, en avant de l’extrémité du fourreau. Le tissu sous-cutané est disséqué aux ciseaux jusqu’à la paroi musculaire. Cette dernière est incisée au bistouri en même temps que le péritoine pariétal sur 2 cm, cranialement à l’ombilic, sur la gauche de l’animal. L’ouverture de la paroi est poursuivie aux ciseaux autour de la masse ombilicale et le canal de l’ouraque est identifié. Son diamètre externe diminue de 2 à 0,5 cm au fur et à mesure de la progression, de l’ombilic à la vessie, avec laquelle il est en communication. Sa portion ombilicale est plus large, de sorte qu’il forme un petit sac situé juste sous la peau de l’ombilic, dans lequel s’est accumulé l’urine (figure). Les autres vestiges ombilicaux (la veine et les artères) ne présentent pas d’anomalie. La plaie chirurgicale est agrandie de 5 cm caudalement, et dans le même axe afin de faciliter la suite de l’opération, et le fourreau est récliné sur un des côtés. Une ligature du canal de l’ouraque est réalisée à 1 cm de l’apex de la vessie à l’aide de fil monofilament résorbable décimale 5. Une pince hémostatique est posée sur le canal juste cranialement à la ligature. Des compresses stériles sont placées autour de la zone de résection afin d’absorber les quelques gouttes d’urine susceptibles de s’écouler, et le canal est réséqué. La paroi abdominale est refermée par des points en X (polyfilament tressé résorbable décimale 4, monté sur une aiguille triangulaire). Un surjet simple sous-cutané puis un surjet cutané à points passés sont effectués (même matériel). Une antibiothérapie est mise en place pendant 5 jours (association benzylpénicilline procaïne 114 mg/ml et dihydrostreptomycine 200 mg/ml, 1 ml/kg). Une injection d’anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) est effectuée par voie sous-cutanée (méloxicam injectable 20 mg/ml, 0,5 mg/kg).

4. Évolution

À la suite de l’intervention, l’animal retrouve un appétit et un état général satisfaisants. Il est revu 2 mois après l’intervention (photo 5). L’aspect de son poil et son développement corporel témoignent de son meilleur appétit. La palpation de la plaie ombilicale permet d’identifier une cicatrisation musculaire complète.

DISCUSSION

1. Anatomie et cause d’une anomalie

Le cordon ombilical comprend la membrane amniotique, qui contient la veine et les artères ombilicales ainsi que le canal de l’ouraque [9]. Ces derniers régressent en quelques jours après la naissance du veau, pour devenir respectivement le ligament rond du foie, les ligaments latéraux de la vessie et la portion vestigiale de l’apex de la vessie [5].

Lorsque l’une des structures vestigiales est infectée chez un veau, il s’agit le plus souvent du canal de l’ouraque [5]. La persistance de celui-ci est généralement secondaire à un étirement insuffisant au moment du vêlage ou à une fragilisation de l’ombilic liée à une infection locale. Dans le cas présent, l’ouraque était enflammé et sa lumière dilatée, mais son extrémité ombilicale était correctement close, ce qui conduisait à l’accumulation d’urine.

2. Une symptomatologie ambiguë

Des cas de diverticules du canal de l’ouraque ont déjà été rapportés, mais leur description reste rare, à la connaissance de l’auteur [5].

Les symptômes rencontrés ici sont comparables à ceux des autres affections qui entrent dans le diagnostic différentiel des masses ombilicales (hernie simple ou digestive, omphalite ou infection des vestiges ombilicaux, ou combinaison de hernie et d’infection, tableau) [5]. Dans le cas décrit, la hernie digestive est peu probable en raison de l’état de l’animal et des images échographiques. Toutefois, une incarcération des anses intestinales, voire de la caillette, est possible [7]. De plus, il a été rapporté des anomalies du tractus urinaire associées à la persistance du canal de l’ouraque [8].

La palpation est un élément essentiel de l’examen de la masse. Elle permet, ici, de différencier l’accumulation d’urine d’une hernie simple par l’absence de sensation de masse digestive. Cette palpation doit rester délicate pour éviter la rupture de la masse urinaire, qui entraînerait l’accumulation d’urine en zone sous-cutanée et une nécrose ultérieure des tissus [5].

3. Examen de l’animal

Le positionnement du veau en décubitus latéral ou dorsal a déjà été montré pour faciliter la palpation abdominale profonde ou l’évaluation du caractère réductible de la masse [5, 9].

À la palpation de la masse et de l’abdomen, le veau opéré présentait des symptômes particuliers (douleur et émission d’urine) résultant probablement de la communication entre la masse ombilicale et la vessie.

L’échographie reste l’examen complémentaire de choix lors de masse ombilicale. Elle permet d’affiner le diagnostic et l’observation des structures intra-abdominales apporte des éléments pronostiques (importance des phénomènes inflammatoires ou infectieux, identification des structures anatomiques impliquées) [2, 3, 4, 5, 11]. Dans le cas présent, elle a permis de détecter une structure (l’ouraque contenant de l’urine) qui était difficile à palper car elle s’écrasait lors de la palpation abdominale profonde. Une mesure des valeurs sanguines de l’urée et de la créatinine n’aurait eu qu’un intérêt pronostique limité, car l’écoulement d’urine limitait le risque d’apparition d’une hydronéphrose.

4. Bénéfices d’un traitement chirurgical

La laparotomie exploratrice est souvent le premier temps du traitement des affections ombilicales, sauf en cas d’omphalite abcédative sévère. Cet examen complémentaire permet de confirmer le diagnostic proposé et d’initier le temps chirurgical [5, 9]. L’exploration permet de surcroît de déterminer la présence de complications (infection péritonéale, adhérences digestives ou omentales), donc d’affiner le pronostic. En dehors des cas de marsupialisation de la veine ombilicale (indiquée lors d’omphalophlébite), les principales complications des opérations ombilicales sont celles de la plaie opératoire (abcès, séromes, déhiscence de plaie) [1, 5]. Quelques techniques chirurgicales ou peropératoires destinées à limiter l’incidence de ces complications ont déjà été décrites [6]. Ces complications ne doivent pas être un frein à l’opération d’un veau qui va bénéficier grandement de l’intervention, dans la plupart des cas.

Par exemple, en l’absence de traitement chirurgical, ce veau atteint d’un diverticule de l’ouraque aurait sans doute conservé une douleur abdominale l’empêchant de se nourrir suffisamment et aurait été exposé au risque d’infections du tractus urinaire.

Le pronostic économique de l’animal doit cependant rester acceptable : en cas de multiples anomalies, il arrive que son avenir économique soit fortement compromis [8].

L’opération présentée dans cet article a été réalisée à la ferme, avec les moyens disponibles dans ces conditions. L’anesthésie fixe “classique” avec bolus itératif, cer-tai-nement inadaptée de nos jours, a été préférée à une rachianesthésie plus appropriée, mais difficile à mettre en place sans l’intervention d’aides habitués et dans un environnement contaminé et non adéquat [2].

La ligature en masse du canal de l’ouraque a été réalisée, mais l’excision de l’apex de la vessie, suivie d’une fermeture classique de cette dernière (en deux couches : une perforante et la seconde enfouissante), était également envisageable [5]. L’étanchéité des voies urinaires résiduelles aurait ainsi sans doute été mieux garantie. Cependant-, cette seconde possibilité aurait nécessité un abord plus large, plus invasif et un temps opératoire plus long, éléments incompatibles avec une intervention chirurgicale effectuée à la ferme sans aide et sous anesthésie fixe.

Conclusion

Une affection apparemment classique peut parfois réserver des surprises. C’est le cas de ce canal de l’ouraque obturé, mais persistant de façon à former une masse ombilicale dont les symptômes sont proches de ceux rencontrés lors de hernie ombilicale simple. Les bénéfices d’un traitement chirurgical sont démontrés chez ce veau charolais dont l’avenir aurait été incertain en l’absence d’une intervention.

Références

  • 1. Baird AN. Umbilical surgery in calves. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 2008;24:467-477.
  • 2. Bruyère P, Olive J, Portier K et coll. Traitement d’une omphalo-artérite chez le veau. Point Vét. 2011;315 (expert rural):44-47.
  • 3. Buczinski S. Échographie des bovins. Éd. du Point Vétérinaire, Rueil-Malmaison. 2009:191p.
  • 4. Estienne B, Arcangioli MA, Le Grand D. Échographie ombilicale chez le veau. Point Vét. 2011;318 (expert rural):52-55.
  • 5. Fubini S, Ducharme N. Hernias/Umbilicus. In: Farm animal surgery. 1st ed. Ed. Elsevier, St Louis. 2004:477-484.
  • 6. Heynderickx J, Quentin X. Techniques pour limiter la récidive lors de hernie ombilicale. Point Vét. 2013;333 (expert rural):44-48.
  • 7. Lamain G. Traitement chirurgical d’une hernie ombilicale avec incarcération abomasale chez une génisse. Point Vét. 2012;322 (expert rural):49-52.
  • 8. Michaux H, Babkine M. Marsupialisation de la vessie chez un veau charolais. Point Vét. 2013;334:44-47.
  • 9. Radostits OM, Gay CC, Hinchcliff KW et coll. Omphalitis, omphalophlebitis and urachitis in ewborn farm animals (navel-ill). In: Vet. med. 10th ed. Ed. Saunders, Philadelphia. 2007:159-160.
  • 10. Radostits OM, Gay CC, Hinchcliff KW et coll. Patent urachus. In : Vet. Med. 10th ed. Ed. Saunders, Philadelphia. 2007:573.
  • 11. Steiner A, Lejeune B. Ultrasonographic assessment of umbilical disorders. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 2009;25:781.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La persistance du canal de l’ouraque est l’une des affections ombilicales chez le jeune veau.

→ Contrairement à ce qui est habituellement décrit, l’urine s’accumule dans une poche sous-cutanée lors de cette affection.

→ Lors de persistance du canal de l’ouraque avec une séquestration de l’urine, la distinction avec une hernie ombilicale du tube digestif ou du mésentère est difficile par la seule palpation manuelle.

→ Le traitement chirurgical consiste en l’ablation du canal de l’ouraque.

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